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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

1er mars 2012 ( * )

«TVA — Directive 2006/112/CE — Articles 9, 168, 169 et 178 — Déduction de la taxe payée en amont pour des opérations effectuées en vue de la réalisation d’un projet d’activité économique — Achat d’un terrain par les associés d’une société — Factures établies avant l’enregistrement de la société demandant la déduction»

Dans l’affaire C-280/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne), par décision du 31 mars 2010, parvenue à la Cour le 4 juin 2010, dans la procédure

Kopalnia Odkrywkowa Polski Trawertyn P. Granatowicz, M. Wąsiewicz spółka jawna

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Poznaniu,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič, J.-J. Kasel (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 juin 2011,

considérant les observations présentées:

pour Kopalnia Odkrywkowa Polski Trawertyn P. Granatowicz, M. Wąsiewicz spółka jawna, par M. M. Pawlik, conseiller fiscal,

pour le gouvernement polonais, par M. M. Szpunar ainsi que par Mmes K. Rokicka, A. Gawłowska et A. Kramarczyk, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par M. C. Blaschke, en qualité d’agent,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes K. Paraskevopoulou, Z. Chatzipavlou et M. Michelogiannaki, en qualité d’agents,

pour le gouvernement français, par M. J.-S. Pilczer, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par M. D. Triantafyllou et Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 septembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 9, 168 et 169 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Kopalnia Odkrywkowa Polski Trawertyn P. Granatowicz, M. Wąsiewicz spółka jawna (ci-après «Polski Trawertyn»), société en nom collectif, ainsi que ses associés MM. Granatowicz et Wąsiewicz (ci-après les «associés»), au Dyrektor Izby Skarbowej w Poznaniu (directeur de la chambre fiscale de Poznań) au sujet de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») payée en amont sur certaines opérations effectuées avant l’enregistrement de la société au registre du commerce.

Le cadre juridique

La directive 2006/112

3

L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 énonce:

«Est considéré comme ‘assujetti’ quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.»

4

L’article 168 de la directive 2006/112 prévoit, notamment:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;

[…]»

5

L’article 169 de la directive 2006/112 dispose:

«Outre la déduction visée à l’article 168, l’assujetti a le droit de déduire la TVA y visée dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes:

a)

ses opérations relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, effectuées en dehors de l’État membre dans lequel cette taxe est due ou acquittée, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées dans cet État membre;

b)

ses opérations exonérées conformément aux articles 138, 142 et 144, aux articles 146 à 149, aux articles 151, 152, 153 et 156, à l’article 157, paragraphe 1, point b), aux articles 158 à 161 et à l’article 164;

c)

ses opérations exonérées conformément à l’article 135, paragraphe 1, points a) à f), lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés en dehors de la Communauté.»

6

L’article 178, sous a), de la directive 2006/112 énonce:

«Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:

a)

pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240».

7

Aux termes de l’article 213, paragraphe 1, de la directive 2006/112:

«Tout assujetti déclare le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d’assujetti.

Les États membres autorisent, et peuvent exiger, que la déclaration soit faite, dans les conditions qu’ils déterminent, par voie électronique.»

8

L’article 220 de la directive 2006/112 dispose:

«Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants:

1)

pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie;

2)

pour les livraisons de biens visées à l’article 33;

3)

pour les livraisons de biens effectuées dans les conditions prévues à l’article 138;

4)

pour les acomptes qui lui sont versés avant que l’une des livraisons de biens visées aux points 1), 2), et 3) ne soit effectuée;

5)

pour les acomptes qui lui sont versés par un autre assujetti, ou par une personne morale non assujettie, avant que la prestation de services ne soit achevée.»

9

L’article 226 de la directive 2006/112 prévoit, notamment:

«Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221:

1)

la date d’émission de la facture;

[…]

4)

le numéro d’identification TVA de l’acquéreur ou du preneur, visé à l’article 214, sous lequel il a reçu une livraison de biens ou une prestation de services pour laquelle il est redevable de la taxe ou une livraison de biens visée à l’article 138;

5)

le nom complet et l’adresse de l’assujetti et de l’acquéreur ou du preneur;

[…]»

10

Aux termes de l’article 273 de la directive 2006/112:

«Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3.»

