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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

18 juillet 2013 (*)

«Directive 2006/112/CE – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Livraison de biens – Notion – Droit à déduction – Refus – Réalisation effective d’une opération imposable – Règlement (CE) no 1760/2000 – Système d’identification et d’enregistrement des bovins – Marques auriculaires»

Dans l’affaire C-78/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (Bulgarie), par décision du 6 février 2012, parvenue à la Cour le 14 février 2012, dans la procédure

«Evita-K» EOOD

contre

Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. G. Arestis, J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev et J. L. da Cruz Vilaça, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour «Evita-K» EOOD, par Mme A. Kashkina,

–        pour le Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, par M. A. Georgiev, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement bulgare, par M. Y. Atanasov, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. D. Roussanov, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 14, paragraphe 1, 178, sous a), 185, paragraphe 1, 226, point 6, et 242 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant «Evita-K» EOOD (ci-après «Evita-K») au Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite (directeur de la direction «Recours et gestion de l’exécution», pour la ville de Sofia, près l’administration centrale de l’agence nationale des recettes publiques, ci-après le «Direktor») au sujet du refus du droit à déduction, sous la forme d’un crédit d’impôt, de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») relative à des factures portant sur des livraisons de veaux destinés à l’abattage.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2006/112

3        L’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2006/112 prévoit que les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA.

4        Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive:

«Est considéré comme ‘livraison de biens’, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»

5        L’article 168 de ladite directive dispose:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;

[...]»

6        L’article 178 de la même directive énonce:

«Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240;

[...]»

7        Selon l’article 184 de la directive 2006/112, la déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer.

8        L’article 185 de cette directive est libellé comme suit:

«1.      La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation.»

9        En vertu de l’article 186 de ladite directive, les États membres déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185 de celle-ci.

10      L’article 220 de la même directive prévoit:

«Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants:

1)      pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie;

[...]»

11      Aux termes de l’article 226 de la directive 2006/112:

«Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221:

[...]

6)      la quantité et la nature des biens livrés ou l’étendue et la nature des services rendus;

[...]»

12      L’article 242 de cette directive dispose:

«Tout assujetti doit tenir une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale.»

13      L’article 273 de ladite directive énonce:

«Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3.»

 Le règlement (CE) no 1760/2000

14      Le considérant 12 du règlement (CE) no 1760/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juillet 2000, établissant un système d’identification et d’enregistrement des bovins et concernant l’étiquetage de la viande bovine des produits à base de viande bovine, et abrogeant le règlement (CE) no 820/97 du Conseil (JO L 204, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1791/2006 du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 1, ci-après le règlement no 1760/2000), énonce:

«Les règles actuelles concernant l’identification et l’enregistrement de bovins ont été fixées par la directive 92/102/CEE du Conseil du 27 novembre 1992 concernant l’identification et l’enregistrement des animaux [(JO L 355, p. 32)] et par le règlement (CE) no 820/97 [du Conseil, du 21 avril 1997, établissant un système d’identification et d’enregistrement des bovins et relatif à l’étiquetage de la viande bovine et des produits à base de viande bovine (JO L 117, p. 1)]. L’expérience a montré que la mise en œuvre de la directive 92/102/CEE pour les bovins n’a pas été totalement satisfaisante et doit encore être améliorée. Il est, par conséquent, nécessaire d’adopter un règlement spécifique pour les bovins afin de renforcer les dispositions de ladite directive.»

15      L’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1760/2000 prévoit que chaque État membre établit un système d’identification et d’enregistrement des bovins conformément aux dispositions du titre I de celui-ci.

16      Aux termes de l’article 3, premier alinéa, dudit règlement:

«Le système d’identification et d’enregistrement des bovins comprend les éléments suivants:

a)      des marques auriculaires pour l’identification individuelle des animaux;

b)      des bases de données informatisées;

c)      des passeports pour les animaux;

d)      des registres individuels tenus dans chaque exploitation.»

17      L’article 4 du même règlement dispose:

«1.      Tous les animaux d’une exploitation nés après le 31 décembre 1997 ou destinés après cette date aux échanges intracommunautaires sont identifiés par une marque approuvée par l’autorité compétente, apposée à chaque oreille. [...] Tous les animaux d’une exploitation située en Bulgarie ou en Roumanie nés au plus tard à la date d’adhésion ou destinés après cette date aux échanges intracommunautaires sont identifiés par une marque approuvée par l’autorité compétente, apposée à chaque oreille. Les deux marques auriculaires portent le même code d’identification unique, qui permet d’identifier chaque animal individuellement, ainsi que l’exploitation où il est né. [...]

