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      ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

6 septembre 2012 (*)

«Liberté d’établissement — Article 49 TFUE — Législation fiscale — Impôt sur la fortune — Conditions d’octroi du bénéfice de la réduction d’impôt sur la fortune — Perte de la qualité d’assujetti à l’impôt sur la fortune à la suite du transfert du siège social dans un autre État membre — Restriction — Justification — Raisons impérieuses d’intérêt général»

Dans l’affaire C-380/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal administratif (Luxembourg), par décision du 13 juillet 2011, parvenue à la Cour le 18 juillet 2011, dans la procédure

DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C. SapA

contre

Administration des contributions en matière d’impôts,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, Mme A. Prechal, MM. K. Schiemann, L. Bay Larsen et Mme C. Toader (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 mars 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C. SapA, par Me J.-P. Winandy, avocat,

–        pour le gouvernement luxembourgeois, par M. C. Schiltz, en qualité d’agent, assisté de Me M. Adams, avocat,

–        pour la Commission européenne, par Mme C. Soulay et M. W. Roels, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C. SapA (ci-après «DIVI»), société de droit italien dont le siège statutaire est situé en Italie, à l’administration fiscale luxembourgeoise au sujet du retrait, en raison du transfert du siège de DA. DV. Family Holding Sàrl (ci-après «DADV») vers un État membre autre que le Grand-Duché de Luxembourg, de la réduction de l’impôt sur la fortune dont bénéficiait cette dernière.

 Le cadre juridique luxembourgeois

3        La loi du 16 octobre 1934 concernant l’impôt sur la fortune, telle que modifiée par la loi du 21 décembre 2001 portant réforme de certaines dispositions en matière d’impôts directs et indirects (Mémorial A 2001, 157, p. 3312, ci-après la «LIF»), régit l’impôt direct sur la fortune.

4        Il ressort de cette loi que les organismes à caractère collectif sont soumis à cet impôt direct.

5        Le paragraphe 8a de ladite loi ouvre la possibilité de bénéficier d’une réduction d’impôt sur la fortune et en régit les conditions d’octroi, pour les assujettis visés au paragraphe 1, premier alinéa, no 2, de la LIF, parmi lesquels figurent les organismes à caractère collectif.

6        Le paragraphe 8a de la LIF se lit comme suit:

«1.      Les contribuables visés au paragraphe 1, alinéa 1, numéro 2, qui s’engagent à inscrire, en affectation du bénéfice d’une année d’imposition déterminée, une réserve à leur bilan destinée à être maintenue pendant les 5 années d’imposition suivantes, bénéficient, sur demande à introduire avec la déclaration d’impôt sur le revenu, d’une réduction de l’impôt sur la fortune dû au titre de la même année d’imposition. Cette réduction s’élève à un cinquième de la réserve constituée, sans pour autant dépasser l’impôt sur le revenu des collectivités, majoré de la contribution au fonds pour l’emploi, dû avant d’éventuelles imputations au titre de la même année d’imposition. La réserve doit être constituée à l’occasion de l’affectation du résultat de l’exercice d’exploitation, mais au plus tard à la clôture de l’exercice d’exploitation suivant celui qui a donné droit à la réduction.

[…]

3.      En cas d’utilisation de la réserve avant l’expiration de la période quinquennale à des fins autres que l’incorporation au capital, le contribuable voit sa cote d’impôt sur la fortune augmenter pour l’année d’imposition en question à raison d’un cinquième du montant de la réserve utilisée.

[…]

En cas de fusion ou d’absorption, la société absorbante ou une quelconque société du groupe peut reconduire la réserve figurant au bilan de la société disparue afin de satisfaire à la condition de la période de détention quinquennale.»

7        La législation luxembourgeoise prévoit la possibilité, pour une société résidente, de transférer son siège social vers un autre État ainsi que les conséquences fiscales d’un tel transfert à l’article 172 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (Mémorial A 1967, 79, p. 1228, ci-après la «LIR») telle que modifiée, qui renvoie à l’article 169 de cette même loi.

8        L’article 172 de la LIR dispose:

«1.      Lorsqu’un organisme à caractère collectif résident transfère son siège statutaire et son administration centrale à l’étranger et cesse de ce fait d’être contribuable résident, les dispositions de l’article 169 sont applicables. La valeur estimée de réalisation de l’ensemble des éléments de l’actif et du passif du bilan au moment du transfert [est] à retenir au titre de produit net de liquidation.

[...]»