La réglementation nationale

11

L’article 15, paragraphes 1 et 2, de la loi du 11 mars 2004 relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Ustawa z dnia 11 marca 2004 r. o podatku od towarów i usług, Dz. U. no 54, position 535), dans sa version applicable à la date des faits au principal (ci-après la «loi relative à la TVA»), dispose:

«1)   Sont considérés comme assujettis les personnes morales, les établissements n’ayant pas la personnalité juridique et les personnes physiques qui exercent d’une façon indépendante une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2)   Est considérée comme activité économique toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités des personnes exploitant les ressources naturelles, des agriculteurs et des professions libérales, même lorsque l’activité n’a été exercée qu’une seule fois dans des circonstances indiquant une intention de l’accomplir de manière répétée. Est également considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel ayant un caractère de permanence en vue d’en retirer des recettes.»

12

Aux termes de l’article 86, paragraphe 1, de la loi sur la TVA:

«Dans la mesure où les biens et services sont utilisés pour les besoins de ses activités sujettes à taxation, l’assujetti visé à l’article 15 a le droit de déduire du montant de la taxe dont il est redevable le montant de la taxe en amont, sous réserve des dispositions de l’article 114, de l’article 119, paragraphe 4, de l’article 120, paragraphes 17 et 19, et de l’article 124.»

13

L’article 86, paragraphe 2, de la loi sur la TVA prévoit:

«Sous réserve des dispositions des paragraphes 3 à 7, le montant de la taxe en amont est égal à:

1)

la somme des montants de TVA indiqués dans les factures reçues par l’assujetti

a)

pour l’acquisition de biens et de services,

b)

constatant des paiements anticipés (acomptes, arrhes, paiements à terme) s’ils sont liés à un fait générateur de taxe,

c)

provenant d’un commettant pour la livraison de biens faisant l’objet d’un contrat de commission,

[…]»

14

Conformément à l’article 86, paragraphe 10, point 1, de la loi sur la TVA, le droit à déduction est appliqué dans le décompte effectué pour la période au cours de laquelle l’assujetti a reçu la facture ou le document douanier.

15

L’article 106, paragraphe 1, de la loi sur la TVA dispose:

«Les assujettis visés à l’article 15 sont tenus d’établir des factures indiquant notamment la vente, la date de vente, le prix unitaire hors TVA, l’assiette, le taux et le montant de la taxe, le prix à payer et les données concernant l’assujetti et l’acquéreur, sous réserve des paragraphes 2, 4 et 5, de l’article 119, paragraphe 10, et de l’article 120, paragraphe 16.»

16

Conformément à l’article 9, paragraphe 1, points 1 et 2, du règlement du ministre des Finances du 25 mai 2005 relatif au remboursement de la taxe à certains assujettis, au remboursement anticipé de la taxe, à l’établissement des factures, aux modalités de leur conservation ainsi qu’à la liste des marchandises et des services auxquels l’exonération de la TVA ne s’applique pas (Dz. U. no 95, position 798), applicable jusqu’au 1er décembre 2008, la facture constatant la vente doit au moins contenir des indications concernant le prénom et le nom de famille ou la dénomination, éventuellement abrégée, du vendeur et de l’acquéreur, de même que leur adresse, ainsi que le numéro d’identification TVA du vendeur et de l’acquéreur.

17

En droit polonais, les actifs immobilisés apportés dans des sociétés commerciales et civiles sont exonérés de la TVA. Par ailleurs, une société en nom collectif n’existe qu’à partir de son inscription au registre du commerce.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18

Le 22 décembre 2006, un huissier de justice a établi une facture au nom des associés pour l’acquisition d’un bien immobilier comprenant des gisements de pierres à ciel ouvert.

