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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

28 novembre 2013 (*)

«TVA – Directive 2006/112/CE – Articles 132 à 134 et 168 – Exonérations – Prestations éducatives fournies par des organismes de droit privé dans un but lucratif – Droit à déduction»

Dans l’affaire C-319/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne), par décision du 27 avril 2012, parvenue à la Cour le 2 juillet 2012, dans la procédure

Minister Finansów

contre

MDDP sp. z o.o. Akademia Biznesu, sp. komandytowa,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. C. G. Fernlund (rapporteur), A. Ó Caoimh, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 mai 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour le Minister Finansów, par MM. J. Kaute et T. Tratkiewicz, en qualité d’agents,

–        pour MDDP sp. z o.o. Akademia Biznesu, sp. komandytowa, par M. T. Michalik, en qualité de conseiller,

–        pour le gouvernement polonais, par Mmes A. Kraińska et A. Kramarczyk ainsi que par MM. B. Majczyna et M. Szpunar, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement grec, par Mmes I. Pouli et M. Tassopoulou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et R. Laires, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. L. Christie, en qualité d’agent, assisté de M. P. Mantle, barrister,

–        pour la Commission européenne, par Mmes K. Herrmann et L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 juin 2013,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 132, paragraphe 1, sous i), 133, paragraphe 1, sous a) à d), 134 et 168, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Minister Finansów (ministre des Finances, ci-après le «Minister») à MDDP sp. z o.o. Akademia Biznesu, sp. komandytowa (ci-après «MDDP»), au sujet de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») sur les prestations de services éducatifs fournies par des organismes non publics, à des fins commerciales.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 132, paragraphe 1, sous i), l), m) et q), de la directive TVA dispose:

«Les États membres exonèrent les opérations suivantes:

[...]

i)      l’éducation de l’enfance ou de la jeunesse, l’enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné;

[...]

l)      les prestations de services, ainsi que les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, fournies à leurs membres dans leur intérêt collectif, moyennant une cotisation fixée conformément aux statuts, par des organismes sans but lucratif poursuivant des objectifs de nature politique, syndicale, religieuse, patriotique, philosophique, philanthropique ou civique, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence;

m)      certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique;

[...]

q)      les activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial.»

4        L’article 133, premier alinéa, sous a) à d), de la directive TVA énonce:

«Les États membres peuvent subordonner, au cas par cas, l’octroi, à des organismes autres que ceux de droit public de chacune des exonérations prévues à l’article 132, paragraphe 1, points b), g), h), i), l), m) et n), au respect de l’une ou plusieurs des conditions suivantes:

a)      les organismes en question ne doivent pas avoir pour but la recherche systématique du profit, les bénéfices éventuels ne devant jamais être distribués mais devant être affectés au maintien ou à l’amélioration des prestations fournies;

b)      ces organismes doivent être gérés et administrés à titre essentiellement bénévole par des personnes n’ayant, par elles-mêmes ou par personnes interposées, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation;

c)      ces organismes doivent pratiquer des prix homologués par les autorités publiques ou n’excédant pas de tels prix ou, pour les opérations non susceptibles d’homologation des prix, des prix inférieurs à ceux exigés pour des opérations analogues par des entreprises commerciales soumises à la TVA;

d)      les exonérations ne doivent pas être susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA.»

5        L’article 134 de cette directive prévoit:

«Les livraisons de biens et les prestations de services sont exclues du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, points b), g), h), i), l), m) et n), dans les cas suivants:

a)      lorsqu’elles ne sont pas indispensables à l’accomplissement des opérations exonérées;

b)      lorsqu’elles sont essentiellement destinées à procurer à l’organisme des recettes supplémentaires par la réalisation d’opérations effectuées en concurrence directe avec celles d’entreprises commerciales soumises à la TVA.»

6        L’article 168, sous a), de ladite directive est rédigé comme suit:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;»

 Le droit polonais

7        L’article 43, paragraphe 1, point 1, de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée des biens et services (Ustawa o podatku od towarów i usług), du 11 mars 2004 (Dz. U. nº 54, position 535), telle que modifiée (ci-après la «loi relative à la TVA»), prévoit:

«Sont exonérés de taxe:

1)      les services énumérés à l’annexe 4 de la loi;

[...]»

