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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

27 septembre 2012 (*)

«Fiscalité — Taxe sur la valeur ajoutée — Livraison de biens — Imposition des opérations en chaîne — Refus de l’exonération pour absence de numéro d’identification à la TVA de l’acquéreur»

Dans l’affaire C-587/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 10 novembre 2010, parvenue à la Cour le 15 décembre 2010, dans la procédure

Vogtländische Straßen-, Tief- und Rohrleitungsbau GmbH Rodewisch (VSTR)

contre

Finanzamt Plauen,

en présence de:

Bundesministerium der Finanzen,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, Mme A. Prechal, MM. K. Schiemann, L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 mars 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour Vogtländische Straßen-, Tief- und Rohrleitungsbau GmbH Rodewisch (VSTR), par Mes T. Küffner, S. Maunz et T. Streit, Rechtsanwälte,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par M. W. Mölls et Mme C. Soulay, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 juin 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée en dernier lieu par la directive 98/80/CE du Conseil, du 12 octobre 1998 (JO L 281, p. 31, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vogtländische Straßen-, Tief- und Rohrleitungsbau GmbH Rodewisch (VSTR) (ci-après «VSTR») au Finanzamt Plauen au sujet du refus de ce dernier d’exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») une livraison de biens effectuée par une filiale de cette société.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive définit la notion d’«assujetti» en ces termes:

«Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.»

4        L’article 22 de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, prévoit plusieurs obligations à la charge des redevables, en régime intérieur, concernant notamment la comptabilité, la facturation, la déclaration ainsi que l’état récapitulatif que ceux-ci sont tenus de déposer à l’administration fiscale.

5        L’article 22, paragraphe 1, sous c), premier et troisième tirets, de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, prévoit:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que soit identifié par un numéro individuel:

–        tout assujetti, à l’exception de ceux visés à l’article 28 bis paragraphe 4, qui effectue à l’intérieur du pays des livraisons de biens ou des prestations de services lui ouvrant droit à déduction [...]

[...]

–        tout assujetti qui effectue à l’intérieur du pays des acquisitions intracommunautaires de biens pour les besoins de ses opérations qui relèvent des activités économiques visées à l’article 4 paragraphe 2 et qu’il effectue à l’étranger».

6        L’article 22, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, précise:

«Tout assujetti doit délivrer une facture, ou un document en tenant lieu, pour les livraisons de biens et les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie. Tout assujetti doit également délivrer une facture [...] pour les livraisons de biens effectuées dans les conditions prévues à [l’article 28 quater, A]. [...]»

7        L’article 22, paragraphe 3, sous b), second alinéa, de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, dispose:

«La facture doit également mentionner:

[...]

–        pour les opérations visées à [l’article 28 quater, A, sous a)], le numéro par lequel l’assujetti est identifié à l’intérieur du pays ainsi que le numéro par lequel l’acquéreur est identifié dans un autre État membre,

[...]»

8        L’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, prévoit:

«Les États membres ont la faculté de prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.»

9        L’article 28 bis, paragraphes 1, sous a), premier et deuxième alinéas, et 3, premier alinéa, de la sixième directive dispose:

«1.      Sont également soumises à la [TVA]:

a)      les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel, qui ne bénéficie pas de la franchise de taxe prévue à l’article 24 et qui ne relève pas des dispositions prévues à l’article 8 paragraphe 1 point a) deuxième phrase ou à l’article 28 ter titre B paragraphe 1.

      Par dérogation au premier alinéa, les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées, par un assujetti ou par une personne morale non assujettie, dans les conditions prévues au paragraphe 1 bis ne sont pas soumises à la [TVA].

[...]

3.      Est considérée comme ‘acquisition intracommunautaire’ d’un bien, l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport du bien.»

10      L’article 28 ter, A, de ladite directive précise:

«1.      Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

2.      Sans préjudice du paragraphe 1, le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens visée à l’article 28 bis paragraphe 1 point a) est, toutefois, réputé se situer sur le territoire de l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la [TVA] sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition, dans la mesure où l’acquéreur n’établit pas que cette acquisition a été soumise à la taxe conformément au paragraphe 1.

Si, néanmoins l’acquisition est soumise à la taxe, en application du paragraphe 1, dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport des biens après avoir été soumise à la taxe en application du premier alinéa, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la [TVA] sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition.

[...]»

11      L’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive prévoit:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:

a)      les livraisons de biens, au sens de l’article 5, expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.»

