Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

Share

Highlight in text

Go

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

12 décembre 2013 (*)

«Liberté d’établissement – Égalité de traitement – Impôt sur le revenu – Législation visant à éviter les doubles impositions – Revenus perçus dans un État autre que l’État de résidence – Méthode de l’exonération avec réserve de progressivité dans l’État de résidence – Prise en compte partielle de la situation personnelle et familiale – Perte de certains avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale du travailleur»

Dans l’affaire C-303/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par décision du 31 mai 2012, parvenue à la Cour le 21 juin 2012, dans la procédure

Guido Imfeld,

Nathalie Garcet

contre

État belge,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász, A. Rosas (rapporteur), D. Šváby et C. Vajda, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 avril 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Imfeld et Mme Garcet, par Mes M. Levaux et M. Gustin, avocats,

–        pour le gouvernement belge, par Mme M. Jacobs et M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement estonien, par Mme M. Linntam, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. F. Dintilhac et W. Mölls, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juin 2013,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Imfeld et Mme Garcet, un couple résidant en Belgique, à l’État belge au sujet de la prise en compte, dans le cadre du calcul de leur imposition commune en Belgique, des revenus perçus dans un autre État membre par M. Imfeld, qui sont exonérés d’impôts en Belgique mais servent d’assiette pour l’octroi d’avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale, avec pour conséquence de leur faire perdre une partie des avantages auxquels ils auraient droit en l’absence d’une telle prise en compte.

 Le cadre juridique

 La convention de 1967

3        La convention entre le Royaume de Belgique et la République fédérale d’Allemagne en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, y compris la contribution des patentes et les impôts fonciers, signée à Bruxelles le 11 avril 1967 (Moniteur belge du 30 juillet 1969, ci-après la «convention de 1967»), stipule à son article 14, intitulé «Professions libérales»:

«1.      Les revenus qu’un résident d’un État contractant tire d’une profession libérale ou d’autres activités indépendantes de caractère analogue ne sont imposables que dans cet État, à moins que ce résident ne dispose de façon habituelle dans l’autre État d’une base fixe pour l’exercice de ses activités. S’il dispose d’une telle base, les revenus sont imposables dans l’autre État, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables aux activités exercées à l’intervention de ladite base fixe.

2.      L’expression ‘professions libérales’ comprend en particulier les activités indépendantes [...] des médecins, avocats, ingénieurs, architectes, dentistes et comptables.»

4        L’article 23 de la convention de 1967 prévoit notamment, à son paragraphe 2, point 1, que les revenus provenant d’Allemagne, qui sont imposables dans cet État en vertu de ladite convention, sont exemptés d’impôts en Belgique. La même disposition précise, toutefois, que cette exemption ne limite pas le droit du Royaume de Belgique de tenir compte, lors de la détermination du taux des impôts, des revenus ainsi exemptés.

 Le droit belge

5        Aux termes de l’article 126, paragraphes 1 et 2, du code des impôts sur le revenu de 1992 (Moniteur belge du 30 juillet 1992), dans sa version applicable à la date des faits au principal (ci-après le «CIR de 1992»):

«1.      Quel que soit le régime matrimonial, les revenus des conjoints autres que les revenus professionnels sont cumulés avec les revenus professionnels de celui des conjoints qui en a le plus.

2.      La cotisation est établie au nom des deux conjoints».

6        L’article 131 du CIR de 1992 accorde à chaque contribuable une quotité de revenu exemptée d’impôt. Conformément à l’article 132 du CIR de 1992, cette quotité exemptée est majorée lorsque le contribuable a des personnes à sa charge.

7        Lorsque l’impôt est établi au nom de conjoints, cette majoration est, conformément à l’article 134, paragraphe 1, deuxième alinéa, du CIR de 1992, imputée en priorité sur la part du revenu de l’époux qui a les revenus professionnels les plus élevés. L’article 134, paragraphe 1, du CIR de 1992 prévoit ainsi:

«La quotité du revenu exemptée d’impôt est fixée par contribuable et comprend le total du montant de base, éventuellement majoré, et des suppléments visés aux articles 132 et 133.

Lorsqu’une imposition commune est établie, les suppléments visés à l’article 132 sont imputés dans le chef du contribuable qui a le revenu imposable le plus élevé. [...]»

8        L’article 155 du CIR de 1992 dispose:

«Les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l’impôt, mais celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus.

Il en est de même pour:

–      les revenus exonérés en vertu d’autres traités ou accords internationaux, pour autant que ceux-ci prévoient une clause de réserve de progressivité;

[...]

Lorsqu’une imposition commune est établie, la réduction est calculée par contribuable sur l’ensemble de ses revenus nets.»

