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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 juillet 2012 (*)

«Sixième directive — Exonérations — Article 15, point 6 — Exonération des livraisons d’aéronefs utilisés par des compagnies de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic international rémunéré — Livraison d’aéronefs à un opérateur qui met ceux-ci à la disposition d’une telle compagnie — Notion de ‘trafic international rémunéré’ — Vols charters»

Dans l’affaire C-33/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande), par décision du 18 janvier 2011, parvenue à la Cour le 21 janvier 2011, dans la procédure engagée par

A Oy,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, Mme A. Prechal (rapporteur), M. L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 février 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour A Oy, par M. P. Salomaa,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. I. Koskinen et Mme L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 avril 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15, point 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 384, p. 47, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par A Oy (ci-après «A») à l’encontre d’avis de redressement au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») afférents à l’acquisition d’aéronefs qui lui ont été adressés par le Kaakkois-Suomen verovirasto (centre des impôts de Finlande du sud-est).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2, point 1, de la sixième directive dispose que sont soumises à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

4        Intitulé «Exonération des opérations à l’exportation en dehors de la Communauté, des opérations assimilées et des transports internationaux», l’article 15 de cette directive prévoit:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[...]

4.      les livraisons de biens destinés à l’avitaillement des bateaux:

a)      affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche;

[...]

5.      les livraisons, transformations, réparations, entretien, affrètements et locations de bateaux de mer visés au point 4 sous a) et b), ainsi que les livraisons, locations, réparations et entretien des objets — y compris l’équipement de pêche — incorporés à ces bateaux ou servant à leur exploitation;

6.      les livraisons, transformations, réparations, entretien, affrètements et locations d’aéronefs, utilisés par des compagnies de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic international rémunéré, ainsi que les livraisons, locations, réparations et entretien des objets incorporés à ces aéronefs ou servant à leur exploitation;

7.      les livraisons de biens destinés à l’avitaillement des aéronefs visés au point 6;

8.      les prestations de services, autres que celles visées au point 5, effectuées pour les besoins directs des bateaux de mer y visés et de leur cargaison;

9.      les prestations de services, autres que celles visées au point 6, effectuées pour les besoins directs des aéronefs y visés et de leur cargaison;

[...]»

5        Figurant sous le titre XVI bis de la sixième directive, intitulé «Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres », l’article 28 bis de celle-ci dispose:

«1.      Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

a)      les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel [...]

Par dérogation au premier alinéa, les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées, par un assujetti ou par une personne morale non assujettie, dans les conditions prévues au paragraphe 1 bis ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

[...]

[...]

1 bis.      Bénéficient de la dérogation prévue au paragraphe 1 point a) deuxième alinéa:

a)      les acquisitions intracommunautaires de biens dont la livraison serait exonérée à l’intérieur du pays en application de l’article 15 points 4 à 10;

[...]

3.      Est considérée comme ‘acquisition intracommunautaire’ d’un bien, l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport du bien.

[...]»

 Le droit finlandais

6        La sixième directive a été transposée en Finlande par la loi 1501/1993 sur la taxe sur la valeur ajoutée [Arvonlisäverolaki (1501/1993)], du 30 décembre 1993 (ci-après l’«AVL»).

7        Aux termes de l’article 1er, premier alinéa, point 3, de l’AVL, la TVA est due sur toute acquisition intracommunautaire de biens au sens de l’article 26a de la même loi effectuée en Finlande. Cette dernière disposition définit l’acquisition intracommunautaire comme l’acquisition à titre onéreux de la propriété d’un bien meuble corporel si le vendeur, l’acquéreur ou tout autre tiers agissant pour leur compte transporte ce bien d’un État membre à l’autre. En vertu de l’article 2b de l’AVL, la TVA sur l’acquisition intracommunautaire au sens dudit article 1er, premier alinéa, point 3, est due par l’acquéreur.

