Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

Share

Highlight in text

Go

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

13 mars 2014 (*)

«Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Déduction de la taxe payée en amont – Versements d’acomptes – Refus d’accorder la déduction – Fraude – Régularisation de la déduction lorsque l’opération imposable n’est pas effectuée – Conditions»

Dans l’affaire C-107/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (Bulgarie), par décision du 14 février 2013, parvenue à la Cour le 4 mars 2013, dans la procédure

FIRIN OOD

contre

Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» – Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis, J.-C. Bonichot (rapporteur) et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» – Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, par M. A. Manov, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement bulgare, par Mmes E. Petranova et D. Drambozova, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement estonien, par Mmes N. Grünberg et M. Linntam, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. De Stefano, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et N. Nikolova, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 décembre 2013,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 65, 90, paragraphe 1, 168, sous a), 185, paragraphe 1, 193 et 205 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FIRIN OOD (ci-après «FIRIN») au Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» – Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite (directeur de la direction «Recours et gestion de l’exécution», pour la ville de Veliko Tarnovo, près l’administration centrale de l’agence nationale des recettes publiques, ci-après le «Direktor») au sujet du droit à déduction, sous la forme d’un crédit d’impôt, de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») relative au versement par cette société d’un acompte en vue de la livraison de farines.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2006/112 prévoit que les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA.

4        Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive:

«Est considéré comme ‘livraison de biens’, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»

5        Selon l’article 63 de ladite directive, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.

6        L’article 65 de la même directive dispose:

«En cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé.»

7        L’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 prévoit:

«En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.»

8        Selon l’article 167 de cette directive, le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

9        L’article 168 de ladite directive dispose:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;

[...]»

10      L’article 178 de la même directive énonce:

«Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240;

[...]»

11      Selon l’article 184 de la directive 2006/112, la déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer.

12      L’article 185 de cette directive est libellé comme suit:

«1.      La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation.»

13      En vertu de l’article 186 de ladite directive, les États membres déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185 de celle-ci.

14      L’article 193 de la même directive dispose:

«La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 et de l’article 202.»

15      En vertu de l’article 203 de la directive 2006/112, la TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture.

16      Aux termes de l’article 205 de cette directive:

«Dans les situations visées aux articles 193 à 200 et aux articles 202, 203 et 204, les États membres peuvent prévoir qu’une personne autre que le redevable est solidairement tenue d’acquitter la TVA.»

 Le droit bulgare

17      L’article 70, paragraphe 5, de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Zakon za danak varhu dobavenata stoynost), dans sa version applicable au litige au principal (DV no 63, du 4 août 2006, ci-après le «ZDDS»), prévoit qu’il n’existe pas de droit à déduction de la TVA acquittée en amont lorsque celle-ci a été facturée indûment.

18      Aux termes de l’article 177 du ZDDS:

«(1)      La personne immatriculée preneur d’une livraison imposable doit répondre de la taxe due et non versée par une autre personne immatriculée lorsqu’elle a exercé le droit à déduction de la TVA en amont liée directement ou indirectement à la TVA due et non versée.

(2)      La responsabilité en vertu du paragraphe 1 est mise en œuvre lorsque la personne immatriculée savait ou aurait dû savoir que la taxe n’allait pas être versée, et que cela a été prouvé par l’autorité de contrôle en vertu des articles 117 à 120 du code de procédure en matière d’impôts et de cotisations sociales.

(3)      Il est considéré, aux fins du paragraphe 2, que la personne aurait dû savoir lorsque les conditions suivantes sont cumulativement remplies:

1.      la taxe due, au sens du paragraphe 1, n’a pas été effectivement versée en tant que résultat pour une période d’imposition par l’un quelconque des fournisseurs en amont, au titre d’une opération imposable ayant pour objet le même bien ou le même service, sous une forme identique, modifiée ou transformée;

2.      l’opération imposable est fictive, elle contourne la loi ou bien son prix s’écarte sensiblement du prix du marché.

(4)      La responsabilité en vertu du paragraphe 1 n’est pas liée à l’obtention d’un avantage précis en raison du non-versement de la taxe due.

(5)      Dans les conditions prévues aux paragraphes 2 et 3, le fournisseur en amont de l’assujetti qui doit la taxe non versée est également responsable.