19

Le 26 avril 2007, les associés ont fondé Polski Trawertyn. Le même jour, un notaire a établi une facture au nom de cette société pour l’établissement de l’acte notarié relatif à la constitution de celle-ci et des copies y afférentes.

20

Les contrôles effectués par les autorités compétentes auprès de Polski Trawertyn pour la période du mois de juin au mois de septembre de l’année 2007 ont conduit ces autorités à constater des irrégularités concernant les montants de TVA déclarés en amont. Il a en effet été constaté que, au cours du mois de juin de l’année 2007, cette société avait déclaré un montant de TVA en amont trop élevé en raison de l’enregistrement, dans la comptabilité TVA de ladite société, des deux factures susmentionnées.

21

S’agissant de la première facture, les autorités ont constaté que Polski Trawertyn n’était pas autorisée à déduire la TVA en amont, puisque l’acquéreur du bien immobilier était non pas la société elle-même, mais des personnes physiques qui, après la constitution de ladite société le 26 avril 2007, avaient apporté à cette dernière ce bien à titre d’apport en nature. Concernant la seconde facture, lesdites autorités fiscales ont considéré que celle-ci n’ouvrait pas non plus droit à déduction, étant donné qu’elle avait été émise avant l’inscription de Polski Trawertyn au registre du commerce. Cette inscription ayant été effectuée le 5 juin 2007, la facture aurait été établie au nom d’une société non encore existante.

22

Le Dyrektor Izby Skarbowej w Poznaniu ayant, à la suite d’une réclamation introduite par Polski Trawertyn, confirmé la position de l’administration fiscale, cette société a porté l’affaire devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Poznaniu (tribunal administratif de voïvodie de Poznań). Cette juridiction ayant rejeté le recours, ladite société s’est pourvue en cassation.

23

À l’appui de son pourvoi, elle a fait valoir, notamment, que, dès lors que certains biens patrimoniaux — dans l’affaire au principal plus précisément, un gisement de pierres à ciel ouvert — avaient été acquis aux fins de l’affectation à une activité économique, intention qui aurait ensuite été confirmée par des faits objectifs, à savoir la création d’une entreprise et l’enregistrement de celle-ci en tant qu’assujettie, il pourrait être raisonnablement conclu que les associés avaient agi en tant qu’assujettis au sens de l’article 9 de la directive 2006/112. Or, en vertu des articles 168 et 169 de cette directive, un assujetti aurait le droit de déduire la TVA acquittée en amont pour des dépenses d’investissement effectuées aux fins des activités qu’il a l’intention d’exercer.

24

Le Naczelny Sąd Administracyjny estime que la solution du litige pendant devant lui dépend de la question de savoir si, à la lumière des articles 9, 168, 169, 178, sous a), et 226 de la directive 2006/112 et compte tenu des éléments factuels caractérisant l’affaire au principal, Polski Trawertyn a le droit de déduire la TVA payée au titre d’acquisitions effectuées par ses associés avant que ladite société n’existe en tant que personne juridique.

25

Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Une société qui, en la personne de ses futurs associés, effectue des dépenses d’investissement avant son inscription formelle en tant que société commerciale, et avant son enregistrement aux fins de la TVA, est-elle autorisée, après son inscription et après son enregistrement aux fins de la TVA, à faire valoir un droit à déduction de la TVA payée en amont pour des dépenses d’investissement exposées pour son activité taxable, au titre de l’article 9 ainsi que des articles 168 et 169 de la directive 2006/112 […]?

2)

La facture relative à des dépenses d’investissement, établie au nom des associés, et non de la société, fait-elle obstacle à la mise en œuvre du droit à déduction de la TVA pour les dépenses d’investissement, tel que visé à la première question?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

26

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il est ressorti des débats menés devant la Cour lors de l’audience de plaidoiries, il est constant que les associés ne peuvent, en application de la réglementation nationale applicable au principal, invoquer un droit à déduction de la TVA payée sur les dépenses d’investissement qu’ils ont effectuées avant l’enregistrement et l’identification de Polski Trawertyn aux fins de la TVA, pour les besoins et en vue de l’activité économique de celle-ci, en raison du fait que l’apport du bien d’investissement en cause est une opération exonérée. Force est dès lors de constater que, dans une situation telle que celle en cause au principal, ladite réglementation nationale non seulement ne permet pas à ladite société de faire valoir un droit à déduction de la TVA payée sur le bien d’investissement en question, mais empêche également les associés qui ont effectué les dépenses d’investissement de faire valoir ce droit.

