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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

16 octobre 2014 ( * )

«Renvoi préjudiciel — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Directive 2006/112/CE — Article 44 — Notion d’‘établissement stable’ du destinataire d’une prestation de services — Lieu où les prestations de services sont réputées être fournies à des assujettis — Opération intracommunautaire»

Dans l’affaire C-605/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne), par décision du 25 octobre 2012, parvenue à la Cour le 24 décembre 2012, dans la procédure

Welmory sp. z o.o.

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Gdańsku,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 mars 2014,

considérant les observations présentées:

pour Welmory sp. z o.o., par Me M. Gorazda, adwokat,

pour le Dyrektor Izby Skarbowej w Gdańsku, par MM. T. Tratkiewicz et J. Kaute, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme A. Kramarczyk, en qualité d’agents,

pour le gouvernement chypriote, par Mmes K. Kleanthous et E. Symeonidou, en qualité d’agents,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. L. Christie, en qualité d’agent, assisté de M. O. Thomas, barrister,

pour la Commission européenne, par Mmes K. Herrmann et L. Lozano Palacios et M. R. Lyal, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 mai 2014,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 44 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008 (JO L 44, p. 11, ci-après la «directive TVA»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Welmory sp. z o.o., dont le siège est établi en Pologne (ci-après la «société polonaise»), au Dyrektor Izby Skarbowej w Gdańsku (directeur de l’administration fiscale de Gdańsk, ci-après le «Dyrektor») au sujet du lieu de l’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») de services fournis par cette société à une société ayant son siège d’activité économique dans un autre État membre.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

La directive TVA a, conformément à ses articles 411 et 413, abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2007, la législation de l’Union européenne en matière de TVA, notamment la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»). L’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive, intitulé «Prestations de services», était libellé dans les termes suivants:

«Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.»

4

Jusqu’au 31 décembre 2009, l’article 43 de la directive 2006/112, qui figurait sous le chapitre 3 de celle-ci, intitulé «Lieu des prestations de services», prévoyait:

«Le lieu d’une prestation de services est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable à partir duquel la prestation de services est fournie ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.»

5

La directive 2008/8 a remplacé, avec effet au 1er janvier 2010, les articles 43 à 59 qui figuraient sous ce chapitre de la directive 2006/112.

6

L’article 44 de la directive TVA dispose:

«Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où l’assujetti qui bénéficie de tels services a son domicile ou sa résidence habituelle.»

7

Le considérant 4 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112 (JO L 77, p. 1, ci-après le «règlement d’exécution»), applicable à compter du 1er juillet 2011, énonce:

«L’objectif du présent règlement est de garantir l’application uniforme du système actuel de TVA en adoptant des dispositions d’exécution de la directive 2006/112/CE en ce qui concerne, notamment, les assujettis, les livraisons de biens et prestations de services, ainsi que le lieu des opérations imposables. [...]»

8

Le considérant 14 du règlement d’exécution énonce:

«Afin d’assurer l’application uniforme des règles relatives au lieu des opérations imposables, il convient de préciser certains concepts tels que le siège de l’activité économique, l’établissement stable, le domicile ou la résidence habituelle. Tout en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice [de l’Union européenne], le recours à des critères aussi clairs et objectifs que possible devrait faciliter la mise en pratique de ces concepts.»

9

L’article 11, paragraphe 1, du règlement d’exécution est libellé comme suit:

«Pour l’application de l’article 44 de la directive [TVA], l’‘établissement stable’ désigne tout établissement, autre que le siège de l’activité économique [...]qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement.»

Le droit polonais

10

La loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Ustawa o podatku od towarów i usług), du 11 mars 2004 (Dz. U. no 54, position 535), dans sa version en vigueur du 1er janvier 2010 au 30 juin 2011 (ci-après la «loi relative à la TVA»), est applicable à l’affaire au principal.

11

L’article 19, paragraphes 1 et 4, de la loi relative à la TVA dispose:

«1.   L’obligation fiscale prend naissance au moment de la livraison de la marchandise ou de la prestation de services, sous réserve des paragraphes 2 à 21, et des articles 14, paragraphe 6, 20 et 21, paragraphe 1.

[...]

