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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

18 avril 2013 (*)

«Restitution de taxes perçues par un État membre en violation du droit de l’Union – Régime national limitant les intérêts à payer par ledit État sur la taxe remboursée – Intérêts calculés à partir du jour suivant la date de la demande de restitution de la taxe – Non-conformité avec le droit de l’Union – Principe d’effectivité»

Dans l’affaire C-565/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Sibiu (Roumanie), par décision du 14 juillet 2011, parvenue à la Cour le 10 novembre 2011, dans la procédure

Mariana Irimie

contre

Administraţia Finanţelor Publice Sibiu,

Administraţia Fondului pentru Mediu,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, MM. E. Jarašiūnas, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader et M. C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 octobre 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Irimie, par Me D. Târşia, avocat,

–        pour le gouvernement roumain, par M. R. H. Radu ainsi que par Mmes R. M. Giurescu et A. Voicu, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. J.-P. Keppenne ainsi que par Mmes L. Bouyon et C. Barslev, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 décembre 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du droit de l’Union en relation avec un régime national qui limite les intérêts octroyés lors de la restitution d’une taxe perçue en violation du droit de l’Union à ceux courant à partir du jour suivant la date de la demande de restitution de cette taxe.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Irimie, ressortissante roumaine, à l’Administraţia Finanţelor Publice Sibiu (administration des finances publiques de Sibiu) et à l’Administraţia Fondului pentru Mediu (administration du fonds pour l’environnement) au sujet du paiement des intérêts lors de la restitution d’une taxe perçue en violation du droit de l’Union.

 Le droit roumain

 L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 50/2008

3        Dans l’ordre juridique roumain, au moment des faits à l’origine du litige au principal, la taxe sur la pollution pour les véhicules automobiles était régie par l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 50/2008 établissant la taxe sur la pollution des véhicules automobiles (Ordonanţă de Urgenţă a Guvernului nr. 50/2008 pentru instituirea taxei pe poluare pentru autovehicule), du 21 avril 2008 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 327 du 25 avril 2008, ci-après l’«OUG no 50/2008»).

 L’ordonnance du gouvernement no 92/2003

4        La procédure fiscale est instaurée par l’ordonnance du gouvernement no 92 sur le code de procédure fiscale (Ordonanţa Guvernului nr. 92 privind Codul de procedură fiscală), du 24 décembre 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 941 du 29 décembre 2003), telle que modifiée (ci-après l’«OG no 92/2003»).

5        L’article 70 de l’OG no 92/2003, intitulé «Délai de règlement des demandes des contribuables», prévoit:

«(1) L’autorité fiscale doit se prononcer sur les demandes introduites par le contribuable conformément au présent code dans un délai de 45 jours à compter de l’enregistrement de la demande.

(2) Si des informations supplémentaires sont nécessaires à cette fin, ce délai est prolongé de la période comprise entre la date de la demande d’informations et celle où ces dernières sont reçues.»

6        L’article 124 de l’OG no 92/2003, intitulé «Taux d’intérêt des sommes restituées ou remboursées au moyen de fonds publics», dispose à son paragraphe 1:

«Les contribuables ont le droit de percevoir, sur les sommes devant être restituées ou remboursées au moyen de fonds publics, des intérêts à compter du jour suivant l’expiration du délai prévu à [...] l’article 70, [...] jusqu’à la date d’extinction de la créance selon l’une des modalités prévues par la loi. Les intérêts sont versés à la demande des contribuables.»

 La loi du contentieux administratif no 554/2004

7        Le contentieux administratif en droit roumain est régi par la loi du contentieux administratif no 554 (Legea contenciosului administrativ nr. 554), du 2 décembre 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 1154 du 7 décembre 2004), telle que modifiée (ci-après la «loi no 554/2004»).

8        L’article 1er de la loi no 554/2004, intitulé «Motifs de saisine de la juridiction», prévoit à son paragraphe 1:

«Toute personne qui s’estime lésée par une autorité publique dans l’un de ses droits ou intérêts légitimes, par un acte administratif ou par l’absence de traitement d’une demande dans le délai prévu par la loi, peut s’adresser à la juridiction de contentieux administratif compétente pour obtenir l’annulation de l’acte, la reconnaissance du droit invoqué ou de l’intérêt légitime, et la réparation du dommage subi. [...]»

