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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

25 avril 2013 (*)

«Manquement d’État – Fiscalité – Directive 2006/112/CE – Articles 9 et 11 – Législation nationale permettant l’inclusion de personnes non assujetties dans un groupe de personnes pouvant être considérées comme un seul assujetti à la TVA»

Dans l’affaire C-86/11,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 24 février 2011,

Commission européenne, représentée par M. R. Lyal, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. S. Hathaway, en qualité d’agent, assisté de Mme M. Hall, QC,

partie défenderesse,

soutenu par:

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek et T. Müller, en qualité d’agents,

Royaume de Danemark, représenté initialement par M. C. Vang, puis par Mme V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

Irlande, représentée par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de Mme G. Clohessy, SC, et de M. N. Travers, BL, ayant élu domicile à Luxembourg,

République de Finlande, représentée par Mme H. Leppo et M. S. Hartikainen, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. J.-C. Bonichot, Mmes C. Toader, A. Prechal et M. E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 septembre 2012,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en permettant aux personnes non assujetties d’être membres d’un groupe de personnes considérées comme étant un seul assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après, respectivement, un «groupe TVA» et la «TVA»), le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 11 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA»).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        Sous le titre III de la directive TVA, intitulé «Assujettis», figurent les articles 9 à 13 de cette directive.

3        Aux termes de l’article 9 de ladite directive:

«1.      Est considéré comme ‘assujetti’ quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.

2.      Outre les personnes visées au paragraphe 1, est considérée comme un assujetti toute personne qui effectue à titre occasionnel la livraison d’un moyen de transport neuf expédié ou transporté à destination de l’acquéreur par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire d’un État membre mais dans le territoire de la Communauté.»

4        L’article 10 de la même directive précise que la condition que l’activité économique soit exercée d’une façon indépendante exclut de la taxation des salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur.

5        L’article 11 de la directive TVA dispose:

«Après consultation du comité consultatif de la [TVA], chaque État membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même État membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation.

Un État membre qui fait usage de la faculté prévue au premier alinéa peut prendre toutes mesures utiles pour éviter que l’application de cette disposition rende la fraude ou l’évasion fiscales possibles.»

6        L’article 12 de ladite directive prévoit que les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la même directive, et notamment la livraison d’un bâtiment ou d’un terrain à bâtir.

7        Selon l’article 13 de la directive TVA, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas, en principe, considérés comme des assujettis pour les activités ou les opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques.

 Le droit du Royaume-Uni

8        L’article 43 de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée de 1994 (Value Added Tax Act 1994), dans sa version applicable au présent litige, intitulé «Groupes de sociétés», dispose à son paragraphe 1:

«Si, en vertu des articles 43A à 43D, des personnes morales sont considérées comme faisant partie d’un groupe, toute activité exercée par un membre du groupe est considérée comme exercée par le membre qui le représente [...]»

9        L’article 43A de ladite loi, intitulé «Groupes: éligibilité», est libellé comme suit:

«(1)      Deux personnes morales ou plus peuvent être considérées comme faisant partie d’un groupe si chacune d’elles est établie ou a un établissement stable au Royaume-Uni et si:

(a)      l’une d’elles contrôle chacune des autres;

(b)      une personne (qu’il s’agisse d’une personne morale ou d’une personne physique) les contrôle toutes, ou

(c)      deux personnes physiques ou plus qui exercent une activité en partenariat les contrôlent toutes.

(2)      Aux fins du présent article, une personne morale est réputée en contrôler une autre si elle est habilitée de par la loi à contrôler les activités de celle-ci ou si elle est la société holding de cette dernière au sens de l’article 736 de la loi sur les sociétés [1985 c. 6].

(3)      Aux fins du présent article, une ou plusieurs personnes physiques est (sont) réputée(s) contrôler une personne morale si cette ou ces personnes étai(en)t la société holding de cette personne morale au sens dudit article si elle(s) étai(en)t une société.»

 La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

10      Le 23 septembre 2008, la Commission a adressé au Royaume-Uni une lettre de mise en demeure dans laquelle elle attirait l’attention de cet État membre sur la possible incompatibilité avec les articles 9 et 11 de la directive TVA de sa législation nationale permettant l’inclusion de personnes non assujetties dans un groupe TVA. Conformément à l’article 226 CE, elle invitait cet État membre à présenter ses observations.