[...]

2.      La marque auriculaire est apposée dans un délai fixé par l’État membre à partir de la naissance de l’animal et en tout cas avant que l’animal ne quitte l’exploitation où il est né. [...]

[...]»

 Le règlement (CE) no 1725/2003

18      Le règlement (CE) no 1725/2003 de la Commission, du 29 septembre 2003, portant adoption de certaines normes comptables internationales conformément au règlement (CE) no 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil (JO L 261, p. 1), a adopté la norme comptable internationale IAS 41 «Agriculture» (ci-après la «norme IAS 41»), telle que figurant à l’annexe de ce règlement.

19      L’objectif de cette norme est de prescrire le traitement comptable, la présentation des états financiers et les informations à fournir en ce qui concerne l’activité agricole.

20      Les points 10 et 11 de la norme IAS 41 sont libellés comme suit:

«10.      Une entreprise doit comptabiliser un actif biologique ou une production agricole si et seulement si:

a)      l’entreprise contrôle l’actif du fait d'événements passés;

b)      il est probable que les avantages économiques futurs associés à cet actif iront à l’entreprise; et

c)      la juste valeur ou le coût de cet actif peut être évalué de façon fiable.

11.      Dans l’activité agricole, le contrôle peut être mis en évidence, par exemple, par la propriété juridique du bétail et le tatouage ou autre marquage du bétail au moment de l’achat, de la naissance ou du sevrage. Les avantages futurs sont normalement évalués en mesurant les attributs physiques significatifs.»

 Le droit bulgare

21      L’article 70, paragraphe 5, de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Zakon za danak varhu dobavenata stoynost), dans sa version applicable au litige au principal (DV no 63, du 4 août 2006, ci-après le «ZDDS»), prévoit qu’il n’existe pas de droit à déduction de la TVA acquittée en amont lorsque celle-ci a été facturée illégalement.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

22      Evita-K est une société de droit bulgare dont l’activité économique principale est le commerce d’animaux.

23      Cette société a déclaré neuf factures portant sur des livraisons de veaux destinés à l’abattage, émises au cours des mois de septembre et d’octobre 2007 par «Ekspertis-7» EOOD (ci-après «Ekspertis-7»), en vue d’obtenir la déduction, sous la forme de crédit d’impôt, de la TVA relative à ces factures.

24      Par ailleurs, Evita-K a déclaré avoir exporté, au cours de ces mêmes mois, des veaux vivants vers l’Albanie, en justifiant l’achat de ceux-ci par lesdites factures et en produisant des déclarations en douane, des certificats vétérinaires indiquant les marques auriculaires des animaux ainsi que des attestations de vétérinaires destinées au transport des animaux sur le territoire national.

25      Pour justifier l’acquisition des animaux en question, Evita-K a, outre les neuf factures émises par Ekspertis-7, produit des certificats de poids, des relevés bancaires relatifs au paiement de ces factures et le contrat portant sur la livraison de veaux conclu avec Ekspertis-7.

26      Evita-K a fait l’objet d’un contrôle fiscal portant sur les mois de septembre et d’octobre 2007. À cette occasion, les autorités fiscales bulgares ont demandé à Ekspertis-7 de fournir des éléments d’information concernant les livraisons qu’elle a facturées à Evita-K.

27      Les réponses apportées par Ekspertis-7 ayant, selon ces autorités, fait apparaître certaines lacunes dans sa comptabilité et son accomplissement des formalités vétérinaires relatives, notamment, aux titres de propriété sur les animaux et aux marques auriculaires de ceux-ci, lesdites autorités ont considéré que la réalisation effective desdites livraisons n’était pas établie et que, par conséquent, Evita-K n’était pas fondée à faire valoir un droit à déduction de la TVA relative à ces livraisons.

28      Ainsi, les autorités fiscales bulgares ont, par une décision de redressement fiscal du 26 novembre 2009, refusé à Evita-K le droit de déduire, sous la forme d’un crédit d’impôt, la TVA relative aux factures émises par Ekspertis-7.

29      Evita-K a formé un recours administratif contre cette décision de refus de déduction devant le Direktor, qui, par une décision du 29 avril 2010, l’a confirmée.

