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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

8 novembre 2012 (*)

«Sixième directive TVA – Applicabilité – Code des douanes communautaire – Marchandises en provenance d’un pays tiers et placées sous le régime de l’entrepôt douanier sur le territoire d’un État membre – Transformation des marchandises sous le régime du perfectionnement actif sous la forme du système de la suspension – Vente des marchandises et placement de nouveau sous le régime de l’entrepôt douanier – Maintien dans le même entrepôt douanier pendant l’ensemble des opérations – Livraison de biens effectuée à titre onéreux sur le territoire national – Fait générateur de la TVA»

Dans l’affaire C-165/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Slovaquie), par décision du 22 mars 2011, parvenue à la Cour le 4 avril 2011, dans la procédure

Daňové riaditeľstvo Slovenskej republiky

contre

Profitube spol. s r.o.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, E. Levits, J.-J. Kasel et M. Safjan (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le Daňové riaditeľstvo Slovenskej republiky, par M. V. Paňko, en qualité d’agent,

–        pour Profitube spol. s r.o., par Me M. Čižmárik, advokát,

–        pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. P. Pecho, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 mai 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 648/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO L 117, p. 13, ci-après le «code des douanes»), ainsi que de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2004/66/CE du Conseil, du 26 avril 2004 (JO L 168, p. 35, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Daňové riaditeľstvo Slovenskej republiky (Direction des impôts de la République slovaque, ci-après le «Daňové riaditeľstvo») à Profitube spol. s r.o. (ci-après «Profitube»), société établie à Košice (Slovaquie), au sujet du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») afférente à la vente de marchandises en provenance d’un pays tiers et placées dans un entrepôt douanier situé sur le territoire de la République slovaque, successivement sous les régimes de l’entrepôt douanier et du perfectionnement actif sous la forme du système de la suspension.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le code des douanes       

3        Le code des douanes a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 450/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, établissant le code des douanes communautaire (code des douanes modernisé) (JO L 145, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits du litige au principal, celui-ci demeure régi par le code des douanes.

4        L’article 3 du code des douanes énonçait:

«1.      Le territoire douanier de la Communauté comprend:

[...]

–        le territoire de la République slovaque,

[...]

3.      Sont inclus dans le territoire douanier de la Communauté, la mer territoriale, les eaux intérieures maritimes et l’espace aérien des États membres et des territoires visés au paragraphe 2, à l’exception de la mer territoriale, des eaux intérieures maritimes et de l’espace aérien afférents à des territoires qui ne font pas partie du territoire douanier de la Communauté conformément au paragraphe 1.»

5        L’article 84, paragraphe 1, du code des douanes était libellé comme suit:

«Aux articles 85 à 90:

a)      lorsque le terme ‘régime suspensif’ est utilisé, il s’entend comme s’appliquant, dans le cas de marchandises non communautaires, aux régimes suivants:

[...]

–        l’entrepôt douanier,

–        le perfectionnement actif sous forme du système de la suspension,

[...]»

6        L’article 98, paragraphes 1 et 2, du code des douanes prévoyait:

«1.      Le régime de l’entrepôt douanier permet le stockage dans un entrepôt douanier:

a)      de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l’importation ni aux mesures de politique commerciale;

[...]

2.      On entend par entrepôt douanier tout lieu agréé par les autorités douanières et soumis à leur contrôle, dans lequel des marchandises peuvent être stockées dans les conditions fixées.»

7        L’article 99, premier et deuxième alinéas, du code des douanes disposait:

«L’entrepôt douanier peut être, soit un entrepôt public, soit un entrepôt privé.

On entend par:

–        entrepôt public: un entrepôt douanier utilisable par toute personne pour l’entreposage de marchandises,

–        entrepôt privé: un entrepôt douanier réservé à l’entreposage de marchandises par l’entreposeur.»

8        L’article 114, paragraphes 1 et 2, sous a), du code des douanes énonçait:

«1.      Sans préjudice de l’article 115, le régime du perfectionnement actif permet de mettre en œuvre sur le territoire douanier de la Communauté, pour leur faire subir une ou plusieurs opérations de perfectionnement:

a)      des marchandises non communautaires destinées à être réexportées hors du territoire douanier de la Communauté sous forme de produits compensateurs, sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l’importation ni aux mesures de politique commerciale;

[...]

