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Affaire C-94/09

Commission européenne

contre

République française

«Manquement d’État — TVA — Directive 2006/112/CE — Article 98, paragraphes 1 et 2 — Prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres — Application d’un taux réduit aux prestations de transport de corps par véhicule»

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Faculté pour les États membres d'appliquer un taux réduit à certaines livraisons de biens et prestations de services

(Directive du Conseil 2006/112, art. 96 et 98, § 1 et 2, et annexe III)

Ne manque pas aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 96 et 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, l'État membre qui soumet le transport de corps par véhicule à un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée, différent du taux applicable aux autres prestations susceptibles d'être fournies par des entreprises de pompes funèbres.

En effet, lorsqu’un État membre décide de faire usage de la possibilité ouverte par l’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112 d’appliquer un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée à une catégorie de prestations figurant à l’annexe III de cette directive, il a, sous réserve de respecter le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, la possibilité de limiter l’application de ce taux réduit à des aspects concrets et spécifiques de cette catégorie. L’exercice de cette possibilité est soumis à la double condition, d’une part, de n’isoler, aux fins de l’application du taux réduit, que des aspects concrets et spécifiques de la catégorie de prestations en cause et, d’autre part, de respecter le principe de neutralité fiscale. Ces conditions visent à assurer que les États membres ne fassent usage de cette possibilité que dans des conditions garantissant l’application simple et correcte du taux réduit choisi ainsi que la prévention de toute fraude, évasion et tout abus éventuels. Dès lors que le transport de corps par véhicule constitue un élément concret et spécifique parmi les prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres, d'une part, et que d'autres prestations semblables de transport de corps par véhicule, qui peuvent se trouver en concurrence avec celles qui sont soumises à un taux réduit, ne sont pas traitées de manière différente du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée, d'autre part, la réglementation soumettant le transport de corps par véhicule à un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée remplit les conditions requises par la directive 2006/112.

(cf. points 28, 30, 39, 42, 46)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 mai 2010 (*)

«Manquement d’État – TVA – Directive 2006/112/CE – Article 98, paragraphes 1 et 2 – Prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres – Application d’un taux réduit aux prestations de transport de corps par véhicule»

Dans l’affaire C-94/09,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 6 mars 2009,

Commission européenne, représentée par Mme M. Afonso, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par MM. G. de Bergues et J.-S. Pilczer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. E. Levits, A. Borg Barthet, J.-J. Kasel et Mme M. Berger (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 janvier 2010,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’appliquant pas un taux unique de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») à l’ensemble des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres ainsi qu’aux livraisons de biens qui s’y rapportent, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        La directive 2006/112 abroge et remplace depuis le 1er janvier 2007 la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

3        L’article 96 de la directive 2006/112, correspondant à l’article 12, paragraphe 3, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, dispose:

«Les États membres appliquent un taux normal de TVA fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services.»

4        L’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112, correspondant à l’article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive, prévoit:

«1.      Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits.

2.      Les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III.

[…]»

5        L’annexe III de la directive 2006/112, correspondant à l’annexe H de la sixième directive, contient une liste d’activités, parmi lesquelles figurent les deux catégories suivantes:

«5)      le transport des personnes et des bagages qui les accompagnent;

[…]

16)      les prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres et de crémation ainsi que la livraison de biens qui s’y rapportent.»

 La réglementation nationale

6        L’article L. 2223-19 du code général des collectivités territoriales définit le service extérieur des pompes funèbres de la manière suivante:

«Le service extérieur des pompes funèbres est une mission de service public comprenant:

1°      Le transport des corps avant et après mise en bière;

2°      L’organisation des obsèques;

3°      Les soins de conservation;

4°      La fourniture des housses, des cercueils et de leurs accessoires intérieurs et extérieurs ainsi que des urnes cinéraires;

5°      Alinéa supprimé

6°      La gestion et l’utilisation des chambres funéraires;

7°      La fourniture des corbillards et des voitures de deuil;

8°      La fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux obsèques, inhumations, exhumations et crémations, à l’exception des plaques funéraires, emblèmes religieux, fleurs, travaux divers d’imprimerie et de la marbrerie funéraire.