9        Par ailleurs, à la suite de l’arrêt du 12 décembre 2002, de Groot (C-385/00, Rec. p. I-11819), le Royaume de Belgique a adopté la circulaire n° Ci.RH.331/575.420, du 12 mars 2008, prévoyant une réduction d’impôt pour revenus exonérés en vertu d’une convention internationale, en sus de la réduction prévue à l’article 155 du CIR de 1992 (ci-après la «circulaire de 2008»).

10      Cette circulaire énonce:

«1.      Dans le système fiscal belge, les avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale du contribuable [...] sont appliqués tant sur les revenus d’origine belge que sur les revenus d’origine étrangère. Si la situation familiale ou personnelle en question n’a pas été prise en compte à l’étranger, une partie de ces avantages est perdue.

Les Pays-Bas appliquent une méthode d’exemption avec réserve de progressivité analogue à celle pratiquée en Belgique. Dans son arrêt [de Groot, précité, la Cour] a toutefois jugé que cette manière de procéder était contraire à la réglementation en matière de libre circulation des personnes dans l’[Union européenne].

La Belgique a été invitée par la Commission européenne à mettre les dispositions fiscales belges relatives à l’application de la méthode d’exemption avec réserve de progressivité [...] en conformité avec les obligations au titre des articles 18 [CE], 39 [CE], 43 [CE] et 56 CE [...]

La solution suivante a été retenue: dans les cas où la situation personnelle et familiale du contribuable n’a pas été prise en considération à l’étranger, une réduction d’impôt pour revenus d’origine étrangère sera accordée en sus de la réduction prévue à l’article 155 [du] CIR de [1992].

[...]

3.      Une réduction supplémentaire pour revenus exonérés par convention ne pourra être accordée qu’aux conditions suivantes:

–      le contribuable a recueilli des revenus exonérés par convention dans un ou plusieurs États membres de l’[Espace économique européen (EEE)];

–        la situation personnelle ou familiale du contribuable n’a pas été prise en compte pour le calcul de l’impôt dû, dans les États en question, sur les revenus exonérés d’impôt en Belgique;

–        le contribuable n’a pu bénéficier totalement, en Belgique, des avantages fiscaux liés à sa situation familiale ou personnelle;

–        l’impôt dû en Belgique, augmenté de l’impôt dû à l’étranger, est supérieur à l’impôt qui aurait été dû si les revenus provenaient exclusivement de source belge et que les impôts y afférents avaient été dus en Belgique.

4.      Le contribuable qui revendique l’octroi de la réduction supplémentaire doit apporter la preuve qu’il satisfait aux conditions requises.»

 Les litiges au principal

11      M. Imfeld, de nationalité allemande, et Mme Garcet, de nationalité belge, sont mariés, ont deux enfants et résident en Belgique. Bien que, en application des règles de droit national, les époux soient en principe imposés conjointement, pour les exercices d’imposition relatifs aux années 2003 et 2004, ils ont procédé séparément à leur déclaration de revenus en Belgique, sans indiquer qu’ils étaient mariés.

12      M. Imfeld, qui exerce la profession d’avocat en Allemagne, où il perçoit la totalité de ses revenus, n’a mentionné en Belgique aucun revenu imposable ni aucune personne à charge. En revanche, Mme Garcet, qui exerce une profession salariée en Belgique, a déclaré des intérêts hypothécaires et deux enfants à charge ainsi que des frais de garde.

13      Lesdites déclarations ont donné lieu à trois litiges portés devant la juridiction de renvoi, qui sont à l’origine de la présente demande de décision préjudicielle.

 Les litiges relatifs à l’exercice d’imposition pour l’année 2003

14      Le 5 avril 2004, l’administration fiscale belge a d’abord établi, au titre de l’exercice d’imposition pour l’année 2003, une cotisation au seul nom de Mme Garcet.

15      Toutefois, le 16 novembre 2004, ladite administration a constaté que Mme Garcet ne pouvait être considérée comme célibataire et a émis, en conséquence, un avis de rectification annonçant l’imposition commune des requérants au principal et l’établissement d’une nouvelle cotisation sur la base des revenus déclarés de Mme Garcet et des revenus perçus, en Allemagne, en qualité de travailleur indépendant par M. Imfeld.

16      Par lettre du 9 décembre 2004, les requérants au principal ont marqué leur désaccord avec le redressement ainsi annoncé, en contestant le calcul de l’impôt dû établi à leurs deux noms et en revendiquant un calcul non cumulé de ce dernier, afin de garantir la liberté d’établissement ainsi que l’exonération réelle et totale des revenus perçus par M. Imfeld en Allemagne.

17      Le 13 décembre 2004, l’administration fiscale a notifié aux requérants au principal la décision de taxation, en indiquant que l’exonération des revenus perçus en Allemagne par M. Imfeld sera totale, mais que l’imposition commune doit tenir compte des frais de garde d’enfants, de la quotité du revenu exemptée d’impôt et des réductions pour revenus de remplacement.