8        Figurant sous le sixième chapitre de l’AVL, consacré aux exonérations dans le commerce international, l’article 70, premier alinéa, point 6, de celle-ci prévoit que la taxe n’est pas due sur la vente d’aéronefs, de pièces de rechange et/ou d’éléments d’équipements pour ces derniers destinés à être utilisés par un commerçant opérant essentiellement dans le domaine du trafic aérien international rémunéré.

9        En vertu de l’article 72f, point 1, de l’AVL, l’acquisition intracommunautaire de biens est exonérée de TVA lorsque l’importation de ces biens ne donnerait pas lieu à perception de la TVA. L’article 94, premier alinéa, point 9, de l’AVL exonère de TVA l’importation des aéronefs, pièces de rechange et équipements au sens de l’article 70, premier alinéa, point 6, de l’AVL.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      Aux mois de juillet 2002 et d’octobre 2003, A a acheté à un fabricant français deux avions à réaction neufs. Le vendeur a déclaré une vente intracommunautaire. A n’a pas déclaré les achats en question comme étant des acquisitions intracommunautaires effectuées en Finlande.

11      Ces deux aéronefs ont été immatriculés au registre des aéronefs finlandais respectivement les 22 juillet 2002 et 23 juillet 2004, tandis que les «Air Operation Certificate» (AOC) les concernant ont été délivrés respectivement les 19 novembre 2002 et 24 octobre 2004. A a été mentionnée comme propriétaire de ces deux aéronefs et B Oy (ci-après «B») a été désignée comme utilisateur de ceux-ci. Les 17 décembre 2003 et 1er avril 2005, respectivement, ces avions ont été revendus par A à une entreprise enregistrée à Chypre.

12      L’intégralité des actions de A est la propriété de X, une personne physique. A détient 25 % des actions de C Oy (ci-après «C»). B est une filiale à 78 % de C.

13      B organise des vols charters internationaux et assure la maintenance ainsi que la gestion des avions. En vertu du contrat qu’elle a conclu avec A, B a facturé à celle-ci, notamment, les frais de maintenance des avions et les vols. Ce contrat permettait, en outre, à B de prendre les avions en location pour ses propres besoins commerciaux, au prix indiqué dans l’annexe à celui-ci.

14      Pour les exercices allant du 1er janvier au 31 décembre 2002 et du 1er janvier 2003 au 30 juin 2004, le chiffre d’affaires de A, respectivement de 925 606,32 euros et de 2 170 503,84 euros, a intégralement résulté d’enregistrements comptables effectués sur la base de factures de ventes adressées à X, le propriétaire de A, exception faite des factures afférentes à la revente des aéronefs adressées à l’entreprise chypriote. À l’occasion du contrôle fiscal opéré, il a été constaté que la comptabilité de A ne faisait pas état de revenus provenant de la location des avions.

15      Pour leur part, les enregistrements de dépenses de A liées aux aéronefs concernaient principalement les montants facturés par B à A pour la maintenance des aéronefs et pour les vols. Lors du contrôle fiscal susmentionné, il a été constaté que lesdits montants avaient, pour l’essentiel, été répercutés sans modifications sur X.

16      A a été immatriculée comme assujettie à la TVA depuis le 1er juillet 2002. Dans sa déclaration de fin d’activité du 14 juin 2003, A a annoncé qu’elle n’avait pas pu exercer d’activité soumise à la TVA. Le centre des impôts de Finlande du sud-est a rayé cette société du registre des assujettis à la TVA avec effet rétroactif au 1er juillet 2002.

17      Le 4 novembre 2005, ce même centre des impôts a émis des avis de redressement au titre de la TVA due par A sur l’acquisition intracommunautaire des deux aéronefs. Simultanément, il a été constaté que A n’avait droit ni à une déduction sur le montant dû ni à son remboursement.

