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Affaire C-88/09

Graphic Procédé

contre

Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France))

«Fiscalité — Sixième directive TVA — Activité de reprographie — Notions de ‘livraison de biens’ et de ‘prestation de services’ — Critères de distinction»

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Livraisons de biens — Notion

(Directive du Conseil 77/388, art. 5, § 1, et 6, § 1)

L'article 5, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit être interprété en ce sens que l'activité de reprographie répond aux caractéristiques d'une livraison de biens dans la mesure où elle se limite à une simple opération de reproduction de documents sur des supports, le pouvoir de disposer de ceux-ci étant transféré du reprographe au client qui a commandé les copies de l'original. Une telle activité doit être qualifiée toutefois de «prestation de services», au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388, lorsqu'il apparaît que celle-ci s'accompagne de prestations de services complémentaires susceptibles, eu égard à l'importance qu'elles revêtent pour leur destinataire, au temps que nécessite leur exécution, au traitement que requièrent les documents originaux et à la part du coût total que ces prestations de services représentent, de revêtir un caractère prédominant par rapport à l'opération de livraison de biens, de sorte qu'elles constituent une fin en soi pour leur destinataire.

(cf. point 33 et disp.)







ARRÊT DU 11. 2. 2010 – AFFAIRE C-88/09

GRAPHIC PROCÉDÉ

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 février 2010 (*)

«Fiscalité – Sixième directive TVA – Activité de reprographie – Notions de ‘livraison de biens’ et de ‘prestation de services’ – Critères de distinction»

Dans l’affaire C-88/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 27 juin 2008, parvenue à la Cour le 2 mars 2009, dans la procédure

Graphic Procédé

contre

Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. E. Levits (rapporteur), M. Ilešič, J.-J. Kasel et M. Safjan, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 décembre 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour Graphic Procédé, par Me T. Haas, avocat,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et J.-S. Pilczer, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes O. Patsopoulou, Z. Xatzipavlou, V. Karra et M. M. Apesos, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Afonso, en qualité d’agent,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 5 et 6 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Graphic Procédé, société exerçant une activité de reprographie, au ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique au sujet de rappels de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») et des intérêts y afférents.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        L’article 2 de la sixième directive dispose:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti en tant que tel;

[…]»

4        Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive:

«Est considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»

5        L’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive dispose:

«Est considérée comme ‘prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5.»

 La réglementation nationale

6        L’article 256 du code général des impôts, dans sa version applicable au cours de la période d’imposition en cause au principal, transpose littéralement les articles 5, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, de la sixième directive.

7        L’article 269 du code général des impôts dispose:

«1.      Le fait générateur de la taxe est constitué:

a.      Pour les livraisons et achats, par la délivrance des biens et, pour les prestations de services […] par l’exécution des services […]

2.      La taxe est exigible:

a.      Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 […], lors de la réalisation du fait générateur.

         […]

c.      Pour les prestations de services […], lors de l’encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur autorisation du directeur des services fiscaux, d’après les débits […]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

8        L’activité de reprographie exercée par Graphic Procédé consiste en la réalisation avec les propres matériaux de cette entreprise de copies de documents, de dossiers et de plans à la demande d’une clientèle composée, notamment, de cabinets d’architectes, de bureaux d’études, de musées, d’éditeurs, d’afficheurs urbains et de ministères. Les clients de Graphic Procédé demeurent propriétaires des documents originaux dont ils demandent la reproduction. Les tirages effectués vont d’un exemplaire à plusieurs centaines de copies.

9        Considérant que les opérations qu’elle effectue sont des prestations de services, Graphic Procédé a, au cours de la période du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1993, déclaré et acquitté la TVA lors de l’encaissement des factures.

10      Estimant que les opérations réalisées par Graphic Procédé constituaient des livraisons de biens, l’administration fiscale a, par une notification de redressements en date du 27 septembre 1994, mis à la charge de cette société des rappels de TVA d’un montant de 582 503 FRF (soit environ 88 802 euros), correspondant à la TVA facturée, mais non encore versée au Trésor public à la date du 31 décembre 1993, auxquels se sont ajoutés des intérêts de retard d’un montant de 39 319 FRF (soit environ 5 994 euros).

11      Les demandes de décharge desdits rappels et intérêts de retard ayant été rejetées par un jugement du tribunal administratif de Paris du 3 avril 2003, puis par un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 15 juin 2006, Graphic Procédé a saisi le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

12      Le Conseil d’État, considérant que la solution du litige qui lui est soumis requiert l’interprétation de dispositions de la sixième directive, a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Quels sont les critères à mettre en œuvre pour déterminer si la reprographie est une livraison de biens ou une prestation de services?»