2.      On entend par:

a)      système de la suspension, le régime du perfectionnement actif dans la forme prévue au paragraphe 1 point a)».

 La sixième directive

9        La sixième directive a été abrogée et remplacée par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits du litige au principal, celui-ci demeure régi par la sixième directive.

10      L’article 2 de la sixième directive prévoyait:

«Sont soumises à la [TVA]:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2.      les importations de biens.»

11      L’article 3, paragraphes 1 à 3, de la sixième directive énonçait:

«1.      Au sens de la présente directive, on entend par:

–        ‘territoire d’un État membre’: l’intérieur du pays, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3,

–        ‘Communauté’ et ‘territoire de la Communauté’: l’intérieur des États membres, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3,

–        ‘territoire tiers’ et ‘pays tiers’: tout territoire autre que ceux définis aux paragraphes 2 et 3 comme l’intérieur d’un État membre.

2.      Aux fins de l’application de la présente directive, l’‘intérieur du pays’ correspond au champ d’application du [traité CE], tel qu’il est défini, pour chaque État membre, à l’article [299 CE].

3.      Sont exclus de l’intérieur du pays, les territoires nationaux suivants:

–        République fédérale d’Allemagne:

île d’Helgoland,

territoire de Büsingen,

–        Royaume d’Espagne:

Ceuta,

Melilla,

–        République italienne:

Livigno,

Campione d’Italia,

les eaux nationales du lac de Lugano,

Sont également exclus de l’intérieur du pays, les territoires nationaux suivants:

–        Royaume d’Espagne:

Îles Canaries,

–        République française:

Départements d’outre-mer.

–        République hellénique:

Άγιο Όπος.»

12      Selon l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, est considéré comme «livraison d’un bien», le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

13      L’article 7, paragraphes 1 à 3, premier alinéa, de la sixième directive disposait:

«1.      Est considérée comme ‘importation d’un bien’:

a)      l’entrée à l’intérieur de la Communauté d’un bien qui ne satisfait pas aux conditions prévues aux articles [23 CE et 24 CE] ou, s’il s’agit d’un bien relevant du [traité CECA], qui n’est pas en libre pratique;

b)      l’entrée à l’intérieur de la Communauté d’un bien en provenance d’un territoire tiers, autre qu’un bien visé au point a).

2.      L’importation d’un bien est effectuée dans l’État membre sur le territoire duquel le bien se trouve au moment où il entre à l’intérieur de la Communauté.

3.      Par dérogation au paragraphe 2, lorsqu’un bien visé au paragraphe 1 point a) est placé depuis son entrée à l’intérieur de la Communauté sous l’un des régimes visés à l’article 16 paragraphe 1 titre B points a), b), c) et d), sous un régime d’admission temporaire en exonération totale de droits à l’importation ou de transit externe, l’importation de ce bien est effectuée dans l’État membre sur le territoire duquel le bien sort de ces régimes.»

14      Aux termes de l’article 10, paragraphes 1 à 3, premier alinéa, de la sixième directive:

«1.      Sont considérés comme:

a)      fait générateur de la taxe: le fait par lequel sont réalisées les conditions légales, nécessaires pour l’exigibilité de la taxe;

b)      exigibilité de la taxe: le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.

2.      Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée.

[...]

3.      Le fait générateur a lieu et la taxe devient exigible au moment où l’importation du bien est effectuée. Lorsque des biens sont placés depuis leur entrée à l’intérieur de la Communauté sous l’un des régimes visés à l’article 7, paragraphe 3, le fait générateur et l’exigibilité de la taxe n’interviennent qu’au moment où les biens sortent de ces régimes.»

15      Dans sa rédaction résultant de l’article 28 quater, E, point 1, de la sixième directive, l’article 16 de celle-ci, intitulé «Exonérations particulières liées au trafic international de biens», disposait à son paragraphe 1:

«Sans préjudice des autres dispositions fiscales communautaires, les États membres ont la faculté, sous réserve de la consultation prévue à l’article 29, de prendre des mesures particulières afin d’exonérer les opérations suivantes ou certaines d’entre elles, à la condition qu’elles ne visent pas à une utilisation et/ou à une consommation finales et que le montant de la [TVA] due lors de la sortie des régimes ou situations visés aux titres A à E corresponde au montant de la taxe qui aurait été due si chacune des opérations avait été taxée à l’intérieur du pays.

