Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

Share

Highlight in text

Go

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

19 décembre 2012 (*)

«Fiscalité – Directive 90/434/CEE – Régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents – Articles 2, 4 et 9 – Apport d’actifs – Imposition des plus-values réalisées par la société apporteuse à l’occasion de l’apport d’actifs – Report de l’imposition – Condition imposant que soit actée au bilan de la société apporteuse une réserve en suspension d’impôt correspondant à la valeur de la plus-value réalisée»

Dans l’affaire C-207/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Commissione tributaria regionale di Milano (Italie), par décision du 7 avril 2011, parvenue à la Cour le 2 mai 2011, dans la procédure

3D I Srl

contre

Agenzia delle Entrate – Ufficio di Cremona,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur), E. Levits, J.-J. Kasel et M. Safjan, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 mai 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour 3D I Srl, par Mes A. Fantozzi, R. Esposito et G. Mameli, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par MM. P. Rossi et W. Roels, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 juillet 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, 4 et 8, paragraphes 1 et 2, de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents (JO L 225, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant 3D I Srl (ci-après «3D I»), anciennement 3D FIN Srl, à l’Agenzia delle Entrate – Ufficio di Cremona (ci-après l’«Agenzia delle Entrate»), au sujet du refus de cette dernière de rembourser l’impôt de substitution («imposta sostitutiva») versé par cette société par suite d’une opération d’apport intracommunautaire de l’une de ses branches d’activité.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Les premier à sixième considérants de la directive 90/434 énoncent:

«considérant que les fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents [...] ne doivent pas être entravées par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres; qu’il importe, par conséquent, d’instaurer pour ces opérations des règles fiscales neutres au regard de la concurrence afin de permettre aux entreprises de s’adapter aux exigences du marché commun, d’accroître leur productivité et de renforcer leur position concurrentielle sur le plan international;

considérant que des dispositions d’ordre fiscal pénalisent actuellement ces opérations par rapport à celles qui intéressent des sociétés d’un même État membre; qu’il est nécessaire d’éliminer cette pénalisation;

considérant qu’il n’est pas possible d’atteindre cet objectif par une extension au plan communautaire des régimes internes en vigueur dans les États membres, les différences entre ces régimes étant susceptibles de provoquer des distorsions; que seul un régime fiscal commun peut constituer une solution satisfaisante à cet égard;

considérant que le régime fiscal commun doit éviter une imposition à l’occasion d’une fusion, d’une scission, d’un apport d’actifs ou d’un échange d’actions, tout en sauvegardant les intérêts financiers de l’État de la société apporteuse ou acquise;

considérant que, en ce qui concerne les fusions, les scissions et les apports d’actifs, ces opérations ont normalement pour résultat soit la transformation de la société apporteuse en établissement stable de la société bénéficiaire de l’apport, soit le rattachement des actifs à un établissement stable de cette dernière société;

considérant que le régime du report, jusqu’à leur réalisation effective, de l’imposition des plus-values afférentes aux biens apportés, appliqué à ceux de ces biens qui sont affectés à cet établissement stable, permet d’éviter l’imposition des plus-values correspondantes, tout en assurant leur imposition ultérieure par l’État de la société apporteuse, au moment de leur réalisation».

4        L’article 2 de cette directive, qui fait partie du titre I de celle-ci consacré aux «Dispositions générales», prévoit:

«Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par:

[...]

c)      apport d’actifs: l’opération par laquelle une société apporte, sans être dissoute, l’ensemble ou une ou plusieurs branches de son activité à une autre société, moyennant la remise de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l’apport;

d)      échange d’actions: l’opération par laquelle une société acquiert, dans le capital social d’une autre société, une participation ayant pour effet de lui conférer la majorité des droits de vote de cette société, moyennant l’attribution aux associés de l’autre société, en échange de leurs titres, de titres représentatifs du capital social de la première société et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable des titres qui sont remis en échange;

e)      société apporteuse: la société qui [...] apporte l’ensemble ou une ou plusieurs branches de son activité;

f)      société bénéficiaire: la société qui reçoit [...] l’ensemble ou une ou plusieurs branches d’activité de la société apporteuse;

[...]»

5        Le titre II de la directive 90/434 contient, aux articles 4 à 8 de celle-ci, les «Règles applicables aux fusions, scissions et échanges d’actions». L’article 4 de cette directive dispose:

«1.      La fusion ou la scission n’entraîne aucune imposition des plus-values qui sont déterminées par différence entre la valeur réelle des éléments d’actif et de passif transférés et leur valeur fiscale.