4.   Au cas où la livraison de la marchandise ou la prestation de services doivent être confirmées par une facture, l’obligation fiscale prend naissance au moment de l’émission de la facture et, au plus tard, 7 jours à compter du jour de la livraison de la marchandise ou de la prestation de services.»

12

Aux termes de l’article 28b, paragraphes 1 et 2, de cette loi:

«1.   Le lieu de prestation des services, lorsque ceux-ci sont fournis à un assujetti, est l’endroit où l’assujetti preneur des services a son siège ou son domicile, sous réserve des paragraphes 2 à 4, des articles 28e, 28f, paragraphe 1, 28g, paragraphe 1, 28i, 28j, et 28n.

2.   Lorsque les services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a son siège ou son domicile, le lieu de prestation de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé.»

Le litige au principal et la question préjudicielle

13

Welmory LTD, établie à Nicosie (Chypre, ci-après la «société chypriote»), organise des ventes aux enchères sur une plateforme de vente en ligne. À cette fin, elle vend des lots de «bids» (mises), c’est-à-dire des titres donnant le droit d’émettre une offre pour acheter un bien mis aux enchères en proposant un prix plus élevé que le dernier prix proposé.

14

Il ressort du dossier soumis à la Cour que la société chypriote a conclu, le 2 avril 2009, un contrat de collaboration avec la société polonaise, aux termes duquel la première s’est engagée à fournir à la seconde un service de mise à disposition d’un site Internet de ventes aux enchères sous le nom de domaine www.za10groszy.pl, comprenant également la fourniture de services associés liés, d’une part, à la location des serveurs indispensables au fonctionnement du site et, d’autre part, à la présentation des produits mis aux enchères. La société polonaise s’engageait, quant à elle, principalement, à vendre des biens sur ce site.

15

Le processus de vente est le suivant. Tout d’abord, le client achète un nombre de «bids» auprès de la société chypriote sur le site de vente en ligne. Ensuite, ces «bids» donnent le droit au client de prendre part à la vente des biens proposés aux enchères par la société polonaise sur ce même site et d’émettre une offre pour acquérir l’un de ces biens. À la différence du système d’enchères classique, pour surenchérir, le client ne doit pas simplement s’engager à régler une somme d’argent plus élevée que la dernière proposée, mais il doit, à cette fin, «s’acquitter» de «bids». Enfin, le bien est adjugé au client qui a proposé, au moyen de ses «bids», le prix le plus élevé pour l’acquérir.

16

Il ressort également du dossier soumis à la Cour que la source de revenu de la société polonaise provient, d’une part, du prix de vente obtenu dans le cadre des ventes aux enchères en ligne et, d’autre part, d’une rémunération perçue de la société chypriote, correspondant à une partie du produit de la vente des «bids» dont se servent les clients en Pologne pour émettre une offre aux enchères.

17

Le 19 avril 2010, la société chypriote a acquis 100 % du capital social de la société polonaise.

18

Pour la période se situant entre les mois de janvier et d’avril 2010, antérieure à cette acquisition, la société polonaise a établi quatre factures relatives à des prestations de services fournies à la société chypriote (publicité, services, fourniture d’informations et traitement des données).

19

Considérant que ces prestations de services avaient été fournies au siège social de la société chypriote et qu’elles devaient par conséquent être soumises à la TVA à Chypre, la société polonaise, tout en indiquant que cette taxe devait être acquittée par le preneur de ces services, n’a pas facturé de TVA.

20

Le Dyrektor a toutefois considéré qu’il s’agissait de prestations de services fournies à un établissement stable de la société chypriote sur le territoire polonais et qu’il convenait, par voie de conséquence, de les imposer en Pologne au taux normal de 22 %, conformément à l’article 28b, paragraphe 2, de la loi relative à la TVA.

21

La société polonaise a introduit un recours en annulation de la décision du Dyrektor devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Gdańsku (tribunal administratif de la voïvodie de Gdańsk) en faisant valoir qu’un opérateur indépendant exerçant une activité autonome, ayant la qualité d’assujetti à la TVA, ne peut constituer un établissement stable d’un autre assujetti.