27

Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre la première question comme visant, en substance, à savoir si les articles 9, 168 et 169 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui ne permet ni aux associés d’une société ni à cette dernière de faire valoir un droit à déduction de la TVA payée en amont sur des frais d’investissement effectués, par ces associés, avant l’enregistrement et l’identification de ladite société, pour les besoins et en vue de l’activité économique de celle-ci.

28

Afin de répondre à cette question, il convient, en premier lieu, de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, les activités économiques visées à l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), qui est en substance identique à l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2006/112, peuvent consister en plusieurs actes consécutifs et que les activités préparatoires, comme l’acquisition des moyens d’exploitation et, partant, l’achat d’un bien immeuble, doivent déjà être imputées aux activités économiques (voir, notamment, arrêts du 14 février 1985, Rompelman, 268/83, Rec. p. 655, point 22, et du 29 février 1996, INZO, C-110/94, Rec. p. I-857, point 15).

29

La Cour a également jugé que le principe de la neutralité de la TVA quant à la charge fiscale de l’entreprise exige que les premières dépenses d’investissement effectuées pour les besoins et en vue d’une entreprise soient considérées comme des activités économiques et qu’il serait contraire à ce principe que lesdites activités ne débutent qu’au moment où un bien immeuble est effectivement exploité, c’est-à-dire où le revenu taxable prend naissance. Toute autre interprétation chargerait l’opérateur économique du coût de la TVA dans le cadre de son activité économique sans lui donner la possibilité de la déduire et distinguerait arbitrairement entre des dépenses d’investissement effectuées avant et pendant l’exploitation effective d’un bien immeuble (voir, notamment, arrêts précités Rompelman, point 23, et INZO, point 16).

30

La Cour en a déduit que quiconque accomplit de tels actes d’investissement étroitement liés à et nécessaires pour l’exploitation future d’un bien immeuble doit être considéré comme assujetti au sens de la sixième directive (voir arrêt Rompelman, précité, point 23).

31

Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, qui se caractérise par le fait que les associés d’une société ont, avant l’enregistrement et l’identification de ladite société aux fins de la TVA, effectué des investissements nécessaires pour l’exploitation future du bien immeuble par leur société, lesdits associés peuvent être considérés comme des assujettis pour les besoins de la TVA et sont donc, en principe, habilités à faire valoir un droit à déduction de la TVA payée en amont.

32

Dès lors, la circonstance que l’apport d’un bien immeuble à une société, par les associés de celle-ci, est une opération exonérée de TVA et le fait que lesdits associés ne perçoivent pas de TVA lors de cette opération ne peuvent avoir pour conséquence de charger ceux-ci du coût de la TVA dans le cadre de leur activité économique sans leur donner la possibilité de la déduire ou d’en obtenir le remboursement (voir, en ce sens, arrêt Rompelman, précité, point 23).

33

Il convient, en second lieu, de relever que la Cour a jugé que, en application du principe de neutralité de la TVA, un assujetti, dont l’unique objet social est de préparer l’activité économique d’un autre assujetti et qui n’a effectué aucune opération taxable, peut faire valoir un droit à déduction en relation avec des opérations taxables réalisées par le second assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Faxworld, C-137/02, Rec. p. I-5547, points 41 et 42). Cette interprétation de la sixième directive était relative au cas de figure où la TVA que le premier assujetti souhaitait déduire se rapportait aux prestations acquises par celui-ci aux fins de la réalisation d’opérations taxables envisagées par le second assujetti.