On entend par:

–        valeur fiscale: la valeur qui aurait été retenue pour le calcul d’un profit ou d’une perte entrant en compte pour l’assiette d’un impôt frappant le revenu, les bénéfices ou les plus-values de la société apporteuse si ces éléments d’actif et de passif avaient été vendus lors de la fusion ou de la scission mais indépendamment d’une telle opération;

–        éléments d’actif et de passif transférés: les éléments d’actif et de passif de la société apporteuse qui, par suite de la fusion ou de la scission, sont effectivement rattachés à l’établissement stable de la société bénéficiaire situé dans l’État membre de la société apporteuse et qui concourent à la formation des résultats pris en compte pour l’assiette des impôts.

2.      Les États membres subordonnent l’application du paragraphe 1 à la condition que la société bénéficiaire calcule les nouveaux amortissements et les plus-values ou moins-values afférentes aux éléments d’actif et de passif transférés dans les mêmes conditions qu’auraient pu le faire la ou les sociétés apporteuses si la fusion ou la scission n’avait pas eu lieu.

3.      Dans le cas où, selon la législation de l’État membre de la société apporteuse, la société bénéficiaire est admise à calculer les nouveaux amortissements et les plus-values ou moins-values afférentes aux éléments d’actif et de passif transférés dans des conditions différentes de celles prévues au paragraphe 2, le paragraphe 1 ne s’applique pas aux éléments d’actif et de passif pour lesquels la société bénéficiaire a usé de cette faculté.»

6        L’article 8, paragraphes 1 et 2, de ladite directive énonce:

«1.      L’attribution, à l’occasion d’une fusion, d’une scission ou d’un échange d’actions, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à un associé de la société apporteuse ou acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé.

2.      Les États membres subordonnent l’application du paragraphe 1 à la condition que l’associé n’attribue pas aux titres reçus en échange une valeur fiscale plus élevée que celle que les titres échangés avaient immédiatement avant la fusion, la scission ou l’échange d’actions.

L’application du paragraphe 1 n’empêche pas les États membres d’imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l’acquisition.

Par ‘valeur fiscale’, on entend la valeur qui servirait de base pour le calcul éventuel d’un profit ou d’une perte entrant en compte pour l’assiette d’un impôt frappant le revenu, les bénéfices ou les plus-values de l’associé de la société.»

7        Le titre III de la directive 90/434 est consacré aux «Règles applicables aux apports d’actifs». En vertu de l’article 9 de cette directive, qui est l’unique article de ce titre III, les articles 4 à 6 de ladite directive s’appliquent à ces apports.

 La réglementation italienne

8        En Italie, la directive 90/434 a été transposée par le décret législatif n° 544, du 30 décembre 1992, portant dispositions de mise en conformité avec les directives communautaires relatives au régime fiscal des fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions (GURI n° 9, du 13 janvier 1993, p. 8, ci-après le «décret législatif n° 544/1992»).

9        L’article 1er du décret législatif n° 544/1992 prévoyait:

«Les dispositions du présent décret s’appliquent:

[...]

c)      aux apports d’activités ou de complexes d’activités ayant trait à une seule branche d’activité, de l’une à l’autre des entités désignées sous a) [à savoir les sociétés par actions, en commandite par actions, à responsabilité limitée ou coopératives, les entreprises publiques et privées ayant pour objet exclusif ou principal l’exercice d’activités commerciales résidant sur le territoire national et toute entité semblable résidente d’un autre État membre de l’Union européenne], résidant dans différents États de l’Union, à condition que l’une des deux réside sur le territoire de l’État».

10      L’article 2, paragraphe 2, du décret législatif n° 544/1992 disposait:

«Les apports visés sous c) ne constituent pas une réalisation de plus-values ou de moins-values, mais le dernier coût fiscalement reconnu de l’activité ou de la branche d’activité apportée constitue le coût fiscalement reconnu de la participation reçue. La différence entre la valeur des actions ou des parts reçues et la dernière valeur des biens apportés reconnue aux fins de l’imposition sur le revenu ne concourt pas à la formation du revenu imposable de l’entreprise ou de la société apporteuse tant qu’elle n’a pas été réalisée ou distribuée aux associés. Si les participations reçues sont actées au bilan à une valeur supérieure à la valeur comptable de l’activité apportée, la différence doit être actée dans un poste ad hoc et concourt à la formation du revenu imposable en cas de distribution. [...]»