18      Le recours formé par A contre ces avis de redressement a été rejeté par décision du 26 mai 2008 du Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki). Selon ladite juridiction, les deux achats d’aéronef ont constitué des acquisitions intracommunautaires soumises à la TVA que A a omis de déclarer au fisc. Cette société n’aurait pas opéré dans le secteur du trafic aérien international rémunéré, au sens de l’article 70, premier alinéa, point 6, de l’AVL, mais aurait, en pratique, agi en qualité de propriétaire de C, une société de commerce international de produits dérivés du pétrole. En outre, les avions en question n’auraient pas non plus été utilisés par B dans le cadre du trafic aérien international rémunéré au sens de ce même article 70, premier alinéa, point 6. L’arrangement aurait simplement visé à pourvoir aux besoins en matière de transport de X, le principal actionnaire de ces sociétés.

19      A a formé un pourvoi contre cette décision devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême). Elle a fait valoir que l’acquisition des aéronefs devait être exonérée de la TVA, dès lors que ceux-ci ont été acquis et enregistrés par A en vue de les confier à В, qui est bien une compagnie de navigation aérienne opérant essentiellement dans le domaine du trafic international aérien rémunéré. En effet, B serait, conformément à une pratique usuelle dans ce secteur, chargée par A, moyennant rémunération, de veiller à ce que les aéronefs soient toujours en état de voler et de promouvoir l’usage commercial de ceux-ci sur la base de contrats spécifiques, tandis que B aurait effectivement proposé des avions à des tiers moyennant une rémunération par heure de vol.

20      En revanche, tout en admettant que B doit être considérée comme une compagnie de navigation aérienne opérant dans le domaine du trafic aérien international rémunéré, et ce, quand bien même X aurait été la seule personne à être transportée à titre onéreux, l’autre partie à la procédure est d’avis que, dès lors que A n’effectue pas elle-même des vols internationaux mais a fait livrer les aéronefs de France en Finlande et les y a confiés à titre gratuit à B pour que cette dernière les utilise, les acquisitions litigieuses ne peuvent être exonérées de la TVA.

21      C’est dans ce contexte que le Korkein hallinto-oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 15, point 6, de la [sixième directive] doit-il être interprété en ce sens que la notion de ‘compagnies de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic international rémunéré’ englobe les compagnies d’aviation d’affaires pratiquant essentiellement un trafic international rémunéré dans le secteur des vols affrétés, pour répondre aux besoins d’entreprises et de particuliers?

2)      L’article 15, point 6, de la [sixième directive] doit-il être interprété en ce sens que l’exonération qu’il prévoit s’applique uniquement aux livraisons d’aéronefs effectuées directement à une compagnie aérienne pratiquant essentiellement un trafic aérien international rémunéré ou cette exonération s’étend-elle à la livraison d’aéronefs à un opérateur qui ne pratique pas lui-même essentiellement un trafic aérien international rémunéré, mais met l’aéronef à la disposition d’un opérateur pratiquant un tel trafic?

3)      Compte tenu du fait que la compagnie aérienne a également pu utiliser les aéronefs pour d’autres vols, importe-t-il pour la réponse à la deuxième question que le propriétaire des aéronefs répercute la charge correspondant à l’utilisation de ces derniers sur un particulier qui est son actionnaire et qui utilise les aéronefs achetés essentiellement à ses propres fins, commerciales et/ou privées?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

22      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «trafic international rémunéré», au sens de l’article 15, point 6, de la sixième directive, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre uniquement le trafic de ligne régulier ou également les vols affrétés pour répondre à la demande d’entreprises ou de particuliers.

23      Les doutes qu’éprouve la juridiction de renvoi sur ce plan semblent être liés à l’existence de certaines divergences entre les versions linguistiques de cette disposition. Dans ses observations, A souligne, à cet égard, que certaines de ces versions linguistiques, telles les versions en langues anglaise ou suédoise, se réfèrent en effet aux «international routes» ou aux «lignes internationales» plutôt qu’au «trafic international», expression pouvant paraître plus générique et qui est utilisée dans la plupart des autres versions linguistiques de cette disposition, et notamment dans sa version en langue finnoise.

