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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

3 septembre 2014 ( * )

«Renvoi préjudiciel — TVA — Sixième directive 77/388/CEE — Article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa — Effet direct — Réduction de la base d’imposition — Réalisation de deux opérations portant sur les mêmes biens — Livraisons de biens — Voitures, vendues en location-vente, reprises en possession et revendues aux enchères — Abus de droit»

Dans l’affaire C-589/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) (Royaume-Uni), par décision du 10 décembre 2012, parvenue à la Cour le 14 décembre 2012, dans la procédure

Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

contre

GMAC UK plc,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis, J-C. Bonichot et A. Arabadjiev (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 décembre 2013,

considérant les observations présentées:

pour GMAC UK plc, par M. R. Cordara, QC,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme J. Beeko, en qualité d’agent, assistée de M. K. Lasok, QC,

pour la Commission européenne, par MM. R. Lyal et A. Cordewener ainsi que par Mme C. Soulay, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (ci-après les «Commissioners») à GMAC UK plc (ci-après «GMAC») au sujet du montant imposable à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») pour des livraisons que GMAC avait effectuées en exécution de contrats de location-vente de véhicules à moteur.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 11, A, de la sixième directive, relatif à la base d’imposition à l’intérieur du pays, prévoyait:

«1.   La base d’imposition est constituée:

a)

pour les livraisons de biens et les prestations de services […], par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations;

[…]»

4

L’article 11, C, de la sixième directive, portant sur les dispositions diverses, disposait, à son paragraphe 1:

«En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

Toutefois, en cas de non-paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger à cette règle.»

Le droit du Royaume-Uni

5

Il ressort de la décision de renvoi que la législation qui transposait l’article 11, C, paragraphe 1, de la sixième directive comprenait deux séries de dispositions. La première s’appliquait en cas de réduction de la contrepartie, la seconde s’appliquait et conférait un allégement, c’est-à-dire le dégrèvement pour créance irrécouvrable, en cas de défaut de paiement total ou partiel.

Les dispositions nationales afférentes à la réduction de la contrepartie

6

Ces dispositions figuraient, depuis l’année1995, dans la règle 38, lue en combinaison avec la règle 24, du règlement de 1995 sur la comptabilisation et l’enregistrement de la TVA (VAT Regulations 1995). Elles prévoyaient que, en cas de diminution de la contrepartie pour une livraison incluant un montant de TVA, l’assujetti devait ajuster son compte de TVA en portant en entrée négative le montant de TVA en cause. À ces fins, une diminution de la contrepartie n’était reconnue que si elle était établie par une note de crédit ou un autre document d’effet similaire. Des règles équivalentes étaient d’application pendant la période allant de l’année 1990 à l’année1995.

Les dispositions nationales afférentes à la créance irrécouvrable

7

Pour les livraisons effectuées entre le 2 octobre 1978 et le 26 juillet 1990, le dégrèvement pour créance irrécouvrable était applicable en vertu de l’«ancien système». Pour les livraisons effectuées entre le 1er avril 1989 et le 19 mars 1997, les demandes de dégrèvement pouvaient être présentées en vertu du «nouveau système». Au cours de la période de chevauchement, à savoir entre le 1er avril 1989 et le 26 juillet 1990, la demande pouvait être présentée au titre de l’un ou de l’autre système.

– L’ancien système

8

L’ancien système a été mis en place par la section 12 de la loi de finance de 1978 (Finance Act 1978) et reconduit à la section 22 de la loi de 1983 sur la taxe sur la valeur ajoutée (Value Added Tax Act 1983, ci-après le «VATA 1983»).

9

La section 22 du VATA 1983 dispose:

«(1)

Lorsque

(a)

une personne a livré des biens ou fourni des services en échange d’une contrepartie monétaire et qu’elle a compté et versé la taxe sur cette livraison ou fourniture; et que

(b)

la personne qui devait verser le solde éventuel de la contrepartie est devenue insolvable,

alors, sous réserve de la sous-section 2 et des dispositions de la sous-section 3, ci-après, la première personne mentionnée aura le droit, sur demande présentée aux Commissioners, à un remboursement de la TVA facturable compte tenu du solde non versé.