18      Le 10 février 2005, une cotisation pour l’exercice d’imposition pour l’année 2003 au seul nom de Mme Garcet a été établie sur la base de revenus ramenés à zéro, à l’encontre de laquelle les requérants au principal ont introduit une réclamation le 9 mars 2005.

19      Cette réclamation ayant été rejetée par décision du directeur régional des contributions directes de Liège (Belgique) du 11 juillet 2005, les requérants au principal ont introduit, le 29 septembre 2005, un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

20      Le 13 octobre 2005, une cotisation pour l’exercice d’imposition pour l’année 2003 a été établie collectivement au nom des requérants au principal, à l’encontre de laquelle ils ont introduit une réclamation le 13 janvier 2006.

21      Cette réclamation ayant été rejetée par décision du directeur régional des contributions directes de Liège du 7 mars 2006, les requérants au principal ont, le 31 mars 2006, introduit un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

 Le litige relatif à l’exercice d’imposition pour l’année 2004

22      Le 24 juin 2005, une cotisation pour l’exercice d’imposition pour l’année 2004 a été établie collectivement au nom des requérants au principal, à l’encontre de laquelle ils ont introduit une réclamation le 15 septembre 2005.

23      Cette réclamation ayant été rejetée par décision du directeur régional des contributions directes de Liège du 19 octobre 2005, les requérants au principal ont, le 21 novembre 2005, introduit un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

 Le traitement fiscal des revenus perçus en Allemagne par M. Imfeld

24      M. Imfeld a, en application de la convention de 1967, été imposé en Allemagne sur ses revenus perçus dans cet État membre. Il ressort de sa réponse à la question écrite posée par la Cour qu’il a, dans le cadre de l’impôt sur le revenu acquitté en Allemagne, bénéficié d’un avantage pour enfants à charge prenant la forme d’une quotité de revenu exemptée d’impôt («Freibetrag für Kinder»).

25      M. Imfeld a été imposé à titre isolé, c’est-à-dire sans pouvoir bénéficier du régime de l’«Ehegattensplitting», régime d’imposition conjointe dont peuvent bénéficier en vertu de l’article 1a, paragraphe 1, point 2, de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz) les contribuables mariés et non durablement séparés qui sont imposables en Allemagne tout en résidant dans un autre État membre. Il ressort de la décision de renvoi et du dossier dont dispose la Cour que, pour l’exercice d’imposition relatif à l’année 2003, M. Imfeld s’est vu refuser par les autorités fiscales allemandes le bénéfice de ce régime d’imposition.

26      Le recours introduit par M. Imfeld contre cette décision de refus a été rejeté par un jugement du Finanzgericht Köln (Allemagne) du 25 juillet 2007, dans la mesure où, d’une part, ses revenus imposables en Allemagne étaient inférieurs à 90 % des revenus globaux de son ménage et, d’autre part, les revenus de son épouse étaient supérieurs tant au seuil absolu de 12 372 euros qu’au seuil relatif de 10 % du revenu mondial, prévus par la réglementation fiscale allemande. Le Finanzgericht Köln a, notamment, souligné que la Cour avait entériné lesdits seuils dans son arrêt du 14 septembre 1999, Gschwind (C-391/97, Rec. p. I-5451, point 32).

27      L’appel formé par le requérant au principal contre ce jugement a été rejeté par un arrêt du Bundesfinanzhof (Allemagne) du 17 décembre 2007.

 L’analyse de la juridiction de renvoi et la question préjudicielle

28      La juridiction de renvoi indique que l’enrôlement collectif de M. Imfeld et de Mme Garcet est conforme à la loi. Une imposition commune est intervenue, ainsi que le prévoit l’article 126, paragraphe 1, du CIR de 1992, pour les conjoints et la cotisation des requérants au principal a été établie à leurs deux noms. En application de l’article 134, paragraphe 1, deuxième alinéa, du CIR de 1992, la majoration de la quotité exemptée d’impôt pour enfants à charge, visée à l’article 132, 3°, du CIR de 1992, a été «imputée par priorité sur la part du revenu de celui des conjoints qui a les revenus professionnels les plus élevés», en l’occurrence sur la part du revenu de M. Imfeld.

29      Cette juridiction s’interroge sur la conformité avec le droit de l’Union du mode de calcul de l’impôt belge. Elle estime, à cet égard, que la méthode d’exonération avec réserve de progressivité a pour conséquence de faire perdre aux contribuables tels que les requérants au principal une partie des quotités exemptées d’impôt auxquelles leur situation personnelle et familiale leur donne droit en raison du fait qu’elles sont imputées par priorité sur la part de revenu du conjoint dont les revenus sont les plus élevés, même s’ils sont exonérés en vertu d’une convention internationale préventive de la double imposition. En ce sens, l’application combinée des articles 155 et 134, paragraphe 1, du CIR de 1992 dans une situation transfrontalière telle que celle des requérants au principal lui semble de nature à porter atteinte au droit de l’Union.