[...]

B.      Les livraisons de biens destinés à être:

[...]

c)      placés sous un régime d’entrepôt douanier ou sous un régime de perfectionnement actif;

[...]

Les endroits visés aux points a), b), c) et d) sont ceux définis comme tels par les dispositions douanières communautaires en vigueur.

[...]

D.      Les livraisons de biens et les prestations de services effectuées:

a)      dans les endroits énumérés au titre B, points a) à d), avec maintien d’une des situations citées aux mêmes points;

b)      dans les endroits énumérés au titre B, point e), avec maintien, à l’intérieur du pays, de la situation citée au même point.

Lorsqu’ils font usage de la faculté prévue au point a) pour les opérations effectuées dans des entrepôts douaniers, les États membres prennent les mesures nécessaires en vue d’assurer qu’ils ont défini des régimes d’entrepôts autres que douaniers permettant l’application du point b) aux mêmes opérations portant sur des biens figurant à l’annexe J et effectuées dans ces entrepôts autres que douaniers.

[...]»

 Le droit national

16      Selon l’article 46, paragraphe 1, de la Constitution de la République slovaque, chacun peut se prévaloir de ses droits, d’une façon conforme à la loi, devant un tribunal indépendant et impartial.

17      La loi no 222/2004, du 6 avril 2004, relative à la taxe sur la valeur ajoutée (no 1/2004 Z. z), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la «loi relative à la TVA»), vise à transposer la sixième directive dans l’ordre juridique slovaque.

18      L’article 2, paragraphe 1, sous a), de ladite loi prévoit que la livraison de marchandises à titre onéreux effectuée sur le territoire national par un assujetti est soumise à la TVA.

19      L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la même loi énonce que, aux fins de la TVA, on entend par territoire national celui de la République slovaque.

20      L’article 8, paragraphe 1, sous a), de la loi relative à la TVA dispose que la livraison de biens est entendue comme la livraison d’un bien corporel qui entraîne une modification du droit de propriété.

21      Selon l’article 12 de ladite loi, on entend par importation de marchandises l’introduction de marchandises en provenance du territoire de pays tiers sur le territoire de l’Union européenne et, lors de l’importation de marchandises sur le territoire national, s’appliquent à la taxe les dispositions de la réglementation douanière, sous réserve que cette loi en dispose autrement.

22      Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, sous a), de la même loi, le lieu de la livraison de biens, si la livraison est liée à un envoi ou à un transport de biens, est l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur, sous réserve de l’exception visée au paragraphe 1, sous b), de cet article, au paragraphe 2 du même article et à l’article 14 de cette loi.

23      L’article 18, paragraphe 2, de la loi relative à la TVA dispose que, si une marchandise importée, lors de son introduction sur le territoire de l’Union, se trouve en dépôt temporaire ou est placée dans une zone franche ou un entrepôt franc, ou est placée sous le régime de l’entrepôt douanier, sous le régime du perfectionnement actif, sous le régime de l’admission temporaire en exonération totale des droits à l’importation, ou si elle est admise dans la mer territoriale, le lieu de l’importation est l’État membre dans lequel cessent ces mesures douanières.

24      L’article 19, paragraphe 1, de ladite loi prévoit que la TVA devient exigible le jour de la livraison des marchandises, ce jour étant celui où l’acheteur acquiert le droit de disposer des marchandises en tant que propriétaire.

25      L’article 69, paragraphe 1, de la même loi énonce que l’assujetti qui livre des marchandises ou fournit des services sur le territoire national est redevable de la TVA.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

26      Il ressort de la décision de renvoi et des observations soumises à la Cour que le Daňový úrad pre vybrané daňové subjekty (administration fiscale pour certains assujettis, ci-après le «Daňový úrad») a procédé à un contrôle fiscal de Profitube en matière de TVA pour les mois de juillet, d’août, de septembre et d’octobre de l’année 2005 ainsi que de janvier, de février, d’avril, de mai et de décembre de l’année 2006.