 Sur la question préjudicielle

13      Par sa question, la juridiction de renvoi souhaite connaître les critères permettant de déterminer, aux fins de la perception de la TVA, si une activité de reprographie, telle que celle en cause au principal, doit être qualifiée de livraison de biens, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, ou de prestation de services, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

14      Il convient d’emblée de rappeler que la sixième directive établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (voir arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, Rec. p. I-1609, point 48).

15      À cet égard, la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA en visant, à son article 2, relatif aux opérations imposables, outre les importations de biens, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel (voir arrêt Halifax e.a., précité, point 49).

16      En ce qui concerne la notion de «livraison de biens», l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive dispose qu’est considéré comme une telle livraison le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. À cet égard, la jurisprudence de la Cour précise que cette notion inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à disposer en fait de ce bien comme si elle en était le propriétaire (voir arrêt Halifax e.a., précité, point 51).

17      Quant à la notion de «prestation de services», il résulte de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive qu’elle recouvre toute opération ne constituant pas une livraison d’un bien, au sens de l’article 5 de cette directive.

18      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une opération est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question, aux fins de déterminer, d’une part, si l’on se trouve en présence de deux ou de plusieurs prestations distinctes ou d’une prestation unique et, d’autre part, si, en ce dernier cas, cette prestation unique doit être qualifiée de livraison de biens ou de prestation de services (voir, en ce sens, arrêts du 2 mai 1996, Faaborg-Gelting Linien, C-231/94, Rec. p. I-2395, points 12 à 14; du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank, C-41/04, Rec. p. I-9433, point 19, ainsi que du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN, C-111/05, Rec. p. I-2697, point 17).

19      La Cour a également jugé que, compte tenu de la double circonstance que, d’une part, il découle de l’article 2 de la sixième directive que chaque opération doit normalement être considérée comme distincte et indépendante et que, d’autre part, l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA, l’on est en présence d’une prestation unique lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti au client sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (arrêts précités Levob Verzekeringen et OV Bank, points 20 et 22, ainsi que Aktiebolaget NN, points 22 et 23).

20      En l’espèce, il importe de rechercher si, eu égard aux éléments caractéristiques de l’opération en cause au principal, le reprographe fournit à son client, envisagé comme un consommateur moyen, plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique (voir, en ce sens, arrêts précités Levob Verzekeringen et OV Bank, point 20, ainsi que Aktiebolaget, point 20).

21      Or, comme le précise la décision de renvoi, l’objet économique de l’activité de reprographie en cause au principal consiste en la reproduction en un nombre d’exemplaires plus ou moins élevé d’un document original fourni par le client.

22      En particulier, ainsi qu’il ressort du dossier, cette activité de reprographie ne se limite pas à la reproduction pure et simple des documents originaux, mais s’accompagne également du choix et de la programmation des photocopieurs, ainsi que de travaux d’assemblage, de brochage des documents et de mise en ordre des copies.

23      Il résulte, dès lors, de ces constatations que tous les éléments qui composent l’opération en cause au principal apparaissent nécessaires à l’activité de reprographie et sont étroitement liés entre eux.

24      Afin de déterminer/ si une opération complexe unique, telle que celle en cause au principal, doit être qualifiée de livraison de biens ou de prestation de services, il y a lieu d’en identifier les éléments prédominants (voir, notamment, arrêts précités Faaborg-Gelting Linien, points 12 et 14; Levob Verzekeringen et OV Bank, point 27, ainsi que Aktiebolaget NN, point 27). À cet égard, il ressort de la jurisprudence qu’une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (voir arrêt Aktiebolaget NN, précité, point 28).

25      Or, dans les circonstances de l’affaire au principal, il ne saurait être contesté que la fin en soi de l’activité du reprographe est constituée par la mise à disposition de la clientèle de celui-ci des copies de l’original que cette dernière lui a préalablement fourni, les opérations d’assemblage et de mise en ordre préalables à la remise de ces copies n’étant qu’un moyen pour le reprographe de faire bénéficier sa clientèle de sa prestation dans les meilleures conditions. Ladite activité donne lieu, dès lors, à une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel.

26      Cela étant, il convient de rappeler que, pour être qualifiée de livraison de biens, une activité doit répondre aux critères fixés à l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, tels qu’exposés au point 16 du présent arrêt.