 Le droit allemand

12      L’article 6a de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz, ci-après l’«UStG») définit la livraison intracommunautaire en ces termes:

«1.      Une livraison intracommunautaire [article 4, point 1, sous b)] intervient lorsqu’une livraison remplit les conditions suivantes:

1)      l’entrepreneur ou l’acquéreur a transporté ou expédié l’objet de la livraison vers une autre partie du territoire communautaire;

2)      l’acquéreur est

a)      un entrepreneur qui a acquis l’objet de la livraison pour son entreprise;

b)      une personne morale qui n’est pas un entrepreneur ou qui n’a pas acquis l’objet de la livraison pour son entreprise; ou

c)      tout autre acquéreur dans le cas de la livraison d’un véhicule neuf;

et

3)      l’acquisition de l’objet de la livraison est soumise dans le chef de l’acquéreur établi dans un autre État membre aux dispositions sur l’imposition du chiffre d’affaires.

[...]

3.      Il appartient à l’entrepreneur de prouver que les conditions visées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies. [...]»

13      L’article 17c, paragraphe 1, du règlement d’application de la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuer-Durchführungsverordnung) impose au fournisseur les obligations suivantes:

«En cas de livraisons intracommunautaires (article 6a, paragraphes 1 et 2, de [l’UStG]), l’entrepreneur auquel le présent règlement s’applique doit établir à l’aide de documents comptables que les conditions de l’exonération fiscale sont réunies, y compris en indiquant le numéro d’identification à la TVA de l’acquéreur. La comptabilité doit faire apparaître clairement et de manière aisément vérifiable qu’il a été satisfait à ces conditions.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Au mois de novembre 1998, une filiale de VSTR, établie en Allemagne, a vendu deux concasseurs de pierres à Atlantic International Trading Co. (ci-après «Atlantic»), établie aux États-Unis. Atlantic possédait une succursale au Portugal, mais n’était enregistrée dans aucun État membre aux fins de la TVA.

15      La filiale de VSTR a demandé à Atlantic de lui communiquer son numéro d’identification à la TVA. Celle-ci lui a précisé qu’elle avait revendu les biens en cause à une entreprise établie en Finlande dont elle lui a communiqué le numéro d’identification à la TVA, que cette filiale a vérifié.

16      Ces biens ont ensuite été enlevés sur le site de la filiale de VSTR par une entreprise de transports mandatée par Atlantic afin d’être acheminés par voie terrestre vers Lübeck (Allemagne), puis transportés par voie maritime vers la Finlande.

17      La filiale de VSTR a établi au nom d’Atlantic une facture hors TVA pour la livraison des concasseurs de pierres, en y indiquant le numéro d’identification à la TVA de l’entreprise finlandaise à laquelle ces biens ont été revendus.

18      Le Finanzamt Plauen a cependant estimé que la livraison entre la filiale de VSTR et Atlantic ne pouvait pas être exonérée de la TVA au motif que la première n’avait pas fourni le numéro d’identification à la TVA de la seconde.

19      Saisi en première instance, le Sächsisches Finanzgericht a rejeté le recours en annulation intenté par VSTR contre cette décision du Finanzamt Plauen.

20      VSTR a alors introduit un pourvoi en «Revision» devant le Bundesfinanzhof, en faisant valoir que le motif de refus d’exonération de la TVA invoqué par le Finanzamt Plauen est contraire à la sixième directive. Celui-ci soutient, au contraire, que les États membres peuvent, sans contrevenir au droit de l’Union, subordonner l’exonération d’une livraison intracommunautaire à la condition que l’acquéreur possède un numéro d’identification à la TVA dans un État membre.

21      Le Bundesfinanzhof constate que l’opération en cause au principal a donné lieu à deux livraisons successives, la première de la filiale de VSTR à Atlantic, la seconde d’Atlantic à l’entreprise finlandaise.

22      Il estime que la première livraison pourrait être exonérée de la TVA en tant que livraison intracommunautaire, à la condition que, notamment, conformément à l’article 6a, paragraphe 1, première phrase, point 3, de l’UStG, l’acquisition des biens par l’acquéreur soit effectivement soumise à imposition en Finlande. Il considère qu’une telle condition pourrait impliquer que l’acquéreur dispose effectivement d’un numéro d’identification à la TVA dans l’État membre de destination afin que l’administration de ce dernier État membre puisse soumettre l’opération à la TVA.