11      Dans leur lettre en réponse du 18 novembre 2008, les autorités britanniques ont contesté l’interprétation de la directive TVA faite par la Commission.

12      N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a émis, le 20 novembre 2009, un avis motivé, auquel le Royaume-Uni a répondu, par lettre du 18 janvier 2010, en maintenant sa position.

13      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

14      Par ordonnance du président de la Cour du 8 juillet 2011, la République tchèque, le Royaume de Danemark, l’Irlande et la République de Finlande ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Royaume-Uni.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

15      À l’appui de son recours, la Commission soutient que l’article 11 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que des personnes non assujetties à la TVA ne peuvent être incluses dans un groupe TVA.

16      Elle estime, en effet, que le terme «personnes» figurant à l’article 11 de la directive TVA ne vise que des personnes remplissant les conditions requises pour être considérées comme des assujettis. Elle observe, à cet égard, que l’article 11 de la directive TVA figure sous le titre III de ladite directive, intitulé «Assujettis», et qu’il ne comporte pas de dérogation à l’article 9 de celle-ci définissant l’«assujetti» comme étant «quiconque exerce, d’une façon indépendante, [...] une activité économique».

17      L’article 11 de la directive TVA constituerait une exception à la règle générale selon laquelle chaque assujetti doit être traité comme une entité distincte pour l’application des règles relatives à la TVA. Cette disposition devrait donc être interprétée de façon à ce qu’elle ne diverge pas de la règle générale dans une mesure plus large que ce qui est nécessaire. Or, si ladite disposition ne prévoit pas expressément que les membres d’un groupe TVA doivent être des personnes assujetties, le fait que les personnes composant un tel groupe doivent être traitées comme «un seul assujetti» impliquerait néanmoins que chaque membre de ce groupe doit être lui-même assujetti. De même, le concept de «groupement» supposerait que les personnes concernées appartiennent à la même catégorie aux fins du système commun de la TVA. Le terme «personnes» n’aurait donc été utilisé que pour éviter la répétition du mot «assujetti».

18      D’ailleurs, selon la Commission, si le terme «personnes» devait être compris comme se référant à toute personne sans restriction, un groupe TVA pourrait être entièrement composé de personnes non assujetties, ce qui serait contraire à la directive TVA.

19      L’interprétation qu’elle fait de l’article 11 de la directive TVA serait en outre conforme à la finalité de celui-ci, qui est, ainsi que cela ressortirait de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission [COM(73) 950 final] ayant conduit à l’adoption de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), d’une part, de permettre une simplification administrative pour les contribuables et l’administration fiscale et, d’autre part, d’éviter les abus en empêchant que des personnes qui ne sont pas réellement des entités commerciales indépendantes soient traitées comme des assujettis distincts. En effet, l’inclusion de personnes non assujetties dans un groupe TVA ne permettrait ni une simplification administrative ni la prévention des abus.

20      Ni le libellé de l’article 11 de la directive TVA ni les travaux préparatoires de celle-ci n’indiqueraient que cette disposition était destinée à modifier la notion d’«assujetti» ou à étendre à d’autres personnes les droits et les obligations des assujettis. Or, tel serait le résultat, selon la Commission, si des personnes non assujetties pouvaient intégrer un groupe TVA. En particulier, comme les acquisitions effectuées au sein d’un groupe TVA sont considérées comme inexistantes du point de vue de la TVA, cela permettrait de livrer des biens ou de fournir des services à des personnes non assujetties sans facturer de TVA et, pour le groupe en cause, de récupérer la TVA acquittée en amont sur les livraisons effectuées à de telles personnes, ce qui serait clairement contraire au système commun de la TVA.

21      Il conviendrait, par conséquent, de ne pas s’en tenir à une interprétation littérale de l’article 11 de la directive TVA, mais de lire celui-ci à la lumière de son contexte immédiat, à savoir le titre III de cette directive, et, plus généralement, de l’économie de ladite directive.

22      Contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, les principes de neutralité fiscale et d’égalité de traitement imposeraient d’exclure les personnes non assujetties des groupes TVA, car la question de savoir si une entité exerce ou non des activités économiques serait un élément fondamental du système commun de la TVA qui n’a rien d’arbitraire.