9        L’article 169 de la LIR prévoit:

«1.      Les organismes à caractère collectif dont la dissolution est survenue sont imposables sur le bénéfice net réalisé pendant leur liquidation.

[...]

5.      L’actif net investi, au moment de la dissolution, est celui de la clôture de l’exercice d’exploitation, précédant cette dissolution, tel qu’il a été admis pour les besoins du calcul de l’impôt sur le revenu des collectivités. Si l’imposition n’a pas eu lieu sur cette base, il est établi d’office par voie de taxation. L’actif net investi est à diminuer à concurrence du bénéfice de l’exercice précédent qui a été distribué après la clôture de l’exercice.

[...]»

 Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

10      DADV est une société constituée selon le droit luxembourgeois. Elle avait, jusqu’au 12 octobre 2006, son siège social au Luxembourg. À cette date, elle a transféré ce siège en Italie.

11      Au titre de l’année 2004, DADV a bénéficié d’une réduction de l’impôt sur la fortune de 50 965 euros, ce qui correspondait au montant de l’impôt sur la fortune dû par cette société en raison d’une base imposable de 10 193 000 euros. Le montant de la réserve non distribuable constituée, en vertu du paragraphe 8a, premier alinéa, de la LIF, en affectation du bénéfice de l’année d’imposition 2004, était de 254 825 euros.

12      Il ressort de la déclaration d’impôt établie par DADV pour l’exercice 2005, que celle-ci a indiqué une base imposable de 9 364 604 euros, ce qui générait un impôt sur la fortune d’un montant de 46 820 euros, en vue de l’exonération duquel elle a constitué une réserve non distribuable d’un montant de 234 100 euros.

13      Pour l’année 2006, DADV a déclaré une base imposable de 249 987 euros, donnant lieu à un impôt sur la fortune d’un montant de 1 245 euros.

14      Au cours du mois de décembre de l’année 2006, DIVI a absorbé par fusion DADV.

15      En tant que successeur de DADV, pour la période durant laquelle celle-ci a été contribuable au Luxembourg, DIVI a demandé, en vertu du paragraphe 8a de la LIF, la réduction de l’impôt sur la fortune dû par cette première société pour les exercices 2005 et 2006.

16      L’administration des contributions en matière d’impôts a refusé de faire droit à ces demandes, au motif que les conditions prévues à l’article 8a de la LIF n’étaient pas remplies.

17      Ainsi, le 15 juillet 2009, le bureau d’imposition a émis à l’égard de DADV un bulletin d’impôt pour chacune des années concernées. Dans le premier bulletin, relatif à l’exercice 2005, l’administration fiscale a estimé que la base imposable de cette société était, au 1er janvier 2005, de 9 364 000 euros et a, en conséquence, fixé le montant de l’impôt sur la fortune dû à 46 820 euros.

18      Dans le second bulletin, relatif à l’exercice 2006, cette administration a fixé la base imposable au 1er janvier 2006 à 9 131 000 euros et le montant de l’impôt sur la fortune dû à 45 655 euros.

19      Par ailleurs, dans ce dernier bulletin, le bureau d’imposition a jugé que DADV avait distribué prématurément la réserve constituée au sens du paragraphe 8a de la LIF en affectation du bénéfice de l’exercice 2004. Par conséquent, ce bureau a exigé de DADV le paiement d’une somme de 50 965 euros, équivalant à la réduction d’impôt sur la fortune dont cette société avait bénéficié au titre de l’exercice 2004.

20      Par une réclamation introduite le 9 octobre 2009, DIVI a demandé la réformation ou l’annulation de ces deux bulletins d’impôt, en faisant valoir qu’elle aurait dû bénéficier d’une réduction d’impôt en application du paragraphe 8a de la LIF, dans la mesure où elle avait constitué une réserve non distribuable telle que prévue par cette disposition.

21      L’administration des contributions en matière d’impôts n’ayant pas répondu à cette réclamation, DIVI a, le 15 octobre 2009, introduit un recours devant le tribunal administratif tendant à la réformation ou à l’annulation desdits bulletins d’impôt.

22      Devant cette juridiction, DIVI a soutenu que le bureau d’imposition avait fait une application erronée du paragraphe 8a de la LIF. Elle a fait valoir que DADV avait constitué dans son bilan une réserve spéciale pour l’impôt sur la fortune correspondant à cinq fois le montant de l’impôt dû pour les années 2004, 2005 et 2006. À la suite du transfert de son siège social en Italie, DADV aurait maintenu cette réserve au bilan. Après la fusion, la réserve aurait encore été maintenue parmi la réserve de fusion et se retrouverait dans les comptes sociaux de la société absorbante au 31 décembre 2008.