11      En outre, était en vigueur au moment de l’apport en cause au principal le décret législatif n° 358, du 8 octobre 1997, portant dispositions en matière de réorganisation des impôts sur les revenus applicables aux opérations de cession et d’apport de sociétés, de fusion, de scission et d’échange de participations (GURI n° 249, du 24 octobre 1997, p. 4, ci-après le «décret législatif n° 358/1997»).

12      L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du décret législatif n° 358/1997 énonçait:

«1.      Les plus-values réalisées par le biais de la cession d’activités détenues pendant une période non inférieure à trois ans et désignées selon les critères prévus à l’article 54 du texte unique des impôts sur les revenus [...] peuvent être soumises à un impôt se substituant à l’impôt sur le revenu, au taux de 19 % [...]

2.      L’application de l’impôt de substitution doit être demandée dans la déclaration de revenus pour la période d’imposition pendant laquelle ont été réalisées les plus-values [...]»

13      L’article 4, paragraphes 1 et 2, du décret législatif n° 358/1997 disposait:

«1.      Les apports d’activités détenues pendant une période non inférieure à trois ans, effectués par les entités visées à l’article 87, paragraphe 1, sous a) et b), du texte unique relatif aux impôts sur les revenus, [...] ne constituent pas une réalisation de plus-values ou de moins-values. Cependant, la société apporteuse doit accepter comme valeur des participations reçues la dernière valeur fiscalement reconnue de l’activité apportée et la société bénéficiaire succède à la société apporteuse dans la position relative aux éléments de l’actif et du passif de ladite activité; à cet effet, elle mentionne dans un tableau récapitulatif ad hoc, à joindre à la déclaration des revenus, les données exposées dans le bilan et les valeurs fiscalement reconnues.

2.      Au lieu de l’application des dispositions énoncées au paragraphe 1, les entités qui y sont visées peuvent opter, dans l’acte d’apport, pour l’application des dispositions du texte unique relatif aux impôts sur les revenus [...] et de l’article 1er du présent décret. L’option peut également être exercée pour les apports visés à l’article 1er du [décret législatif n° 544/1992].»

14      Les décrets législatifs nos 544/1992 et 358/1997 ont été remplacés à compter du 1er janvier 2004, à l’occasion d’une réforme du système fiscal national. Dans le cadre de cette dernière, le régime de neutralité fiscale des opérations d’apport d’actifs transfrontalières est devenu identique à celui prévu pour les opérations d’apport nationales et la condition imposant une détention de l’entreprise depuis plus de trois ans, prévue à l’article 4, paragraphe 1, du décret législatif n° 358/1997, a été abandonnée. Partant, la possibilité d’opter pour l’application de l’impôt de substitution au taux de 19 % a été supprimée.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

15      3D I est une société de capitaux dont le siège est à Crema (Italie). Le 12 octobre 2000, elle a apporté une branche de son activité située également en Italie à une société résidente du Grand-Duché de Luxembourg. Par suite de cette opération, l’activité apportée a été transformée en un établissement stable, sis en Italie, de cette société luxembourgeoise. En échange, 3D I a reçu une participation sous forme d’actions de cette dernière société. Ces participations ont été actées au bilan de 3D I pour une valeur supérieure à la valeur fiscale de l’activité apportée.

16      Le 9 mai 2001, 3D I a opté pour la possibilité, prévue aux articles 1er, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, du décret n° 358/1997, de s’acquitter, pour cette opération, de l’impôt de substitution au taux de 19 %, en renonçant ainsi au régime de neutralité fiscale prévu à l’article 2, paragraphe 2, du décret n° 544/1992. 3D I a donc versé la somme de 5 732 298 000 ITL, soit 2 960 484,85 euros, correspondant au montant de l’impôt de substitution exigible. Consécutivement au paiement de cet impôt, les plus-values constatées sur le plan comptable par suite de l’opération d’apport ont été libérées, la différence entre la valeur fiscale de la branche d’activité apportée et la valeur attribuée aux parts sociales reçues en contrepartie de l’apport ayant également été reconnue à des fins fiscales (réalignement des valeurs comptables de ces parts avec les valeurs fiscales).