30      C’est dans ces circonstances que, joignant les différents litiges portés devant elle par les requérants au principal, le tribunal de première instance de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 39 [CE] s’oppose-t-il à ce que le régime fiscal belge, [à l’]article 155 du [CIR de 1992] et [à] l’article [134, paragraphe 1, deuxième alinéa, du CIR de 1992], qu’il soit fait abstraction ou application de la [circulaire de 2008], ait pour conséquences que les revenus professionnels allemands du requérant, exonérés par application de l’article [14] de la [convention de 1967], soient inclus dans le calcul de l’impôt belge, servent d’assiette pour l’octroi d’avantages fiscaux prévus par le [CIR de 1992] et que le bénéfice de ceux-ci, tel celui de la quotité exemptée d’impôt en raison de la situation familiale du requérant, soit réduit ou accordé dans une moindre mesure que si les requérants avaient tous deux des revenus d’origine belge et si la requérante, plutôt que le requérant, avait bénéficié des revenus les plus élevés, alors que, en Allemagne, le requérant est taxé comme un isolé sur ses revenus professionnels et ne peut obtenir tous les avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale, dont le fisc allemand ne tient compte qu’en partie?»

 Sur la question préjudicielle

 Observations liminaires

31      La juridiction de renvoi invite en substance la Cour à se prononcer sur la compatibilité avec le droit de l’Union du traitement fiscal réservé par un État membre, en l’occurrence le Royaume de Belgique, aux revenus d’un couple résidant dans cet État membre, dont l’un des membres perçoit des revenus dans cet État tandis que l’autre exerce une activité professionnelle indépendante dans un autre État membre, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, où il perçoit la totalité de ses revenus, lesquels représentent la part la plus importante des revenus du couple et sont imposables en Allemagne et exonérés en Belgique en application d’une convention internationale préventive de la double imposition.

32      Il convient de préciser que, si deux avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale des contribuables, à savoir la déduction des frais de garde d’enfants et l’octroi du supplément de quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfants à charge, sont en cause dans les litiges au principal, la juridiction de renvoi, par sa question, vise plus particulièrement «la quotité exemptée d’impôt en raison de la situation familiale du requérant», tout en se référant aux modalités de calcul définies à l’article 134, paragraphe 1, deuxième alinéa, du CIR de 1992.

33      Par ces termes, la juridiction de renvoi désigne l’avantage fiscal que constitue le supplément de la quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfants à charge prévu à l’article 132 du CIR de 1992. Elle indique qu’un tel avantage fiscal est accordé par le droit belge au couple dans son ensemble et que, en raison des modalités de calcul énoncées à l’article 134 du CIR de 1992, selon lequel ledit supplément est calculé par imputation appliquée aux revenus imposables les plus élevés de l’un des deux époux, il se trouve, dans une situation telle que celle des requérants au principal, réduit ou accordé dans une moindre mesure que si ces derniers avaient tous les deux des revenus perçus en Belgique et si Mme Garcet, plutôt que M. Imfeld, avait bénéficié des revenus les plus élevés.

34      La déductibilité des frais de garde d’enfants ne fait par conséquent pas partie des avantages visés par la juridiction de renvoi dans sa question. Ainsi que l’a confirmé le gouvernement belge lors de l’audience, le calcul de la déduction des frais de garde d’enfants obéit à des règles différentes puisqu’une telle déduction est accordée au moyen d’une ventilation proportionnelle aux revenus de chaque conjoint. Il a ajouté que, en l’occurrence, Mme Garcet a bénéficié d’une déduction au titre des frais de garde d’enfants au prorata de ce que ses revenus représentent dans le revenu global du couple.

 Sur la liberté applicable à la situation des requérants au principal

35      La juridiction de renvoi se réfère, dans sa question, à l’article 39 CE, auquel correspond actuellement l’article 45 TFUE, relatif à la libre circulation des travailleurs, tout en se référant à plusieurs reprises, dans les explications fournies dans sa décision de renvoi, à la liberté d’établissement.

36      Or, M. Imfeld, qui est ressortissant allemand et réside en Belgique, travaille en Allemagne en tant qu’avocat et exerce une activité indépendante. D’ailleurs, la disposition de la convention de 1967 expressément citée par la juridiction de renvoi comme étant applicable aux litiges au principal concerne les professions libérales et les activités indépendantes de caractère analogue.

37      Par conséquent, la situation de M. Imfeld relève non pas de la libre circulation des travailleurs, mais de la liberté d’établissement, qui comporte, pour les ressortissants de l’Union, l’accès aux activités non salariées et leur exercice (voir, notamment, arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant, C-9/02, Rec. p. I-2409, point 40).

