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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 novembre 2012 (*)

«Manquement d’État – Libre circulation des capitaux – Imposition des dividendes et des intérêts versés aux fonds de pension et aux caisses de pension – Traitement des dividendes et intérêts versés aux institutions non-résidentes – Déduction de frais d’exploitation directement liés à la perception d’un revenu sous forme de dividendes et d’intérêts – Charge de la preuve»

Dans l’affaire C-600/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 16 décembre 2010,

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et W. Mölls, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par:

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme N. Rouam, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes C. Wissels et C. Schillemans, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk et S. Johannesson, en qualité d’agents,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme H. Walker, en qualité d’agent, assistée de M. G. Facenna, barrister,

parties intervenantes,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. J.-C. Bonichot, Mmes C. Toader, A. Prechal (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 septembre 2012,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en maintenant des dispositions juridiques qui appliquent aux dividendes versés à des fonds de pension partiellement assujettis à l’impôt et aux intérêts versés à des fonds de pension et à des caisses de pension partiellement assujettis à l’impôt, en République fédérale d’Allemagne, un régime fiscal moins favorable qu’aux dividendes ou aux intérêts versés à des caisses de pension ou à des fonds de pension intégralement assujettis à l’impôt dans cet État membre, ce dernier a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 63 TFUE et 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»).

 Le cadre juridique allemand

2        La loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz, BGBl. 2002 I, p. 4210), dans sa version applicable aux faits de l’espèce (BGBl. 2009 I, p. 3366), prévoit, à son article 43a:

«1)      L’impôt sur les revenus de capitaux correspond

1.      dans les cas visés à l’article 43, paragraphe 1, première phrase, points 1 à 4, 6 à 7a et 8 à 12, et à la deuxième phrase:

à 25 % des revenus de capitaux;

[...]

2)      La retenue à la source englobe l’ensemble des revenus de capitaux sans aucune déduction. [...]»

3        La loi relative à l’impôt sur les personnes morales (Körperschaftsteuergesetz, BGBl. 2002 I, p. 4144), dans sa version applicable au présent litige, dispose, à son article 32, paragraphe 1:

«L’impôt sur les sociétés acquitté par retenue à la source est libératoire :

[...]

2.      lorsque le bénéficiaire du revenu est un assujetti partiel et que le revenu ne provient pas d’une activité industrielle, commerciale, agricole ou sylvicole exercée sur le territoire national.»

 La procédure précontentieuse

4        Considérant les conditions de l’imposition des dividendes et des intérêts versés à des établissements de pension partiellement assujettis à l’impôt comme étant contraires aux articles 63 TFUE et 40 de l’accord EEE, la Commission a adressé à la République fédérale d’Allemagne, le 23 octobre 2007, une lettre de mise en demeure à laquelle celle-ci a répondu par courrier en date du 22 février 2008.

5        Le 1er décembre 2008, la Commission a adressé à la République fédérale d’Allemagne une mise en demeure complémentaire, à laquelle cet État membre a répondu par lettre du 29 janvier 2009.

6        Par courrier du 3 novembre 2009, la Commission, maintenant les griefs évoqués dans ses deux lettres précédentes, a émis un avis motivé dans lequel elle invitait la République fédérale d’Allemagne à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

7        N’étant pas satisfaite de la réponse, en date du 29 décembre 2009, apportée par la République fédérale d’Allemagne audit avis motivé, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 La procédure devant la Cour

8        Par ordonnance du président de la Cour du 11 juillet 2011, le Royaume de Danemark, la République française, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été admis à intervenir au litige au soutien des conclusions de la République fédérale d’Allemagne. Toutefois, à la suite du désistement de son intervention, le Royaume de Danemark a été radié comme partie intervenante au litige par ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 2011.

9        En raison d’une modification de la législation nationale, publiée deux jours avant le dépôt de la requête dans la présente affaire, la Commission a indiqué à la Cour, par acte du 19 janvier 2012, qu’elle se désistait de son recours en ce que celui-ci visait, dans le cas des caisses de pension non-résidentes, le prélèvement d’un impôt sur les revenus de capitaux sur les intérêts perçus par ces caisses ainsi que, dans le cas des fonds de pension non-résidents qui perçoivent des dividendes et des intérêts de source allemande, l’application d’un taux d’imposition plus élevé que dans le cas des fonds de pension résidents.