8        La rubrique 7 de l’annexe 4 de la loi relative à la TVA mentionne les «services éducatifs».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        MDDP, société de droit polonais, organise des actions de formation et des conférences spécialisées dans différents domaines d’éducation et de formation, tels que la fiscalité, la comptabilité, les finances, et dans des domaines liés à l’organisation et à la gestion d’entreprises, y compris le développement de compétences professionnelles et personnelles.

10      Lesdites actions sont organisées par MDDP dans le cadre de ses activités économiques, dont le but est de générer un profit régulier.

11      MDDP n’est pas inscrite au registre des écoles et des centres privés au titre des dispositions de la loi relative aux systèmes d’éducation (Ustawa o systemie oświaty), du 7 septembre 1991.

12      MDDP a sollicité auprès du Minister un rescrit fiscal concernant son droit de déduire la TVA acquittée en amont ayant grevé les biens et les services acquis aux fins de la prestation de ses services de formation. Elle a fait valoir que ses services de formation ne devraient pas être exonérés de la TVA, mais qu’ils devraient y être soumis.

13      Dans ce contexte, MDDP a soutenu que les dispositions de l’article 43, paragraphe 1, point 1, et de la rubrique 7 de l’annexe 4 de la loi relative à la TVA sont incompatibles avec les articles 132, paragraphe 1, sous i), 133 et 134 de la directive TVA.

14      En revanche, le Minister a considéré que les dispositions de la directive TVA avaient été correctement transposées par les dispositions combinées de l’article 43, paragraphe 1, point 1, et de la rubrique 7 de l’annexe 4 de la loi relative à la TVA.

15      Le 3 janvier 2011, MDDP a alors saisi le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de la voïvodie de Varsovie) d’un recours tendant à obtenir l’annulation du rescrit fiscal susmentionné, en invoquant une violation de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, lu en combinaison avec les articles 133 et 134 de cette directive.

16      Par un jugement du 17 octobre 2011, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie a annulé le rescrit fiscal attaqué au motif que l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA s’oppose à ce que les organismes qui n’exercent pas d’activités de prestations de services éducatifs dans l’intérêt général puissent bénéficier d’une exonération de la TVA.

17      Le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie a considéré, en invoquant l’arrêt du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark (C-150/99, Rec. p. I-493), que, dans le cas d’une exonération non conforme à la directive TVA, l’assujetti a le droit d’invoquer directement l’article 168 de cette directive et de déduire la TVA ayant grevé en amont l’acquisition de biens et de services utilisés pour les besoins des services de formation fournis, même si ces derniers font l’objet d’une exonération de la TVA, dès lors que cette exonération n’est pas conforme à la directive TVA. Il a cependant souligné le caractère paradoxal de la situation découlant de ce qui précède, dans laquelle un assujetti effectuant des opérations exonérées de la TVA posséderait également un droit à déduction en vertu de l’article 168 de la directive TVA.

18      Le Minister s’est pourvu en cassation contre le jugement du 17 octobre 2011 devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative).

19      Saisie du recours du Minister, la juridiction de renvoi émet des doutes sur l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA. Elle s’interroge sur la possibilité pour MDDP d’appliquer l’exonération au service de formation fourni tout en recourant au droit de déduire la taxe acquittée en amont.

20      Dans ces circonstances, le Naczelny Sąd Administracyjny a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les dispositions des articles 132, paragraphe 1, sous i), 133 et 134 de la directive [TVA] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que les prestations de services éducatifs effectuées par des organismes non publics, à des fins commerciales, soient exonérées de TVA, comme prévu à l’article 43, paragraphe 1, point 1, de la loi [relative à la TVA], combiné à l’annexe 4, rubrique 7, de cette loi, tels qu’en vigueur en 2010?