27      Ce contrôle fiscal a fait apparaître que, au cours de la période contrôlée, la société SSIM a.s., établie à Košice, a fait venir d’Ukraine des marchandises semi-finies en acier, à savoir des rouleaux laminés à chaud, qu’elle a vendus à Profitube. Ces rouleaux, stockés dans un entrepôt douanier public utilisé par cette dernière et situé sur le territoire de la République slovaque, ont été placés sous le régime de l’entrepôt douanier, au sens de l’article 98 du code des douanes.

28      Lesdits rouleaux laminés à chaud ont été par la suite placés sous le régime du perfectionnement actif sous la forme du système de la suspension, au sens de l’article 114 du code des douanes, pour les transformer en profilés en acier.

29      Profitube a vendu ces profilés en acier (ci-après les «marchandises en cause») à la société Mercurius s.r.o., établie à Košice et enregistrée comme assujettie à la TVA (ci-après la «vente litigieuse»). Les marchandises en cause ont de nouveau été placées sous le régime de l’entrepôt douanier. Profitube a considéré que la vente litigieuse n’était pas soumise à la TVA.

30      Pendant l’ensemble de ces opérations effectuées lors des exercices fiscaux 2005 et 2006, les marchandises en cause sont demeurées dans le même entrepôt douanier public.

31      Par décisions du 27 juin 2006, le Daňový úrad a considéré que, en n’ayant pas acquitté la TVA sur la vente litigieuse, Profitube avait violé l’article 69, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA, lu en combinaison avec les articles 2, paragraphes 1, sous a), et 2, sous a), 8, paragraphe 1, sous a), 13, paragraphe 1, sous a), et 19, paragraphe 1, de cette loi.

32      À cet égard, le Daňový úrad a estimé que, par la vente de marchandises stockées dans un entrepôt douanier public situé sur le territoire de la République slovaque, Profitube avait effectué une livraison de marchandises qui, en application de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la loi relative à la TVA, était soumise à la taxe.

33      Par décisions du 25 octobre 2007, le Daňové riaditeľstvo a confirmé les décisions du Daňový úrad.

34      Par jugement du 23 juillet 2008, le Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava) a accueilli le recours introduit par Profitube contre les décisions du Daňové riaditeľstvo et a renvoyé l’affaire devant ce dernier. Le Krajský súd v Bratislave a notamment considéré que des biens en provenance d’un pays tiers devaient être mis en libre pratique pour être soumis à la TVA.

35      Le Daňové riaditeľstvo ayant interjeté appel de ce jugement, le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque), par arrêt du 20 octobre 2009, a réformé le jugement du Krajský súd v Bratislave en jugeant qu’un entrepôt douanier situé sur le territoire d’un État membre fait juridiquement partie de ce territoire. Le Daňové riaditeľstvo aurait ainsi été fondé à considérer que la vente litigieuse constituait une livraison de biens à titre onéreux effectuée sur le territoire national, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la loi relative à la TVA. Par ailleurs, les marchandises en cause n’auraient pas fait l’objet d’une importation, au sens de l’article12 de la même loi.

36      Profitube a introduit un pourvoi contre l’arrêt du Najvyšší súd Slovenskej republiky devant l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque). Par arrêt du 27 octobre 2010, cette dernière juridiction a annulé l’arrêt du Najvyšší súd Slovenskej republiky et a renvoyé l’affaire devant celui-ci pour y être statué de nouveau.

37      L’Ústavný súd Slovenskej republiky a considéré que le Najvyšší súd Slovenskej republiky avait violé le droit fondamental de Profitube à une protection juridictionnelle, au sens de l’article 46, paragraphe 1, de la Constitution de la République slovaque, ainsi que son droit à un procès équitable, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. La juridiction de cassation a notamment relevé que le Najvyšší súd Slovenskej republiky n’avait pas examiné la question de l’application de l’article 12 de la loi relative à la TVA, selon lequel, dans le cas d’une importation, la réglementation douanière doit avoir la priorité sur cette loi.