[…]»

7        S’agissant du taux de TVA applicable aux prestations funéraires, l’instruction ministérielle n° 68, du 14 avril 2005 (Bulletin officiel des impôts 3 C-3-05), prévoit:

«[...]

Seules les prestations de transport de corps, avant et après mise en bière, réalisées par les prestataires agréés au moyen de véhicules spécialement aménagés à cet effet sont soumises au taux réduit. Il en est de même, le cas échéant, des transports de personnes réalisés dans des cars de suite ou des voitures du clergé.

Toutes les autres opérations susceptibles d’être effectuées par ces prestataires dans le cadre du service extérieur des pompes funèbres ou d’autres activités annexes relèvent du taux qui leur est propre, soit en principe le taux normal.

[...]»

8        L’article 279 du code général des impôts dispose:

«La [TVA] est perçue au taux réduit de 5,50 % en ce qui concerne:

[…]

b quater. les transports de voyageurs;

[…]»

 La procédure précontentieuse

9        Par lettre du 15 décembre 2006, la Commission a attiré l’attention de la République française sur le fait que certaines dispositions nationales relatives au taux de TVA applicable aux prestations fournies par les entreprises de pompes funèbres ne semblaient pas conformes au droit de l’Union, et a mis cet État membre en demeure de présenter ses observations, conformément à l’article 226 CE.

10      Dans sa réponse du 14 février 2007, la République française a fait valoir que sa réglementation nationale en matière de TVA était compatible avec le droit de l’Union.

11      N’étant pas convaincue par cette réponse, la Commission a, le 29 juin 2007, émis un avis motivé dans lequel elle invitait la République française à prendre les mesures requises pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

12      Par lettre du 24 août 2007, la République française a réitéré sa position.

13      Les arguments de la République française n’ayant pas emporté la conviction de la Commission, celle-ci a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

14      La Commission fait valoir que l’ensemble des prestations de services et des livraisons de biens fournies par les entreprises de pompes funèbres aux familles des défunts constituent, aux fins de la TVA, une opération complexe unique, qui doit, par conséquent, être soumise à un taux de taxation unique.

15      La Commission fonde sa position sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA (arrêts du 25 février 1999, CPP, C-349/96, Rec. p. I-973, point 29, ainsi que du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank, C-41/04, Rec. p. I-9433, point 20). La Commission considère que l’organisation des obsèques, dont la famille du défunt charge l’entrepreneur de pompes funèbres, se caractérise par un faisceau d’éléments et d’actes qui doivent être considérés comme une prestation complexe unique dans la mesure où, pour un consommateur moyen, ils sont si étroitement liés qu’ils forment objectivement, d’un point de vue économique, un ensemble dont la dissociation revêtirait un caractère artificiel.

16      Selon la Commission, la dissociation artificielle du service de transport de corps par véhicule par rapport à l’ensemble composé par les prestations fournies par les entreprises de pompes funèbres, telle qu’elle résulte de l’instruction ministérielle n° 68, du 14 avril 2005, conduit la République française à appliquer deux taux de TVA différents à deux composantes d’une prestation qui doit être considérée comme unique. Cette prestation se trouverait ainsi soumise à un taux effectif de taxation qui correspond à un taux moyen nécessairement inférieur au taux normal applicable en France. En outre, ce taux tendrait à varier d’opération en opération, en fonction de l’importance relative que revêt, dans chaque cas, le transport de corps par véhicule. La Commission considère que la réglementation française constitue, dès lors, une violation de l’article 98, paragraphe 1, de la directive 2006/112.

17      La Commission ajoute que le traitement différencié des prestations de transport de corps par véhicule introduit des éléments de complexité ainsi que d’opacité pour le consommateur et les concurrents, qui sont susceptibles de créer des distorsions de concurrence et donc de violer le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA.