30      Evita-K a alors introduit un recours à l’encontre de la décision de redressement fiscal du 26 novembre 2009 devant la juridiction de renvoi. Devant cette dernière, elle a notamment soutenu que les éléments qu’elle a communiqués suffisaient à prouver la réalité des livraisons facturées par Ekspertis-7, que, quelles que soient les éventuelles irrégularités commises par cette dernière, elle devait être considérée comme un acquéreur de bonne foi en vertu du droit bulgare et que la question du droit à déduction de la TVA était indépendante de celle de la propriété et de l’origine des biens acquis.

31      C’est dans ces conditions que l’Administrativen sad Sofia-grad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La notion de ‘livraisons de biens’ au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive [2006/112], lu en combinaison avec l’article 345 [TFUE], doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle autorise, dans les circonstances du litige au principal, que le bénéficiaire d’une livraison acquière le droit à disposer de biens (biens meubles uniquement désignés par leur genre) à travers l’acquisition de la propriété sur ces biens au moyen d’une possession de bonne foi de ces biens reçue à titre onéreux d’un non-propriétaire, situation licite selon le droit national de l’État membre, compte tenu également du fait que, d’après ce droit, le droit de propriété sur les biens est transféré par leur remise?

2)      La preuve de la réalisation d’une ‘livraison de biens’ au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112 par une facture concrète, en lien avec l’exercice – conformément à l’article 178, sous a), de [cette] directive – du droit à déduction de l’impôt effectivement payé et indiqué sur cette facture, suppose-t-elle que le bénéficiaire de la livraison apporte la preuve du droit de propriété du fournisseur, lorsque la livraison portait sur des biens meubles désignés par leur genre et que, d’après le droit national de l’État membre, le droit de propriété sur ces biens est transféré par leur remise, compte tenu du fait que ce droit national permet également l’acquisition du droit de propriété sur ces biens depuis un non-propriétaire à travers une possession acquise de bonne foi à titre onéreux?

Aux fins de la déduction de l’impôt au sens de la directive [2006/112], une ‘livraison de biens’ doit-elle être considérée comme prouvée, dans les circonstances du litige au principal, lorsque le bénéficiaire a réalisé une livraison subséquente des mêmes biens (des animaux soumis à identification) au moyen d’une exportation avec déclaration en douane et qu’il n’existe aucune preuve de droits de tiers sur lesdits biens?

3)      Aux fins de la preuve de la réalisation d’une ‘livraison de biens’ au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112 par une facture concrète, en lien avec l’exercice – conformément à l’article 178, sous a), de [cette] directive – du droit à déduction de l’impôt effectivement payé et indiqué sur cette facture, faut-il considérer que le fournisseur et le bénéficiaire, qui n’exercent pas d’activité agricole, sont de mauvaise foi lorsque, à la réception des biens, il n’a été produit aucun document du propriétaire précédent mentionnant les marques auriculaires des animaux conformément aux exigences des dispositions de l’Union européenne [en matière de réglementation vétérinaire], lorsque les marques auriculaires des animaux ne sont pas mentionnées sur le certificat vétérinaire qui a été émis par une administration et qui accompagne les animaux lors de leur transport aux fins de ladite livraison concrète?

Lorsque le fournisseur et le bénéficiaire ont dressé de manière indépendante des listes des marques auriculaires des animaux qui leur ont été livrés, faut-il considérer qu’ils ont rempli les exigences des dispositions précitées de l’Union [en matière de réglementation vétérinaire], dans le cas où l’administration n’a pas indiqué les marques auriculaires dans le certificat vétérinaire qui accompagne les animaux lors de leur livraison?

4)      Le fournisseur et le bénéficiaire du litige au principal, qui ne sont pas des producteurs agricoles, sont-ils tenus, en vertu de l’article 242 de la directive 2006/112, d’inscrire l’objet de la livraison (animaux soumis à identification ou ‘actifs biologiques’) dans leur comptabilité conformément à la norme [IAS 41] et de prouver le contrôle des actifs conformément à cette norme?

5)      L’article 226, point 6, de la directive 2006/112 impose-t-il de mentionner également, dans des factures fiscales telles que celles en cause dans le litige au principal, les marques auriculaires des animaux qui sont soumis à identification en vertu des dispositions vétérinaires du droit de l’Union, alors que le droit national de l’État membre ne prévoit pas expressément une telle obligation et que les parties à la livraison ne sont pas des producteurs agricoles?