38      C’est dans ces circonstances que le Najvyšší súd Slovenskej republiky a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Dans une situation où, au cours des années 2005 et 2006, un importateur d’un État membre a importé dans un entrepôt douanier public de cet État membre des marchandises en provenance du territoire d’un État non membre de l’Union européenne (Ukraine), qui ont par la suite été transformées dans cet entrepôt douanier sous le régime du perfectionnement actif sous la forme du système de la suspension, et que le produit en résultant n’a pas été directement exporté au sens de l’article 114 du [code des douanes], mais, au contraire, a été cédé par le transformateur des marchandises dans ce même entrepôt à une autre société originaire de cet État membre, qui ne l’a pas mis en libre pratique depuis l’entrepôt douanier précité, mais l’a replacé sous le régime de l’entrepôt douanier, est-ce que s’applique toujours à la vente précitée dans cet entrepôt douanier uniquement la réglementation douanière communautaire, ou est-ce que la vente des marchandises en cause a à ce point modifié la situation en droit que la transaction précitée relève déjà du régime de la [sixième directive], c’est-à-dire qu’il est possible de considérer, aux fins du régime de la [TVA] de la sixième directive, que l’entrepôt douanier public situé sur le territoire d’un État membre fait partie du territoire de la Communauté, c’est-à-dire du territoire de cet État membre au sens de la définition figurant à l’article 3 de la sixième directive?

2)      Peut-on apprécier la situation en fait ci-dessus en tenant compte de la doctrine de l’abus de droit développée par la Cour de justice de l’Union européenne et concernant l’application de la sixième directive [arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, Rec. p. I-1609], en ce sens que [Profitube], par la vente des marchandises dans l’entrepôt douanier public situé sur le territoire de la République slovaque, a déjà effectué une livraison de biens à titre onéreux sur le territoire national?

3)      Si la réponse à la première question est affirmative, en ce sens que la transaction en cause relève déjà du régime de la sixième directive, cette transaction est-elle le fait générateur de la taxe:

a)      en application de l’article 10, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive, en rapport avec l’exigibilité de la taxe, au motif qu’il y a eu livraison de biens dans un entrepôt douanier situé sur le territoire de la République slovaque, ou

b)      au motif que, après que les marchandises ont été importées d’un pays tiers (article 10, paragraphe 3, de la sixième directive), pendant le stockage dans cet entrepôt douanier, il y a eu apurement du régime douanier par la vente des marchandises entreposées à une autre personne de l’État membre?

4)      Les objectifs de la sixième directive exprimés dans son préambule ou les objectifs [de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT)] [accord figurant à l’annexe 1A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1)] sont-ils remplis si la vente de marchandises importées d’un pays tiers vers un entrepôt douanier, qui y ont été ensuite transformées, vendues à une autre personne de cet État membre dans un entrepôt douanier sur le territoire d’un État membre de la Communauté européenne, ne relevait pas du régime de la [TVA] dans cet État membre?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et troisième questions

39      Par ses première et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si, lorsque des marchandises en provenance d’un pays tiers ont été placées sous le régime de l’entrepôt douanier dans un État membre, puis ont été transformées sous le régime du perfectionnement actif sous la forme du système de la suspension et ont été par la suite vendues et placées de nouveau sous le régime de l’entrepôt douanier, en demeurant pendant l’ensemble de ces opérations dans le même entrepôt douanier situé sur le territoire de cet État membre, la vente de telles marchandises est soumise à la TVA et, dans l’affirmative, quel est le fait générateur de la taxe.

40      À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 2 de la sixième directive, sont soumises à la TVA les importations de biens ainsi que les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

41      Il y a lieu de vérifier, dans un premier temps, si des marchandises telles que celles en cause dans l’affaire au principal ont fait l’objet d’une importation au sens de l’article 2, point 2, de la sixième directive.

42      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, est considérée comme une «importation d’un bien» l’entrée à l’intérieur de la Communauté d’un bien qui ne satisfait pas aux conditions prévues aux articles 23 CE et 24 CE.

43      Quant à l’article 7, paragraphe 3, de la sixième directive, il précise que, lorsqu’un tel bien est placé depuis son entrée à l’intérieur de la Communauté sous l’un des régimes visés à l’article 16, paragraphe 1, B, sous a), b), c) et d), de la même directive, son importation est effectuée dans l’État membre sur le territoire duquel le bien sort de ces régimes.