9        L’article 8 de la loi no 554/2004, intitulé «Objet du recours», dispose à son paragraphe 1:

«La personne lésée dans un droit reconnu par la loi ou dans un intérêt légitime par un acte administratif unilatéral, qui est insatisfaite de la réponse reçue à sa réclamation préalable adressée à l’autorité publique émettrice de l’acte, ou qui n’a pas reçu de réponse dans le délai [...], peut saisir la juridiction de contentieux administratif compétente d’un recours visant l’annulation, en tout ou en partie, de l’acte, la réparation du dommage subi et, le cas échéant, la réparation du préjudice moral. Peut également saisir la juridiction de contentieux administratif quiconque s’estime lésé dans l’un de ses droits reconnus par la loi en raison du traitement tardif ou du refus injustifié de traitement de sa demande [...]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10      En 2007, Mme Irimie a acheté un véhicule automobile immatriculé en Allemagne. Afin de l’immatriculer en Roumanie, elle s’est acquittée, conformément à la décision du 4 juillet 2008 de l’Administraţia Finanţelor Publice Sibiu, de la taxe sur la pollution, prévue par l’OUG no 50/2008, d’un montant de 6 707 RON.

11      Le 31 août 2009, Mme Irimie a engagé une procédure auprès du Tribunalul Sibiu (tribunal de grande instance de Sibiu) afin d’obtenir la condamnation de l’Administraţia Finanţelor Publice Sibiu et de l’Administraţia Fondului pentru Mediu, d’une part, à lui restituer la somme versée au titre de la taxe sur la pollution et, d’autre part, à lui payer les intérêts sur cette somme à partir de la date du paiement de celle-ci.

12      La juridiction de renvoi constate que le volet du litige concernant la demande de restitution de la somme payée au titre de la taxe sur la pollution ne soulève pas de problèmes majeurs, compte tenu de l’arrêt de la Cour du 7 avril 2011, Tatu (C-402/09, Rec. p. I-2711) ainsi que de la jurisprudence ultérieure confirmant cet arrêt.

13      S’agissant, en revanche, de la demande de paiement d’intérêts afférents au montant de la taxe sur la pollution, calculés à compter de la date de paiement de celle-ci, la juridiction de renvoi souligne qu’il ne lui est pas possible d’y faire droit en raison des dispositions combinées des articles 70 et 124 de l’OG no 92/2003. En effet, comme précisé par ladite juridiction dans sa réponse à la demande d’éclaircissements de la Cour, il ressort de la jurisprudence nationale, constante et non équivoque, que, en application desdits articles, les intérêts sur les sommes devant être restituées à partir des fonds publics ne sont octroyés qu’à partir du jour suivant la date de la demande de restitution.

14      La juridiction de renvoi doute cependant de la conformité d’une telle règle avec le droit de l’Union, notamment avec les principes d’équivalence, d’effectivité et de proportionnalité, ainsi qu’avec le droit de propriété consacré à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 6 TUE.

15      Dans ces conditions, le Tribunalul Sibiu a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«[Les principes] d’équivalence, d’effectivité et de proportionnalité des actions en réparation des violations du droit [de l’Union] subies par des particuliers du fait de l’application d’une législation non conforme au droit [de l’Union], [principes] découlant de la jurisprudence de la Cour [...] en liaison avec le droit de propriété institué par l’article 6 [TUE] et par l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, [peuvent-ils] être [interprétés] en ce sens qu’[ils s’opposent] à des dispositions de droit interne qui limitent le montant du préjudice pouvant être obtenu par le particulier dont le droit a été violé?»

 Sur la question préjudicielle

16      Il ressort de la décision de renvoi que la question posée vise, en substance, à savoir si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national, tel que celui en cause au principal, qui limite les intérêts octroyés lors de la restitution d’une taxe perçue en violation du droit de l’Union à ceux courant à partir du jour suivant la date de la demande de restitution de cette taxe.

17      Mme Irimie et la Commission européenne considèrent que cette question appelle une réponse affirmative, tandis que les gouvernements roumain, espagnol et portugais font valoir que le droit de l’Union ne s’oppose pas à un régime tel que celui en cause au principal.