17      Après avoir eu connaissance, notamment, de l’arrêt du 21 novembre 2002, X et Y (C-436/00, Rec. p. I-10829), 3D I a, le 8 janvier 2004, demandé à l’administration fiscale le remboursement de l’impôt de substitution qu’elle avait versé. Elle soutenait que l’article 2, paragraphe 2, du décret législatif n° 544/1992 était incompatible avec la directive 90/434 en ce qu’il soumettait la neutralité de l’apport à des conditions non prévues par celle-ci. L’existence, notamment, de la condition selon laquelle la différence de valeur devait être bloquée dans une réserve non distribuable aurait conduit en pratique les entreprises intéressées à opter pour l’impôt de substitution, la troisième possibilité prévue par le régime national, à savoir l’acquittement de l’impôt ordinaire à un taux de 33 % sur la différence de valeur, étant encore plus désavantageux que les deux autres options. 3D I soutenait qu’elle avait considéré de manière erronée que les conditions prévues à l’article 2, paragraphe 2, du décret législatif n° 544/1992 étaient légales et que c’était en raison de cette erreur qu’elle avait opté pour l’impôt de substitution et non pas pour le régime de neutralité fiscale.

18      Cette demande de remboursement ayant été implicitement rejetée par l’Agenzia delle Entrate, 3D I a, le 13 avril 2004, introduit un recours devant la Commissione tributaria provinciale di Cremona. Par une décision du 11 octobre 2006, ce recours a été rejeté au motif, notamment, que 3D I avait librement choisi le régime de l’impôt de substitution et qu’elle avait obtenu le bénéfice de la reconnaissance fiscale de la différence de valeur à un taux d’imposition très favorable par rapport à celui qui aurait dû lui être appliqué en cas de réalisation de la plus-value.

19      Le 5 mars 2007, 3D I a interjeté appel de cette décision devant la Commissione tributaria regionale di Milano. Cette juridiction estime que l’article 2, paragraphe 2, du décret législatif n° 544/1992, en ce qu’il prévoit l’obligation d’acter au bilan de la société apporteuse une réserve en suspension d’impôt à la suite d’un apport intracommunautaire, sous peine d’imposer les plus-values éventuelles découlant de cet apport, est contraire à la directive 90/434 et à la jurisprudence constante de la Cour, laquelle condamnerait des mesures qui entravent la libre circulation des capitaux et la liberté d’établissement. En effet, afin d’éviter une telle incompatibilité avec le droit de l’Union, les États membres devraient reporter l’imposition des plus-values au moment où celles-ci sont effectivement réalisées, sans subordonner ce report à des conditions limitant excessivement lesdites libertés fondamentales.

20      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La réglementation d’un État membre, tel que l’État italien, visée à l’article 2, paragraphe 2, du décret législatif [nº 544/1992], en vertu de laquelle un apport ou un échange d’actions donne lieu à l’imposition, en ce qui concerne la société apporteuse, de la plus-value résultant de l’apport et correspondant à la différence entre le coût initial d’acquisition des actions ou des parts sociales apportées et leur valeur de marché, à moins que la société apporteuse n’acte à son bilan une réserve appropriée à concurrence de la plus-value constatée dans le cadre de l’apport, dans un cas tel que celui faisant l’objet de la présente procédure, est-elle contraire aux articles 2, 4 et 8, paragraphes 1 et 2, de la directive [90/434]?»

 Sur la question préjudicielle

21      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 2, 4 et 8, paragraphes 1 et 2, de la directive 90/434 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans une situation telle que celle en cause au principal, à ce qu’un apport d’actifs ou un échange d’actions donne lieu à l’imposition, en ce qui concerne la société apporteuse, de la plus-value résultant de cet apport, à moins que la société apporteuse n’acte à son bilan une réserve appropriée à concurrence de la plus-value constatée dans le cadre dudit apport.

22      Toutefois, il est constant que l’affaire au principal concerne exclusivement un apport d’actifs au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, et non pas un échange d’actions au sens dudit article 2, sous d). Dans ces conditions, il y a lieu de limiter cette question au cas d’un apport d’actifs.

23      En outre, s’agissant de ce cas de figure, il convient de constater qu’il résulte de l’article 9 de la directive 90/434 que l’article 8 de celle-ci ne fait pas partie des règles déclarées applicables aux apports d’actifs. Ce dernier article dispose que l’attribution, à l’occasion d’une fusion, d’une scission ou d’un échange d’actions, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à un associé de la société apporteuse ou acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé. L’inapplicabilité de cet article aux apports d’actifs s’explique par le fait que, dans le cas de tels apports, les titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire sont remis non pas aux associés de la société apporteuse, mais à cette société elle-même.