23      Le Bundesfinanzhof estime que l’exonération de la TVA pourrait être refusée, en application de l’article 17c, paragraphe 1, première phrase, du règlement d’application de la taxe sur le chiffre d’affaires, qui impose au fournisseur de transmettre la preuve comptable du numéro d’identification à la TVA de l’acquéreur.

24      Il précise que si l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive n’exige pas expressément que, pour qu’une livraison intracommunautaire soit exonérée de TVA, l’acquéreur opère sous un numéro individuel d’identification à la TVA, une telle exigence pourrait néanmoins résulter de la condition, énoncée à ladite disposition, que cet acquéreur soit un «assujetti [...] agissant en tant que tel dans un [autre] État membre». Il se demande par ailleurs si, compte tenu des articles 22, paragraphe 8, de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, et 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de cette directive, cette condition n’autorise pas les États membres à imposer une telle modalité de preuve au fournisseur, tout particulièrement lorsque, comme dans l’affaire au principal, l’acquéreur, établi dans un État tiers, n’est enregistré dans aucun État membre et que, par ailleurs, le fournisseur n’a pas prouvé que l’acquéreur a déclaré l’acquisition intracommunautaire à l’administration fiscale.

25      La juridiction de renvoi se demande également si l’obligation de fournir le numéro d’identification à la TVA ne pourrait pas se justifier du fait de la correspondance, établie par la sixième directive, et consacrée par la jurisprudence de la Cour, entre l’exonération de la livraison intracommunautaire et l’imposition de l’acquisition intracommunautaire.

26      Le Bundesfinanzhof a, dès lors, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La sixième directive [...] permet-elle de subordonner la qualification en tant que livraison intracommunautaire exonérée à la condition que l’assujetti apporte la preuve comptable du numéro d’identification à la [TVA] de l’acquéreur?

2)      Est-il important pour répondre à cette question de déterminer:

–        si l’acheteur est un entrepreneur établi dans un pays tiers, qui, bien qu’ayant envoyé l’objet de la livraison d’un État membre à un autre dans le cadre d’une opération en chaîne, n’est enregistré dans aucun État membre relativement à la taxe sur le chiffre d’affaires, et

–        si l’assujetti a prouvé que l’acquéreur a déclaré l’acquisition intracommunautaire au niveau fiscal?»

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

27      L’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, qui exonère de la TVA les livraisons intracommunautaires, s’insère dans le régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres, prévu au titre XVI bis de cette directive, dont l’objectif est d’attribuer la recette fiscale à l’État membre où a lieu la consommation finale des biens livrés (voir, notamment, arrêt du 7 décembre 2010, R, C-285/09, Rec. p. I-12605, point 37).

28      Le mécanisme créé par ce régime transitoire consiste, d’une part, en une exonération, par l’État membre de départ, de la livraison donnant lieu à l’expédition ou au transport intracommunautaire, complétée par le droit à la déduction ou le remboursement de la TVA acquittée en amont dans cet État membre et, d’autre part, en une taxation, par l’État membre d’arrivée, de l’acquisition intracommunautaire. Il assure ainsi une délimitation claire des souverainetés fiscales des États membres concernés (voir en ce sens, notamment, arrêt R, précité, point 38) et permet d’éviter la double imposition ainsi que, partant, d’assurer la neutralité fiscale inhérente au système commun de la TVA (voir, notamment, arrêts du 27 septembre 2007, Teleos e.a., C-409/04, Rec. p. I-7797, point 25, ainsi que Collée, C-146/05, Rec. p. I-7861, point 23).

29      S’agissant des conditions dans lesquelles une opération peut être qualifiée de livraison intracommunautaire au sens de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, il résulte de la jurisprudence que relèvent de cette notion et sont, dès lors, exonérées de la TVA les livraisons de biens expédiés ou transportés, par le vendeur ou l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire d’un État membre, mais à l’intérieur de l’Union, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens (voir, notamment, arrêt R, précité, point 40).

30      Hormis ces conditions, relatives à la qualité d’assujetti, au transfert du pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire et au déplacement physique des biens d’un État membre à un autre, aucune autre condition ne saurait ainsi être exigée pour qualifier une opération de livraison ou d’acquisition intracommunautaires de biens (voir arrêt Teleos e.a., précité, point 70), étant précisé que la notion de livraison intracommunautaire, tout comme celle d’acquisition intracommunautaire, a un caractère objectif et s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées (voir, notamment, arrêt Teleos e.a., précité, point 38).