23      Bien que la Cour n’ait pas encore eu l’occasion de statuer sur la question soulevée en l’espèce, un soutien indirect à la position de la Commission se trouverait au point 19 de l’arrêt du 22 mai 2008, Ampliscientifica et Amplifin (C-162/07, Rec. p. I-4019), ainsi que dans les conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juin 1991, Polysar Investments Netherlands (C-60/90, Rec. p. I-3111).

24      Le Royaume-Uni conclut au rejet du recours. Il expose, à titre liminaire, que les dispositions de sa législation nationale ont été adoptées conformément à l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive, devenu l’article 11 de la directive TVA, et ne subordonnent pas l’inclusion d’une entité dans un groupe TVA à sa qualité d’assujetti au sens de l’article 9 de cette dernière directive.

25      La Commission admettant que des opérateurs exonérés totalement ou partiellement peuvent se joindre à des opérateurs intégralement imposables au sein d’un groupe TVA, elle doit également admettre, selon ledit État membre, que l’article 11 de la directive TVA envisage la situation à laquelle elle s’oppose, à savoir le fait que des assujettis étendent leurs droits et obligations à des personnes non assujetties. Il observe, à cet égard, que cet article permet simplement aux États membres de considérer comme un seul assujetti les personnes qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation.

26      S’agissant de l’interprétation littérale de l’article 11 de la directive TVA, le Royaume-Uni est d’avis que les termes «any persons» utilisés dans la version en langue anglaise de l’article 11 de la directive TVA impliquent très clairement que ce sont les personnes en général qui sont visées, qu’elles soient assujetties ou non. D’ailleurs, si l’intention du législateur avait été d’exclure les personnes non assujetties des groupes TVA, une formulation différente aurait été retenue. De surcroît, la distinction entre «persons» et «taxable persons» ne serait pas propre à la version de cet article en langue anglaise, mais figurerait dans d’autres versions linguistiques de celui-ci.

27      La notion de groupement n’impliquerait pas nécessairement que tous les membres du groupe exercent une activité relevant du champ d’application de la directive TVA. Les membres d’un groupe TVA devraient seulement être étroitement liés entre eux sur les plans financier, économique et de l’organisation. Il conviendrait d’accorder une faible importance à l’adjectif «seul», qui signifierait seulement que ceux qui se sont regroupés sont traités comme une seule entité aux fins de la TVA. La crainte, exprimée par la Commission, qu’un groupe TVA puisse être composé uniquement de personnes non assujetties ne serait pas fondée. De tels groupes n’existeraient pas au Royaume-Uni et seraient dépourvus de sens.

28      Quant à l’objet de l’article 11 de la directive TVA, le Royaume-Uni soutient que les objectifs de simplification administrative et de lutte contre les abus peuvent être atteints en autorisant des personnes non assujetties à adhérer à un groupe TVA. En particulier, l’inclusion dans un tel groupe de sociétés telles que des sociétés dormantes ou des holdings, qui ont le potentiel d’exercer des activités économiques et qui peuvent apporter leur appui aux activités exercées par ailleurs dans le groupe, répondrait à l’objectif de simplification administrative. L’analyse de la Commission, quant à elle, ignorerait la jurisprudence de la Cour qui admet que des entités qui n’ont que potentiellement la capacité d’exercer des activités économiques ou qui ne le font que par intermittence peuvent néanmoins relever du champ d’application de la TVA.

29      Enfin, le Royaume-Uni estime que la jurisprudence à laquelle se réfère la Commission n’apporte aucun soutien à la position de celle-ci et considère qu’il serait contraire aux principes de neutralité fiscale et d’égalité de traitement de permettre à certains groupes de sociétés de former un groupe TVA et de le refuser à d’autres au seul motif qu’ils ont des structures différentes. Cela encouragerait la création artificielle d’activités économiques minimales pour justifier l’inclusion de personnes non assujetties dans un groupe TVA.

30      À l’instar du Royaume-Uni, la République tchèque, le Royaume de Danemark, l’Irlande et la République de Finlande estiment que ni les termes et les objectifs de l’article 11 de la directive TVA, ni le système commun de la TVA, ni la jurisprudence de la Cour n’étayent la position de la Commission.

 Appréciation de la Cour

31      À titre liminaire, il convient de rappeler que, pour déterminer la portée d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte à la fois de ses termes, de son contexte et de ses finalités (arrêt du 29 octobre 2009, NCC Construction Danmark, C-174/08, Rec. p. I-10567, point 23 et jurisprudence citée).