27      Ainsi, d’une part, une telle activité doit avoir pour objet un bien corporel. Dans l’affaire au principal, l’activité de reprographie apparaît avoir précisément pour objet la production de copies sur un support tel que le papier.

28      D’autre part, selon la même disposition de la sixième directive, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire doit être la conséquence de la livraison de ce bien.

29      Or, dans l’affaire au principal, la remise par le reprographe des copies au client qui les a commandées correspond au transfert du pouvoir de disposer de celles-ci comme un propriétaire, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive. Ce transfert porte, précisément, sur les supports, en l’occurrence des feuilles de papier, sur lesquels la reproduction a été effectuée, supports dont dispose le reprographe avant leur remise au client. En effet, le client du reprographe n’ayant jamais été privé de son droit de disposer du contenu incorporel des copies qui résulte de l’original fourni par lui, la transaction conclue avec le reprographe concerne uniquement les supports permettant la remise des copies. De fait, le prix facturé par le reprographe pour les copies réalisées est déterminé en tenant compte non pas de la valeur intellectuelle attachée à l’original, mais des caractéristiques techniques des copies à réaliser ainsi que du nombre d’exemplaires commandés.

30      Il apparaît dès lors que, dans les circonstances de l’affaire au principal, une activité de reprographie telle que celle décrite dans la décision de renvoi est susceptible de remplir les caractéristiques d’une livraison de biens, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive.

31      Il convient, toutefois, de souligner, ainsi qu’il résulte du point 18 du présent arrêt, que la qualification de livraison de biens ou de prestation de services d’une activité de reprographie telle que celle en cause au principal doit tenir compte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles cette activité est exercée. En particulier, l’activité d’un reprographe peut ne pas se limiter à la simple reproduction d’un original, mais s’accompagner de différentes prestations de services complémentaires telles que le conseil et l’adaptation, la modification et l’altération de l’original en fonction des souhaits du client, aux fins de la production de copies qui diffèrent plus ou moins sensiblement du document original fourni initialement par celui-ci.

32      Dans ces circonstances, et eu égard au caractère unique de l’opération complexe de reprographie tel que rappelé au point 25 du présent arrêt, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, en fonction de l’importance que revêtent ces prestations pour le client, de l’ampleur du traitement du document original fourni par le client, du temps que nécessite l’exécution de ces prestations et de la part du coût total qu’elles représentent, si lesdites prestations sont susceptibles d’être considérées comme des opérations, qui, loin de n’être que mineures ou accessoires, revêtent un caractère prédominant par rapport à la livraison des documents reproduits, de sorte qu’elles constituent, au-delà de cette simple reproduction, une fin en soi pour le destinataire de ces prestations.

33      Par conséquent, il convient de répondre à la question posée que l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que l’activité de reprographie répond aux caractéristiques d’une livraison de biens dans la mesure où elle se limite à une simple opération de reproduction de documents sur des supports, le pouvoir de disposer de ceux-ci étant transféré du reprographe au client qui a commandé les copies de l’original. Une telle activité doit être qualifiée toutefois de «prestation de services», au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, lorsqu’il apparaît que celle-ci s’accompagne de prestations de services complémentaires susceptibles, eu égard à l’importance qu’elles revêtent pour leur destinataire, au temps que nécessite leur exécution, au traitement que requièrent les documents originaux et à la part du coût total que ces prestations de services représentent, de revêtir un caractère prédominant par rapport à l’opération de livraison de biens, de sorte qu’elles constituent une fin en soi pour leur destinataire.

 Sur les dépens

34      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que l’activité de reprographie répond aux caractéristiques d’une livraison de biens dans la mesure où elle se limite à une simple opération de reproduction de documents sur des supports, le pouvoir de disposer de ceux-ci étant transféré du reprographe au client qui a commandé les copies de l’original. Une telle activité doit être qualifiée toutefois de «prestation de services», au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388, lorsqu’il apparaît que celle-ci s’accompagne de prestations de services complémentaires susceptibles, eu égard à l’importance qu’elles revêtent pour leur destinataire, au temps que nécessite leur exécution, au traitement que requièrent les documents originaux et à la part du coût total que ces prestations de services représentent, de revêtir un caractère prédominant par rapport à l’opération de livraison de biens, de sorte qu’elles constituent une fin en soi pour leur destinataire.

Signatures


* Langue de procédure: le français.