24      Partant, la question déférée doit être analysée au regard des articles 2, 4 et 9 de la directive 90/434.

25      S’agissant notamment de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, celui-ci, lu en combinaison avec l’article 9 de cette dernière, dispose que l’apport d’actifs n’entraîne aucune imposition des plus-values qui sont déterminées par différence entre la valeur réelle des éléments d’actif et de passif transférés et leur valeur fiscale. Cette disposition précise que la valeur fiscale est celle qui aurait été retenue pour le calcul d’un profit ou d’une perte entrant en compte pour l’assiette d’un impôt frappant le revenu, les bénéfices ou les plus-values de la société apporteuse si ces éléments d’actif et de passif avaient été vendus lors de l’apport d’actifs, mais indépendamment de celui-ci. Par éléments d’actif et de passif transférés, il convient de comprendre, dans le cadre d’un apport d’actifs, les branches de l’activité de la société apporteuse qui, par suite de l’apport, sont effectivement rattachés à l’établissement stable de la société bénéficiaire situé dans l’État membre de la société apporteuse ou deviennent cet établissement, et qui concourent à la formation des résultats pris en compte pour l’assiette des impôts.

26      Par cet impératif de neutralité fiscale à l’égard de la société bénéficiaire et de la société acquise, la directive 90/434 vise, ainsi qu’il ressort de ses premier et quatrième considérants, à garantir que des apports d’actifs intéressant des sociétés d’États membres différents ne soient pas entravés par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres, et ce afin de permettre aux entreprises de s’adapter aux exigences du marché commun, d’accroître leur productivité et de renforcer leur position concurrentielle sur le plan international (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C-28/95, Rec. p. I-4161, point 45; du 11 décembre 2008, A.T., C-285/07, Rec. p. I-9329, point 21, et du 20 mai 2010, Modehuis A. Zwijnenburg, C-352/08, Rec. p. I-4303, point 38).

27      Toutefois, cet impératif de neutralité fiscale n’est pas inconditionnel. En effet, selon l’article 4, paragraphe 2, de la directive 90/434, lu en combinaison avec l’article 9 de cette dernière, les États membres subordonnent l’application du paragraphe 1 dudit article 4 à la condition que la société bénéficiaire calcule les nouveaux amortissements et les plus-values ou moins-values afférentes aux éléments d’actif et de passif transférés dans les mêmes conditions qu’aurait pu le faire la société apporteuse si l’apport d’actifs n’avait pas eu lieu. L’article 4, paragraphe 3, de ladite directive précise que, dans le cas où, selon la législation de l’État membre de la société apporteuse, la société bénéficiaire est admise à calculer ces amortissements et ces plus-values ou moins-values dans des conditions différentes de celles prévues au paragraphe 2 de cet article 4, le paragraphe 1 de ce dernier ne s’applique pas aux éléments d’actif et de passif pour lesquels la société bénéficiaire a usé de cette faculté.

28      Ainsi que l’a relevé la Commission européenne, cette obligation, pour la société bénéficiaire, de préserver, si elle veut bénéficier de la neutralité fiscale, la continuité de l’évaluation des éléments d’actif et de passif transférés aux fins du calcul des nouveaux amortissements et des plus-values ou moins-values afférentes auxdits éléments, vise à prévenir que cette neutralité n’aboutisse à une exonération définitive, laquelle n’est cependant pas prévue par la directive 90/434. En effet, il résulte des quatrième et sixième considérants de cette directive que celle-ci n’établit qu’un régime de report de l’imposition des plus-values afférentes aux biens apportés, lequel, tout en évitant que l’apport d’activité ne donne lieu par lui-même à une imposition, sauvegarde les intérêts financiers de l’État de la société apporteuse en assurant l’imposition de ces plus-values au moment de leur réalisation effective (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2007, Kofoed, C-321/05, Rec. p. I-5795, point 32; A.T., précité, point 28, et Modehuis A. Zwijnenburg, précité, point 39).

29      Si la directive 90/434 définit ainsi les conditions auxquelles est soumis le report de l’imposition, en ce qui concerne la société bénéficiaire, des plus-values afférentes à l’activité apportée, elle ne fixe pas, en revanche, les conditions auxquelles est soumis le bénéfice, pour la société apporteuse, d’un report de l’imposition des plus-values afférentes aux titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire remis en échange de l’apport et ne règle pas, notamment, la question de savoir quelle est la valeur que la société apporteuse doit attribuer auxdits titres.