(6)      Dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2, la responsabilité est mise en œuvre contre l’assujetti directement destinataire de la livraison pour laquelle la taxe due n’a pas été versée, et, lorsque le recouvrement échoue, la responsabilité peut être mise en œuvre contre tout destinataire en aval dans la chaîne de livraisons.

(7)      Le paragraphe 6 s’applique aussi mutatis mutandis aux fournisseurs en amont.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

19      FIRIN, qui a succédé aux droits de «Hlebozavod Korn», est une société de droit bulgare, ayant pour objet la production et la commercialisation de pain et de pâtisseries. Son capital est détenu à 99 % par York Skay EOOD (ci-après «York Skay») et, pour le reste, par M. Yorkishev.

20      À la fin de l’année 2010, FIRIN a passé commande de 10 000 tonnes de blé à Agra Plani EOOD (ci-après «Agra Plani»), société détenue à 100 % par M. Yorkishev. Pour cette opération, payable à l’avance, Agra Plani a émis, le 29 novembre 2010, une facture de 3 600 000 leva bulgares (BGN) mentionnant une TVA due de 600 000 BGN.

21      À la suite d’un contrôle, l’administration fiscale bulgare a remis en cause la déduction de cette somme de 600 000 BGN, que FIRIN avait opérée au titre de ses déclarations de TVA pour la période de novembre-décembre 2010.

22      L’administration fiscale a justifié cette remise en cause en soutenant que la prestation n’avait pas été réalisée et que la facture du 29 novembre 2010 s’inscrivait dans un système de fraude que le contrôle a mis en évidence. En effet, en l’absence d’enregistrement auprès du service national des céréales, Agra Plani n’aurait pas, au regard de la loi nationale, été autorisée à commercialiser des céréales, ce que FIRIN ne pouvait ignorer. En outre, le montant total des versements effectués, dès le 30 novembre 2010, par FIRIN au profit d’Agra Plani, à hauteur de 4 170 000 BGN, soit un montant supérieur à la somme due selon la facture, a été transféré à cette date sur le compte de York Skay. À cette même date également, la somme de 3 600 000 BGN a été versée par York Skay sur le compte bancaire de FIRIN.

23      À défaut de justifications fiables, l’administration fiscale n’a pas admis les explications fournies sur la nature de ces mouvements qui résulteraient, selon FIRIN, pour le premier, d’un prêt d’Agra Plani à York Skay, puis, pour le second, d’un apport supplémentaire au capital de FIRIN.

24      Un avis d’imposition rectificatif a été émis le 26 septembre 2011 en conséquence de ce contrôle. FIRIN a formé un recours administratif contre cet avis devant le Direktor. Par décision du 16 janvier 2012, ce dernier a confirmé ce même avis.

25      FIRIN a ensuite introduit un recours à l’encontre de la décision confirmative du Direktor devant la juridiction de renvoi en faisant valoir qu’elle remplissait toutes les conditions pour bénéficier de la déduction de la somme de 600 000 BGN et que les motifs de refus de cette déduction font état de circonstances, y compris le caractère fictif de l’opération, qui sont applicables non pas aux fins du refus du droit à déduction, mais à la mise en œuvre de sa responsabilité pour la TVA non acquittée par son fournisseur.

26      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si le droit à déduction de la TVA peut être admis dans la situation où, pour diverses raisons, la prestation prévue n’a pas pu être réalisée et si une régularisation ultérieure demeure possible. Elle se demande également si le système national de responsabilité solidaire dans le domaine de la TVA est compatible avec le droit de l’Union.

27      C’est dans ces conditions que l’Administrativen sad Veliko Tarnovo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:

«1)      Faut-il que, dans des cas de figure tels que celui en cause au principal, où la TVA afférente au paiement d’un acompte pour une future livraison de biens, clairement identifiée, a été déduite d’emblée et de manière effective, l’interprétation combinée des dispositions de l’article 168, sous a), et des articles 65, 90, paragraphe 1, et 185, paragraphe 1, de la directive 2006/112 [...] justifie la conclusion que le droit à déduction ne doit pas être accordé à la date où il est exercé, compte tenu de l’inexécution de la prestation principale, pour des raisons objectives et/ou subjectives, conformément aux conditions de la livraison?