34

Certes, comme M. l’avocat général l’a relevé aux points 46 à 49 de ses conclusions, le cadre factuel et réglementaire du litige à l’origine du renvoi préjudiciel ayant donné lieu à l’arrêt Faxworld, précité, était différent de celui de l’affaire à la base du présent renvoi préjudiciel. Toutefois, les motifs sous-tendant l’interprétation retenue par la Cour dans cet arrêt restent valables dans des circonstances telles que celles qui caractérisent le litige au principal.

35

Il convient dès lors de conclure que, dans la mesure où, en application de la législation nationale, les associés, alors même qu’ils peuvent être considérés comme des assujettis pour les besoins de la TVA, sont dans l’impossibilité de se prévaloir des opérations taxables effectuées par Polski Trawertyn afin de se décharger du coût de la TVA liée aux opérations d’investissement effectuées pour les besoins et en vue de l’activité de ladite société, cette dernière doit, afin de pouvoir garantir la neutralité de la charge fiscale, être mise en mesure de prendre en considération ces opérations d’investissement lors de la déduction de la TVA (voir, en ce sens, arrêt Faxworld, précité, point 42).

36

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument selon lequel le fait de permettre, dans une situation telle que celle en cause au principal, aux associés de récupérer la TVA qu’ils ont payée en amont ou d’autoriser Polski Trawertyn à déduire cette TVA serait susceptible d’augmenter le risque de fraudes ou d’abus à la TVA.

37

En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la qualité d’assujetti n’est acquise et que le droit à déduction ne peut être exercé que lorsque celui qui demande la déduction de TVA a établi que les conditions pour en bénéficier sont remplies et que son intention de commencer des activités économiques donnant lieu à des opérations imposables est confirmée par des éléments objectifs. Si l’administration fiscale venait à constater que le droit à déduction a été exercé de manière frauduleuse ou abusive, elle serait habilitée à demander, avec effet rétroactif, le remboursement des sommes déduites (voir, notamment, arrêts Rompelman, précité, point 24; INZO, précité, point 24, et du 3 mars 2005, Fini H, C-32/03, Rec. p. I-1599, point 33).

38

Eu égard à ces considérations, il convient de répondre à la première question préjudicielle que les articles 9, 168 et 169 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui ne permet ni aux associés d’une société ni à cette dernière de faire valoir un droit à déduction de la TVA payée en amont sur des frais d’investissement effectués, par ces associés, avant la création et l’enregistrement de ladite société, pour les besoins et en vue de l’activité économique de celle-ci.

Sur la seconde question

39

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 168 et 178, sous a), de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en application de laquelle, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la TVA payée en amont ne peut pas être déduite par une société en raison du fait que la facture, établie avant l’enregistrement et l’identification de ladite société aux fins de la TVA, a été émise au nom des futurs associés de cette même société.

40

À cet égard, il convient de rappeler que le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112 fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 15 juillet 2010, Pannon Gép Centrum, C-368/09, Rec. p. I-7467, point 37 et jurisprudence citée).

41

En ce qui concerne les conditions formelles dudit droit, il ressort de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112 que l’exercice de celui-ci est subordonné à la détention d’une facture. L’article 226 de la directive 2006/112 précise que, sans préjudice des dispositions particulières de cette directive, seules les mentions citées à cet article doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application de l’article 220 de ladite directive. Conformément à l’article 226, points 1 et 5, de la même directive, la date d’émission de la facture ainsi que le nom complet de même que l’adresse de l’assujetti et de l’acquéreur ou du preneur doivent ainsi figurer sur la facture.

42

Il résulte de ces dispositions qu’il n’est pas loisible aux États membres de lier l’exercice du droit à déduction de la TVA au respect de conditions relatives au contenu des factures, lesquelles ne sont pas expressément prévues par les dispositions de la directive 2006/112. Ainsi qu’il ressort de l’article 273 de cette directive, les États membres peuvent imposer des obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, mais ne sauraient utiliser cette faculté pour imposer des obligations supplémentaires à celles fixées par ladite directive (voir arrêt Pannon Gép Centrum, précité, point 40).

