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ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

29 mars 2012 ( * )

«Sixième directive TVA — Articles 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), et 13, B, sous b) — Droit à déduction — Bien d’investissement appartenant à un assujetti qui est une personne morale et mis à la disposition de son personnel pour les besoins privés de celui-ci»

Dans l’affaire C-436/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Mons (Belgique), par décision du 8 septembre 2010, parvenue à la Cour le 13 septembre 2010, dans la procédure

État belge

contre

BLM SA,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, M. J.-J. Kasel (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 décembre 2011,

considérant les observations présentées:

pour BLM SA, par Me O. D’Aout, avocat,

pour le gouvernement belge, par M. J.-C. Halleux et Mme M. Jacobs, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et C. Blaschke, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. B. Stromsky ainsi que par Mmes D. Recchia et C. Soulay, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), et 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaire – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la «sixième directive»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’État belge à BLM SA (ci-après «BLM»), une société de droit belge, au sujet de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») payée en amont concernant un bien immobilier utilisé, en partie, pour les besoins privés du personnel de cette société.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

3

Aux termes des cinquième et sixième considérants de la sixième directive:

«considérant que la notion d’assujetti doit être précisée en permettant aux États membres, afin de garantir une meilleure neutralité de l’impôt, d’y inclure les personnes effectuant des opérations occasionnelles;

considérant que la notion d’opération imposable a donné lieu à des difficultés, notamment en ce qui concerne les opérations assimilées à des opérations taxables, et qu’il est apparu nécessaire de préciser ces notions».

4

L’article 2, point 1, de la sixième directive dispose:

«Sont soumises à la [TVA]:

1.   les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

5

L’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive énonce:

«Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.»

6

L’article 6, paragraphe 2, de la sixième directive prévoit:

«Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:

a)

l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la [TVA];

b)

les prestations de services à titre gratuit effectuées par l’assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.

Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence.»

7

Aux termes de l’article 13, B, sous b), premier alinéa, de la sixième directive, les États membres exonèrent «l’affermage et la location de biens immeubles […]».

8

L’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, dans sa version résultant de l’article 28 septies de celle-ci, dispose:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)

la [TVA] due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti.»

La réglementation nationale

9

L’article 19, paragraphe 1, du code de la TVA prévoit:

«Est assimilée à une prestation de services effectuée à titre onéreux l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à l’activité économique de l’assujetti, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe.»

10

Aux termes de l’article 44, paragraphe 3, point 2, du même code, sont exonérés de la TVA «l’affermage, la location et la cession de bail des biens immeubles par nature, de même que l’utilisation de tels biens dans les conditions de l’article 19, paragraphe 1 […]».

11

Dans sa décision de renvoi, la cour d’appel de Mons fait état de la circulaire administrative no E.T.108691, du 31 janvier 2005, qui a été rédigée à la suite de l’arrêt de la Cour du 8 mai 2003, Seeling (C-269/00, Rec. p. I-4101), et tire les conséquences pratiques de celui-ci pour la réglementation nationale. Selon la juridiction de renvoi, cette circulaire limite l’application dudit arrêt Seeling aux seuls assujettis qui sont des personnes physiques. S’agissant des assujettis qui sont des personnes morales mettant à la disposition d’un gérant ou d’un associé un bien immeuble affecté en totalité au patrimoine de l’entreprise, ladite circulaire précise qu’une telle utilisation constitue une location d’un bien immeuble qui est, en tant que telle, exonérée de la TVA.

Le litige au principal et la question préjudicielle

12

BLM, constituée en avril 2003 par MM. Bertrand et Bernard Losfeld, a pour objet social, notamment, l’activité de conseil en matière financière, technique, commerciale ou administrative au sens large, ainsi que l’assistance et la fourniture de services, directement ou indirectement, dans les domaines administratif ou financier, dans les ventes, la production et la gestion en général. BLM est, pour ce qui est de ces activités, assujettie à la TVA.

13

Au cours du mois de décembre 2003, BLM a reçu, par apport de M. Bertrand Losfeld et de son épouse, un droit réel d’usufruit d’une durée de 20 ans sur un immeuble que ceux-ci avaient précédemment fait construire et pour la construction duquel ils avaient opté pour la qualité d’assujettis à la TVA. Ils sont domiciliés dans cet immeuble avec leurs enfants depuis le mois de juillet 2002. BLM dispose dans ledit immeuble d’un bureau et d’un local d’archives.