(2)

Nul n’aura droit à un remboursement au titre de la présente section à moins

(a)

qu’il n’ait établi le montant de la créance dans la procédure d’insolvabilité et que le montant ainsi établi corresponde au solde de la contrepartie, diminué du montant de sa demande;

(b)

que la valeur de la livraison n’excède pas sa valeur sur le marché ouvert, et que

(c)

s’agissant d’une livraison de marchandises, la propriété de celles-ci n’ait été transférée à la personne qui en était la destinataire […]»

10

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, en vertu de la section 22 du VATA 1983, une personne était considérée comme étant insolvable aux fins de cette section si elle avait été déclarée en faillite ou si le tribunal avait rendu une ordonnance relative à la gestion de son patrimoine dans le cadre de la faillite. Une société était insolvable si elle faisait l’objet d’une liquidation volontaire ou forcée et que les «circonstances étaient telles que la société était dans l’incapacité de payer ses dettes».

– Le nouveau système

11

La section 11 de la loi de finance de 1990 (Finance Act 1990) a mis en place le nouveau système et abrogé l’ancien système pour les livraisons postérieures au 26 juillet 1990.

12

Le nouveau système s’est appliqué aux livraisons postérieures au 1er avril 1989. Il a été reconduit à la section 36 de la loi de 1994 sur la taxe sur la valeur ajoutée (Value Added Tax Act 1994), qui se lisait ainsi:

«1)

La sous-section 2) ci-dessous s’applique lorsque:

a)

une personne a livré des biens ou fourni des services en échange d’une contrepartie monétaire et a compté et versé la taxe sur cette livraison ou fourniture;

b)

la totalité ou une partie de la contrepartie de la fourniture a été annulée dans ses comptes en tant que créance irrécouvrable, et

c)

une période […] de six mois [remplaçant la période de deux ans dans les dispositions de la section 11 de la loi de finance de 1990] (commençant à la date de la livraison) s’est écoulée.

2)

sous réserve des dispositions suivantes de la présente section et des règles en découlant, une personne a le droit, en présentant une demande aux Commissioners, à un remboursement du montant de TVA facturable par référence au solde.

[…]

4)

Nul n’aura droit à un remboursement au titre de la sous-section 2) ci-dessus à moins

a)

que la valeur de la livraison n’excède pas sa valeur normale, et

b)

que, s’agissant d’une livraison de marchandises, la propriété de celles-ci n’ait été transférée à la personne destinataire de la livraison, ou à une personne qui tire un droit de, par ou pour cette personne.

[…]»

L’arrêté de 1992 sur la taxe sur la valeur ajoutée sur les voitures

13

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord admettait des déductions de la TVA sur la vente de véhicules d’occasion dans des termes en substance identiques dans ses législations successives, dont l’arrêté de 1992 sur la taxe sur la valeur ajoutée sur les voitures [Value Added Tax (Cars) Order 1992, ci-après le «Cars Order»].

14

Conformément à la règle 8 du Cars Order, lorsqu’un concessionnaire automobile vendait un véhicule d’occasion, la TVA devait être facturée sur une base imposable d’un montant égal à la marge du concessionnaire.

15

Toutefois, la règle 4 du Cars Order prévoyait un traitement spécifique en cas de revente de véhicules repris par le vendeur:

«(1)

Chacune des opérations décrites ci-dessous sera considérée comme n’étant ni une livraison de marchandises ni une prestation de services;

(a)

La cession d’un véhicule à moteur usagé par une personne qui en a récupéré la possession aux termes d’un accord financier, dès lors que le véhicule est dans le même état qu’au moment où il a été récupéré […]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16

GMAC est une société assujettie à la TVA qui se consacre, notamment, à la vente à tempérament de véhicules à moteur.

17

Dans le cadre de ces ventes, un consommateur choisit un véhicule auprès d’un concessionnaire et lui demande l’octroi d’un financement particulier. Il est alors orienté vers des sociétés de location-vente, telle GMAC. Lorsqu’il y a accord entre les trois parties, le concessionnaire vend la voiture à la société de location-vente, puis celle-ci fournit la voiture au consommateur final en vertu d’un «contrat de location-vente».

18

La vente de ces véhicules par les concessionnaires automobiles à GMAC était soumise à la TVA au taux normal. La fourniture des véhicules par GMAC aux clients finals, en vertu de contrats de location-vente, était, elle aussi, soumise à la TVA au taux normal. En cas de défaillance du locataire, GMAC reprenait possession du véhicule et le vendait aux enchères. Le produit de la vente était imputé sur le solde des mensualités dues par le locataire.

19

La livraison d’un véhicule à moteur dans le cadre d’un contrat de location-vente était considérée, aux fins de la TVA, comme une livraison de marchandises. La TVA devenait exigible à la livraison du véhicule par GMAC aux clients finals pour le montant total dû, à l’exclusion des frais financiers. Si, par la suite, ce véhicule était repris et vendu aux enchères, conformément notamment à la règle 4 du Cars Order, cette vente aux enchères était considérée comme n’étant ni une livraison de marchandises ni une prestation de services.