44      En l’occurrence, les marchandises en cause, en provenance d’un pays tiers, ont été placées sous le régime de l’entrepôt douanier d’un État membre, puis sous celui du perfectionnement actif sous la forme du système de la suspension, et ont été vendues avant d’être placées de nouveau sous le régime de l’entrepôt douanier dans ce même État membre.

45      Par conséquent, ces marchandises ont été placées depuis leur entrée à l’intérieur de la Communauté sous les deux régimes visés à l’article 16, paragraphe 1, B, sous c), de la sixième directive.

46      Dès lors que les marchandises en cause n’étaient pas encore sorties de ces régimes à la date de la vente litigieuse, même si elles avaient été matériellement introduites sur le territoire de l’Union, elles ne sauraient être considérées comme ayant fait l’objet d’une «importation» au sens de l’article 2, point 2, de la sixième directive (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2006, Commission/Royaume-Uni, C-305/03, Rec. p. I-1213, point 41).

47      À cet égard, le fait que ces marchandises aient changé de régime douanier n’est pas de nature à leur conférer la qualité de marchandises importées, les deux régimes douaniers concernés étant visés à l’article 7, paragraphe 3, de la sixième directive.

48      En conséquence, en l’absence d’importation à la date des faits du litige au principal, les marchandises en cause n’étaient pas soumises à la TVA au titre de l’article 2, point 2, de la sixième directive.

49      Dans ces conditions, il convient d’examiner, dans un second temps, si la vente de marchandises telles que celles dans l’affaire au principal constitue une livraison de biens effectuée à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive.

50      À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, est considéré comme «livraison d’un bien» le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. La jurisprudence de la Cour précise que cette notion inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à disposer en fait de ce bien comme si elle en était le propriétaire (voir, notamment, arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320/88, Rec. p. I-285, point 7, ainsi que du 10 mars 2011, Bog e.a., C-497/09, C-499/09, C-501/09 et C-502/09, Rec. p. I-1457, point 59).

51      Deuxièmement, une livraison de biens effectuée «à titre onéreux», au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive, suppose l’existence d’un lien direct entre le bien livré et la contre-valeur reçue (voir arrêts du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council, 102/86, Rec. p. 1443, point 12, ainsi que du 7 octobre 2010, Loyalty Management UK et Baxi Group, C-53/09 et C-55/09, Rec. p. I-9187, point 51).

52      Troisièmement, la livraison de biens doit être effectuée par un «assujetti agissant en tant que tel». Un assujetti agit en cette qualité lorsqu’il effectue des opérations dans le cadre de son activité taxable (arrêt du 27 septembre 2012, VSTR, C-587/10, point 49). En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que Profitube est un assujetti enregistré aux fins de la TVA.

53      Il s’ensuit qu’une vente telle que celle litigieuse constitue une livraison de biens effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. Dans l’affaire au principal, le lieu de la livraison était l’endroit où le bien se trouvait à la date de ladite vente, à savoir l’entrepôt douanier public utilisé par Profitube, situé sur le territoire slovaque.

54      Quatrièmement, la juridiction de renvoi demande, plus particulièrement, si un entrepôt douanier situé sur le territoire d’un État membre se trouve «à l’intérieur du pays», au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive.

55      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 3, paragraphe 2, de la sixième directive, l’«intérieur du pays» correspond au champ d’application territorial du traité CE, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, à l’article 299 CE.

56      L’article 299 CE énumère, à son paragraphe 1, les États membres auxquels s’applique le traité CE tout en prévoyant, aux paragraphes suivants, des dispositions spéciales en ce qui concerne certains territoires déterminés.

57      Quant à l’article 3, paragraphe 3, de la sixième directive, il exclut expressément certains territoires nationaux du champ d’application de cette directive.

58      Or, aucune des dispositions mentionnées aux points 56 et 57 du présent arrêt ni aucune autre disposition de la sixième directive ne prévoit que les entrepôts douaniers, qu’ils soient publics ou privés, ne se trouvent pas «à l’intérieur du pays» s’ils sont situés sur le territoire d’un État membre, comme le précise l’article 3, paragraphe 1, de la sixième directive. Le code des douanes, en ce qui concerne son champ d’application, n’établit pas davantage un statut particulier pour les entrepôts douaniers.

59      Par conséquent, au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive, un entrepôt douanier se trouve à l’«intérieur du pays» lorsqu’il est situé sur le territoire d’un État membre.