2)      En cas de réponse [affirmative] à la première question, et eu égard à la non-conformité d’une telle exonération avec les dispositions de la directive [TVA], l’assujetti peut-il en faire application tout en bénéficiant du droit de déduire la TVA acquittée en amont, conformément à l’article 168 de ladite directive?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

21      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions combinées des articles 132, paragraphe 1, sous i), 133 et 134 de la directive TVA doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que les prestations de services éducatifs fournies par des organismes non publics, à des fins commerciales, soient exonérées de la TVA.

22      Les gouvernements polonais, grec, portugais ainsi que du Royaume-Uni soutiennent que lesdites dispositions ne s’y opposent pas.

23      En revanche, MDDP et la Commission européenne estiment que la directive TVA ne permet pas d’exonérer, d’une manière générale, l’ensemble des prestations de services éducatifs fournies par des organismes privés à des fins commerciales, une telle exonération n’étant susceptible d’être appliquée qu’en fonction des buts poursuivis par ces organismes.

24      À titre liminaire, il y a lieu de relever que les articles 132, paragraphe 1, sous i), 133 et 134 de la directive TVA correspondent à l’article 13, A, paragraphes 1, sous i), et 2, sous a) et b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).

25      Il ressort d’une jurisprudence constante que les termes employés pour désigner les exonérations figurant à l’article 132 de la directive TVA sont d’interprétation stricte. Toutefois, l’interprétation de ces termes doit être conforme aux objectifs poursuivis par lesdites exonérations et respecter les exigences du principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA. Ainsi, cette règle d’interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir les exonérations visées audit article 132 doivent être interprétés d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets (voir, notamment, arrêt du 15 novembre 2012, Zimmermann, C-174/11, point 22 et jurisprudence citée).

26      En ce qui concerne l’objectif poursuivi par l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, il ressort de cette disposition que ladite exonération, en assurant un traitement plus favorable, en matière de TVA, des prestations de services éducatifs, vise à faciliter l’accès à ces prestations en évitant les surcoûts qui découleraient de leur assujettissement à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2002, Commission/Allemagne, C-287/00, Rec. p. I-5811, point 47).

27      Compte tenu de cet objectif, il y a lieu de rappeler que le caractère commercial d’une activité n’exclut pas, dans le contexte de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, qu’elle présente le caractère d’une activité d’intérêt général (voir arrêts du 3 avril 2003, Hoffmann, C-144/00, Rec. p. I-2921, point 38, ainsi que du 26 mai 2005, Kingscrest Associates et Montecello, C-498/03, Rec. p. I-4427, point 31).

28      De même, le terme «organisme», mentionné à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, est, en principe, suffisamment large pour inclure des entités privées poursuivant un but lucratif (voir arrêt Kingscrest Associates et Montecello, précité, point 35).

29      À cet égard, il y a lieu de constater également que, lorsque le législateur de l’Union européenne a entendu réserver l’octroi des exonérations prévues à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA à certaines entités ne poursuivant pas un but lucratif ou n’ayant pas un caractère commercial, il l’a indiqué de manière explicite, ainsi qu’il ressort de cette disposition, sous l), m) et q) (voir, en ce sens, arrêt Kingscrest Associates et Montecello, précité, point 37).

30      En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que l’article 133, premier alinéa, sous a), de la directive TVA, qui constitue une condition facultative, que les États membres sont libres d’imposer de manière supplémentaire pour l’octroi de certaines des exonérations mentionnées à l’article 132, paragraphe 1, de cette directive, autorise, mais n’oblige pas les États membres à réserver le bénéfice des exonérations prévues, notamment, audit article 132, paragraphe 1, sous i), aux organismes autres que ceux de droit public qui n’ont pas pour but la recherche systématique du profit (voir arrêts Hoffmann, précité, point 38; Kingscrest Associates et Montecello, précité, point 38, ainsi que du 8 juin 2006, L.u.P., C-106/05, Rec. p. I-5123, point 43).