10      La Commission maintient cependant son recours en ce que celui-ci vise la réglementation allemande en vertu de laquelle les fonds de pension non-résidents ne peuvent en aucun cas déduire les frais d’exploitation des dividendes et des intérêts perçus en Allemagne.

 Sur le recours

11      La Commission soutient que la réglementation, qui figure à l’article 43a, paragraphes 1, point 1, et 2, de la loi relative à l’impôt sur le revenu, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, ainsi qu’à l’article 32, paragraphe 1, point 2, de la loi relative à l’impôt sur les personnes morales, dans sa version applicable au présent litige, en vertu de laquelle les fonds de pension partiellement assujettis à l’impôt ne peuvent déduire des dividendes et des intérêts perçus en Allemagne les frais d’exploitation qui sont directement liés à la perception de ces recettes, n’est pas compatible avec l’article 63 TFUE. En se référant notamment aux arrêts du 12 juin 2003, Gerritse (C-234/01, Rec. p. I-5933), du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen (C-290/04, Rec. p. I-9461), et du 15 février 2007, Centro Equestre da Lezíria Grande (C-345/04, Rec. p. I-1425), elle soutient qu’un contribuable partiellement assujetti doit être en mesure de déduire ces frais d’exploitation, sous peine de subir une discrimination par rapport aux contribuables intégralement assujettis, lesquels peuvent déduire lesdits frais d’exploitation en vertu des dispositions générales.

12      La République fédérale d’Allemagne, soutenue par les parties intervenantes, fait valoir, notamment, que la Commission n’établit pas l’existence du manquement allégué, mais s’appuie sur de simples présomptions.

13      À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments de fait nécessaires à la vérification, par celle-ci, de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (voir, notamment, arrêt du 17 juin 2010, Commission/Portugal, C-105/08, Rec. p. I-5331, point 26 et jurisprudence citée).

14      En second lieu, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents dudit État membre d’en faire dans d’autres États (voir, notamment, arrêt du 8 novembre 2012, Commission/Finlande, C-342/10, non encore publié au Recueil, point 28 et jurisprudence citée).

15      Plus particulièrement, un traitement désavantageux par un État membre des dividendes versés aux fonds de pension non-résidents, par rapport au traitement réservé aux dividendes versés à des fonds de pension résidents, est susceptible de dissuader les sociétés établies dans un État membre autre que ce premier État membre de procéder à des investissements dans ce même premier État membre et constitue, par conséquent, une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 63 TFUE (voir, en ce sens, arrêt Commission/Finlande, précité, point 33).

16      Toutefois, un tel traitement est compatible avec les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux si, notamment, il concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables (voir, en ce sens, arrêt Commission/Finlande, précité, point 35 et jurisprudence citée).

17      En ce qui concerne les frais professionnels directement liés à une activité ayant généré des revenus imposables dans un État membre, il est de jurisprudence constante que les résidents et les non-résidents de ce dernier sont placés dans une situation comparable, de sorte qu’une réglementation dudit État qui refuse aux non-résidents, en matière d’imposition, la déduction de tels frais, accordée en revanche aux résidents, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres et comporte donc une discrimination indirecte selon la nationalité (voir arrêts du 31 mars 2011, Schröder, C-450/09, non encore publié au Recueil, point 40 et jurisprudence citée, ainsi que Commission/Finlande, précité, point 37).

18      Selon la Commission, la République fédérale d’Allemagne, en refusant aux fonds de pension non-résidents la déduction des frais professionnels directement liés à la perception par eux de dividendes et d’intérêts en Allemagne, manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE. Cette institution précise, toutefois, que les provisions qui reposent sur des engagements de pension, telles que visées par la législation finlandaise en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Finlande, précité, ne font pas l’objet de son recours.

19      À titre d’exemples de frais professionnels directement liés à la perception par les fonds de pension non-résidents de dividendes et d’intérêts en Allemagne, la Commission cite, essentiellement dans ses observations sur les mémoires en intervention, les frais de banque et les coûts analogues de transaction, les coûts liés à un différend au sujet du versement de dividendes distribués par une société résidente à un fonds de pension non-résident et les frais liés à l’emploi de ressources humaines spécifiquement chargées de l’acquisition d’actions à partir desquelles des dividendes doivent être réalisés.