2)      S’ensuit-il de cette interprétation combinée et eu égard au principe de neutralité de la TVA que, dans une telle situation, la possibilité objective pour le fournisseur de régulariser la TVA et/ou la base d’imposition facturées d’après la facture en vertu de la législation nationale a son importance (ou n’en a pas) dans cette situation, et comment une telle régularisation est-elle susceptible d’influer sur le refus d’accorder la déduction initiale?

3)      L’interprétation des dispositions de l’article 205, combinées aux articles 168, sous a), et 193, compte tenu également du considérant 44 de ladite directive 2006/112, autorise-t-elle les États membres à refuser une déduction de TVA au destinataire d’une livraison en [ne] se fondant que sur des critères qu’ils ont eux-mêmes introduits dans leur législation nationale, en vertu desquels une obligation est mise à la charge d’un assujetti autre que le redevable, sachant que, dans un tel cas de figure, le résultat fiscal définitif serait différent de celui obtenu dans le strict respect des règles édictées par l’État membre?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question, la mise en œuvre de l’article 205 de la directive 2006/112 tolère-t-elle une législation nationale telle que celle en cause au principal, qui met en place une responsabilité solidaire en matière de TVA en ayant recours à des présomptions dont les conditions de mise en œuvre sont non pas des faits objectifs directement déterminables, mais bien des figures juridiques en droit civil, les litiges à propos de ces dernières étant définitivement tranchés selon d’autres modalités procédurales, et ladite législation est-elle compatible avec les principes d’effectivité et de proportionnalité?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

28      Par ses questions, la juridiction de renvoi entend solliciter de la Cour l’interprétation de dispositions de la directive 2006/112 portant sur deux aspects distincts du régime de la TVA, à savoir, d’une part, celui qui régit le droit à déduction de la taxe payée en amont et, d’autre part, celui qui régit la responsabilité solidaire d’un assujetti pour la taxe due par un tiers telle que prévue à l’article 205 de cette directive.

29      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2013, Fish Legal et Shirley, C-279/12, point 29)

30      Dans le cadre de cette coopération, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt Fish Legal et Shirley, précité, point 30).

31      S’il est constant que le litige au principal porte sur la remise en cause du droit à déduction de la TVA de FIRIN, il ressort, en revanche, de la décision de la juridiction de renvoi que l’administration fiscale bulgare n’a pas considéré FIRIN comme étant solidairement responsable du paiement de la TVA due par Agra Plani.

32      Dès lors, en ce qu’elles concernent la portée d’une telle responsabilité solidaire, la troisième question, pour partie, et la quatrième question de la juridiction de renvoi visant à l’interprétation des dispositions de l’article 205 de la directive 2006/112 sont manifestement sans rapport avec l’objet du litige au principal et doivent, en conséquence, être déclarées irrecevables.

 Sur le fond

33      Par ses questions portant sur le régime du droit à déduction de la TVA, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 65, 90, paragraphe 1, 168, sous a), 185, paragraphe 1, et 193 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens que la déduction de la TVA opérée par le destinataire d’une facture établie en vue du paiement d’un acompte concernant la livraison de biens doit être régularisée lorsque, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, cette livraison n’est finalement pas effectuée, quand bien même le fournisseur resterait redevable de cette taxe et n’aurait pas remboursé l’acompte.

34      Il convient de rappeler que, selon l’article 167 de la directive 2006/112, le droit à déduction de la TVA payée en amont prend naissance au moment où la taxe devient exigible et que, selon l’article 63 de la même directive, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.

35      L’article 65 de la directive 2006/112, aux termes duquel, en cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé, constitue une dérogation à la règle énoncée à cet article 63 et, en tant que telle, doit faire l’objet d’une interprétation stricte (arrêt du 21 février 2006, BUPA Hospitals et Goldsborough Developments, C-419/02, Rec. p. I-1685, point 45).