18      La République française soutient, en substance, que la jurisprudence sur laquelle s’appuie la Commission n’est pas pertinente en l’espèce et que, en ce qui concerne les catégories de prestations figurant à l’annexe III de la directive 2006/112, les États membres ont la possibilité de procéder à une application sélective du taux réduit.

19      La République française fonde sa position sur les arrêts du 8 mai 2003, Commission/France (C-384/01, Rec. p. I-4395, points 22 et 23), relatif à la fourniture d’électricité et de gaz, ainsi que du 3 avril 2008, Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau-Westelbien (C-442/05, Rec. p. I-1817, point 39), relatif à la distribution d’eau. Selon elle, il ressort par analogie de ces arrêts que rien dans le texte des articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112 n’impose que ces dispositions soient interprétées comme exigeant que le taux réduit ne s’applique que s’il vise tous les aspects des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres relevant de l’annexe III de cette directive, de sorte qu’une application sélective d’un taux réduit ne saurait être exclue, à condition qu’elle n’entraîne aucun risque de distorsion de concurrence.

20      En référence aux arrêts précités, elle soutient également que, sous réserve de respecter le principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, les États membres ont la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à des aspects concrets et spécifiques des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres. La République française estime que ces conditions sont remplies en ce qui concerne le transport de corps par véhicule. En premier lieu, il s’agirait d’un aspect concret et spécifique des prestations fournies par les entreprises de pompes funèbres, ce qui serait attesté par le fait que cette opération fait l’objet d’une réglementation spécifique. En second lieu, l’application du taux réduit au seul transport de corps par véhicule ne porterait pas atteinte au principe de neutralité fiscale dès lors que cette prestation ne se trouverait en concurrence avec aucune autre.

 Appréciation de la Cour

 Sur l’interprétation des articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112

21      L’article 96 de la directive 2006/112 prévoit que le même taux de TVA, le taux normal, est applicable aux livraisons de biens et aux prestations de services.

22      L’article 98, paragraphes 1 et 2, de cette directive reconnaît ensuite aux États membres, par dérogation au principe selon lequel le taux normal est applicable, la possibilité d’appliquer un ou deux taux réduits de TVA. Selon cette disposition, les taux réduits de TVA peuvent uniquement être appliqués aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III de ladite directive.

23      L’annexe III, point 16, de la directive 2006/112 autorise l’application d’un taux réduit aux prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres.

24      Les règles définies par ces dispositions sont, en substance, identiques à celles prescrites à l’article 12, paragraphe 3, sous a), premier et troisième alinéas, ainsi qu’à l’annexe H, quinzième catégorie, de la sixième directive.

25      La Cour a jugé à propos de l’article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive que rien dans le texte de cette disposition n’impose qu’elle soit interprétée comme exigeant que le taux réduit ne s’applique que s’il vise tous les aspects d’une catégorie de prestations visée à l’annexe H de la même directive, de sorte qu’une application sélective du taux réduit ne saurait être exclue, à condition qu’elle n’entraîne aucun risque de distorsion de concurrence (voir arrêts Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau-Westelbien, précité, point 41, ainsi que, par analogie, Commission/France, précité, point 27).

26      La Cour en a tiré pour conséquence que, sous réserve de respecter le principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, les États membres ont la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à des aspects concrets et spécifiques d’une catégorie de prestations visée à l’annexe H de la sixième directive (voir arrêt Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau-Westelbien, précité, point 43).

27      Dès lors que l’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112 reprend en substance le libellé de l’article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, il y a lieu de lui étendre l’interprétation donnée par la Cour à cette dernière disposition.

28      Il s’ensuit que, lorsqu’un État membre décide de faire usage de la possibilité ouverte par l’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112 d’appliquer un taux réduit de TVA à une catégorie de prestations figurant à l’annexe III de cette directive, il a, sous réserve de respecter le principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, la possibilité de limiter l’application de ce taux réduit de TVA à des aspects concrets et spécifiques de cette catégorie.