38      Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, même si la juridiction de renvoi a limité sa demande de décision préjudicielle à l’interprétation de la libre circulation des travailleurs, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union pouvant être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait ou non référence dans l’énoncé de sa question (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 février 2006, Ritter-Coulais, C-152/03, Rec. p. I-1711, point 29, et du 23 avril 2009, Rüffler, C-544/07, Rec. p. I-3389, point 57).

39      Il convient donc de comprendre la question comme visant l’article 43 CE, auquel correspond actuellement l’article 49 TFUE.

 Sur la question

40      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet de priver un couple résidant dans cet État et percevant à la fois des revenus dans ledit État et dans un autre État membre, dans lequel l’un des membres du couple est imposé à titre isolé sur ses revenus professionnels et ne peut obtenir l’ensemble des avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale, du bénéfice d’un avantage fiscal déterminé, en raison de ses modalités d’imputation, alors que ce couple y aurait droit si les membres dudit couple percevaient la totalité ou la part la plus importante de leurs revenus dans leur État membre de résidence.

 Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement

41      Il importe, d’emblée, de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union, les États membres demeurent compétents pour déterminer les critères d’imposition des revenus et de la fortune en vue d’éliminer, le cas échéant par voie conventionnelle, les doubles impositions. Dans ce contexte, les États membres sont libres, dans le cadre de conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale (voir, notamment, arrêts de Groot, précité, point 93; du 16 octobre 2008, Renneberg, C-527/06, Rec. p. I-7735, point 48, et du 28 février 2013, Beker, C-168/11, point 32).

42      Toutefois, cette répartition de la compétence fiscale ne permet pas aux États membres d’appliquer des mesures contraires aux libertés de circulation garanties par le traité FUE. En effet, en ce qui concerne l’exercice du pouvoir d’imposition ainsi réparti dans le cadre de conventions bilatérales préventives de la double imposition, les États membres sont tenus de se conformer aux règles de l’Union (arrêts précités de Groot, point 94; Renneberg, points 50 et 51, ainsi que Beker, points 33 et 34).

43      Il convient également de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, c’est, en principe, à l’État membre de résidence qu’il incombe d’accorder au contribuable la totalité des avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale, cet État membre étant, sauf exception, le mieux à même d’apprécier la capacité contributive personnelle dudit contribuable dans la mesure où ce dernier y dispose du centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux (voir, notamment, arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279/93, Rec. p. I-225, point 32; du 16 mai 2000, Zurstrassen, C-87/99, Rec. p. I-3337, point 21, et Beker, précité, point 43).

44      L’obligation de prendre en compte la situation personnelle et familiale ne peut peser sur l’État membre d’emploi que lorsque le contribuable tire la totalité ou la quasi-totalité de ses ressources imposables d’une activité exercée dans ce dernier et qu’il ne perçoit pas de revenu significatif dans son État de résidence, de sorte que celui-ci n’est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale (voir, notamment, arrêts précités Schumacker, point 36; Gschwind, point 27; Zurstrassen, points 21 à 23, et de Groot, point 89).

45      C’est à la lumière de ces principes que la compatibilité avec la liberté d’établissement de l’application de la réglementation belge à une situation telle que celle en cause au principal doit être examinée.

46      Les requérants au principal ont, en l’occurrence, fait l’objet d’une imposition conjointe sur leurs revenus en Belgique où ils résident, les revenus perçus par M. Imfeld en Allemagne étant exonérés, et ce dernier a fait l’objet d’une imposition individuelle sur les revenus qu’il a perçus en Allemagne où il travaille, en application de la convention de 1967.

47      Tant en Allemagne qu’en Belgique, il a été tenu compte, au moins partiellement, de leur situation personnelle et familiale. M. Imfeld a eu droit, en vertu de la réglementation fiscale allemande, à une exemption d’impôt pour enfants à charge («Freibetrag für Kinder»), sans pour autant avoir pu bénéficier du régime de l’«Ehegattensplitting».

48      En vertu de la réglementation fiscale belge, le couple formé par les requérants au principal a, en principe, droit au supplément de quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfants à charge. Il n’a pu toutefois en bénéficier effectivement. La quotité de revenu supplémentaire susceptible d’être exemptée a, en effet, été imputée sur les revenus de M. Imfeld perçus en Allemagne, dans la mesure où ils étaient les plus importants du couple. Toutefois, lesdits revenus ont ensuite été retranchés de la base imposable, dans la mesure où ils étaient exonérés en vertu de la convention de 1967, de sorte que, au final, aucune quotité de revenu n’a été exemptée d’impôt au titre spécifique du supplément pour enfants à charge.