22

Le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Gdańsku a rejeté ce recours eu égard notamment à la spécificité des services fournis par la société chypriote sur le territoire polonais. Il a considéré que cette société n’avait pas besoin, pour être réputée disposer d’un établissement stable sur le territoire polonais, d’y posséder des ressources matérielles et humaines permanentes, au sens classique du terme, ni d’utiliser directement des bâtiments situés sur ce territoire ni d’y employer du personnel.

23

Le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Gdańsku a estimé que les activités de ces deux sociétés formaient un tout indissociable du point de vue économique, l’objectif qui sous-tend l’ensemble de leurs activités n’étant atteint en Pologne que grâce à la coopération entre elles.

24

À l’appui de sa décision, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Gdańsku a considéré que la société chypriote utilisait sur le territoire polonais les moyens techniques et humains de la société polonaise, de telle sorte que cette dernière devait être traitée comme un établissement stable de la société chypriote en Pologne. Par conséquent, il a estimé que les prestations de services fournies par la société polonaise à la société chypriote étaient fournies à l’établissement stable de cette dernière en Pologne et étaient, partant, imposables sur le territoire de cet État membre.

25

La société polonaise a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du Wojewódzki Sąd Administracyjny w Gdańsku devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative).

26

Eu égard à la spécificité de l’affaire dont elle est saisie, la juridiction de renvoi éprouve des doutes sur le point de savoir si l’article 44 de la directive TVA peut être interprété en ce sens que le lieu d’imposition des prestations de services se trouve en Pologne lorsque les services sont fournis par une société polonaise à une autre société ayant son siège à Chypre, lorsque les deux sociétés sont indépendantes l’une de l’autre en termes de capital et dans la mesure où la société chypriote exerce son activité économique en utilisant l’infrastructure de la société polonaise.

27

La juridiction de renvoi fait observer que la jurisprudence de la Cour en matière de notion d’établissement stable concerne des cas de figure juridiques et factuels différents de la situation en cause dans l’affaire dont elle est saisie.

28

Cette dernière porterait sur une situation où, à l’époque des faits, les deux sociétés étaient indépendantes l’une de l’autre. En outre, la jurisprudence de la Cour viserait une situation où le lieu de l’établissement stable est défini par rapport au prestataire de services et, qui plus est, concernerait la situation dans laquelle l’établissement stable est défini par rapport aux prestations de services fournies à un tiers, c’est-à-dire le consommateur final.

29

Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Aux fins de l’imposition des prestations de services fournies par la société [polonaise], dont le siège est établi en Pologne, à la société [chypriote], ayant son siège dans un autre État membre de l’Union, l’‘établissement stable’, au sens de l’article 44 de la directive [TVA], est-il le lieu où le siège de la société [polonaise] est situé, lorsque la société [chypriote] exerce une activité économique en utilisant l’infrastructure de la société [polonaise]?»

Sur la question préjudicielle

Observations liminaires

30

Plusieurs parties à la procédure ont fait valoir que la question qui se pose dans le litige au principal est celle de savoir non pas si les prestations de services fournies par la société polonaise à la société chypriote sont des prestations de services fournies à l’établissement stable de cette dernière en Pologne, mais dans quel pays, en Pologne ou à Chypre, les «bids» vendus par la société chypriote aux clients en Pologne doivent être soumis à la TVA.

31

Le gouvernement polonais allègue, par ailleurs, que la base d’imposition des biens vendus aux enchères par la société polonaise sur le site de vente en ligne de la société chypriote pourrait ne pas avoir été correctement évaluée. Ce gouvernement se pose la question de savoir si, conformément à l’article 73 de la directive TVA, la base imposable que la société polonaise était tenue de déclarer ne devait pas se composer, d’une part, du prix des biens vendus aux enchères et, d’autre part, de la rémunération obtenue de la société chypriote, correspondant à une partie du produit de la vente des «bids» dont se servent les clients en Pologne lors des enchères.

32

Il convient, toutefois, de préciser que l’objet de la question préjudicielle porte, en substance, sur le lieu d’imposition des prestations de services fournies par la société polonaise à la société chypriote, et, partant, sur l’interprétation de l’article 44 de la directive TVA, et non pas sur le lieu d’imposition des «bids» ni sur la détermination de la base d’imposition des biens vendus aux enchères par la société polonaise.