36      Ainsi, afin que la TVA puisse devenir exigible dans de telles circonstances, il faut que tous les éléments pertinents du fait générateur, c’est-à-dire de la future livraison ou de la future prestation, soient déjà connus et donc, en particulier, que, au moment du versement de l’acompte, les biens ou les services soient désignés avec précision (en ce sens, arrêt BUPA Hospitals et Goldsborough Developments, précité, point 48).

37      Il est nécessaire de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal, pour pouvoir conclure à l’existence du droit à déduction exercé par FIRIN sur le fondement de l’acompte en cause.

38      À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que, lorsque FIRIN a payé l’acompte en cause au principal, les biens qui devaient faire l’objet de la livraison étaient clairement identifiés.

39      Cela étant, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 24 de ses conclusions, l’article 65 de la directive 2006/112 ne saurait être applicable lorsqu’il s’avère que la réalisation du fait générateur est incertaine au moment du paiement de l’acompte. Tel serait le cas, notamment, en présence d’un comportement frauduleux.

40      Il convient en effet de rappeler que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive 2006/112. À cet égard, la Cour a jugé que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union. Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (en ce sens arrêt du 6 décembre 2012, Bonik, C-285/11, points 35 à 37).

41      Tel est le cas lorsqu’une fraude fiscale est commise par l’assujetti lui-même. En effet, dans ce cas, les critères objectifs sur lesquels sont fondées les notions de livraisons de biens ou de prestations de services effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et d’activité économique ne sont pas satisfaits (arrêt Bonik, précité, point 38 et jurisprudence citée).

42      En revanche, il n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par la directive 2006/112 de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne des livraisons, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA (arrêt Bonik, précité, point 41 et jurisprudence citée).

43      En effet, l’instauration d’un tel système de sanction irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits du Trésor public (voir, en ce sens, arrêt Bonik, précité, point 42 et jurisprudence citée).

44      Par conséquent, le refus du droit à déduction constituant une exception à l’application du principe fondamental que constitue ce droit, il incombe aux autorités fiscales compétentes d’établir à suffisance de droit les éléments objectifs permettant de conclure que l’assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la chaîne des livraisons (arrêt Bonik, précité, point 43 et jurisprudence citée).

45      Toutefois, dans le cadre de la procédure introduite au titre de l’article 267 TFUE, la Cour n’est pas compétente pour vérifier non plus que pour apprécier les circonstances de fait relatives à l’affaire au principal. Il appartient donc à la juridiction de renvoi d’effectuer, conformément aux règles de preuve du droit national, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait de cette affaire (voir, notamment, arrêt Bonik, précité).

46      Il en résulte qu’il appartient à la seule juridiction de renvoi de vérifier que les autorités fiscales en cause ont établi les éléments objectifs qu’elles invoquent pour conclure que FIRIN n’ignorait pas ou ne pouvait pas ignorer que l’acompte versé à son fournisseur n’avait pas en réalité pour objet la livraison de marchandises, telle que mentionnée dans la facture émise par ce dernier.

47      Il importe néanmoins, afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, d’examiner les questions portant sur les conditions de la régularisation de la TVA déduite par FIRIN, pour le cas où, au terme de l’appréciation qui lui incombe, elle conclurait que tous les éléments pertinents de la future livraison pouvaient être considérés comme étant déjà connus par cette société au moment du versement de l’acompte et que cette livraison n’apparaissait pas alors incertaine.

48      À cet égard, il y a lieu de rappeler que les articles 184 à 186 de la directive 2006/112 déterminent les conditions dans lesquelles l’administration fiscale peut exiger une régularisation de la part d’un assujetti (en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C-234/11, point 26).

49      En ce qui concerne l’incidence éventuelle sur la déduction de la TVA opérée par un assujetti d’évènements survenus postérieurement à cette dernière, il ressort de la jurisprudence que l’utilisation qui est faite des biens ou des services, ou qui est envisagée pour ceux-ci, détermine l’étendue de la déduction initiale à laquelle l’assujetti a droit et l’étendue d’éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes, lesquelles doivent être effectuées dans les conditions prévues à ces articles 184 à 186 (arrêt TETS Haskovo, précité, point 29 et jurisprudence citée).