29      La possibilité de procéder à une application sélective du taux réduit de TVA ainsi reconnue aux États membres se justifie notamment par la considération que, ce taux étant l’exception, la limitation de son application à des aspects concrets et spécifiques est cohérente avec le principe selon lequel les exemptions et les dérogations doivent être interprétées restrictivement (arrêt Commission/France, précité, point 28).

30      Toutefois, il convient de souligner que l’exercice de cette possibilité est soumis à la double condition, d’une part, de n’isoler, aux fins de l’application du taux réduit, que des aspects concrets et spécifiques de la catégorie de prestations en cause, et, d’autre part, de respecter le principe de la neutralité fiscale. Ces conditions visent à assurer que les États membres ne fassent usage de cette possibilité que dans des conditions garantissant l’application simple et correcte du taux réduit choisi ainsi que la prévention de toute fraude, évasion et tout abus éventuels.

31      La Commission soutient que les États membres, lorsqu’ils font usage de la possibilité qui leur est ouverte par l’article 98 de la directive 2006/112 d’appliquer un taux réduit de TVA, doivent respecter les critères dégagés par la jurisprudence afin de déterminer si une opération comportant plusieurs éléments doit être considérée comme une prestation unique, soumise à un seul traitement fiscal, ou comme deux ou plusieurs prestations distinctes, pouvant être traitées différemment.

32      À cet égard, il convient de rappeler que ces critères, tels que l’attente d’un consommateur moyen, à laquelle se réfère la Commission, ont pour objectif de protéger la fonctionnalité du système de la TVA au regard de la diversité des transactions commerciales. Toutefois, la Cour a elle-même reconnu l’impossibilité de donner une réponse exhaustive à ce problème (arrêt CPP, précité, point 27) et souligné la nécessité de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question (arrêts précités CPP, point 28; Levob Verzekeringen et OV Bank, point 19, ainsi que du 21 février 2008, Part Service, C-425/06, Rec. p. I-897, point 54).

33      Il s’ensuit que, si lesdits critères se prêtent à une application au cas par cas, en vue d’éviter, notamment, que l’articulation contractuelle mise en place par l’assujetti et le consommateur ne conduise à un fractionnement artificiel en plusieurs opérations fiscales d’une opération qui, d’un point de vue économique, doit être considérée comme unique, ils ne peuvent être considérés comme déterminants pour l’exercice par les États membres de la marge d’appréciation qui leur est laissée par la directive 2006/112 quant à l’application du taux réduit de TVA. L’exercice d’une telle marge d’appréciation requiert, en effet, des critères généraux et objectifs, tels que ceux dégagés dans les arrêts précités Commission/France ainsi que Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau-Westelbien et rappelés aux points 26, 28 et 30 du présent arrêt.

34      Dans ces conditions, afin de se prononcer sur le bien-fondé du présent recours, il n’est pas nécessaire de rechercher si, comme le soutient la Commission, les prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres doivent ou non être considérées, du point de vue de l’attente d’un consommateur moyen, comme une opération unique. Il convient en revanche de vérifier si le transport de corps par véhicule, pour lequel la réglementation française prévoit l’application d’un taux réduit de TVA, constitue un aspect concret et spécifique de cette catégorie de prestations, telle qu’elle figure à l’annexe III, point 16, de la directive 2006/112, et, le cas échéant, d’examiner si l’application de ce taux porte ou non atteinte au principe de neutralité fiscale.

 Sur la qualification du transport de corps par véhicule comme «aspect concret et spécifique» des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres

35      Afin de répondre à la question de savoir si le transport de corps par véhicule constitue un aspect concret et spécifique des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres, il convient d’examiner s’il s’agit d’une prestation de service identifiable, en tant que telle, séparément des autres prestations fournies par ces entreprises.