43

Par ailleurs, la Cour a jugé que le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis. Dès lors que l’administration fiscale dispose des données nécessaires pour établir que l’assujetti, en tant que destinataire des transactions en cause, est redevable de la TVA, elle ne saurait imposer, en ce qui concerne le droit de ce dernier de déduire cette taxe, des conditions supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice de ce droit (voir, en ce qui concerne le régime de l’autoliquidation, arrêt du 21 octobre 2010, Nidera Handelscompagnie, C-385/09, Rec. p. I-10385, point 42).

44

En ce qui concerne l’affaire au principal, il y a lieu de constater que, ainsi qu’il ressort de la motivation relative à la première question préjudicielle, les conditions matérielles prévues à l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 apparaissent réunies pour que, notamment, Polski Trawertyn puisse bénéficier du droit à déduction de la TVA afférente à l’acquisition du bien immeuble, cette opération ayant en effet été réalisée pour les besoins des opérations taxées effectuées par ladite société.

45

L’impossibilité pour Polski Trawertyn d’exercer son droit à déduction de la TVA payée en amont tenant au fait que, à la date de l’établissement de la facture relative à ladite acquisition, cette société n’était pas encore enregistrée ni identifiée aux fins de la TVA et que la facture a, partant, été établie au nom des associés, alors même qu’il y a, comme la juridiction de renvoi l’a constaté, identité de personnes entre celles qui ont dû verser la TVA en amont et celles qui constituent Polski Trawertyn, cette impossibilité doit être considérée comme résultant d’une obligation purement formelle.

46

Ainsi que M. l’avocat général l’a précisé au point 72 de ses conclusions, le respect d’une telle obligation ne saurait être exigé dès lors que, dans une situation telle que celle en cause au principal, cette exigence aurait pour effet de réduire à néant l’exercice du droit à déduction et, partant, de remettre en cause la neutralité de la TVA.

47

En effet, il ressort de la jurisprudence, d’une part, que, s’il est vrai que les assujettis ont, en vertu de l’article 213 de la directive 2006/112, l’obligation de déclarer le commencement, le changement et la cessation de leurs activités, les États membres ne sont nullement autorisés, en cas de défaut de présentation d’une déclaration, à priver l’assujetti de l’exercice de ce droit (voir arrêt Nidera Handelscompagnie, précité, point 48).

48

La Cour a jugé, d’autre part, que, si une facture a certes une fonction documentaire importante du fait qu’elle peut contenir des données contrôlables, il existe des circonstances dans lesquelles les données peuvent être valablement établies par d’autres moyens que par une facture et où l’exigence de disposer d’une facture en tous points conforme aux dispositions de la directive 2006/112 serait de nature à remettre en cause le droit à déduction d’un assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 1er avril 2004, Bockemühl, C-90/02, Rec. p. I-3303, points 51 et 52).

49

Or, force est de relever que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, dans une situation telle que celle en cause au principal, les données nécessaires pour assurer une perception fiable et efficace de la TVA sont établies.

50

Eu égard à ces considérations, il convient de répondre à la seconde question préjudicielle que les articles 168 et 178, sous a), de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en application de laquelle, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la TVA payée en amont ne peut pas être déduite par une société lorsque la facture, établie avant l’enregistrement et l’identification de ladite société aux fins de la TVA, a été émise au nom des associés de cette dernière.

Sur les dépens

51

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

 

1)

Les articles 9, 168 et 169 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui ne permet ni aux associés d’une société ni à cette dernière de faire valoir un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont sur des frais d’investissement effectués, par ces associés, avant la création et l’enregistrement de ladite société, pour les besoins et en vue de l’activité économique de celle-ci.

 

2)

Les articles 168 et 178, sous a), de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en application de laquelle, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont ne peut pas être déduite par une société lorsque la facture, établie avant l’enregistrement et l’identification de ladite société aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, a été émise au nom des associés de cette dernière.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: le polonais.