14

Cet apport a donné lieu au paiement de la TVA, qui a été déduite par BLM dans sa déclaration afférente au quatrième trimestre de l’année 2003, soit une somme de 42420,61 euros ayant été portée en déduction.

15

BLM, dont M. Bertrand Losfeld est l’administrateur délégué, n’exige pas de ce dernier le paiement d’un loyer pour l’utilisation privative d’une partie de l’immeuble en question. Toutefois, il est soumis à l’impôt des personnes physiques sur un avantage en nature, calculé forfaitairement sur la base d’une occupation à titre privé de l’immeuble à hauteur de 75 %.

16

À la suite d’un contrôle effectué sur place par l’administration fiscale de Tournai (ci-après l’«administration fiscale»), cette dernière a contesté la déductibilité d’une partie de la TVA payée par BLM lors de l’apport, à savoir un montant de 31683,96 euros. Elle a en effet estimé qu’il s’agissait d’une utilisation non professionnelle de l’immeuble. Or, l’utilisation privative d’un immeuble constituerait une opération exonérée de la TVA. En conséquence, l’assujetti ne pourrait pas déduire la TVA ayant grevé, en amont, la construction de la partie de l’immeuble mise à la disposition de l’administrateur délégué de BLM.

17

L’administration fiscale a considéré que la TVA relative aux frais de construction des locaux professionnels, à savoir le bureau et le local d’archives, était déductible à 100 %, que celle relative aux travaux effectués dans les locaux dits «mixtes» était déductible à 25,31 % et que le reste de l’immeuble devait être considéré comme totalement privé. Elle a donc, par une décision du 1er mars 2005, déclaré BLM redevable de la somme de 31683,96 euros au titre de la déduction abusive de la TVA ainsi que d’une amende et d’intérêts de retard.

18

BLM a introduit un recours à l’encontre de ladite décision devant le tribunal de première instance de Mons. L’administration fiscale a, dans ses conclusions présentées devant celui-ci, formulé à titre subsidiaire une demande reconventionnelle tendant à faire fixer, par année écoulée, la base imposable de l’utilisation à des fins privées du bien immeuble en cause à 1/15e de la partie du prix de ce bien. Ce tribunal, par jugement en date du 8 août 2006, a considéré, notamment, que la base annuelle de la mise à disposition gratuite du bien immobilier par BLM devait être fixée à 1/20e du prix payé pour l’acquisition de l’usufruit de l’immeuble, à concurrence de la partie occupée à titre privé.

19

N’étant pas satisfaite dudit jugement, l’administration fiscale a interjeté appel de celui-ci devant la cour d’appel de Mons. À l’appui de son appel, elle fait valoir qu’une mise à disposition telle que celle en cause au principal doit être considérée comme une location à titre onéreux exonérée de la TVA. S’agissant d’une opération non taxée, l’assujetti ne pourrait donc pas déduire la taxe ayant grevé la construction de la partie de l’immeuble mise à disposition. Cette administration soutient à cet égard que l’arrêt Seeling, précité, s’applique uniquement à un assujetti ayant la qualité de personne physique puisqu’une telle personne ne saurait être à la fois propriétaire d’un bien immeuble et locataire de ce même bien.

20

Devant la juridiction de renvoi, BLM soutient que la solution retenue par la Cour dans son arrêt Seeling, précité, est transposable à une situation telle que celle en cause au principal.

21

Dans ces conditions, la cour d’appel de Mons a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les articles 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), et 13, B, sous b), de la sixième directive […] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui traite comme une prestation de services exonérée, en tant qu’affermage ou location d’un bien immeuble au sens dudit article 13, B, sous b), l’utilisation pour les besoins privés du dirigeant et de sa famille d’une partie d’un bâtiment construit ou détenu en vertu d’un droit réel immobilier par l’assujetti personne morale, lorsque ce bien d’investissement a ouvert le droit à la déduction de la taxe en amont?»

Sur la question préjudicielle

22

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), et 13, B, sous b), de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, alors même que les caractéristiques d’un affermage ou d’une location de bien immeuble au sens de cet article 13, B, sous b), ne sont pas remplies, traite comme une prestation de services exonérée de la TVA au titre de cette dernière disposition l’utilisation, pour les besoins privés du personnel d’un assujetti qui est une personne morale, d’une partie d’un bâtiment construit ou détenu en vertu d’un droit réel immobilier par cet assujetti, lorsque ce bien a ouvert droit à la déduction de la taxe en amont.