24      À cet égard, il est de jurisprudence constante que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union doit en principe tenir compte du décalage éventuel qui existe entre les différentes versions linguistiques de celle-ci (voir, notamment, arrêt du 16 septembre 2004, Cimber Air, C-382/02, Rec. p. I-8379, point 38).

25      En l’occurrence, il y a toutefois lieu de constater que les nuances de formulation relevées au point 23 du présent arrêt ne peuvent conduire à considérer que le législateur de l’Union aurait eu l’intention d’exclure les vols internationaux affrétés du champ d’application de l’exonération instituée par l’article 15, point 6, de la sixième directive.

26      Sur un plan strictement textuel, d’abord, il convient de relever que les termes «international routes» ou «lignes internationales» qui figurent dans certaines versions linguistiques ne font l’objet d’aucune définition dans la sixième directive et ne s’accompagnent, ainsi que l’ont relevé la Commission européenne et le gouvernement finlandais, d’aucune précision qui viserait à indiquer que les vols concernés doivent revêtir un caractère «régulier». Dans ces conditions, de tels termes peuvent, à l’instar de l’expression «trafic international» utilisée dans les autres versions linguistiques, se comprendre comme désignant, en substance, des vols effectués au moyen d’un aéronef entre deux points géographiques qui confèrent au transport concerné un caractère international plutôt qu’interne. Ainsi que l’a précédemment souligné la Cour, l’article 15, point 6, de la sixième directive vise, en substance, des compagnies dont l’activité est principalement internationale (arrêt Cimber Air, précité, points 27 et 28).

27      Par ailleurs, aux termes d’une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union telle que celle en cause, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, notamment, arrêts du 26 juin 1990, Velker International Oil Company, C-185/89, Rec. p. I-2561, point 17, ainsi que du 22 décembre 2010, Feltgen et Bacino Charter Company, C-116/10, Rec. p. I-14187, point 12 et jurisprudence citée).

28      Or, ni le contexte dans lequel s’inscrit l’article 15, point 6, de la sixième directive ni la finalité de cette disposition ne sont de nature à commander que les aéronefs utilisés par des compagnies pratiquant essentiellement des vols charters internationaux soient exclus du champ d’application de l’exonération qu’elle institue.

29      S’agissant de la finalité de cette disposition, celle-ci vise à exonérer la livraison d’aéronefs lorsque ceux-ci sont essentiellement destinés à être utilisés à des fins de trafic international, c’est-à-dire dans le cadre de vols qui empruntent des espaces relevant de la juridiction de plusieurs États ainsi que, le cas échéant, des espaces internationaux.

30      Au regard d’un tel objectif, il n’apparaît pas qu’il s’impose d’opérer une distinction selon que le transport aérien international s’effectue par vols réguliers ou par vols charters.

31      S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 15, point 6, de la sixième directive, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, les exonérations constituent des notions autonomes du droit de l’Union qui doivent être replacées dans le contexte général du système commun de la TVA instauré par ladite directive (voir, notamment, arrêt Cimber Air, précité, point 23, et du 18 octobre 2007, Navicon, C-97/06, Rec. p. I-8755, point 20).

32      Or, ce système repose notamment sur le principe de neutralité fiscale qui s’oppose à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA (voir, notamment, arrêts précités Cimber Air, point 24, et Navicon, point 21). Un tel principe n’exige pas qu’il s’agisse d’opérations identiques. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que ledit principe s’oppose à ce que des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (voir, notamment, arrêt du 28 juin 2007, JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies, C-363/05, Rec. p. I-5517, point 46 et jurisprudence citée).

33      Le principe de neutralité fiscale implique l’élimination des distorsions de concurrence résultant d’un traitement différencié du point de vue de la TVA. Partant, la distorsion est démontrée dès qu’il est constaté que des prestations de services se trouvent en état de concurrence et sont traitées inégalement du point de vue de la TVA (voir arrêt JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies, précité, point 47 et jurisprudence citée).