31      Si les questions posées par la juridiction de renvoi sont relatives à la qualité d’assujetti de l’acquéreur, la Cour estime cependant nécessaire de donner également à la juridiction de renvoi des indications sur la condition relative au transport. En effet, dès lors que le litige au principal concerne une opération dans laquelle les biens vendus ont fait l’objet de deux livraisons successives, mais d’un seul transport intracommunautaire, la qualification en tant que livraison intracommunautaire de la première livraison, entre la filiale de VSTR et Atlantic, pouvant être exonérée de ce fait de la TVA en application de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, dépend de la question de savoir si, ainsi que le suggère la décision de renvoi, ce transport peut effectivement être imputé à cette première livraison (voir, en ce sens, arrêts du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder, C-245/04, Rec. p. I-3227, point 45, et du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding, C-430/09, Rec. p. I-13335, point 21).

32      La réponse à cette question dépend d’une appréciation globale de toutes les circonstances particulières de l’espèce (voir arrêt Euro Tyre Holding, précité, point 27) et, notamment, de la détermination du moment auquel le pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire a été transmis au destinataire final (voir arrêt Euro Tyre Holding, précité, points 31 à 35). En effet, dans l’hypothèse où le second transfert du pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire a eu lieu avant que le transport intracommunautaire n’intervienne, celui-ci ne pourrait plus être imputé à la première livraison en faveur du premier acquéreur (voir, en ce sens, arrêt Euro Tyre Holding, précité, point 33).

33      Ainsi, dans l’affaire au principal, la livraison de la filiale de VSTR à Atlantic ne constituerait pas une livraison intracommunautaire exonérée de la TVA en vertu de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, dans l’hypothèse où le second transfert de propriété des biens en cause, d’Atlantic à l’entreprise finlandaise, aurait eu lieu avant que le transport intracommunautaire de ces biens vers la Finlande ne soit intervenu.

34      S’agissant des éléments d’appréciation susceptibles d’être retenus, la Cour a déjà jugé que, lorsque le premier acquéreur a obtenu le droit de disposer du bien comme un propriétaire sur le territoire de l’État membre de la première livraison, qu’il manifeste son intention de transporter ce bien vers un autre État membre et se présente avec son numéro d’identification à la TVA attribué par ce dernier État, le transport intracommunautaire devrait être imputé à la première livraison, à condition que le droit de disposer du bien comme un propriétaire ait été transféré au second acquéreur dans l’État membre de destination du transport intracommunautaire (voir arrêt Euro Tyre Holding, précité, points 44 et 45).

35      La Cour a toutefois aussi précisé que tel n’est pas le cas si, après le transfert à l’acquéreur du droit de disposer du bien comme un propriétaire, le fournisseur effectuant la première livraison avait été informé par cet acquéreur du fait que le bien serait revendu à un autre assujetti avant d’avoir quitté l’État membre de livraison (arrêt Euro Tyre Holding, précité, point 36).

36      Il ressort de la décision de renvoi que les faits au principal correspondraient en partie à ce dernier cas de figure puisque Atlantic aurait précisé à la filiale de VSTR, avant le transport des biens en cause vers la Finlande, que ceux-ci avaient déjà été revendus à une entreprise finlandaise, dont elle lui a communiqué le numéro d’identification à la TVA.

37      Ces circonstances ne sauraient toutefois être de nature à démontrer, à elles seules, que le transfert à l’entreprise finlandaise du droit de disposer des biens en cause comme un propriétaire aurait eu lieu avant leur transport vers la Finlande et il revient à la juridiction nationale d’apprécier si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, tel a été ou non le cas.

38      Il s’ensuit que, dans la mesure où la livraison en cause au principal pourrait constituer une livraison intracommunautaire, il y a lieu de répondre aux deux questions posées.

 Sur les deux questions posées

39      Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale d’un État membre subordonne l’exonération de la TVA d’une livraison intracommunautaire à la transmission, par le fournisseur, du numéro d’identification à la TVA de l’acquéreur. La juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser si le fait que l’acquéreur est établi dans un État tiers, sans être par ailleurs enregistré dans un État membre, ou si le fait que le fournisseur prouve que l’acquéreur a déclaré l’acquisition intracommunautaire sont de nature à modifier la réponse à ces questions.

40      La condition énoncée à l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, selon laquelle l’acquéreur doit être un «assujetti [...] agissant en tant que tel dans un [autre] État membre» n’implique pas, en soi, que l’acquéreur opère sous un numéro d’identification à la TVA dans le cadre de l’acquisition en cause.