33

Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales, telle que prévue à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. La faculté de déterminer les questions à soumettre à celle-ci est donc dévolue au seul juge national et les parties au principal ne sauraient en changer la teneur (voir, notamment, arrêt Danske Svineproducenter,C-316/10, EU:C:2011:863, point 32 et jurisprudence citée).

34

Par ailleurs, une modification de la substance des questions préjudicielles ou une réponse à des questions complémentaires mentionnées par les parties serait incompatible avec l’obligation de la Cour d’assurer la possibilité aux gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt Danske Svineproducenter, EU:C:2011:863 , point 33 et jurisprudence citée).

35

Dès lors, dans la présente affaire, il y a lieu de répondre uniquement à la question posée par la juridiction de renvoi qui porte sur la détermination du lieu d’imposition des prestations de services fournies par la société polonaise à la société chypriote.

Réponse de la Cour

36

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à quelles conditions un premier assujetti ayant établi le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services fournis par un second assujetti établi dans un autre État membre, doit être considéré comme disposant dans cet autre État membre d’un «établissement stable», au sens de l’article 44 de la directive TVA, en vue de la détermination du lieu d’imposition de ces services.

37

La directive TVA, à l’instar de la sixième directive, qu’elle a remplacée, contient un titre V, consacré au lieu des opérations imposables. Le chapitre 3 qui figure sous ce titre est relatif au lieu des prestations de services et les sections 2 et 3 de celui-ci établissent respectivement les règles générales pour la détermination du lieu d’imposition de ces prestations ainsi que des dispositions particulières relatives à des prestations de services spécifiques.

38

À l’instar de l’article 9 de la sixième directive, les articles 44 à 59 ter de la directive TVA contiennent des règles qui déterminent le lieu de rattachement fiscal. Ainsi, si l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive établissait des règles générales à ce sujet, de telles règles sont également prévues aux articles 44 et 45 de la directive TVA. De même, les articles 46 à 59 ter de cette dernière directive indiquent, à l’instar de l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la sixième directive, une série de rattachements spécifiques.

39

Toutefois, l’affaire au principal porte sur l’interprétation de l’article 44 de la directive TVA, selon lequel le lieu des prestations de services fournies à des assujettis est déterminé en fonction non plus de l’assujetti-prestataire de services, mais de l’assujetti-preneur de ceux-ci.

40

La question se pose, dès lors, de savoir si la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive demeure pertinente, compte tenu des modifications apportées en la matière par l’article 44 de la directive TVA.

41

À cet égard, il importe de rappeler que lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il faut tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et de l’objectif poursuivi par la réglementation dont elle fait partie (arrêt ADV Allround,C-218/10, EU:C:2012:35, point 26 et jurisprudence citée).

42

Conformément à une jurisprudence de la Cour bien établie, l’objectif des dispositions déterminant le lieu de rattachement fiscal des prestations de services est d’éviter, d’une part, des conflits de compétence susceptibles de conduire à des doubles impositions et, d’autre part, la non-imposition de recettes (voir, en ce sens, arrêt ADV Allround, EU:C:2012:35 , point 27 et jurisprudence citée).

43

Il convient d’observer que le libellé de l’article 44 de la directive TVA est similaire à celui de l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive. De plus, tant l’article 44 de la directive TVA que l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive sont des dispositions déterminant le lieu de rattachement fiscal des prestations de services et poursuivent le même objectif, de telle sorte que la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive est, en principe, transposable mutatis mutandis aux fins de l’interprétation de l’article 44 de la directive TVA.

44

Cette considération est corroborée par le règlement d’exécution, ayant pour objectif, aux termes de son considérant 4, de garantir une application plus uniforme du système de TVA, en adaptant des dispositions d’exécution de la directive TVA, en ce qui concerne, notamment, les assujettis, les livraisons de biens et les prestations de services ainsi que le lieu des opérations imposables.

45

Il ressort du considérant 14 de ce règlement que la volonté du législateur de l’Union a été de préciser certains concepts nécessaires à la détermination des critères relatifs au lieu des opérations imposables, tout en tenant compte de la jurisprudence de la Cour en la matière.