34      Or, les services de transport offerts par des opérateurs qui réalisent essentiellement des vols internationaux sont, qu’il s’agisse de vols réguliers et/ou de vols affrétés, semblables et manifestement en situation de concurrence, de telle manière qu’une différence de traitement en termes d’exonération de la TVA sur les livraisons d’aéronefs qui serait fonction de ce que l’opérateur opère essentiellement au moyen de vols réguliers internationaux ou essentiellement au moyen de vols charters internationaux générerait des risques de distorsions de concurrence entre lesdits opérateurs.

35      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que les termes «trafic international rémunéré», au sens de l’article 15, point 6, de la sixième directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils englobent également les vols internationaux affrétés pour répondre à la demande d’entreprises ou de particuliers.

 Sur la deuxième question

36      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 15, point 6, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que l’exonération qu’il prévoit s’applique à la livraison d’un aéronef à un opérateur qui n’est pas lui-même une «compagnie de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic aérien international rémunéré» au sens de cette disposition, mais qui acquiert ledit aéronef aux fins de son utilisation exclusive par une telle compagnie.

37      À cet égard, il convient, premièrement, d’observer que la version en langue finnoise dudit article 15, point 6, se réfère à la livraison d’aéronefs «à» une compagnie de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic aérien international rémunéré.

38      Toutefois, la plupart des autres versions linguistiques de cette même disposition se réfèrent, quant à elles, aux livraisons d’aéronefs «utilisés par» une telle compagnie.

39      Ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 24 du présent arrêt, l’interprétation de cette disposition doit, en principe, tenir compte des différences linguistiques ainsi observées.

40      Deuxièmement, force est de constater que le libellé de la plupart des versions linguistiques de l’article 15, point 6, de la sixième directive, en ce qu’il met ainsi l’accent non sur l’identité du bénéficiaire de la livraison ou du propriétaire de l’aéronef, mais bien sur la circonstance que les aéronefs qui font l’objet de la livraison doivent être «utilisés par» une compagnie pratiquant essentiellement le trafic international rémunéré, ne conduit pas, en tant que tel, à exclure du champ d’application de l’exonération instituée par cette disposition les livraisons d’aéronefs à un opérateur qui acquiert ceux-ci exclusivement en vue de leur utilisation par une telle compagnie, par exemple dans le cadre d’une opération de leasing.

41      Troisièmement, il importe, ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 27 du présent arrêt, de tenir compte, aux fins d’interpréter l’article 15, point 6, de la sixième directive, non seulement des termes de ladite disposition, mais également de son contexte et des objectifs qu’elle poursuit.

42      S’agissant, en premier lieu, de l’objectif poursuivi, il a déjà été indiqué, au point 29 du présent arrêt, qu’il consiste à exonérer de la TVA la livraison d’aéronefs dès lors que ceux-ci sont essentiellement destinés à être utilisés à des fins de transport international, c’est-à-dire dans le cadre de vols qui empruntent des espaces relevant de la juridiction de plusieurs États ainsi que, le cas échéant, des espaces internationaux.

43      Or, force est de constater qu’un tel objectif est de nature à conduire à une interprétation de l’article 15, point 6, de la sixième directive selon laquelle la condition pour qu’une livraison d’aéronef bénéficie de l’exonération que prévoit cette disposition est bien que ledit aéronef soit destiné à être utilisé par une compagnie dont l’essentiel des activités se déploie dans le trafic international rémunéré, sans qu’importe l’identité de l’acquéreur proprement dit.