23      À cet égard, devant la juridiction de renvoi, l’administration des contributions en matière d’impôts a affirmé que la réduction d’impôt sollicitée avait été refusée, non pas en raison d’une distribution prématurée de la réserve au sens du troisième alinéa du paragraphe 8a de la LIF, mais au motif que le contribuable qui sollicite, au titre du paragraphe 8a de la LIF, une réduction de l’impôt sur la fortune doit être établi au Luxembourg au moment où il constitue ladite réserve et doit y demeurer pendant la durée du maintien de cette réserve, correspondant aux cinq années d’imposition suivantes. Or, en l’espèce, DADV n’aurait pas été assujettie à l’impôt sur la fortune pendant la totalité de la période quinquennale de détention de la réserve, tel que prescrit au premier alinéa du paragraphe 8a de la LIF.

24      Selon la juridiction de renvoi, les bulletins d’impôt en cause auraient été émis en raison du non-respect de l’exigence d’assujettissement à l’impôt sur la fortune luxembourgeois pendant toute la période prévue par le paragraphe 8a de la LIF.

25      Cependant, DIVI soutient que l’interprétation du paragraphe 8a de la LIF retenue par le bureau d’imposition est contraire au droit de l’Union, en l’occurrence à la liberté d’établissement.

26      La juridiction de renvoi relève que le paragraphe 8a de la LIF, et notamment la condition qui fait dépendre le bénéfice de la réduction de l’impôt sur la fortune du maintien de la réserve inscrite au bilan pendant les cinq années d’imposition suivantes, implique nécessairement qu’une société qui demande à bénéficier de cette réduction reste soumise à l’impôt sur la fortune pendant cette période. Ainsi, une telle disposition serait susceptible de rendre moins attrayant l’établissement des sociétés résidentes dans un État membre autre que le Grand-Duché de Luxembourg.

27      Dans ces conditions, le tribunal administratif a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition, telle que celle régie par le paragraphe 8a de la LIF qui subordonne, en son premier alinéa, l’octroi du bénéfice de la réduction d’impôt sur la fortune à la condition de rester assujetti à l’impôt sur la fortune luxembourgeois pendant les cinq années d’imposition subséquentes?»

 Sur la question préjudicielle

 Sur l’applicabilité des dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement

28      Dans l’affaire au principal, il est constant que DADV, qui est une société constituée au Luxembourg, a, par la suite, transféré son siège social du Luxembourg vers l’Italie. La juridiction de renvoi expose que, du fait de ce transfert, DADV a cessé de satisfaire à l’exigence d’assujettissement à l’impôt sur la fortune luxembourgeois durant toute la période visée au paragraphe 8a de la LIF, raison pour laquelle lui ont été notifiés les bulletins d’imposition en cause au principal.

29      Dans ces conditions, il convient d’observer que la réglementation en cause au principal se limite à attacher, pour les sociétés constituées en conformité avec le droit national, des conséquences fiscales à la situation dans laquelle ces sociétés se trouvent lorsqu’elles cessent d’être assujetties à l’impôt sur la fortune luxembourgeois, notamment à la suite d’un transfert de leur siège dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, Rec. p. I-12273, point 31).

30      Il s’ensuit que DADV, qui bénéficie, en tant que société constituée en conformité avec la législation d’un État membre et ayant son siège social au sein de l’Union européenne, conformément à l’article 54 TFUE, des dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement, peut se prévaloir des droits qu’elle tire de l’article 49 TFUE aux fins de mettre en cause la légalité de la privation, opérée en raison du transfert de son siège dans un autre État membre, d’un avantage fiscal auquel elle pouvait prétendre en raison de la période durant laquelle elle a eu son siège social au Luxembourg et se trouvait de ce fait soumise à l’impôt sur la fortune dans ledit État membre.

31      Il en résulte que les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement s’appliquent à une situation telle que celle en cause au principal.

 Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement

32      L’article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement. Même si, selon leur libellé, les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre de l’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation (arrêt National Grid Indus, précité, point 35 et jurisprudence citée).