6)      L’article 185, paragraphe 1, de la directive 2006/112 permet-il de régulariser, sur le fondement d’une disposition nationale telle que celle en cause au principal, la déduction de l’impôt en raison du constat selon lequel le droit de propriété du fournisseur des biens livrés n’a pas été prouvé, lorsque la livraison n’a été annulée par aucune des parties, lorsque le bénéficiaire a réalisé une livraison subséquente des mêmes biens, lorsqu’il n’existe aucune preuve de droits revendiqués par des tiers sur les biens (animaux soumis à identification), lorsque aucune mauvaise foi du bénéficiaire de la livraison n’est alléguée et lorsque, en droit national, le droit de propriété sur de tels biens uniquement déterminés par leur genre est transféré par la remise de ces biens?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première à troisième questions

32      Par ses première à troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la directive 2006/112 doivent être interprétées en ce sens que, dans le contexte de l’exercice du droit à déduction de la TVA, la notion de «livraison de biens» et la preuve de la réalisation effective d’une telle livraison exigent qu’un droit de propriété du fournisseur des biens concernés sur ceux-ci soit établi de manière formelle ou si l’acquisition d’un droit de propriété sur ces biens par une possession de bonne foi est suffisante à cet égard.

33      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de «livraison de biens» visée à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112 ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais elle inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien (voir arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320/88, Rec. p. I-285, point 7; du 14 juillet 2005, British American Tobacco et Newman Shipping, C-435/03, Rec. p. I-7077, point 35, ainsi que du 3 juin 2010, De Fruytier, C-237/09, Rec. p. I-4985, point 24).

34      Dans ce contexte, il appartient au juge national de déterminer, au cas par cas, en fonction des faits de l’espèce, s’il y a transfert du pouvoir de disposer du bien concerné comme un propriétaire (voir arrêt Shipping and Forwarding Enterprise Safe, précité, point 13).

35      Il en résulte qu’une opération peut être qualifiée de «livraison de biens», au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112, dès lors que, par cette opération, un assujetti procède au transfert d’un bien corporel habilitant l’autre partie à disposer en fait de ce bien comme si elle en était le propriétaire, sans que la forme par laquelle un droit de propriété sur ledit bien a été acquis ait une incidence à cet égard.

36      De même, la preuve de la réalisation effective d’une telle livraison de biens, à laquelle l’existence d’un droit à déduction est subordonnée, ne saurait dépendre du mode d’acquisition du droit de propriété sur les biens concernés.

37      Par ailleurs, dans la mesure où il ressort de la décision de renvoi que les autorités fiscales bulgares ont refusé à Evita-K le droit de déduire la TVA relative aux livraisons de biens en cause au principal au motif que la réalisation effective de ces dernières n’était pas établie et où cette absence de réalisation est contestée par Evita-K, il convient de rappeler que, d’une part, il incombe à celui qui demande la déduction de la TVA d’établir qu’il répond aux conditions prévues pour en bénéficier (voir arrêt du 26 septembre 1996, Enkler, C-230/94, Rec. p. I-4517, point 24) et que, d’autre part, il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, conformément aux règles nationales relatives à l’administration de la preuve, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait du litige au principal afin de déterminer si Evita-K peut exercer un droit à déduction sur le fondement desdites livraisons de biens (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2012, Mecsek-Gabona, C-273/11, point 53; du 6 décembre 2012, Bonik, C-285/11, point 32, et du 31 janvier 2013, LVK – 56, C-643/11, point 57).

38      Dans le cadre de cette appréciation globale, ladite juridiction peut prendre en considération des éléments relatifs à des opérations antérieures ou postérieures à celles en cause au principal ainsi que des documents liés à celles-ci, tels que des certificats ou des attestations émis à l’occasion du transport ou de l’exportation des animaux concernés.

39      Dans ce contexte, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (voir arrêts du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, Rec. p. I-6161, point 55; du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, point 42; Bonik, précité, point 37, ainsi que LVK – 56, précité, point 59).

40      Tel est le cas lorsqu’une fraude fiscale est commise par l’assujetti lui-même ou lorsque celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA (voir arrêt Bonik, précité, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

41      En revanche, il n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par la directive 2006/112 de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne des livraisons, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA (voir arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, points 52 et 55; Kittel et Recolta Recycling, précité, points 45, 46 et 60; Mahagében et Dávid, précité, point 47; Bonik, précité, point 41, ainsi que LVK – 56, précité, point 60).