36      À cet égard, force est de constater que le transport de corps par véhicule, en tant qu’activité de transport, se distingue des autres prestations pouvant être fournies par les entreprises de pompes funèbres que sont les soins somatiques, l’utilisation d’une chambre funéraire, l’organisation des obsèques ainsi que les opérations d’enterrement ou de crémation.

37      Il se distingue également du transport de corps par porteurs, en ce que ce dernier, limité par sa nature même à des déplacements sur une courte distance, n’est pas nécessairement effectué par une entreprise mais peut être confié à des proches du défunt et revêt avant tout un caractère cérémoniel.

38      En outre, selon les indications fournies par la République française et non contredites par la Commission, le transport de corps par véhicule relève en France d’une réglementation spécifique, en ce qu’il ne peut être réalisé que par des prestataires agréés au moyen de véhicules spécialement aménagés à cet effet. Ainsi que l’a fait valoir la République française, il arrive d’ailleurs que le transport de corps soit effectué par un transporteur agréé, indépendamment de toute prestation de pompes funèbres.

39      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le transport de corps par véhicule constitue un élément concret et spécifique parmi les prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres.

 Sur le respect du principe de la neutralité fiscale

40      S’agissant de la question de savoir si l’application d’un taux réduit au transport de corps par véhicule porte atteinte au principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, il convient de rappeler que ce dernier s’oppose à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (voir, notamment, arrêts précités Commission/France, point 25, ainsi que Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau-Westelbien, point 42).

41      Ainsi qu’il a été constaté au point 37 du présent arrêt, le transport de corps par véhicule se distingue du transport de corps par porteurs, en sorte qu’il ne s’agit pas de prestations semblables qui se trouvent en concurrence.

42      Par ailleurs, la République française a fait valoir, sans être contredite sur ce point par la Commission, que, lorsqu’un transport de corps par véhicule est effectué isolément, c’est-à-dire indépendamment de toute autre prestation d’ordre funéraire, par une entreprise de pompes funèbres ou par tout autre prestataire agréé, telle une entreprise de transport sanitaire, cette opération est, selon la réglementation française, considérée comme un transport de personnes au sens de l’annexe III, point 5, de la directive 2006/112 et, conformément à l’article 279 du code général des impôts, soumise au même taux réduit que si elle avait été effectuée dans le cadre d’un contrat incluant la fourniture d’une plus large gamme de prestations d’ordre funéraire. Il s’ensuit que des prestations semblables de transport de corps par véhicule, qui peuvent se trouver en concurrence, ne sont pas traitées de manière différente du point de vue de la TVA.

43      La Commission fait valoir que le traitement différencié des prestations de transport de corps par véhicule est susceptible d’introduire des distorsions de concurrence en ce que les entreprises de pompes funèbres peuvent être tentées d’augmenter artificiellement la partie du prix qu’elles font correspondre au transport de corps par véhicule, de manière à réduire la partie du prix des autres prestations qui sera soumise au taux normal.

44      À cet égard, il convient de relever que la Commission n’a pas explicité en quoi de telles pratiques, dont elle n’établit pas l’existence, seraient susceptibles d’introduire des distorsions de concurrence entre les prestataires de services. Il y a lieu d’ajouter que, dans l’hypothèse où des pratiques telles que celles auxquelles fait référence la Commission pourraient être établies, il appartiendrait aux autorités nationales compétentes, auxquelles il incombe de garantir l’application simple et correcte du taux réduit dont elles ont fait le choix ainsi que la prévention de toute fraude, évasion et tout abus éventuels (voir point 30 du présent arrêt) d’examiner si elles peuvent relever de la notion de pratique abusive en se référant, le cas échéant, aux critères développés à cet effet par la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, Rec. p. I-1609, points 74 à 76).

45      Il s’ensuit que la Commission n’a pas démontré que l’application d’un taux réduit aux transports de corps par véhicule est susceptible de violer le principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA.

46      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la réglementation française soumettant le transport de corps par véhicule à un taux réduit de TVA remplit les conditions requises par la réglementation de l’Union en la matière.

47      Dans ces conditions, le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

48      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République française ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.