33      Il est également de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (voir arrêts du 5 octobre 2004, CaixaBank France, C-442/02, Rec. p. I-8961, point 11; du 6 décembre 2007, Columbus Container Services, C-298/05, Rec. p. I-10451, point 34; du 23 octobre 2008, Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt, C-157/07, Rec. p. I-8061, point 30, et du 15 avril 2010, CIBA, C-96/08, Rec. p. I-2911, point 19).

34      Dans le litige au principal, il convient de constater qu’une société de droit luxembourgeois qui transfère son siège social en dehors du territoire luxembourgeois pendant la période de cinq années suivant l’année d’imposition au cours de laquelle une réduction de l’impôt sur la fortune, telle que celle en cause au principal, lui a été octroyée, est soumise à un traitement désavantageux par rapport à une société similaire qui maintient son siège social au Luxembourg.

35      En effet, en vertu de la réglementation nationale en cause au principal, le transfert, dans un État membre autre que le Grand-Duché de Luxembourg, du siège social d’une société de droit luxembourgeois au cours de ladite période entraîne le retrait immédiat du bénéfice de la réduction de l’impôt, alors qu’un tel retrait n’intervient pas lorsqu’une telle société maintient son siège à l’intérieur du territoire luxembourgeois. Le bénéfice de la réduction de l’impôt sur la fortune octroyée à une société maintenant son siège social à l’intérieur de l’État membre concerné n’est retiré que si la réserve prévue par le paragraphe 8a, troisième alinéa, de la LIF est utilisée, avant l’expiration de la période quinquennale, à des fins autres que l’incorporation au capital de la société.

36      Cette différence de traitement en ce qui concerne le régime du bénéfice de la réduction de l’impôt sur la fortune en cause au principal, qui est susceptible d’avoir des répercussions négatives sur le patrimoine des sociétés souhaitant transférer leur siège social hors du Luxembourg, est de nature à décourager les sociétés de droit luxembourgeois de procéder au transfert de leur siège dans un autre État membre pendant la période de cinq années suivant l’année d’imposition au cours de laquelle la réduction de l’impôt sur la fortune leur a été octroyée (voir, en ce sens, arrêts du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant, C-9/02, Rec. p. I-2409, point 46, du 7 septembre 2006, N, C-470/04, Rec. p. I-7409, point 35, et du 6 septembre 2012, Commission/Portugal, C-38/10, point 28).

37      Contrairement à ce que soutient le gouvernement luxembourgeois, la différence de traitement ainsi constatée ne s’explique pas par une différence de situation objective. En effet, à l’égard d’une réglementation d’un État membre visant à octroyer une réduction de l’impôt sur la fortune qui a été générée sur son territoire, la situation d’une société constituée selon la législation dudit État membre qui transfère son siège social dans un autre État membre est similaire à celle d’une société constituée également selon la législation du premier État membre et maintenant son siège social dans cet État membre, pour ce qui concerne la réduction de l’impôt sur la fortune qui a été générée dans le premier État membre antérieurement au transfert de siège social (voir, en ce sens, arrêts National Grid Indus, précité, point 38 et Commission/Portugal, précité, point 29).

38      Le gouvernement luxembourgeois a initialement soutenu que la perte du bénéfice du paragraphe 8a de la LIF, et notamment la perte rétroactive de la réduction de l’impôt sur la fortune pour DIVI, est une conséquence non pas du transfert du siège de DADV hors du territoire luxembourgeois, mais du non-respect des deux conditions prévues aux premier et troisième alinéas du paragraphe 8a de la LIF, qui exigent que la réserve soit maintenue au bilan de la société pendant les cinq années suivant sa constitution et qu’elle ne soit pas utilisée à d’autres fins.

39      Une telle argumentation ne saurait être accueillie. La perte du bénéfice de la réduction de l’impôt sur la fortune en cause au principal n’est pas la conséquence de l’utilisation de la réserve avant l’expiration de la période quinquennale à d’autres fins que celles prévues au troisième alinéa du paragraphe 8a de la LIF. En effet, il ressort du dossier transmis à la Cour que DADV et, ultérieurement, DIVI ont maintenu à leur bilan la réserve prévue au premier alinéa du paragraphe 8a de la LIF. Il s’ensuit, comme le gouvernement luxembourgeois l’a reconnu ultérieurement, que la perte de l’avantage prévu au paragraphe 8a de la LIF est la conséquence du fait que DADV n’a pas été soumise à l’impôt sur la fortune luxembourgeois pendant la période de cinq années suivant la constitution de la réserve prévue au premier alinéa du paragraphe 8a de la LIF. Si DADV avait maintenu son siège social à l’intérieur du territoire luxembourgeois, elle aurait continué à bénéficier de cet avantage fiscal.