20      Toutefois, s’agissant, en premier lieu, des frais de banque et des coûts analogues de transaction, comme l’a relevé à bon droit le Royaume de Suède lors de l’audience, la Commission n’a pas apporté d’éléments de nature à démontrer que de tels frais, si ceux-ci peuvent, le cas échéant, être directement liés à un montant versé à l’occasion d’une opération de transaction de titres (voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2006, Bouanich, C-265/04, Rec. p. I-923, point 40), sont également et nécessairement directement liés à la perception, en elle-même, d’un revenu sous forme de dividendes ou d’intérêts.

21      S’agissant, en deuxième lieu, des coûts liés à un différend au sujet du versement de dividendes distribués par une société résidente à un fonds de pension non-résident, il y a lieu de constater qu’il s’agit d’un exemple hypothétique, comme le fait observer d’ailleurs la République fédérale d’Allemagne.

22      Or, à supposer même que de tels coûts puissent être considérés, en toute circonstance, comme étant des frais directement liés à la perception d’un revenu sous forme de dividendes, il n’apparaît pas possible, en l’absence de toute information apportée par la Commission relative à la réalité de tels coûts s’agissant de fonds de pension non-résidents en Allemagne, de déduire de cette supposition que la République fédérale d’Allemagne soumette, dans la pratique, à un traitement désavantageux de nature à constituer une restriction à la libre circulation des capitaux les fonds de pension non-résidents par rapport aux fonds de pension résidents.

23      S’agissant, en troisième lieu, des frais dus à l’utilisation de ressources humaines spécifiquement chargées de l’acquisition d’actions à partir desquelles des dividendes doivent être réalisés, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas apporté d’éléments permettant de déterminer quels sont en pratique les frais de ressources humaines qu’exposent les fonds de pension non-résidents afin de percevoir des dividendes et des intérêts en Allemagne.

24      Or, comme la République fédérale d’Allemagne l’a relevé à bon droit lors de l’audience, il paraît peu probable que les fonds de pension aient des frais de fonctionnement spécifiques qui peuvent être considérés comme étant directement liés à la perception, par eux, de l’un ou l’autre revenu sous forme de dividendes ou d’intérêts.

25      La Commission fait cependant encore valoir que, indépendamment de ces trois exemples, le simple fait pour la République fédérale d’Allemagne de ne pas permettre aux fonds de pension non-résidents de déduire les frais professionnels directement liés à la perception par eux de dividendes et d’intérêts en Allemagne permet de constater l’existence d’un manquement aux obligations qui incombent à cet État membre en vertu de l’article 63 TFUE.

26      Toutefois, à cet égard, il convient de relever que, si la Commission ne parvient à donner aucun exemple plausible d’une situation dans laquelle la République fédérale d’Allemagne soumettrait effectivement dans la pratique les fonds de pension non-résidents à un traitement désavantageux par rapport aux fonds de pension résidents en refusant à ces premiers de déduire des frais professionnels directement liés à la perception par eux de dividendes et d’intérêts en Allemagne, il ne saurait être considéré, sous peine d’admettre que la Commission puisse se fonder sur des présomptions, qu’elle a prouvé à suffisance de droit le manquement aux obligations qui incombent à cet État membre en vertu de l’article 63 TFUE (voir, par analogie, arrêt Commission/Portugal, précité, points 30 et 31).

27      La même constatation s’impose s’agissant de l’article 40 de l’accord EEE dans la mesure où les stipulations dudit article revêtent la même portée juridique que les dispositions, identiques en substance, de l’article 63 TFUE (voir, en ce sens, arrêt Commission/Finlande, précité, point 53).

28      Par conséquent, le recours de la Commission doit être rejeté.

 Sur les dépens

29      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République fédérale d’Allemagne ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la République fédérale d’Allemagne.

30      La République française, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni, qui sont intervenus au soutien des conclusions présentées par la République fédérale d’Allemagne, supportent, conformément à l’article 140, paragraphe 1, du même règlement, leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission européenne supporte ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la République fédérale d’Allemagne.

3)      La République française, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.