44      Tout au contraire, il y a lieu de tenir compte, à ce dernier égard, du fait que la soumission de l’acquéreur d’un aéronef au paiement de la TVA sur ladite acquisition, alors même que celle-ci n’a lieu qu’aux fins d’une utilisation dudit aéronef par une compagnie pratiquant essentiellement le trafic international rémunéré, serait notamment susceptible d’induire une augmentation du prix à acquitter par cette dernière aux fins de pouvoir procéder à une telle utilisation et de nuire, dans cette mesure, audit objectif. En effet, il peut être considéré que l’acquéreur de l’aéronef amené à acquitter la TVA sur le prix de vente de celui-ci répercutera, en règle générale, tout ou partie de la charge résultant du fait d’avoir dû ainsi acquitter la TVA sur la compagnie utilisatrice.

45      En pareille hypothèse, en effet, et ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 38 de ses conclusions, même la circonstance que l’acquéreur de l’aéronef se trouve, le cas échéant, ultérieurement en mesure de déduire ladite TVA ou d’en obtenir le remboursement aux conditions que prescrit la sixième directive n’ôte rien au fait que le coût de financement lié à l’avance de trésorerie découlant ainsi de l’acquittement de la TVA dont le montant peut, en l’occurrence, s’avérer particulièrement élevé aura, entre-temps, pesé sur ledit acquéreur.

46      Il s’ensuit que, dans la mesure qui vient d’être décrite, l’absence d’exonération de la TVA sur la livraison de l’aéronef et le paiement de celle-ci par l’acquéreur pèsera indirectement sur la compagnie utilisant ledit aéronef.

47      S’agissant, en second lieu, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 15, point 6, de la sixième directive, il a déjà été rappelé au point 31 du présent arrêt que les exonérations qu’institue cette disposition constituent des notions autonomes du droit de l’Union qui doivent être replacées dans le contexte général du système commun de la TVA instauré par ladite directive.

48      Ce système repose notamment sur deux principes. D’une part, la TVA est perçue sur chaque prestation de services et sur chaque livraison de biens, effectuées à titre onéreux par un assujetti. Et, d’autre part, et ainsi que rappelé aux points 32 et 33 du présent arrêt, le principe de neutralité fiscale s’oppose notamment à ce que des opérations semblables qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA.

49      Si, ainsi qu’il est de jurisprudence constante, au vu de ces principes, les exonérations instituées à l’article 15 de la sixième directive doivent être interprétées strictement, étant donné qu’elles constituent une dérogation au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque livraison de biens et sur chaque prestation de services effectuées à titre onéreux par un assujetti (voir, notamment, arrêts Velker International Oil Company, précité, point 19; Cimber Air, précité, point 25; du 14 septembre 2006, Elmeka, C-181/04 à C-183/04, Rec. p. I-8167, point 15; Navicon, précité, point 22, ainsi que Feltgen et Bacino Charter Company, précité, point 19), une telle règle d’interprétation stricte ne signifie cependant pas que les termes utilisés pour définir ces exonérations doivent être interprétés d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets (voir, notamment, arrêt Navicon, précité, point 22).

50      Or, en l’occurrence, d’une part, comme cela a été préalablement souligné, l’article 15, paragraphe 6, de la sixième directive vise, ainsi qu’il découle de son libellé lu à la lumière des objectifs que poursuit ladite disposition, en substance, à exonérer de la TVA les acquisitions d’aéronefs lorsque ceux-ci sont destinés à être utilisés par une compagnie essentiellement active dans le trafic international rémunéré.

51      D’autre part, il n’a pas été allégué et il n’apparaît pas que l’interprétation, selon laquelle l’exonération prévue à l’article 15, paragraphe 6, de la sixième directive doit également bénéficier à la livraison d’un aéronef à un opérateur qui n’est pas une «compagnie de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic aérien international rémunéré» au sens de cette disposition, mais qui acquiert ledit aéronef aux seules fins de son utilisation par une telle compagnie, serait de nature à porter atteinte au principe de la neutralité fiscale.

52      En revanche, et ainsi que M. l’avocat général l’a observé au point 40 de ses conclusions, il ne peut a priori être exclu que l’interprétation inverse puisse, en certaines circonstances, emporter une telle atteinte.