42      En outre, la Cour a déjà jugé que l’administration fiscale ne peut exiger de manière générale que l’assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA vérifie que l’émetteur de la facture afférente aux biens et aux services au titre desquels l’exercice de ce droit est demandé possède la qualité d’assujetti, qu’il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu’il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou encore qu’il dispose des documents appropriés à cet égard (voir arrêts précités Mahagében et Dávid, point 61, ainsi que LVK – 56, point 61). De même, ladite administration ne saurait exiger dudit assujetti la production de documents émanant de cet émetteur et mentionnant les marques auriculaires des animaux soumis au système d’identification et d’enregistrement établi par le règlement no 1760/2000.

43      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que la directive 2006/112 doit être interprétée en ce sens que, dans le contexte de l’exercice du droit à déduction de la TVA, la notion de «livraison de biens» au sens de cette directive et la preuve de la réalisation effective d’une telle livraison ne sont pas liées à la forme de l’acquisition d’un droit de propriété sur les biens concernés. Il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, conformément aux règles nationales relatives à l’administration de la preuve, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait du litige dont elle est saisie afin de déterminer si les livraisons de biens en cause au principal ont été effectivement réalisées et si, le cas échéant, un droit à déduction peut être exercé sur le fondement de ces dernières.

 Sur la quatrième question

44      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 242 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il impose à des assujettis qui ne sont pas des producteurs agricoles d’inscrire dans leur comptabilité l’objet des livraisons de biens qu’ils effectuent, lorsqu’il s’agit d’animaux, et de prouver que ces derniers ont fait l’objet d’un contrôle conformément à la norme IAS 41.

45      À cet égard, il suffit de constater que cet article 242 ne prévoit pas que les assujettis sont tenus de se conformer à la norme IAS 41, mais se limite à exiger de ceux-ci la tenue d’une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale.

46      Par conséquent, la circonstance que la comptabilité d’Ekspertis-7 et d’Evita-K contienne des indications qui ne seraient pas conformes à ladite norme est dépourvue de pertinence aux fins de la TVA, dès lors que ces indications sont suffisamment détaillées au sens dudit article 242.

47      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 242 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à des assujettis qui ne sont pas des producteurs agricoles d’inscrire dans leur comptabilité l’objet des livraisons de biens qu’ils effectuent, lorsqu’il s’agit d’animaux, et de prouver que ces derniers ont fait l’objet d’un contrôle conformément à la norme IAS 41.

 Sur la cinquième question

48      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 226, point 6, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il impose à un assujetti, qui effectue des livraisons de biens portant sur des animaux soumis au système d’identification et d’enregistrement établi par le règlement no 1760/2000, de mentionner les marques auriculaires de ces animaux sur les factures relatives à ces livraisons.

49      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112, l’exercice du droit à déduction, visé à l’article 168, sous a), de cette directive, est subordonné à la détention d’une facture. Conformément à l’article 220, point 1, de ladite directive, une facture doit ainsi être émise pour toute livraison de biens ou prestation de services qu’un assujetti effectue pour un autre assujetti (voir arrêts du 15 juillet 2010, Pannon Gép Centrum, C-368/09, Rec. p. I-7467, point 39, et du 1er mars 2012, Polski Trawertyn, C-280/10, point 41).

50      L’article 226 de la directive 2006/112 précise que, sans préjudice des dispositions particulières de celle-ci, seules les mentions citées à cet article doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application de l’article 220 de cette directive (voir arrêts précités Pannon Gép Centrum, point 40, et Polski Trawertyn, point 41).

51      Il en résulte qu’il n’est pas loisible aux États membres de lier l’exercice du droit à déduction de la TVA au respect de conditions relatives au contenu des factures qui ne sont pas expressément prévues par les dispositions de la directive 2006/112. Cette interprétation est corroborée par l’article 273 de celle-ci, qui dispose, d’une part, que les États membres peuvent prévoir des obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, mais que, d’autre part, cette faculté ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires par rapport à celles fixées, notamment, à l’article 226 de ladite directive (voir arrêts précités Pannon Gép Centrum, point 41, et Polski Trawertyn, point 42).

52      Conformément à l’article 226, point 6, de la directive 2006/112, la quantité et la nature des biens livrés ou l’étendue et la nature des services rendus doivent, aux fins de la TVA, figurer obligatoirement sur une facture.