20

Les Commissioners avaient toujours admis que, en cas de résiliation à l’amiable d’un contrat de location-vente portant sur un véhicule à moteur entraînant la revente de celui-ci, la règle 38 du VAT Regulations 1995 s’appliquait, avec pour conséquence que GMAC devait être considérée comme ayant effectué l’opération de location-vente en échange d’une contrepartie réduite à hauteur du produit de la revente. Toutefois, jusqu’à la décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), dans l’affaire C&E Commissioners v GMAC (2004), ils n’avaient pas admis que le même régime s’applique lorsque le locataire était défaillant et que le véhicule était repris et revendu aux enchères par GMAC.

21

Depuis cette décision, la règle 38 du VAT Regulations 1995 s’applique également en cas de défaillance du locataire et de revente aux enchères du véhicule par GMAC. La High Court of Justice a considéré également que le Cars Order s’applique lui aussi, de telle sorte que GMAC ne doit pas payer la TVA sur le produit de la vente aux enchères. La juridiction de renvoi relève à cet égard que l’application combinée de ces dispositions aboutit à un «effet d’aubaine» en vertu duquel le montant de TVA dû, en fin de compte, est moindre que ce qu’il aurait été si la sixième directive avait été correctement transposée.

22

GMAC a alors engagé une nouvelle procédure, couvrant elle aussi la période allant de l’année 1978 à l’année 1997 et fondée entièrement sur l’effet direct de la sixième directive. Sa revendication porte désormais sur la partie de la contrepartie de la livraison du véhicule à moteur au client qui est restée impayée en raison de la défaillance de ce client. Cette somme ne représente pas une réduction de prix au sens de l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive. Il s’agit d’un défaut de paiement partiel au sens de cette disposition, à savoir d’une créance irrécouvrable.

23

Par lettre du 20 février 2006, GMAC a ainsi demandé un dégrèvement pour créance irrécouvrable portant sur la période allant de l’année 1978 à l’année 1997 et ayant son origine dans la résiliation de contrats de location-vente de véhicules à moteur conclus avec des clients en raison du non-paiement du prix de vente convenu. Les Commissioners ont rejeté cette demande par une décision du 18 juillet 2006.

24

Le First-tier Tribunal (Tax Chamber) a accueilli le recours de GMAC contre cette décision, en estimant que les conditions légales d’éligibilité étaient incompatibles avec le droit de l’Union et que les demandes de GMAC visant à obtenir le dégrèvement pour créance irrécouvrable n’entraînaient pas de distorsion ni de rupture de la neutralité fiscale contraires au droit de l’Union.

25

Saisi en appel, l’Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) considère au contraire que la combinaison de la règle 38 du VAT Regulations 1995, telle qu’interprétée par la décision de la High Court of Justice, dans l’affaire C&E Commissioners v GMAC (2004), et du Cars Order ne constitue pas une mise en œuvre effective de la sixième directive, car elle se traduit par un allégement de TVA incompatible avec la finalité de cette directive et, partant, contraire au droit de l’Union.

26

Dans ces conditions, l’Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Dans quelle mesure un assujetti, dans le cas de deux opérations portant sur les mêmes marchandises, a-t-il le droit de se prévaloir, à la fois, de l’effet direct d’une disposition de la [sixième directive] à l’égard d’une opération et des dispositions du droit national à l’égard de l’autre opération, lorsque cela produirait, pour les deux opérations, un résultat fiscal global que ni le droit national ni la [sixième directive], appliqués séparément à ces opérations, ne produisent ni ne recherchent?

2)

Si la réponse à la première question est qu’il existe des circonstances dans lesquelles un assujetti ne serait pas autorisé à agir ainsi (ou n’y serait pas autorisé dans une certaine mesure), quelles sont ces circonstances et, en particulier, quel est le rapport entre les deux opérations qui donnerait naissance à de telles circonstances?

3)

Les réponses aux première et deuxième questions sont-elles différentes selon que le traitement national de l’une des opérations est conforme ou non à la sixième directive?»

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et troisième questions

27

Par ses première et troisième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un État membre peut interdire à un assujetti de se prévaloir de l’effet direct de cette disposition à l’égard d’une opération, au motif que cet assujetti peut se prévaloir des dispositions du droit national à l’égard d’une autre opération relative aux mêmes biens et que l’application cumulée de ces dispositions aboutirait à un résultat fiscal global que ni le droit national ni la sixième directive, appliqués séparément à ces opérations, ne produiraient ni ne rechercheraient.