49      Par conséquent, une réglementation fiscale telle que celle en cause au principal, et plus précisément l’application combinée de la méthode d’exemption avec réserve de progressivité prévue à l’article 155 du CIR de 1992 et des modalités d’imputation du supplément de quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfant à charge établies à l’article 134 du CIR de 1992, désavantage les couples dans la situation des requérants au principal, qui se caractérise par la circonstance que la part la plus importante de leurs revenus est perçue dans un État membre autre que le Royaume de Belgique, par rapport aux couples qui perçoivent la totalité ou la part la plus importante de leurs revenus en Belgique.

50      Les requérants au principal ont, en tant que couple, subi un désavantage dans la mesure où ils n’ont pas bénéficié de l’avantage fiscal résultant de l’application du supplément de quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfant à charge auquel ils auraient eu droit s’ils avaient perçu l’intégralité de leurs revenus en Belgique ou, à tout le moins, si les revenus perçus par Mme Garcet en Belgique avaient été supérieurs à ceux perçus par son époux en Allemagne.

51      La réglementation en cause au principal établit ainsi une différence de traitement fiscal entre les couples de citoyens de l’Union résidant sur le territoire du Royaume de Belgique en fonction de l’origine et de l’importance de leurs revenus qui est susceptible de produire un effet dissuasif sur l’exercice par ces derniers des libertés garanties par le traité, et notamment de la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt Beker, précité, point 52).

52      Ladite réglementation est ainsi susceptible de dissuader les ressortissants dudit État membre d’exercer leur droit à la liberté d’établissement en exerçant une activité économique dans un autre État membre tout en continuant à résider dans le premier État (voir, notamment, arrêts du 13 avril 2000, Baars, C-251/98, Rec. p. I-2787, points 28 et 29, ainsi que du 19 novembre 2009, Filipiak, C-314/08, Rec. p. I-11049, point 60).

53      Elle est également susceptible de dissuader les ressortissants des États membres autres que le Royaume de Belgique d’exercer, en leur qualité de citoyens de l’Union, leur droit à la libre circulation en établissant leur résidence dans ledit État membre, notamment aux fins du rapprochement familial, tout en continuant à exercer une activité économique dans l’État membre dont ils sont ressortissants.

54      Par ailleurs, la réglementation fiscale belge ne prend pas en considération les situations transfrontalières comme celle en cause dans les affaires au principal et ne permet donc pas de pallier les effets négatifs qu’elle est susceptible de produire sur l’exercice des libertés garanties aux citoyens de l’Union par le traité.

55      Ainsi que la Commission le souligne dans ses observations écrites, la règle d’imputation du supplément de quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfant à charge sur la part la plus élevée des revenus du couple a, en principe, pour objectif de maximiser l’effet de l’avantage au profit du couple dans son ensemble, y compris le conjoint ayant des revenus inférieurs. Puisque le barème d’imposition a un caractère progressif, l’attribution du supplément au conjoint ayant les revenus les plus importants est plus favorable au couple qu’une répartition à parts égales ou encore proportionnelle. Paradoxalement, appliquée dans une situation transfrontalière telle que celle en cause au principal, ladite règle produit un effet exactement inverse dans certaines circonstances, en l’occurrence dès lors que le conjoint ayant les revenus les plus importants perçoit l’intégralité de ses revenus dans un État membre autre que le Royaume de Belgique.

56      Contrairement à ce que soutient le gouvernement belge, la restriction ainsi identifiée à la liberté d’établissement n’est pas la conséquence nécessaire de la disparité des réglementations nationales en cause dans les affaires au principal.

57      Le couple formé par les requérants au principal a, en effet, été privé d’une partie des exemptions prévues pour les couples de résidents du fait de l’exercice, par l’un d’entre eux, de sa liberté d’établissement et en raison des modalités d’imputation du supplément de quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfant à charge prévues par la réglementation fiscale belge (voir, en ce sens, arrêt de Groot, précité, point 87).

58      Le gouvernement belge ne saurait pas davantage faire valoir que la réglementation fiscale en cause au principal n’est pas constitutive d’une restriction à la liberté d’établissement car l’exercice par M. Imfeld de sa liberté d’établissement n’aurait en rien aggravé sa situation fiscale, dans la mesure où, d’une part, il n’aurait pas eu à acquitter, en Allemagne, un impôt supérieur à celui qu’il aurait acquitté en Belgique et où, d’autre part, sa situation personnelle et familiale aurait été prise en compte en Allemagne, de sorte que le Royaume de Belgique serait entièrement libéré de toute obligation à cet égard.

59      Certes, ainsi qu’il ressort de l’exposé des faits au principal, M. Imfeld a, en l’occurrence, pu bénéficier d’une prise en compte partielle de sa situation personnelle et familiale en Allemagne, au moyen de l’octroi d’une exemption d’impôt pour enfants à charge («Freibetrag für Kinder»).

60      Toutefois, il ne saurait être considéré que l’octroi de cet avantage fiscal en Allemagne puisse compenser la perte de l’avantage fiscal enregistrée par les requérants au principal en Belgique.