46

Dans cette mesure, même si ledit règlement n’était pas encore en vigueur à l’époque des faits au principal, il convient d’y avoir néanmoins égard.

47

Il s’ensuit que, en vue de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, la jurisprudence de la Cour relative à l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive ainsi que le règlement d’exécution s’avèrent pertinents.

48

La question qui se pose dans le contexte de l’affaire au principal est celle de définir le lieu des prestations de services fournies par la société polonaise à la société chypriote et, plus particulièrement, de définir les critères destinés à établir si cette dernière dispose d’un établissement stable en Pologne.

49

Aux termes de l’article 44 de la directive TVA, le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où l’assujetti qui bénéficie de tels services à son domicile ou sa résidence habituelle.

50

Dans ce contexte, il importe de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt, qu’une disposition telle que l’article 44 de la directive TVA est une règle déterminant le lieu d’imposition des prestations de services, en désignant le lieu de rattachement fiscal, et, partant, délimitant les compétences des États membres.

51

À cette fin, ladite disposition vise à établir une répartition rationnelle des champs d’application respectifs des législations nationales en matière de TVA, en déterminant de manière uniforme le lieu de rattachement fiscal des prestations de services.

52

Dès lors, il convient, en premier lieu, de déterminer le point de rattachement prioritaire afin d’établir le lieu des prestations de services et, en second lieu, de préciser les critères qui doivent être réunis pour considérer qu’un assujetti-preneur de services, tel que celui en cause au principal, ayant son siège dans un État membre, dispose d’un établissement stable dans un État membre autre que celui dans lequel son siège est établi.

Le point de rattachement prioritaire

53

Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour relative à l’article 9 de la sixième directive que le point de rattachement le plus utile afin de déterminer le lieu des prestations de services, du point de vue fiscal et, partant, prioritaire, est celui où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. La prise en considération d’un autre établissement ne rentre en compte que dans le cas où ce siège ne conduit pas à une solution rationnelle ou crée un conflit avec un autre État membre (voir notamment arrêts Berkholz,168/84, EU:C:1985:299, point 17; Faaborg-Gelting Linien,C-231/94, EU:C:1996:184, point 16 ainsi que ARO Lease,C-190/95, EU:C:1997:374, point 15).

54

Cette interprétation vaut également dans le cadre de l’article 44 de la directive TVA.

55

En effet, comme sous l’empire de la sixième directive, le siège de l’activité économique en tant que point de rattachement prioritaire apparaît constituer un critère objectif, simple et pratique qui offre une grande sécurité juridique, étant plus facile à vérifier que l’existence, par exemple, d’un établissement stable. En outre, la présomption que les prestations de services sont fournies à l’endroit où l’assujetti-preneur a établi le siège de son activité économique permet d’éviter, aussi bien aux autorités compétentes des États membres qu’aux prestataires de services, d’entreprendre des recherches compliquées en vue de déterminer le point de rattachement fiscal.

56

En outre, le siège de l’activité économique est mentionné à la première phrase de l’article 44 de la directive TVA, tandis que l’établissement stable ne l’est qu’à la phrase suivante. Cette dernière, introduite par l’adverbe «néanmoins» ne saurait être comprise autrement que dans le sens où elle établit une dérogation à la règle générale prévue à la phrase précédente.

La notion d’établissement stable

57

Il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 39 du présent arrêt, que dans le cadre de l’article 44 de la directive TVA, le lieu des prestations de services est déterminé en fonction non plus de l’assujetti-prestataire de services, mais de l’assujetti-preneur de ceux-ci. Il y a dès lors lieu de déterminer la notion d’établissement stable en fonction de l’assujetti-preneur.

58

Il peut être déduit de la jurisprudence de la Cour en la matière (voir notamment arrêt Planzer Luxembourg,C-73/06, EU:C:2007:397, point 54 et jurisprudence citée), dont le libellé de l’article 11 du règlement d’exécution s’inspire directement, qu’un établissement stable doit se caractériser par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui lui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement.