31      Dans ces conditions, sous peine de priver l’article 133, premier alinéa, sous a), de la directive TVA de tout objet, il doit être nécessairement admis que, lorsque le législateur de l’Union n’a pas, comme à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de cette directive, explicitement subordonné le bénéfice des exonérations en cause à l’absence de but lucratif, la poursuite d’un tel but ne saurait exclure le bénéfice desdites exonérations (voir arrêt Kingscrest Associates et Montecello, précité, point 40).

32      En outre, contrairement à ce que la Commission a fait valoir, l’article 134 de la directive TVA n’exclut nullement la possibilité d’étendre l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de cette directive à des organismes privés qui accomplissent des prestations de services éducatifs à des fins commerciales. En effet, ainsi que Mme l’avocat général l’a observé au point 31 de ses conclusions, l’article 134 de la directive TVA n’a vocation à s’appliquer qu’aux opérations étroitement liées aux prestations de services éducatifs exonérées au titre dudit article 132, paragraphe 1, sous i), et donc pas aux opérations qui sont au cœur de ces prestations (voir, en ce sens, arrêts du 1er décembre 2005, Ygeia, C-394/04 et C-395/04, Rec. p. I-10373, point 26, ainsi que du 9 février 2006, Stichting Kinderopvang Enschede, C-415/04, Rec. p. I-1385, points 22 et 25).

33      Il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles 132, paragraphe 1, sous i), 133 et 134 de la directive TVA ne s’opposent pas à ce que les prestations de services éducatifs fournies par des organismes non publics, à des fins commerciales, soient exonérées de la TVA.

34      Cependant, l’article 43, paragraphe 1, point 1, de la loi relative à la TVA, lu en combinaison avec la rubrique 7 de l’annexe 4 de cette loi, tel qu’en vigueur en 2010, exonère l’ensemble des prestations de services éducatifs d’une manière générale, quel que soit le but poursuivi par les organismes qui fournissent ces prestations.

35      Aux termes de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, les prestations de services éducatifs visées ne sont toutefois exonérées que si elles sont fournies par des organismes de droit public à vocation éducative ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné. Il s’ensuit que les autres organismes, c’est-à-dire les organismes privés, doivent répondre à la condition de poursuivre des fins comparables à celles desdits organismes de droit public. Il découle ainsi clairement du libellé de cet article 132, paragraphe 1, sous i), que celui-ci ne permet pas aux États membres d’accorder l’exonération de prestations de services éducatifs à l’ensemble des organismes privés fournissant de telles prestations, en incluant également ceux dont les fins ne sont pas comparables à celles desdits organismes de droit public.

36      Partant, une exonération, telle que celle en cause au principal, qui s’applique d’une manière générale à l’ensemble des prestations de services éducatifs, quel que soit le but poursuivi par les organismes privés qui fournissent lesdites prestations, est incompatible avec ledit article 132, paragraphe 1, sous i), tel que conçu par le législateur de l’Union.

37      Dans la mesure où l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA ne précise pas les conditions ou les modalités auxquelles ces fins comparables peuvent être reconnues, il appartient, en principe, au droit national de chaque État membre d’édicter les règles selon lesquelles une telle reconnaissance peut être accordée à de tels organismes. Les États membres disposent d’un pouvoir d’appréciation à cet égard (voir, en ce sens, arrêts précités Kingscrest Associates et Montecello, points 49 et 51, ainsi que Zimmermann, point 26).

38      En outre, il incombe aux juridictions nationales d’examiner si les États membres, en imposant de telles conditions, n’ont pas méconnu les limites de leur pouvoir d’appréciation en respectant les principes du droit de l’Union, en particulier le principe d’égalité de traitement, lequel se traduit, en matière de TVA, par le principe de neutralité fiscale (voir, en ce sens, arrêts précités Kingscrest Associates et Montecello, point 52, ainsi que L.u.P., point 48).

39      Il convient, dès lors, de répondre à la première question que les dispositions des articles 132, paragraphe 1, sous i), 133 et 134 de la directive TVA doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce que les prestations de services éducatifs fournies par des organismes non publics, à des fins commerciales, soient exonérées de la TVA. Toutefois, l’article 132, paragraphe 1, sous i), de cette directive s’oppose à une exonération de l’ensemble des prestations de services éducatifs, d’une manière générale, sans que soient considérées les fins poursuivies par des organismes non publics qui fournissent ces prestations.