61      En effet, un État membre ne saurait invoquer l’existence d’un avantage concédé de manière unilatérale par un autre État membre, en l’occurrence l’État membre dans lequel M. Imfeld travaille et perçoit l’intégralité de ses revenus, afin d’échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du traité, notamment au titre des dispositions de celui-ci relatives à la liberté d’établissement (voir en ce sens, notamment, arrêts du 8 novembre 2007, Amurta, C-379/05, Rec. p. I-9569, point 78, ainsi que du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C-11/07, Rec. p. I-6845, point 69, et Arens-Sikken, C-43/07, Rec. p. I-6887, point 66).

62      Or, la réglementation fiscale en cause au principal établit un avantage fiscal en faveur des couples, sous la forme, notamment, d’un supplément de quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfant à charge, lequel est imputé sur les revenus du membre du couple qui perçoit la part de revenus la plus importante, sans, en aucune manière, prendre en compte la circonstance que ce dernier peut, consécutivement à l’exercice des libertés garanties par le traité, ne pas percevoir individuellement de revenus en Belgique, avec pour conséquence immédiate et automatique que le couple perd alors totalement le bénéfice dudit avantage. Indépendamment du traitement fiscal réservé à M. Imfeld en Allemagne, c’est le caractère automatique de cette perte qui porte atteinte à la liberté d’établissement.

63      Dès lors, la circonstance que, dans les affaires au principal, la situation personnelle et familiale de M. Imfeld ait été partiellement prise en compte en Allemagne dans le cadre de son imposition à titre isolé et qu’il ait donc pu y bénéficier d’un avantage fiscal ne saurait être invoquée par le gouvernement belge pour démontrer l’absence d’une restriction à la liberté d’établissement.

 Sur les justifications de la restriction à la liberté d’établissement

64      Il est de jurisprudence constante qu’une mesure qui est susceptible d’entraver la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, en pareil cas, que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (voir, notamment, arrêts de Lasteyrie du Saillant, précité, point 49; du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C-446/03, Rec. p. I-10837, point 35, ainsi que du 21 janvier 2010, SGI, C-311/08, Rec. p. I-487, point 56).

65      Le gouvernement belge fait valoir que, à supposer même que la réglementation fiscale en cause au principal constitue une restriction à la liberté d’établissement, elle serait, en tout état de cause, justifiée par la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.

66      En particulier, ce gouvernement déduit des arrêts précités Schumacker et de Groot qu’il existe une corrélation entre l’imposition des revenus et la prise en compte de la situation personnelle et familiale des contribuables, en ce sens que cette situation ne devrait être prise en compte dans l’État de résidence qu’en présence de revenus imposables dans cet État. Le gouvernement belge souligne que la convention de 1967 prévoit que les revenus perçus dans l’État d’emploi sont exonérés dans l’État de résidence. Or, le propre d’un système d’exonération serait de réduire la base imposable à zéro et d’empêcher d’effectuer des déductions, qu’elles soient ou non liées à la situation personnelle et familiale.

67      Selon le gouvernement belge, aller au-delà de la non-imposition en transférant à un autre contribuable les avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale irait au-delà de ce qu’exige le droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt de Groot, précité, dont il ressortirait seulement que les avantages doivent être pleinement accordés et pleinement déductibles des revenus imposables. Transférer les avantages au conjoint reviendrait à compromettre le droit du Royaume de Belgique d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire par ce conjoint.

68      À cet égard, il convient d’observer que, certes, la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres est susceptible de constituer une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une restriction à l’exercice d’une liberté de circulation au sein de l’Union (arrêt Beker, précité, point 56).

69      Toutefois, la Cour a déjà jugé qu’une telle justification ne peut être invoquée par l’État membre de résidence d’un contribuable pour se soustraire à la responsabilité qui lui incombe, en principe, d’accorder audit contribuable les déductions de type personnel et familial qui reviennent à ce dernier, à moins que cet État ne se voie conventionnellement délié de son obligation d’assumer l’intégralité de la prise en considération de la situation personnelle et familiale des contribuables résidant sur son territoire et exerçant partiellement leur activité économique dans un autre État membre ou qu’il ne constate que, en dehors même de toute convention, un ou plusieurs États d’emploi accordent, sur les revenus qu’ils taxent, des avantages liés à la prise en compte de la situation personnelle et familiale des contribuables qui ne résident pas sur le territoire de ces États, mais qui y perçoivent des revenus taxables (voir, en ce sens, arrêts précités de Groot, points 99 et 100, ainsi que Beker, point 56).