28

Cette juridiction se demande en outre si le fait que le droit national applicable à cette dernière opération soit conforme ou non à la sixième directive est pertinent à cet égard.

29

Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (arrêt Almos Agrárkülkereskedelmi, C-337/13, EU:C:2014:328, point 31 et jurisprudence citée).

30

Une disposition du droit de l’Union est inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union, soit des États membres (arrêt Almos Agrárkülkereskedelmi, EU:C:2014:328, point 32 et jurisprudence citée).

31

L’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive définit les cas dans lesquels les États membres sont tenus de procéder à la réduction de la base d’imposition à due concurrence et dans les conditions qu’eux-mêmes déterminent. Ainsi, cette disposition oblige les États membres à réduire la base d’imposition chaque fois que, postérieurement à la conclusion d’une opération, une partie ou la totalité de la contrepartie n’est pas perçue par l’assujetti (arrêt Goldsmiths, C-330/95, EU:C:1997:339, point 16).

32

Si cette disposition laisse ainsi aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils fixent les mesures permettant de déterminer le montant de la réduction, cette circonstance n’affecte pas, cependant, le caractère précis et inconditionnel de l’obligation de faire droit à la réduction de la base d’imposition dans les cas visés par ladite disposition. Celle-ci remplit dès lors les conditions pour produire un effet direct (arrêt Almos Agrárkülkereskedelmi, EU:C:2014:328, point 34).

33

Ainsi que la juridiction de renvoi l’a exposé dans sa demande de décision préjudicielle, les questions posées à la Cour s’expliquent par le fait que, dans l’affaire au principal, les autorités fiscales du Royaume-Uni ont considéré que l’assujetti ne saurait bénéficier simultanément d’un «effet d’aubaine» et de l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive, notamment en raison du fait que l’application cumulée de la règle 38 du VAT Regulations 1995, du Cars Order et de cette directive aboutirait à un résultat fiscal global que ni le droit national ni ladite directive, appliqués séparément à ces opérations, ne produiraient ni ne rechercheraient.

34

Selon le gouvernement du Royaume-Uni, dans une situation telle que celle au principal, la TVA facturée au consommateur final et due aux autorités fiscales n’est pas calculée sur la contrepartie réellement reçue par l’assujetti en échange des livraisons effectuées. Or, l’effet direct ne serait pas un principe du droit de l’Union qui pourrait être utilisé afin d’atteindre un résultat opposé à celui visé par la sixième directive. Ce gouvernement considère dès lors que l’assujetti n’a pas le droit de se prévaloir des dispositions du droit national à l’égard d’une opération et de l’effet direct de l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive à l’égard d’une autre opération.

35

Cette argumentation ne saurait être retenue.

36

En effet, ainsi qu’il ressort du point 32 du présent arrêt, l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive est doté d’un effet direct si bien que, dans les circonstances de l’affaire au principal, la question de savoir si un assujetti tel que GMAC peut se prévaloir, après avoir livré un bien dans le cadre d’un contrat de location-vente, du droit d’obtenir une réduction de la base d’imposition que lui confère cette disposition dépend de la circonstance que les clients de GMAC n’exécutent pas en totalité ou partiellement leur obligation de paiement dans le cadre de ce contrat.

37

Certes, cette disposition constitue l’expression d’un principe fondamental de la sixième directive, selon lequel la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue et dont le corollaire consiste en ce que l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui que l’assujetti avait perçu (arrêt Almos Agrárkülkereskedelmi, EU:C:2014:328, point 22 et jurisprudence citée).

38

Toutefois, il ressort du dossier soumis à la Cour que, si la vente aux enchères du véhicule récupéré chez le locataire n’était pas, en vertu du droit national lui-même, exonérée de la TVA, la contrepartie perçue pour chaque opération serait soumise à l’imposition. La base imposable serait alors constituée des montants versés par le client de la location-vente et par l’acquéreur dans le cadre de la vente aux enchères. Ce faisant, la base imposable correspondrait, conformément au principe rappelé au point précédent, à la contrepartie réellement perçue par GMAC.

39

Or, il convient à cet égard de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’État membre qui n’a pas pris, dans les délais, les mesures d’exécution imposées par une directive ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement par lui-même des obligations qu’elle comporte (voir, notamment, arrêt Rieser Internationale Transporte, C-157/02, EU:C:2004:76, point 22 et jurisprudence citée).

40

Partant, la circonstance que, en vertu du droit national, la vente aux enchères du véhicule n’était pas traitée comme une livraison de marchandises ou une prestation de services ne saurait aboutir à ce que l’assujetti soit privé du droit d’obtenir une réduction du montant imposable en cas de non-paiement total ou partiel du prix, conformément à l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive.