32      En l’occurrence, il résulte du libellé de l’article 11, premier alinéa, de la directive TVA que ce dernier permet à chaque État membre de considérer plusieurs personnes comme un seul assujetti lorsque celles-ci sont établies sur le territoire de ce même État membre et que, bien qu’elles soient indépendantes du point de vue juridique, elles sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation. Cet article, selon son libellé, ne soumet pas son application à d’autres conditions et, en particulier, à celle que lesdites personnes aient pu elles-mêmes, individuellement, avoir la qualité d’assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA. Employant le mot «personnes» et non les termes «personnes assujetties», il ne fait pas de distinction entre personnes assujetties et personnes non assujetties (arrêt du 9 avril 2013, Commission/Irlande, C-85/11, non encore publié au Recueil, point 36).

33      Il convient de relever que l’article 11 de la directive TVA est issu de l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive. Or, tandis que le point 2 de l’annexe A de la deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303), qui a introduit en droit de l’Union la notion de groupe TVA, permettait aux États membres «de ne pas considérer comme des assujettis séparés, mais comme un seul assujetti», les personnes organiquement liées entre elles par des rapports économiques, financiers et d’organisation, l’expression «comme des assujettis séparés» a été abandonnée dans la rédaction dudit article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive (arrêt Commission/Irlande, précité, point 37).

34      Par ailleurs, alors que la formulation de l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive a été reprise dans des termes similaires dans la plupart des versions linguistiques de l’article 11 de la directive TVA, dans la version en langue anglaise de cet article, le terme «any» (toutes) a été ajouté de sorte que le passage pertinent de cette disposition se lit comme suit: «each Member State may regard as a single taxable person any persons established in the territory of that Member State» (chaque État membre peut considérer comme un seul assujetti toutes personnes établies sur le territoire de cet État membre) (arrêt Commission/Irlande, précité, point 38).

35      Il ne ressort pas de ces modifications rédactionnelles successives que le législateur de l’Union ait eu l’intention, lors de l’adoption de la sixième directive, puis de la directive TVA, d’exclure que des personnes non assujetties puissent être incluses dans un groupe TVA et que le mot «personnes» ait été employé au lieu des termes «personnes assujetties» pour éviter une répétition. Le fait que d’autres dispositions de la directive TVA, qui ne relèvent pas du titre III de celle-ci consacré à la notion d’«assujetti», emploient le terme «personnes» pour désigner des personnes assujetties ne saurait conduire à une autre constatation, ce terme étant utilisé dans un autre contexte que celui de l’article 11 de la directive TVA (arrêt Commission/Irlande, précité, point 39).

36      Il convient en outre de relever que, contrairement à ce que prétend la Commission, il ne peut se déduire des termes «comme un seul assujetti» que l’article 11 de la directive TVA vise uniquement à permettre de traiter plusieurs assujettis comme une entité unique, ces termes se rapportant non pas à une condition d’application de cet article, mais à son résultat, qui consiste à considérer plusieurs personnes comme un assujetti unique. Ne trouvent pas non plus de fondement, dans la formulation dudit article, l’argument de la Commission selon lequel celui-ci représenterait une exception à la règle générale disposant que chaque assujetti doit être traité comme une entité distincte, de sorte qu’il conviendrait d’interpréter ce même article de façon restrictive, ni l’argument selon lequel le concept de groupement impliquerait que les personnes en faisant partie appartiennent toutes à la même catégorie, le terme «groupement» n’y figurant pas (arrêt Commission/Irlande, précité, point 40).

37      Par conséquent, il ne ressort pas du libellé de l’article 11 de la directive TVA que des personnes non assujetties ne peuvent être incluses dans un groupe TVA (arrêt Commission/Irlande, précité, point 41).

38      La Commission fait cependant valoir que, au-delà du libellé de l’article 11 de la directive TVA, l’interprétation qu’elle fait de cet article s’impose au regard de son contexte, de ses objectifs ainsi que de la jurisprudence de la Cour. Il convient, dès lors, d’examiner si les arguments avancés par la Commission à l’appui de cette position démontrent que ledit article 11 doit être interprété en ce sens que des personnes non assujetties ne peuvent être incluses dans un groupe TVA.

39      Il convient de relever, en premier lieu, que la jurisprudence de la Cour à laquelle se réfère la Commission quant à cette question ne saurait être utilement invoquée en l’espèce, puisque ladite question n’est pas l’objet des arrêts précités Polysar Investments Netherlands ainsi que Ampliscientifica et Amplifin (arrêt Commission/Irlande, précité, point 43).