70      Dans ce contexte, la Cour a précisé, au point 101 de l’arrêt de Groot, précité, que les mécanismes utilisés en vue d’éliminer la double imposition ou les systèmes fiscaux nationaux qui ont pour effet de l’éliminer ou de l’atténuer doivent toutefois assurer aux contribuables des États concernés que, au total, l’ensemble de leur situation personnelle et familiale sera dûment prise en compte, quelle que soit la manière dont les États membres concernés ont réparti cette obligation entre eux, sous peine de créer une inégalité de traitement incompatible avec les dispositions du traité sur la libre circulation des personnes, qui ne résulterait nullement des disparités existant entre les législations fiscales nationales.

71      Ces considérations sont transposables à la situation du couple formé par les requérants au principal.

72      Or, d’une part, la convention de 1967 n’impose à l’État membre d’emploi aucune obligation relative à la prise en compte de la situation personnelle et familiale des contribuables résidant dans l’autre État membre partie à cette convention.

73      D’autre part, la réglementation fiscale en cause au principal n’établit aucune corrélation entre les avantages fiscaux qu’elle octroie aux résidents de l’État membre concerné et les avantages fiscaux dont ils peuvent bénéficier dans le cadre de leur imposition dans un autre État membre. Les requérants au principal n’ont pu bénéficier du supplément de quotité de revenu exemptée d’impôt pour enfant à charge non pas parce qu’ils ont bénéficié d’un avantage équivalent en Allemagne, mais seulement parce que son bénéfice est neutralisé par ses modalités d’imputation.

74      Le gouvernement belge relève d’ailleurs, à cet égard, que la circulaire de 2008, qui s’analyse comme un mécanisme établissant une telle corrélation, n’est pas applicable à la situation de M. Imfeld.

75      En tout état de cause, une justification tenant à la nécessité de sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres peut être admise dès lors, notamment, que le régime en cause vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (voir, en ce sens, arrêts du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347/04, Rec. p. I-2647, point 42; du 18 juillet 2007, Oy AA, C-231/05, Rec. p. I-6373, point 54; SGI, précité, point 60, et Beker, précité, point 57).

76      Or, en l’occurrence, le fait pour le Royaume de Belgique de reconnaître intégralement le bénéfice des déductions de type personnel et familial aux requérants au principal ne compromettrait pas ce droit. Ce faisant, ledit État membre ne renoncerait pas à une partie de sa compétence fiscale au profit d’autres États membres. Ainsi que le souligne la Commission, en l’occurrence, la perte de l’avantage accordé au couple affecte un conjoint qui reste soumis à l’imposition belge. L’effet restrictif pour le couple réside non pas dans un traitement défavorable du revenu exonéré d’impôt de M. Imfeld, mais dans celui du revenu de son épouse, Mme Garcet, obtenu exclusivement en Belgique et intégralement soumis à l’impôt belge, sans que celle-ci bénéficie des avantages fiscaux en cause.

77      Par ailleurs, le gouvernement estonien estime que la réglementation fiscale belge en cause au principal a pour objectif d’éviter que la situation personnelle et familiale du contribuable ne soit simultanément prise en compte dans deux États membres et n’aboutisse, par conséquent, à l’octroi indu d’un double avantage. Il fait valoir, dans cette optique, que la Cour a admis la possibilité pour les États membres de faire obstacle à la double déduction des pertes et renvoie, à cet égard, au point 47 de l’arrêt Marks & Spencer, précité.

78      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 82 de ses conclusions, à supposer même que les différents avantages fiscaux respectivement octroyés par les deux États membres en cause soient comparables et qu’il puisse être conclu que les requérants au principal ont effectivement bénéficié d’un double avantage, cette circonstance ne serait, en tout état de cause, que le fruit de l’application parallèle des réglementations fiscales belge et allemande, telle que convenue entre ces deux États membres dans les termes fixés par la convention de 1967.

79      En revanche, il est loisible aux États membres concernés de prendre en considération des avantages fiscaux éventuellement accordés par un autre État membre d’imposition, sous la réserve, ainsi qu’il ressort du point 70 du présent arrêt, que, quelle que soit la manière dont ces États membres ont réparti entre eux cette obligation, il soit assuré à leurs contribuables que, au total, l’ensemble de leur situation personnelle et familiale sera dûment pris en compte.

80      Il convient, par conséquent, de répondre à la question posée que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet de priver un couple résidant dans cet État et percevant à la fois des revenus dans ledit État et dans un autre État membre du bénéfice effectif d’un avantage fiscal déterminé, en raison de ses modalités d’imputation, alors que ce couple en bénéficierait si le conjoint ayant les revenus les plus importants ne percevait pas l’intégralité de ses revenus dans un autre État membre.

 Sur les dépens

81      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet de priver un couple résidant dans cet État et percevant à la fois des revenus dans ledit État et dans un autre État membre du bénéfice effectif d’un avantage fiscal déterminé, en raison de ses modalités d’imputation, alors que ce couple en bénéficierait si le conjoint ayant les revenus les plus importants ne percevait pas l’intégralité de ses revenus dans un autre État membre.

Signatures


* Langue de procédure: le français.