 Sur la seconde question

40      Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il convient de comprendre la seconde question en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi cherche à savoir si un assujetti peut se prévaloir du fait que l’exonération de la TVA prévue par le droit national est incompatible avec l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, afin de pouvoir prétendre au droit à déduction de la TVA acquittée en amont, prévu par l’article 168 de la directive TVA, et de bénéficier en même temps de ladite exonération pour les prestations d’enseignement et de formation professionnelle qu’il fournit.

41      À titre liminaire, il convient de constater que, ainsi que l’ont relevé les gouvernements polonais, portugais et du Royaume-Uni, il est un principe central du système de la TVA que le droit à déduction de la TVA grevant l’acquisition de biens ou de services en amont présuppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci font partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction.

42      En effet, il résulte de la partie introductive de l’article 168 de la directive TVA, qui prévoit les conditions de naissance et l’étendue du droit à déduction, que seules les opérations qui ont été taxées en aval peuvent ouvrir le droit à déduction de la TVA ayant grevé l’acquisition des biens et des services utilisés pour la réalisation de ces opérations.

43      Par conséquent, selon la logique du système mis en place par la directive TVA, la déduction des taxes en amont est liée à la perception des taxes en aval.

44      À cet égard, la Cour a déjà jugé que, excepté dans les cas prévus expressément par les directives en la matière, lorsqu’un assujetti fournit des services à un autre assujetti qui les utilise pour effectuer une opération exonérée, celui-ci n’a pas le droit de déduire la TVA acquittée en amont (voir, notamment, arrêts du 6 avril 1995, BLP Group, C-4/94, Rec. p. I-983, point 28, et du 26 septembre 1996, Debouche, C-302/93, Rec. p. I-4495, point 16).

45      Il résulte de ce qui précède que, même lorsqu’une exonération prévue par le droit national est incompatible avec la directive TVA, l’article 168 de cette directive ne permet pas à un assujetti de bénéficier de cette exonération tout en prétendant au droit à déduction.

46      Il convient d’examiner si un assujetti tel que MDDP peut invoquer l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA pour faire assujettir ses prestations de services éducatifs et, ainsi, bénéficier du droit à déduction.

47      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées, à défaut de mesures d’application prises dans les délais, à l’encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive TVA, ou encore en tant qu’elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l’égard de l’État (voir, notamment, arrêt du 28 juin 2007, JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies, C-363/05, Rec. p. I-5517, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

48      La question qui se pose, dès lors, est de savoir si l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA est, dans son contenu, inconditionnel et suffisamment précis en ce qui concerne l’exonération des prestations de services éducatifs d’organismes privés.

49      La première de ces conditions est remplie. En effet, l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA est inconditionnel quant à son contenu en ce qu’il ne laisse aucune option aux États membres, mais impose à chacun de ces États d’accorder l’exonération qui y est définie.

50      En ce qui concerne la seconde condition, il ressort de la réponse donnée par la Cour à la première question que l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation pour définir les organismes privés qui ont des fins comparables à celles des organismes de droit public et qui doivent donc, en vertu de cet article, être exonérés de la TVA.

51      La Cour a toutefois déjà eu l’occasion de constater que la circonstance qu’une disposition de la directive TVA établissant une exonération accorde aux États membres une marge d’appréciation pour déterminer les bénéficiaires de celle-ci n’empêche pas de considérer que cette disposition est suffisamment précise pour pouvoir être invoquée directement si, selon des indices objectifs, la prestation litigieuse répond aux critères visés par ladite exonération (voir, notamment, arrêt JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies, précité, points 60 et 61 ainsi que jurisprudence citée).

52      De même, lorsqu’un État membre a dépassé son pouvoir d’appréciation en exonérant des prestations ou des assujettis pour lesquels une telle exonération ne pouvait objectivement être accordée en vertu de ladite disposition de la directive TVA, l’intéressé peut invoquer directement celle-ci afin que cette exonération ne lui soit pas appliquée.