60      En outre, il importe de relever que l’article 2, point 1, de la sixième directive ne fait pas de distinction selon qu’une livraison concerne des marchandises communautaires ou non. Dès lors, contrairement à ce que soutient Profitube dans ses observations écrites, le fait que les marchandises en cause n’aient pas donné lieu à une importation n’excluait pas, à lui seul, l’existence d’une livraison sur le territoire d’un État membre.

61      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que, en principe, une vente telle que celle litigieuse est soumise à la TVA au titre de l’article 2, point 1, de la sixième directive, le fait générateur intervenant à la date à laquelle la livraison des biens est effectuée, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de cette directive.

62      Toutefois, l’article 16, paragraphe 1, de la sixième directive, eu égard aux régimes visés au B et au D de ce même paragraphe, prévoit que les États membres ont la faculté d’exonérer de la TVA les livraisons de biens destinés à être placés sous un régime d’entrepôt douanier ou sous un régime de perfectionnement actif, ou encore les livraisons effectuées dans les endroits énumérés au B, sous a) à d), avec maintien d’une de ces situations, à la condition que ces opérations ne visent pas à une utilisation ou à une consommation finales et que le montant de la TVA due lors de la sortie de régime corresponde au montant de la taxe qui aurait été acquittée si chacune des opérations avait été taxée à l’intérieur du pays.

63      Les États membres peuvent par conséquent exonérer certaines opérations effectuées à l’intérieur du pays pour des biens placés sous les régimes ou les situations prévus audit article 16, paragraphe 1, B et D, parmi lesquels les régimes de l’entrepôt douanier et du perfectionnement actif ou encore les opérations effectuées dans un entrepôt douanier (voir, en ce sens, arrêt Commission/Royaume-Uni, précité, point 40).

64      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 29 et 30 de ses conclusions, l’article 16, paragraphe 1, de la sixième directive corrobore clairement l’interprétation selon laquelle, en principe, une livraison de biens placés sous un régime douanier suspensif, effectuée à titre onéreux par un assujetti dans un entrepôt douanier situé sur le territoire d’un État membre, est soumise à la TVA au titre de l’article 2, point 1, de la sixième directive.

65      En l’occurrence, ainsi que le soutiennent tant la requérante au principal que les États membres ayant présenté des observations écrites et la Commission européenne, la vente litigieuse est soumise à la TVA, à moins que la République slovaque n’ait fait usage de la faculté qui lui est ouverte d’exonérer cette vente de la TVA au titre de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive.

66      Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si la République slovaque a fait usage de cette faculté.

67      Il convient, dès lors, de répondre aux première et troisième questions que, lorsque des marchandises en provenance d’un pays tiers ont été placées sous le régime de l’entrepôt douanier dans un État membre, puis ont été transformées sous le régime du perfectionnement actif sous la forme du système de la suspension et ont été par la suite vendues et placées de nouveau sous le régime de l’entrepôt douanier, en demeurant pendant l’ensemble de ces opérations dans le même entrepôt douanier situé sur le territoire de cet État membre, la vente de telles marchandises est soumise à la TVA au titre de l’article 2, point 1, de la sixième directive, à moins que ledit État membre n’ait fait usage de la faculté qui lui est ouverte d’exonérer cette vente de la taxe au titre de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

 Sur les deuxième et quatrième questions

68      Compte tenu de la réponse apportée aux première et troisième questions, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et quatrième questions posées par la juridiction de renvoi.

 Sur les dépens

69      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Lorsque des marchandises en provenance d’un pays tiers ont été placées sous le régime de l’entrepôt douanier dans un État membre, puis ont été transformées sous le régime du perfectionnement actif sous la forme du système de la suspension et ont été par la suite vendues et placées de nouveau sous le régime de l’entrepôt douanier, en demeurant pendant l’ensemble de ces opérations dans le même entrepôt douanier situé sur le territoire de cet État membre, la vente de telles marchandises est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de l’article 2, point 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 2004/66/CE du Conseil, du 26 avril 2004, à moins que ledit État membre n’ait fait usage de la faculté qui lui est ouverte d’exonérer cette vente de la taxe au titre de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

Signatures


* Langue de procédure: le slovaque.