40      Il s’ensuit que la différence de traitement à laquelle sont soumises, dans le cadre des dispositions nationales en cause au principal, les sociétés de droit luxembourgeois transférant leur siège social dans un autre État membre par rapport aux sociétés de droit luxembourgeois maintenant leur siège social à l’intérieur du territoire luxembourgeois constitue une restriction à la liberté d’établissement en principe interdite par les dispositions du traité FUE.

 Sur la justification de la restriction à la liberté d’établissement

41      Il résulte d’une jurisprudence constante qu’une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir arrêt National Grid Indus, précité, point 42 et jurisprudence citée).

42      Selon le gouvernement luxembourgeois, la restriction à la liberté d’établissement serait justifiée par l’objectif consistant à assurer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, conformément au principe de territorialité.

43      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres est un objectif légitime reconnu par la Cour (arrêt National Grid Indus, précité, point 45 et jurisprudence citée).

44      Dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la restriction à la liberté d’établissement constatée ne saurait cependant être justifiée par l’exigence de répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.

45      Il suffit, à cet égard, de relever, à l’instar de la Commission européenne, que le fait de retirer à une société la réduction de l’impôt sur la fortune dont elle bénéficiait et le fait d’exiger le paiement immédiat au moment du transfert du siège social de cette société dans un État membre autre que le Grand-Duché de Luxembourg ne garantissent pas le pouvoir d’imposition de ce dernier État membre ni la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres concernés. En effet, la nature même du mécanisme du retrait d’un avantage suppose que l’État membre avait, au préalable, accepté d’accorder cet avantage et, par conséquent, de réduire l’impôt sur la fortune des contribuables résidents si les conditions prévues au paragraphe 8a de la LIF étaient remplies.

46      La restriction en cause au principal ne saurait davantage être justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal national, dont la Cour a reconnu qu’elle constitue une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann, C-204/90, Rec. p. I-249, point 28, et Commission/Belgique, C-300/90, Rec. p. I-305, point 21).

47      En effet, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir arrêt du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347/04, Rec. p. I-2647, point 62 et jurisprudence citée). Un tel lien direct fait défaut, lorsqu’il s’agit, notamment, d’impositions distinctes ou du traitement fiscal des contribuables différents (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2003, Bosal, C-168/01, Rec. p. I-9409, point 30, et du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie, C-253/09, Rec. p. I-12391, point 77).

48      Or, il ressort de l’examen de la réglementation nationale en cause au principal qu’il n’existe pas de lien direct entre, d’une part, l’octroi d’une réduction de l’impôt sur la fortune à une société qui remplit les conditions prévues au paragraphe 8a, premier alinéa, de la LIF et, d’autre part, les objectifs poursuivis par cette réglementation, notamment le fait de compenser ledit avantage fiscal par des recettes supplémentaires en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial sur le bénéfice d’exploitation pendant les années du maintien de la réserve prévue au paragraphe 8a, premier alinéa, de la LIF.

49      Il s’ensuit, ainsi que le souligne la Commission, que le caractère éloigné et aléatoire de telles impositions ultérieures ne saurait justifier l’entrave à la liberté d’établissement qu’induit ledit paragraphe de la LIF.

50      Quant à l’objectif principal poursuivi par le régime fiscal prévu au paragraphe 8a de la LIF, tel que formulé dans les travaux préparatoires à l’adoption de celui-ci, à savoir le souci de majorer les recettes fiscales nationales, il suffit de rappeler que, conformément à une jurisprudence bien établie, la recherche de recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale (voir arrêts du 16 juillet 1998, ICI, C-264/96, Rec. p. I-4695, point 28, ainsi que du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a., C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 59).

51      Il ressort de l’analyse qui précède qu’une disposition nationale telle que celle en cause au principal ne saurait être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

52      En conséquence, il convient de répondre à la question posée que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, il s’oppose à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle l’octroi d’une réduction de l’impôt sur la fortune est subordonné à la condition de rester assujetti à cet impôt pendant les cinq années d’imposition suivantes.

 Sur les dépens

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, il s’oppose à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle l’octroi d’une réduction de l’impôt sur la fortune est subordonné à la condition de rester assujetti à cet impôt pendant les cinq années d’imposition suivantes.

Signatures


* Langue de procédure: le français.