53      Il s’ensuit que ce n’est que si l’État membre a dépassé son pouvoir d’appréciation, en reconnaissant un assujetti comme étant un organisme ayant des fins comparables à celles des organismes de droit public, que cet assujetti peut alors invoquer l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA pour l’opposer à la législation nationale et voir ainsi assujettir ses prestations.

54      Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 70 et 71 de ses conclusions, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si l’exonération des prestations fournies par un organisme tel que MDDP, au titre de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, dépasse les limites du pouvoir d’appréciation laissé au législateur polonais. Il appartient à cette juridiction d’examiner les fins et les modalités de l’activité de MDDP en les comparant à celles des organismes polonais de droit public chargés de missions éducatives. Il découle à cet égard de la réponse apportée par la Cour à la première question que le seul fait qu’un organisme tel que MDDP poursuit des fins commerciales n’est pas suffisant pour exclure que celui-ci ait des fins comparables à celles des organismes de droit public et que ses prestations puissent donc être exonérées en vertu de ladite disposition.

55      Si la juridiction de renvoi devait constater que les fins poursuivies par un organisme tel que MDDP ne peuvent être considérées comme comparables à celles poursuivies par un organisme de droit public, MDDP pourrait se prévaloir du fait que le droit national exonère, en violation de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, ses prestations d’enseignement et de formation professionnelle de la TVA. Dans ce cas, ces prestations seraient soumises à la TVA et MDDP pourrait alors faire valoir, dans cette mesure, un droit à déduction de la TVA acquittée en amont au titre de la réglementation polonaise.

56      Il convient, dès lors, de répondre à la seconde question:

–        qu’un assujetti ne peut prétendre, en vertu de l’article 168 de la directive TVA ou de la disposition nationale transposant celui-ci, à un droit à déduction de la TVA acquittée en amont si, en raison d’une exonération prévue par le droit national en violation de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de cette directive, ses prestations éducatives fournies en aval ne sont pas soumises à la TVA;

–        que cet assujetti peut toutefois invoquer l’incompatibilité de ladite exonération avec l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA afin que celle-ci ne lui soit pas appliquée lorsque, même en tenant compte de la marge d’appréciation accordée par cette disposition aux États membres, ledit assujetti ne saurait objectivement être considéré comme un organisme ayant des fins comparables à celles d’un organisme d’éducation de droit public, au sens de ladite disposition, ce qu’il appartient au juge national de vérifier, et

–        que, dans cette dernière hypothèse, les prestations éducatives fournies par ledit assujetti seront soumises à la TVA et celui-ci pourra alors bénéficier du droit à déduction de la TVA acquittée en amont.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      Les dispositions des articles 132, paragraphe 1, sous i), 133 et 134 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce que les prestations de services éducatifs fournies par des organismes non publics, à des fins commerciales, soient exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, l’article 132, paragraphe 1, sous i), de cette directive s’oppose à une exonération de l’ensemble des prestations de services éducatifs, d’une manière générale, sans que soient considérées les fins poursuivies par des organismes non publics qui fournissent ces prestations.

2)      Un assujetti ne peut prétendre, en vertu de l’article 168 de la directive 2006/112 ou de la disposition nationale transposant celui-ci, à un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont si, en raison d’une exonération prévue par le droit national en violation de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de cette directive, ses prestations éducatives fournies en aval ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

Cet assujetti peut toutefois invoquer l’incompatibilité de ladite exonération avec l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112 afin que celle-ci ne lui soit pas appliquée lorsque, même en tenant compte de la marge d’appréciation accordée par cette disposition aux États membres, ledit assujetti ne saurait objectivement être considéré comme un organisme ayant des fins comparables à celles d’un organisme d’éducation de droit public, au sens de ladite disposition, ce qu’il appartient au juge national de vérifier.

Dans cette dernière hypothèse, les prestations éducatives fournies par ledit assujetti seront soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et celui-ci pourra alors bénéficier du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont.

Signatures


* Langue de procédure: le polonais.