18      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà eu l’occasion de constater que le droit de l’Union s’oppose à une taxe comme celle instituée par l’OUG no 50/2008 dans la version applicable aux faits au principal, qui a pour effet de dissuader l’importation et la mise en circulation en Roumanie de véhicules d’occasion achetés dans d’autres États membres (arrêt Tatu, précité, points 58 et 61).

19      Il y a lieu de relever, à l’instar de M. l’avocat général au point 19 de ses conclusions, qu’il n’appartient pas à la Cour de qualifier juridiquement le recours introduit par la requérante au principal. En l’occurrence, il incombe à celle-ci de préciser la nature et le fondement de son action, sous le contrôle de la juridiction de renvoi (voir, par analogie, arrêt du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, C-524/04, Rec. p. I-2107, point 109 et jurisprudence citée).

20      Il ressort d’une jurisprudence constante que le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union prohibant de telles taxes. L’État membre est donc tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union (arrêts du 6 septembre 2011, Lady & Kid e.a., C-398/09, Rec. p. I-7375, point 17, ainsi que du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a., C-591/10, point 24).

21      Il convient de rappeler, en outre, que, lorsqu’un État membre a prélevé des taxes en violation des règles du droit de l’Union, les justiciables ont droit au remboursement non seulement de l’impôt indûment perçu, mais également des montants payés à cet État ou retenus par celui-ci en rapport direct avec cet impôt. Cela comprend également les pertes constituées par l’indisponibilité de sommes d’argent à la suite de l’exigibilité prématurée de l’impôt (voir arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a., C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, points 87 à 89; du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446/04, Rec. p. I-11753, point 205; Littlewoods Retail e.a., précité, point 25, ainsi que du 27 septembre 2012, Zuckerfabrik Jülich e.a., C-113/10, C-147/10 et C-234/10, point 65).

22      Il s’ensuit que le principe de l’obligation faite aux États membres de restituer avec des intérêts les montants des taxes prélevées en violation du droit de l’Union découle de ce dernier droit (arrêts précités Littlewoods Retail e.a., point 26, ainsi que Zuckerfabrik Jülich e.a., point 66).

23      À cet égard, la Cour a déjà jugé que, en l’absence de législation de l’Union, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles de tels intérêts doivent être versés, notamment le taux et le mode de calcul de ces intérêts. Ces conditions doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des réclamations semblables fondées sur des dispositions de droit interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Littlewoods Retail e.a., précité, points 27 et 28 ainsi que jurisprudence citée).

24      S’agissant du principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité à celui-ci du régime en cause au principal.

25      En effet, il paraît ressortir du dossier dont dispose la Cour que le régime en cause au principal, n’octroyant les intérêts qu’à partir du jour suivant la date de la demande de restitution de la taxe indûment perçue, s’applique à toutes les sommes devant être restituées au moyen de fonds publics, tant celles perçues en violation du droit de l’Union que celles perçues à l’encontre du droit national, ce qu’il appartient, toutefois, à la juridiction de renvoi de vérifier.

26      En ce qui concerne le principe d’effectivité, celui-ci exige, dans une situation de restitution d’une taxe perçue par un État membre en violation du droit de l’Union, que les règles nationales relatives notamment au calcul des intérêts éventuellement dus n’aboutissent pas à priver l’assujetti d’une indemnisation adéquate de la perte occasionnée par le paiement indu de la taxe (voir arrêt Littlewoods Retail e.a., précité, point 29).

27      En l’occurrence, force est de constater qu’un régime tel que celui en cause au principal, limitant les intérêts à ceux courant à partir du jour suivant la date de la demande de restitution de la taxe indûment perçue, ne répond pas à cette exigence.

28      En effet, cette perte dépend notamment de la durée de l’indisponibilité de la somme indûment payée en violation du droit de l’Union et survient ainsi, en principe, dans la période entre la date du paiement indu de la taxe en cause et la date de restitution de celle-ci.

29      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national, tel que celui en cause au principal, qui limite les intérêts octroyés lors de la restitution d’une taxe perçue en violation du droit de l’Union à ceux courant à partir du jour suivant la date de la demande de restitution de cette taxe.

 Sur les dépens

30      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national, tel que celui en cause au principal, qui limite les intérêts octroyés lors de la restitution d’une taxe perçue en violation du droit de l’Union à ceux courant à partir du jour suivant la date de la demande de restitution de cette taxe.

Signatures


* Langue de procédure: le roumain.