41

Il importe par ailleurs de rappeler que, selon le principe fondamental inhérent au système commun de TVA et résultant de l’article 2 de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301), et de l’article 2 de la sixième directive, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (voir, notamment, arrêts Midland Bank, C-98/98, EU:C:2000:300, point 29, et Zita Modes, C-497/01, EU:C:2003:644, point 37).

42

Dès lors, en cas de défaut de paiement total ou partiel, le montant de la base imposable du contrat de location-vente d’un véhicule doit être ajusté en fonction de la contrepartie réellement reçue par l’assujetti dans le cadre de ce même contrat. La contrepartie reçue par cet assujetti, versée par un tiers dans le cadre d’une autre opération, en l’occurrence la vente aux enchères du véhicule restitué par le locataire, demeure sans incidence sur la conclusion selon laquelle ledit assujetti peut se prévaloir de l’effet direct de l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive dans le cadre du contrat de location-vente.

43

Il résulte de ce qui précède que la question de savoir si le droit national applicable à l’opération de vente aux enchères est conforme ou non à la sixième directive n’est pas pertinente aux fins de déterminer si un assujetti tel que GMAC est fondé à se prévaloir des droits qu’il tire de l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive.

44

Le gouvernement du Royaume-Uni fait en outre valoir qu’il serait abusif d’invoquer l’effet direct de cette disposition d’une manière sélective, de façon à forger une situation dans laquelle le résultat voulu par la législation en cause n’est pas atteint.

45

Il y a lieu de relever à cet égard que la Cour, aux points 74 et 75 de l’arrêt Halifax e.a. (C-255/02, EU:C:2006:121), a notamment jugé que la constatation d’une pratique abusive en matière de TVA suppose, d’une part, que les opérations dont il s’agit, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale la transposant, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions et, d’autre part, qu’il résulte d’un ensemble d’éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause se limite à l’obtention de cet avantage fiscal.

46

C’est à la juridiction nationale qu’il appartient de vérifier, conformément aux règles de preuve du droit national, pour autant qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité du droit de l’Union, si les éléments constitutifs d’une pratique abusive sont réunis dans le litige au principal. Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son interprétation (voir, notamment, arrêt Halifax e.a., EU:C:2006:121, points 76 et 77 ainsi que jurisprudence citée).

47

Il convient de relever que si, comme le fait valoir le gouvernement du Royaume-Uni, l’objectif poursuivi par la sixième directive ne peut être atteint, il en est ainsi en raison d’un «effet d’aubaine» résultant exclusivement de l’application du droit national. En effet, ainsi qu’il ressort du point 38 du présent arrêt, l’obtention de l’avantage fiscal en cause résulte, en substance, de l’absence d’imposition de la vente aux enchères du véhicule récupéré chez le locataire qui découle de la règle 4 du Cars Order.

48

Par ailleurs, la Cour a jugé que le choix, pour un entrepreneur, entre des opérations exonérées et des opérations imposées peut se fonder sur un ensemble d’éléments et, notamment, des considérations de nature fiscale tenant au régime objectif de TVA. En effet, lorsque l’assujetti a le choix entre différentes opérations, il a le droit de choisir la structure de son activité de manière à pouvoir limiter sa dette fiscale (voir arrêt RBS Deutschland Holdings, C-277/09, EU:C:2010:810, point 54 et jurisprudence citée).

49

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et troisième questions que l’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un État membre ne saurait interdire à un assujetti de se prévaloir de l’effet direct de cette disposition à l’égard d’une opération, au motif que cet assujetti peut se prévaloir des dispositions du droit national à l’égard d’une autre opération relative aux mêmes biens et que l’application cumulée de ces dispositions aboutirait à un résultat fiscal global que ni le droit national ni la sixième directive, appliqués séparément à ces opérations, ne produiraient ni ne rechercheraient.

Sur la deuxième question

50

Compte tenu de la réponse apportée aux première et troisième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Sur les dépens

51

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

L’article 11, C, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un État membre ne saurait interdire à un assujetti de se prévaloir de l’effet direct de cette disposition à l’égard d’une opération, au motif que cet assujetti peut se prévaloir des dispositions du droit national à l’égard d’une autre opération relative aux mêmes biens et que l’application cumulée de ces dispositions aboutirait à un résultat fiscal global que ni le droit national ni la sixième directive 77/388, appliqués séparément à ces opérations, ne produiraient ni ne rechercheraient.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: l’anglais.