30      Or, contrairement à ce que semble considérer 3D I, il en résulte non pas que la directive 90/434 interdit aux États membres de poser de telles conditions, mais que cette directive laisse, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 42 et 49 de ses conclusions, à ceux-ci une marge de manœuvre leur permettant de subordonner ou non la neutralité fiscale dont bénéficie la société apporteuse à des conditions d’évaluation des titres reçus en échange, telles que la continuité des valeurs fiscales, pour autant que ces conditions n’ont pas pour conséquence que la remise de ces titres à l’occasion de l’apport d’actifs génère par elle-même une imposition des plus-values afférentes à ceux-ci.

31      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 43 de ses conclusions, cette constatation est confirmée par la genèse de la directive 90/434 ainsi que par le fait que, lors de sa dernière proposition de directive du Conseil modifiant la directive 90/434, du 17 octobre 2003 [COM(2003) 613 final], la Commission a, tout comme dans sa proposition de directive du Conseil concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions et apports d’actif intervenant entre sociétés d’États membres différents (JO 1969, C 39, p. 1), proposé d’insérer une disposition concernant la valeur à attribuer aux titres reçus en échange de l’apport d’activité. Par cette disposition, selon laquelle lesdits titres se seraient vu attribuer la valeur réelle que l’activité apportée avait immédiatement avant l’apport, la Commission visait à éviter la double imposition qui peut se produire, au moment de la réalisation des plus-values, dans l’hypothèse où la société bénéficiaire aurait évalué l’activité apportée en conformité avec la condition posée à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 90/434 et où la société apporteuse aurait attribué aux titres reçus la valeur qu’avait l’activité apportée immédiatement avant l’opération. Le législateur de l’Union n’a toutefois pas suivi cette proposition.

32      En ce qui concerne la situation en cause au principal, il ressort de la décision de renvoi et il a été relevé tant par le gouvernement italien que par la Commission que la législation nationale aurait permis à 3D I d’attribuer aux titres reçus en échange de l’apport la valeur qu’avait l’activité apportée avant l’opération et de bénéficier ainsi du report de l’imposition des plus-values afférentes à ces titres à une condition qui est, ainsi qu’il a été constaté aux points précédents du présent arrêt, en l’état actuel du droit de l’Union compatible avec celui-ci.

33      Dans ces conditions, ne saurait être considéré comme incompatible avec la directive 90/434 le fait que la législation nationale offre à la société apporteuse la possibilité additionnelle d’attribuer auxdits titres une valeur supérieure à celle qu’avait l’activité apportée avant l’opération, correspondant, notamment, à celle de la plus-value réalisée lors de l’apport, mais soumet cette possibilité à la condition que cette société acte à son bilan une réserve appropriée à concurrence de la plus-value ainsi constatée.

34      Le gouvernement italien et la Commission ont exposé, par ailleurs, que la condition en cause au principal répond simplement aux impératifs comptables qui découlent nécessairement de l’évaluation des participations et que l’imposition de ladite réserve en cas de distribution aux associés de la société apporteuse était nécessaire dans le cadre du système fiscal national en vigueur à la date des faits en cause au principal dans la mesure où ce système, qui accordait, avec cette distribution, un avoir fiscal à ces associés, aurait entraîné un préjudice immédiat pour le Trésor public italien et un bénéfice indu pour lesdits associés et, indirectement, pour la société apporteuse.

35      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 2, 4 et 9 de la directive 90/434 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, dans une situation telle que celle en cause au principal, à ce qu’un apport d’actifs donne lieu à l’imposition, en ce qui concerne la société apporteuse, de la plus-value résultant de cet apport, à moins que la société apporteuse n’acte à son bilan une réserve appropriée, à concurrence de la plus-value constatée dans le cadre dudit apport.

 Sur les dépens

36      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Les articles 2, 4 et 9 de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, dans une situation telle que celle en cause au principal, à ce qu’un apport d’actifs donne lieu à l’imposition, en ce qui concerne la société apporteuse, de la plus-value résultant de cet apport, à moins que la société apporteuse n’acte à son bilan une réserve appropriée, à concurrence de la plus-value constatée dans le cadre dudit apport.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.