41      Les questions posées par la juridiction de renvoi doivent donc être comprises comme concernant les modalités de preuve susceptibles d’être imposées au fournisseur pour démontrer que la condition relative à la qualité d’assujetti de l’acquéreur, dans l’opération en cause, est respectée.

42      À cet égard, la Cour a déjà jugé que, en l’absence de disposition sur le sujet dans la sixième directive, celle-ci prévoyant seulement à son article 28 quater, A, premier membre de phrase, qu’il appartient aux États membres de fixer les conditions dans lesquelles ils exonèrent les livraisons intracommunautaires de biens, la question des moyens de preuve susceptibles d’être fournis par les assujettis pour bénéficier de l’exonération de la TVA relève de la compétence des États membres (voir, notamment, arrêts précités Collée, point 24, et R, point 43).

43      La Cour a également précisé qu’il incombe au fournisseur de biens d’apporter la preuve que les conditions prévues pour l’application de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, y compris celles imposées par les États membres en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations et de prévenir toute fraude, évasion fiscale ou abus éventuels, sont remplies (voir, notamment, arrêt R, précité, point 46).

44      Par ailleurs, l’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, confère aux États membres la faculté d’adopter des mesures destinées à assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude, sous réserve, notamment, de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs (voir, en ce sens, arrêts précités Collée, point 26, et R, point 45). Ces mesures ne peuvent, dès lors, être utilisées de manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de la TVA (voir arrêts précités Teleos e.a., point 46, ainsi que Collée, point 26).

45      Ainsi, le fait de subordonner pour l’essentiel le droit à l’exonération de la TVA d’une livraison intracommunautaire au respect d’obligations formelles, sans prendre en compte les exigences de fond et, notamment, sans s’interroger sur le point de savoir si celles-ci sont satisfaites, irait au-delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer l’exacte perception de la taxe (voir arrêt Collée, précité, point 29).

46      En effet, le principe de neutralité fiscale exige que l’exonération de la TVA soit accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis, et il n’en va autrement que si la violation de telles exigences formelles a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (voir arrêt Collée, précité, point 31), sous réserve, toutefois, que le fournisseur de biens n’ait pas intentionnellement participé à une fraude fiscale qui a mis en péril le bon fonctionnement du système commun de la TVA. Dans cette dernière hypothèse, la Cour a en effet jugé que le principe de neutralité fiscale ne pourrait être valablement invoqué par cette personne (voir arrêt R, précité, point 54).

47      Il résulte de ce qui précède que les États membres ont la faculté d’imposer au fournisseur de biens d’apporter la preuve que l’acquéreur est un assujetti, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens en cause, pour autant que les principes généraux du droit, et en particulier l’exigence de proportionnalité, sont respectés.

48      Quant à la question de savoir si ces exigences sont respectées lorsque, comme dans l’affaire au principal, un État membre impose au fournisseur de transmettre le numéro d’identification à la TVA de l’acquéreur, il ne saurait être contesté que ce numéro d’identification est intimement lié à la qualité d’assujetti dans le régime instauré par la sixième directive. L’article 22, paragraphe 1, sous c), premier et troisième tirets, de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, impose ainsi aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour qu’un assujetti soit identifié par un numéro individuel.

49      Pour autant, cette preuve ne peut, dans tous les cas, dépendre exclusivement de la fourniture de ce numéro dès lors que la définition de l’assujetti, énoncée à l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, vise uniquement une personne qui accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 de cet article, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité, sans subordonner cette qualité au fait que cette personne possède un numéro d’identification à la TVA. Il résulte, en outre, de la jurisprudence qu’un assujetti agit en cette qualité lorsqu’il effectue des opérations dans le cadre de son activité taxable (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 42).

50      Il ne saurait, également, être exclu qu’un fournisseur ne dispose pas, pour une raison ou une autre, dudit numéro, d’autant plus que le respect de cette obligation par le fournisseur dépend des informations reçues de l’acquéreur.

51      Ainsi, si le numéro d’identification à la TVA apporte la preuve du statut fiscal de l’assujetti et facilite le contrôle des opérations intracommunautaires, il ne s’agit cependant que d’une exigence formelle, qui ne peut pas mettre en cause le droit à l’exonération de la TVA dans la mesure où les conditions matérielles d’une livraison intracommunautaire sont remplies (voir arrêt du 6 septembre 2012, Mecsek-Gabona, C-273/11, point 60).