53      Par conséquent, force est de constater que ladite disposition n’oblige pas un assujetti qui effectue une livraison d’animaux, soumis au système d’identification et d’enregistrement établi par le règlement no 1760/2000, à mentionner les marques auriculaires de ces animaux sur les factures relatives à cette livraison.

54      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la cinquième question que l’article 226, point 6, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à un assujetti, qui effectue des livraisons de biens portant sur des animaux soumis au système d’identification et d’enregistrement établi par le règlement no 1760/2000, de mentionner les marques auriculaires de ces animaux sur les factures relatives à ces livraisons.

 Sur la sixième question

55      Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 185, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il permet, sur le fondement d’une disposition du droit national telle que l’article 70, paragraphe 5, du ZDDS, de régulariser une déduction de la TVA au motif que le droit de propriété du fournisseur sur les biens qu’il a livrés n’a pas été prouvé.

56      Il ressort de la décision de renvoi que ladite juridiction pose cette question en raison du fait qu’elle considère que l’article 70, paragraphe 5, du ZDDS constitue une modalité d’application des articles 184 et 185 de la directive 2006/112 au sens de l’article 186 de cette dernière.

57      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément audit article 184, la déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer.

58      En ce qui concerne la naissance d’une éventuelle obligation de régularisation d’une déduction de la TVA effectuée au titre de la taxe payée en amont, ledit article 185, paragraphe 1, établit le principe selon lequel une telle régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant de la déduction concernée sont intervenues postérieurement à la déclaration de la TVA (arrêt du 29 novembre 2012, Gran Via Moineşti, C-257/11, point 40).

59      Par conséquent, les articles 184 et 185, paragraphe 1, de la directive 2006/112 ne peuvent s’appliquer que si une déduction de la TVA relative à une opération imposable a été initialement opérée, c’est-à-dire seulement dans l’hypothèse où l’assujetti concerné a bénéficié au préalable d’un droit à déduction de la TVA dans les conditions prévues à l’article 168, sous a), de cette directive.

60      Il en résulte que, dans la mesure où l’article 70, paragraphe 5, du ZDDS vise l’hypothèse de l’inexistence d’un droit à déduction de la TVA lorsque cette dernière a été facturée illégalement, cette disposition ne saurait servir de fondement à une régularisation au sens dudit article 185, puisque, par définition, elle concerne une situation où un assujetti ne bénéficie pas de ce droit.

61      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la sixième question que l’article 185, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet de régulariser une déduction de la TVA que si l’assujetti concerné a bénéficié au préalable d’un droit à déduction de cette taxe dans les conditions prévues à l’article 168, sous a), de cette directive.

 Sur les dépens

62      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprétée en ce sens que, dans le contexte de l’exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la notion de «livraison de biens» au sens de cette directive et la preuve de la réalisation effective d’une telle livraison ne sont pas liées à la forme de l’acquisition d’un droit de propriété sur les biens concernés. Il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, conformément aux règles nationales relatives à l’administration de la preuve, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait du litige dont elle est saisie afin de déterminer si les livraisons de biens en cause au principal ont été effectivement réalisées et si, le cas échéant, un droit à déduction peut être exercé sur le fondement de ces dernières.

2)      L’article 242 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à des assujettis qui ne sont pas des producteurs agricoles d’inscrire dans leur comptabilité l’objet des livraisons de biens qu’ils effectuent, lorsqu’il s’agit d’animaux, et de prouver que ces derniers ont fait l’objet d’un contrôle conformément à la norme comptable internationale IAS 41 «Agriculture».

3)      L’article 226, point 6, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à un assujetti, qui effectue des livraisons de biens portant sur des animaux soumis au système d’identification et d’enregistrement établi par le règlement (CE) no 1760/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juillet 2000, établissant un système d’identification et d’enregistrement des bovins et concernant l’étiquetage de la viande bovine des produits à base de viande bovine, et abrogeant le règlement (CE) no 820/97 du Conseil, tel que modifié par le règlement (CE) no 1791/2006 du Conseil, du 20 novembre 2006, de mentionner les marques auriculaires de ces animaux sur les factures relatives à ces livraisons.

4)      L’article 185, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet de régulariser une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée que si l’assujetti concerné a bénéficié au préalable d’un droit à déduction de cette taxe dans les conditions prévues à l’article 168, sous a), de cette directive.

Signatures


* Langue de procédure: le bulgare.