50      En effet, le mécanisme de régularisation prévu par lesdits articles fait partie intégrante du régime de déduction de la TVA établi par la directive 2006/112. Il vise à accroître la précision des déductions de manière à assurer la neutralité de la TVA, de sorte que les opérations effectuées au stade antérieur continuent à donner lieu au droit de déduction dans la seule mesure où elles servent à fournir des prestations soumises à une telle taxe. Ce mécanisme a ainsi pour objectif d’établir une relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval (arrêt TETS Haskovo, précité, points 30 et 31).

51      En ce qui concerne la naissance d’une éventuelle obligation de régularisation de la déduction de la TVA effectuée au titre de la taxe payée en amont, l’article 185, paragraphe 1, de la directive 2006/112 établit le principe selon lequel une telle régularisation doit notamment être opérée lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant de ladite déduction sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA (arrêt TETS Haskovo, précité, point 32).

52      Dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, d’où il ressort que, selon les indications de la juridiction de renvoi, la livraison des biens au titre de laquelle FIRIN s’est acquittée d’un acompte ne se réalisera pas, il doit être conclu, comme Mme l’avocat général l’a relevé au point 35 de ses conclusions, qu’une modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant de ladite déduction est ainsi intervenue postérieurement à la déclaration de TVA. Dès lors, dans une telle situation, l’administration fiscale peut exiger la régularisation de la TVA déduite par l’assujetti.

53      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que la TVA due par le fournisseur ne serait pas elle-même régularisée.

54      Il doit, en effet, être rappelé à cet égard que, en ce qui concerne le traitement d’une TVA indûment facturée en raison de l’absence d’une opération imposable, il découle de la directive 2006/112 que les deux opérateurs impliqués ne sont pas nécessairement traités de manière identique. D’une part, l’émetteur d’une facture est redevable de la TVA mentionnée sur cette facture même en l’absence d’une opération imposable, conformément à l’article 203 de la directive 2006/112. D’autre part, l’exercice du droit à déduction du destinataire d’une facture est limité aux seules taxes correspondant à une opération soumise à la TVA, conformément aux articles 63 et 167 de cette directive (arrêt du 31 janvier 2013, LVK – 56, C-643/11, points 46 et 47).

55      Dans une telle situation, le respect du principe de neutralité fiscale est assuré par la possibilité, à prévoir par les États membres, de corriger toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi ou lorsque celui-ci a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales (arrêt LVK, précité, point 48).

56      En outre, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 43 de ses conclusions, tant que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’acompte n’a pas été restitué par le fournisseur, la base de l’imposition due par ce dernier au titre de l’encaissement de cet acompte ne saurait être réduite en application des dispositions combinées des articles 65, 90 et 193 de la directive 2006/112 (voir, en ce sens, pour ce qui concerne la régularisation de la base d’imposition en cas de ristournes, arrêt du 29 mai 2001, Freemans, C-86/99, Rec. p. I-4167, point 35).

57      Dans ces conditions, et sans préjudice du droit pour l’assujetti d’obtenir, par les voies du droit national pertinentes, de son fournisseur la restitution de l’acompte versé pour la livraison de biens qui n’a finalement pas été effectuée, la circonstance que la TVA due par ce fournisseur ne serait pas elle-même régularisée est sans incidence sur le droit pour l’administration fiscale d’obtenir la restitution de la TVA déduite par cet assujetti à raison du versement de l’acompte correspondant à une telle livraison.

58      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 65, 90, paragraphe 1, 168, sous a), 185, paragraphe 1, et 193 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils exigent que la déduction de la TVA opérée par le destinataire d’une facture établie en vue du paiement d’un acompte concernant la livraison de biens soit régularisée lorsque, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, cette livraison n’est finalement pas effectuée, quand bien même le fournisseur resterait redevable de cette taxe et n’aurait pas remboursé l’acompte.

 Sur les dépens

59      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Les articles 65, 90, paragraphe 1, 168, sous a), 185, paragraphe 1, et 193 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils exigent que la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée opérée par le destinataire d’une facture établie en vue du paiement d’un acompte concernant la livraison de biens soit régularisée lorsque, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, cette livraison n’est finalement pas effectuée, quand bien même le fournisseur resterait redevable de cette taxe et n’aurait pas remboursé l’acompte.

Signatures


* Langue de procédure: le bulgare.