23

À cet égard, il convient de rappeler que, dans son arrêt Seeling, précité, la Cour a déjà dit pour droit que les articles 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), et 13, B, sous b), de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui traite comme une prestation de services exonérée, en tant qu’affermage ou location d’un bien immeuble au sens dudit article 13, B, sous b), l’utilisation pour les besoins privés de l’assujetti d’une partie d’un bâtiment affecté dans sa totalité à son entreprise.

24

Certes, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Seeling, précité, l’assujetti était une personne physique et il y avait donc identité de personne entre cet assujetti et la personne ayant utilisé pour ses besoins privés le bien affecté à l’entreprise. Toutefois, contrairement à ce que soutient le gouvernement belge dans ses observations devant la Cour, il ne saurait être inféré de cette circonstance que l’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive retenue par la Cour dans ledit arrêt n’est pas susceptible de s’appliquer lorsque l’assujetti est une personne morale.

25

En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort clairement de son libellé, l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive vise non seulement le cas de l’assujetti qui utilise, pour ses besoins privés, un bien affecté à l’entreprise, mais également celui où le personnel d’un assujetti procède à une telle utilisation. Or, dans ce dernier cas de figure, il n’y a pas identité entre les personnes concernées et la circonstance que l’assujetti est une personne morale n’exclut pas qu’il puisse y avoir une utilisation du bien à des fins privées par le personnel dudit assujetti.

26

En outre, il importe de constater que ladite disposition, qui emploie le terme «assujetti», n’opère aucune distinction entre les personnes physiques et les personnes morales et qu’elle se borne à prévoir de quelle manière doivent être traitées, aux fins de la TVA, certaines opérations économiques qui ne relèvent pas d’autres dispositions de la sixième directive.

27

Au demeurant, il ressort des cinquième et sixième considérants de la sixième directive que la qualité d’«assujetti» est liée aux opérations effectuées par un opérateur économique et non à la forme juridique de ce dernier. Aussi, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, doit être considéré comme un assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, l’une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 du même article, indépendamment des buts ou des résultats de cette activité.

28

D’autre part, il convient de préciser que, contrairement à ce que le gouvernement belge fait valoir, il ne ressort pas de l’arrêt Seeling, précité, que la Cour a fondé son raisonnement sur une prétendue impossibilité de concevoir une location immobilière lorsque l’opération concerne une seule et même personne physique, qui posséderait donc la double qualité de bailleur et de locataire.

29

En effet, alors que la Cour aurait pu se limiter à juger que, dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Seeling, précité, il ne pouvait, par définition, y avoir d’accord sur les conditions de location, elle a examiné si cette situation pouvait être qualifiée de location d’un bien immeuble au sens de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive et a conclu à cet égard, au point 51 dudit arrêt, qu’une telle situation était caractérisée par l’absence tant de paiement d’un loyer que d’un accord sur la durée de la jouissance ainsi que sur le droit d’occuper le logement et d’en exclure d’autres personnes.

30

Il s’ensuit que, en l’absence de ces caractéristiques, l’utilisation, pour les besoins privés du personnel d’un assujetti qui est une personne morale, d’une partie d’un bâtiment construit ou détenu en vertu d’un droit réel immobilier par cet assujetti ne saurait être qualifiée de location d’un bien immeuble au sens de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive.

31

Dès lors, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), et 13, B, sous b), de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, alors même que les caractéristiques d’un affermage ou d’une location de bien immeuble au sens de cet article 13, B, sous b), ne sont pas remplies, traite comme une prestation de services exonérée de la TVA au titre de cette dernière disposition l’utilisation, pour les besoins privés du personnel d’un assujetti qui est une personne morale, d’une partie d’un bâtiment construit ou détenu en vertu d’un droit réel immobilier par cet assujetti, lorsque ce bien a ouvert le droit à la déduction de la taxe en amont.

32

À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, dans une situation telle que celle en cause au principal, il peut être considéré qu’il existe une location d’un bien immeuble au sens de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive.

Sur les dépens

33

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

 

Les articles 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), et 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaire — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, alors même que les caractéristiques d’un affermage ou d’une location de bien immeuble au sens de cet article 13, B, sous b), ne sont pas remplies, traite comme une prestation de services exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette dernière disposition l’utilisation, pour les besoins privés du personnel d’un assujetti qui est une personne morale, d’une partie d’un bâtiment construit ou détenu en vertu d’un droit réel immobilier par cet assujetti, lorsque ce bien a ouvert le droit à la déduction de la taxe en amont.

 

Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, dans une situation telle que celle en cause au principal, il peut être considéré qu’il existe une location d’un bien immeuble au sens dudit article 13, B, sous b).

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: le français.