53      Par ailleurs, s’il est, certes, vrai que l’interprétation dont il est fait état au point 51 du présent arrêt peut sembler s’écarter, dans une certaine mesure, de celle qu’a retenue la Cour en ce qui concerne les exonérations prévues à l’article 15, points 4 et 8, de la sixième directive à propos des opérations d’avitaillement de bateaux de mer et des prestations de services effectuées pour les besoins directs de ceux-ci (voir arrêts précités Velker International Oil Company, points 21 et 22, ainsi que Elmeka, points 22 et 24), il y a toutefois lieu de relever, à cet égard, qu’une transposition des solutions retenues dans lesdits arrêts ne s’impose pas en ce qui concerne l’interprétation du point 6 de ce même article.

54      En effet, ainsi qu’il ressort, en particulier des points 23 à 25 de l’arrêt Elmeka, précité, le fait qu’une extension de l’exonération prévue à l’article 15, points 4 et 8, de la sixième directive aux stades antérieurs à celui de la livraison de biens ou de la prestation de services finales effectuées directement à l’exploitant du navire ait été exclue par la Cour dans lesdits arrêts reposait, en particulier, sur la considération selon laquelle une telle exonération aurait exigé des États qu’ils mettent en place des mécanismes de contrôle et de surveillance en vue de s’assurer de la destination ultime des biens ou des services en cause. De tels mécanismes se seraient traduits, pour lesdits États et pour les opérateurs concernés, par des contraintes inconciliables avec l’«application correcte et simple des exonérations» prescrite par la première phrase de l’article 15 de la sixième directive (voir, également, arrêt Velker International Oil Company, précité, point 24).

55      Or, ainsi que l’a notamment observé M. l’avocat général aux points 44 à 46 de ses conclusions, de telles considérations ne sont pas transposables à l’exonération de la livraison d’un aéronef à un opérateur qui destine celui-ci exclusivement à l’usage d’une compagnie pratiquant essentiellement le trafic international rémunéré.

56      En effet, le fait de subordonner, en pareil cas, l’exonération à la circonstance que ladite destination soit connue et dûment établie dès le moment où intervient l’acquisition de l’aéronef et à la vérification subséquente du caractère effectif de l’utilisation dudit aéronef par une telle compagnie ne paraît pas de nature, compte tenu du type de bien ici en cause ainsi que, notamment, des mécanismes d’enregistrement et d’autorisation auxquels est subordonnée son exploitation, à engendrer, pour les États et les opérateurs concernés, des contraintes qui seraient inconciliables avec l’application correcte et simple des exonérations prescrites par la sixième directive.

57      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 15, point 6, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que l’exonération qu’il prévoit s’applique également à la livraison d’un aéronef à un opérateur qui n’est pas lui-même une «compagnie de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic aérien international rémunéré» au sens de cette disposition, mais qui acquiert cet aéronef aux fins de son utilisation exclusive par une telle compagnie.

 Sur la troisième question

58      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si la réponse apportée à la deuxième question peut être influencée par la circonstance que l’opérateur qui a acquis l’aéronef répercute par ailleurs la charge correspondant à l’utilisation de celui-ci sur un particulier qui est son actionnaire, lequel utilise cet aéronef essentiellement à ses propres fins, commerciales et/ou privées, eu égard au fait que la compagnie de navigation aérienne a également la possibilité de l’utiliser pour d’autres vols.

59      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à la réponse apportée à la deuxième question, le seul critère permettant de déterminer si l’exonération prévue à l’article 15, paragraphe 6, de la sixième directive est applicable réside dans le constat selon lequel l’aéronef en cause est utilisé par une compagnie de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic aérien international rémunéré, ce qu’il revient à la juridiction nationale d’apprécier.