40      S’agissant, en deuxième lieu, du contexte de l’article 11 de la directive TVA, il convient d’observer que l’article 9, paragraphe 1, de celle-ci contient une définition générale de la notion d’«assujetti». Le paragraphe 2 de cet article et les articles 10, 12 et 13 de ladite directive, quant à eux, apportent des précisions sur cette notion soit en y incluant ou en permettant aux États membres d’y inclure des personnes qui ne répondent pas à cette définition générale, telles que des personnes effectuant certaines opérations à titre occasionnel, soit en en excluant d’autres personnes, telles que les salariés ou les collectivités publiques. Dès lors, il ne peut être déduit de l’économie du titre III de la directive TVA qu’une personne ne répondant pas à ladite définition générale est nécessairement exclue des personnes visées à l’article 11 de celle-ci (arrêt Commission/Irlande, précité, point 44).

41      Quant à l’articulation, au sein du titre III de la directive TVA, entre les articles 9, paragraphe 1, et 11 de cette directive, force est de constater qu’une lecture combinée de ces articles ne permet pas de conclure, comme le fait la Commission, que les personnes visées à cet article 11 doivent individuellement répondre à la définition générale de l’assujetti donnée à l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive. En effet, le rapprochement de ces deux dispositions n’exclut pas que, comme le soutiennent le Royaume-Uni et les intervenants, ce sont ces personnes, prises ensemble, étant étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation, qui doivent répondre collectivement à cette définition (arrêt Commission/Irlande, précité, point 45).

42      Par conséquent, ne sauraient prospérer les arguments de la Commission selon lesquels, au vu du contexte de l’article 11 de la directive TVA, celui-ci doit être interprété en ce sens que des personnes non assujetties ne peuvent être incluses dans un groupe TVA (arrêt Commission/Irlande, précité, point 46).

43      En ce qui concerne, en troisième lieu, les objectifs poursuivis par l’article 11 de la directive TVA, il ressort des motifs de la proposition de la Commission ayant conduit à l’adoption de la sixième directive que, en adoptant l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de celle-ci, auquel s’est substitué ledit article 11, le législateur de l’Union a voulu permettre aux États membres de ne pas lier systématiquement la qualité d’assujetti à la notion d’indépendance purement juridique, soit dans un souci de simplification administrative, soit pour éviter certains abus tels que, par exemple, le fractionnement d’une entreprise entre plusieurs assujettis dans le but de bénéficier d’un régime particulier (arrêt Commission/Irlande, précité, point 47).

44      Or, il n’apparaît pas que la possibilité, pour les États membres, de considérer comme un assujetti unique un groupe de personnes comprenant une ou des personnes qui ne pourraient avoir individuellement la qualité d’assujetti aille à l’encontre desdits objectifs. Il ne peut être exclu, au contraire, que, ainsi que le soutiennent le Royaume-Uni et les intervenants, la présence, au sein d’un groupe TVA, de telles personnes contribue à une simplification administrative tant pour ledit groupe que pour l’administration fiscale et permette d’éviter certains abus, ladite présence pouvant même être indispensable à ces fins si elle seule établit le lien étroit devant exister, sur les plans financier, économique et de l’organisation, entre les personnes composant ce même groupe pour être considérées comme un assujetti unique (arrêt Commission/Irlande, précité, point 48).

45      Il convient en outre d’observer que, à supposer qu’une telle possibilité puisse donner lieu elle-même à des abus, l’article 11, second alinéa, de la directive TVA permet aux États membres de prendre toutes mesures utiles pour éviter que l’application du premier alinéa de cet article rende la fraude ou l’évasion fiscales possibles (arrêt Commission/Irlande, précité, point 49).

46      Par conséquent, la Commission n’a pas établi que les objectifs de l’article 11 de la directive TVA militent en faveur d’une interprétation selon laquelle des personnes non assujetties ne peuvent être incluses dans un groupe TVA.

47      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le recours de la Commission.

 Sur les dépens

48      En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume-Uni ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du même règlement, selon lequel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, il convient de décider que la République tchèque, le Royaume de Danemark, l’Irlande et la République de Finlande supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

3)      La République tchèque, le Royaume de Danemark, l’Irlande et la République de Finlande supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.