52      Par conséquent, s’il est légitime d’exiger du fournisseur qu’il agisse de bonne foi et qu’il prenne toutes les mesures pouvant raisonnablement être exigées de lui pour s’assurer que l’opération qu’il effectue ne le conduit pas à participer à une fraude fiscale (voir arrêt Euro Tyre Holding, précité, point 38), les États membres iraient au-delà des mesures strictement nécessaires à la bonne perception de l’impôt s’ils refusaient le bénéfice de l’exonération de la TVA à une livraison intracommunautaire au seul motif que le numéro d’identification à la TVA n’a pas été transmis par le fournisseur, alors même que celui-ci ne peut, de bonne foi, et après avoir pris toutes les mesures pouvant être raisonnablement exigées de lui, transmettre ce numéro, mais qu’il transmet par ailleurs d’autres indications de nature à démontrer de manière suffisante que l’acquéreur est un assujetti agissant en tant que tel dans l’opération en cause.

53      À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, le fournisseur a demandé son numéro d’identification à Atlantic et que celle-ci, qui n’en possédait pas, lui a transmis le numéro d’identification du second acquéreur. Ainsi, ni l’un ni l’autre de ces intervenants ne semblent avoir agi de manière frauduleuse. Par ailleurs, la livraison en cause au principal porte sur des biens qui, par nature, semblent destinés à être utilisés dans le cadre d’une activité économique.

54      Le fait que l’acquéreur soit, comme dans l’affaire au principal, établi dans un État tiers, ne saurait en principe être de nature à justifier une réponse différente. En effet, ni le régime transitoire de la sixième directive relative à la livraison intracommunautaire ni la jurisprudence de la Cour sur le sujet n’établissent de distinction selon le lieu d’établissement de l’acquéreur.

55      Quant à la circonstance selon laquelle le fournisseur aurait présenté la déclaration fiscale de l’acquéreur relative à son acquisition intracommunautaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été jugé au point 30 du présent arrêt, hormis les conditions relatives à la qualité des assujettis, au transfert du pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire et au déplacement physique des biens d’un État membre à un autre, aucune autre condition ne saurait être exigée pour qualifier une opération de livraison ou d’acquisition intracommunautaire de biens. Ainsi, afin de bénéficier de l’exonération au titre de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, il ne peut être imposé au fournisseur de donner des éléments de preuve relatifs à l’imposition de l’acquisition intracommunautaire des biens en cause.

56      Par ailleurs, une telle déclaration ne peut être considérée comme constituant, à elle seule, une preuve déterminante de la qualité d’assujetti de l’acquéreur et ne peut tout au plus que constituer un indice (voir, par analogie, arrêts, Teleos e.a., précité, point 71, ainsi que du 27 septembre 2007, Twoh International, C-184/05, Rec. p. I-7897, point 37).

57      Par conséquent, la circonstance que le fournisseur a présenté ou non cette déclaration n’est pas non plus de nature à modifier la réponse aux questions posées par la juridiction de renvoi.

58      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu, dès lors, de répondre aux deux questions que l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale d’un État membre subordonne l’exonération de la TVA d’une livraison intracommunautaire à la transmission, par le fournisseur, du numéro d’identification à la TVA de l’acquéreur, sous réserve, toutefois, que le refus d’octroyer le bénéfice de cette exonération ne soit pas opposé au seul motif que cette obligation n’a pas été respectée lorsque le fournisseur ne peut, de bonne foi, et après avoir pris toutes les mesures pouvant être raisonnablement exigées de lui, transmettre ce numéro d’identification et qu’il transmet, par ailleurs, des indications de nature à démontrer de manière suffisante que l’acquéreur est un assujetti agissant en tant que tel dans l’opération en cause.

 Sur les dépens

59      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 98/80/CE du Conseil, du 12 octobre 1998, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale d’un État membre subordonne l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée d’une livraison intracommunautaire à la transmission, par le fournisseur, du numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée de l’acquéreur, sous réserve, toutefois, que le refus d’octroyer le bénéfice de cette exonération ne soit pas opposé au seul motif que cette obligation n’a pas été respectée, lorsque le fournisseur ne peut, de bonne foi, et après avoir pris toutes les mesures pouvant être raisonnablement exigées de lui, transmettre ce numéro d’identification et qu’il transmet, par ailleurs, des indications de nature à démontrer de manière suffisante que l’acquéreur est un assujetti agissant en tant que tel dans l’opération en cause.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.