60      Dans ce cadre, les circonstances mentionnées par la juridiction de renvoi dans sa troisième question sont, par conséquent, a priori dépourvues de pertinence pour la réponse à la deuxième question dès lors que l’acquéreur peut démontrer que ledit critère est bien rempli.

61      En revanche, s’il s’avérait que, dans le cadre d’un examen global des circonstances de l’affaire en cause au principal, le juge national estime que les aéronefs ne sont pas destinés à être exploités économiquement par la compagnie aérienne dans le cadre d’un trafic international, l’article 15, point 6, de la sixième directive ne serait pas susceptible de s’appliquer.

62      Il convient également de rappeler, ainsi que l’a notamment souligné le gouvernement finlandais dans ses observations, qu’il est de jurisprudence constante que l’application de la réglementation de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les pratiques abusives d’opérateurs économiques, c’est-à-dire les opérations qui ne sont pas réalisées dans le cadre de transactions commerciales normales, mais seulement dans le but de bénéficier abusivement des avantages prévus par le droit de l’Union et qu’un tel principe d’interdiction de pratiques abusives s’applique également au domaine de la TVA (voir, notamment, arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, Rec. p. I-1609, points 69 et 70 et jurisprudence citée).

63      Ce principe conduit ainsi à prohiber les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, effectués à la seule fin d’obtention d’un avantage fiscal (arrêt du 22 mai 2008, Ampliscientifica et Amplifin, C-162/07, Rec. p. I-4019, point 28).

64      C’est ainsi que, dans le cadre de l’interprétation de la sixième directive, l’existence d’une pratique abusive peut être retenue lorsque, d’une part, les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de ladite directive et de la législation nationale transposant celle-ci, ont pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions et, d’autre part, selon un ensemble d’éléments objectifs, le but essentiel des opérations en cause est l’obtention d’un tel avantage fiscal (voir arrêts Halifax e.a., précité, points 74 et 75, ainsi que du 21 février 2008, Part Service, C-425/06, Rec, p. I-897, point 42).

65      C’est à la juridiction nationale qu’il appartient de vérifier, conformément aux règles de preuve du droit national, pour autant qu’il n’est pas porté atteinte à l’efficacité du droit de l’Union, si les éléments constitutifs d’une pratique abusive sont, le cas échéant, réunis dans le litige au principal (voir arrêt Halifax e.a., précité, point 76).

66      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question posée que les circonstances mentionnées par la juridiction de renvoi, à savoir le fait que l’acquéreur de l’aéronef répercute, par ailleurs, la charge correspondant à son utilisation sur un particulier qui est son actionnaire, lequel utilise cet aéronef essentiellement à ses propres fins, commerciales et/ou privées, la compagnie de navigation aérienne ayant également la possibilité de l’utiliser pour d’autres vols, ne sont pas de nature à modifier la réponse à la deuxième question.

 Sur les dépens

67      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      Les termes «trafic international rémunéré», au sens de l’article 15, point 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, doivent être interprétés en ce sens qu’ils englobent également les vols internationaux affrétés pour répondre à la demande d’entreprises ou de particuliers.

2)      L’article 15, point 6, de la directive 77/388, telle que modifiée par la directive 92/111, doit être interprété en ce sens que l’exonération qu’il prévoit s’applique également à la livraison d’un aéronef à un opérateur qui n’est pas lui-même une «compagnie de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic aérien international rémunéré» au sens de cette disposition mais qui acquiert cet aéronef aux fins de son utilisation exclusive par une telle compagnie.

3)      Les circonstances mentionnées par la juridiction de renvoi, à savoir le fait que l’acquéreur de l’aéronef répercute, par ailleurs, la charge correspondant à son utilisation sur un particulier qui est son actionnaire, lequel utilise cet aéronef essentiellement à ses propres fins, commerciales et/ou privées, la compagnie de navigation aérienne ayant également la possibilité de l’utiliser pour d’autres vols, ne sont pas de nature à modifier la réponse à la deuxième question.

Signatures


* Langue de procédure: le finnois.