59

Ainsi, pour qu’elle soit considérée, dans des circonstances telles que celles relatives à l’affaire au principal, comme disposant d’un établissement stable, au sens de l’article 44 de la directive TVA, la société chypriote doit disposer en Pologne à tout le moins d’une structure caractérisée par un degré suffisant de permanence, apte, en termes de moyens humains et techniques, à lui permettre de recevoir en Pologne les prestations de services qui lui sont fournies par la société polonaise et de les utiliser aux fins de son activité économique, à savoir la gestion du système d’enchères électroniques en cause ainsi que l’émission et la vente des «bids».

60

Le fait qu’une activité économique, telle que celle exercée par la société chypriote en cause au principal, consistant à gérer un système d’enchères électroniques, comprenant, d’une part, la mise à disposition à la société polonaise d’un site Internet de ventes aux enchères et, d’autre part, l’émission et la vente de «bids» aux clients en Pologne, puisse être exercée sans nécessiter de structure humaine et matérielle effective sur le territoire polonais n’est pas déterminant. Malgré sa nature particulière, une telle activité économique nécessite, à tout le moins, une structure appropriée, en termes notamment de moyens humains et techniques, tels qu’un équipement informatique, des serveurs et des logiciels adaptés.

61

Dans ses observations écrites et lors de l’audience, la société polonaise a fait valoir que l’infrastructure qu’elle met à la disposition de la société chypriote ne permet pas à cette dernière de recevoir et d’utiliser, aux fins de son activité économique, les services qui lui sont fournis par ladite société polonaise. Selon cette dernière, les moyens humains et techniques aux fins de l’activité économique exercée par la société chypriote, tels que les serveurs informatiques, les logiciels, le service informatique ainsi que le système pour conclure des contrats avec les consommateurs et pour percevoir des revenus de ceux-ci, sont situés hors du territoire polonais. Ces circonstances de fait n’auraient pas été vérifiées dans le cadre de la procédure au principal.

62

Or, il relève de la compétence exclusive du juge national de vérifier de tels éléments afin d’apprécier si la société chypriote dispose en Pologne des moyens humains et techniques nécessaires lui permettant de recevoir des prestations de services fournies par la société polonaise et de les utiliser pour la gestion et la maintenance du site Internet de ventes aux enchères ainsi que pour l’émission et la commercialisation des «bids».

63

Si les éléments factuels allégués par la société polonaise s’avéraient exacts, la juridiction de renvoi serait alors conduite à conclure que la société chypriote ne dispose pas en Pologne d’un établissement stable, n’ayant pas l’infrastructure nécessaire lui permettant de recevoir des prestations de services fournies par la société polonaise et de les utiliser aux fins de son activité économique.

64

La circonstance que les activités économiques des deux sociétés, liées par un contrat de collaboration, forment un tout économique et que leurs résultats bénéficient essentiellement à des consommateurs en Pologne n’est pas pertinente pour déterminer si la société chypriote possède un établissement stable en Pologne. Ainsi que l’ont souligné, à juste titre, la société polonaise, le gouvernement chypriote ainsi que la Commission européenne, il importe en effet de distinguer les prestations de services fournies par la société polonaise à la société chypriote de celles que cette dernière fournit aux consommateurs en Pologne. Il s’agit de prestations de services distinctes qui sont soumises à des régimes de TVA différents.

65

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle qu’un premier assujetti ayant établi le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services fournis par un second assujetti établi dans un autre État membre, doit être considéré comme disposant dans cet autre État membre d’un «établissement stable», au sens de l’article 44 de la directive TVA, en vue de la détermination du lieu d’imposition de ces services, si cet établissement est caractérisé par un degré suffisant de permanence et une structure apte, en termes de moyens humains et techniques, à lui permettre de recevoir des prestations de services et de les utiliser aux fins de son activité économique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

66

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 

Un premier assujetti ayant établi le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services fournis par un second assujetti établi dans un autre État membre, doit être considéré comme disposant dans cet autre État membre d’un «établissement stable», au sens de l’article 44 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008, en vue de la détermination du lieu d’imposition de ces services, si cet établissement est caractérisé par un degré suffisant de permanence et une structure apte, en termes de moyens humains et techniques, à lui permettre de recevoir des prestations de services et de les utiliser aux fins de son activité économique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: le polonais.