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ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

9 octobre 2014 ( * )

«Renvoi préjudiciel — Fiscalité — TVA — Directive 2006/112/CE — Article 138, paragraphe 1 — Exonérations liées aux opérations intracommunautaires — Acquéreur non identifié à la TVA — Obligation du vendeur d’établir l’authenticité de la signature de l’acquéreur ou de son représentant — Principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime — Effet direct»

Dans l’affaire C-492/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Varna (Bulgarie), par décision du 2 septembre 2013, parvenue à la Cour le 13 septembre 2013, dans la procédure

Traum EOOD

contre

Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. C. Vajda, A. Rosas, E. Juhász et D. Šváby, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour le Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, par M. D. Zhelyazkov, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mmes S. Petrova et L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 138, paragraphe 1, et 139, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/88/UE du Conseil, du 7 décembre 2010 (JO L 326, p. 1, ci-après la «directive TVA»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Traum EOOD (ci-après «Traum») au Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite (directeur de la direction «Recours et pratique en matière de fiscalité et de sécurité sociale», pour la ville de Varna, de l’administration centrale de l’agence des recettes publiques, ci-après le «Direktor»), au sujet d’un avis rectificatif refusant d’accorder à Traum le bénéfice d’une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») au titre d’une opération que Traum a qualifiée de «livraison intracommunautaire de biens».

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 131 de la directive TVA dispose:

«Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 [du titre IX de la directive TVA] s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et [tout] abus éventuels.»

4

Figurant sous le chapitre 4, intitulé «Exonérations liées aux opérations intracommunautaires», du titre IX de cette directive, l’article 138, paragraphe 1, de celle-ci dispose:

«Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.»

5

Aux termes de l’article 139, paragraphe 1, de ladite directive:

«L’exonération prévue à l’article 138, paragraphe 1, ne s’applique pas aux livraisons de biens effectuées par des assujettis qui bénéficient de la franchise pour les petites entreprises prévue aux articles 282 à 292.

L’exonération ne s’applique pas non plus aux livraisons de biens effectuées pour des assujettis ou pour des personnes morales non assujetties, dont les acquisitions intracommunautaires de biens ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1.»

Le droit bulgare

6

L’article 7, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Zakon za danak varhu dobavenata stoynost, DV no 63, du 4 août 2006), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après le «ZDDS»), est libellé comme suit:

«Une livraison intracommunautaire de biens est la livraison de biens transportés du territoire national vers le territoire d’un autre État membre par le vendeur, identifié à la TVA conformément à la présente loi, ou pour son compte, ou pour le compte de l’acquéreur, lorsque ce dernier est un assujetti ou une personne morale non assujettie, identifiée à la TVA dans un autre État membre.»

7

L’article 45 du règlement d’application du ZDDS dispose:

«Pour prouver une livraison intracommunautaire de biens, le fournisseur doit disposer des documents suivants:

1.   le document de livraison:

a)

la facture relative à la livraison, sur laquelle est mentionnée, lorsque l’acquéreur est identifié à la TVA dans un autre État membre, le numéro de TVA de celui-ci, attribué par l’État membre, sous lequel les biens lui ont été livrés;

b)

le procès-verbal visé à l’article 117, paragraphe 2, [du ZDDS], lorsqu’il s’agit d’une livraison intracommunautaire au sens de l’article 7, paragraphe 4, [du ZDDS];

[...]

2.   les documents prouvant l’expédition ou le transport des biens du territoire national vers le territoire d’un autre État membre:

a)

le document de transport ou l’attestation écrite de l’acquéreur ou d’une personne mandatée par celui-ci, certifiant que les biens ont été réceptionnés sur le territoire d’un autre État membre, lorsque le transport est effectué pour le compte du fournisseur ou de l’acquéreur, mais par un tiers [...]

[...]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8

Au cours des mois de septembre et d’octobre 2009, Traum exerçait une activité de construction générale de bâtiments et d’ouvrages d’art. Dans sa déclaration au titre de la TVA, pour la période du 1er septembre au 31 octobre 2009, Traum a déclaré avoir effectué des livraisons intracommunautaires de portes-lames et de pièces brutes, exonérées de la TVA, à la société Evangelos gaitadzis, établie en Grèce, en produisant des documents visés à l’article 45 du règlement d’application du ZDDS, à savoir deux factures comportant le numéro de TVA grec de la société Evangelos gaitadzis, des procès-verbaux de livraison, des lettres de voiture internationales et un bon de réception de la marchandise signé.

9

Après avoir entrepris, le 7 octobre 2009, une vérification dans la base de données électronique du système d’échange d’informations en matière de TVA (VIES) («VAT Information Exchange System», ci-après la «base de données VIES»), l’administration fiscale bulgare a, le 2 novembre 2009, émis un avis d’imputation et de remboursement à l’égard de Traum. Dans cet avis, elle indiquait qu’une vérification dans la base de données VIES a relevé que la société Evangelos gaitadzis était identifiée à la TVA et disposait d’un numéro de TVA valide depuis le 15 novembre 2005.

10

En revanche, la société Evangelos gaitadzis n’a ni déclaré l’acquisition intracommunautaire ni versé de TVA en Grèce.

11

Lors d’un contrôle fiscal ultérieur, l’administration fiscale bulgare a consulté à nouveau la base de données VIES et constaté à cette occasion que la société Evangelos gaitadzis n’était plus identifiée à la TVA depuis le 15 janvier 2006. Dès lors, le 17 mai 2011, cette administration a émis un avis rectificatif à l’égard de Traum, soumettant les opérations de vente à la société Evangelos gaitadzis à la TVA au motif que cette société n’était pas identifiée à la TVA dans un autre État membre, de sorte que la condition de l’exonération de cette taxe tenant à la qualité d’assujetti de l’acquéreur, prévue à l’article 7, paragraphe 1, du ZDDS, n’était pas satisfaite.

12

Ayant introduit un recours administratif contre cet avis rectificatif auprès du Direktor, Traum a produit à cette occasion l’avis d’imputation et de remboursement émis par l’administration fiscale bulgare, lequel indiquait que la société Evangelos gaitadzis disposait d’un numéro de TVA valide au moment de l’opération.

13

Par décision du 5 août 2011, le Direktor a confirmé l’avis rectificatif en se fondant sur une absence de preuve du transport des biens hors du territoire bulgare et sur l’absence de confirmation écrite de la réception de la marchandise par l’acquéreur. Le Direktor soutenait que le bon de réception de la marchandise en cause et les procès-verbaux de livraison présentés ne comportaient ni d’informations concernant l’adresse exacte de réception de cette marchandise ni l’identité, la fonction et le pouvoir de représentation de la personne l’ayant réceptionnée au sein de la société Evangelos gaitadzis, de sorte que ces documents n’étaient pas probants.

14

À l’appui de son recours devant l’Administrativen sad Varna (tribunal administratif de Varna) contre cette décision du Direktor, Traum fait valoir qu’elle a fourni à l’administration fiscale bulgare tous les documents requis tant par le ZDDS que par le règlement d’application du ZDDS, prouvant l’existence d’une livraison intracommunautaire. En outre, elle soutient avoir exécuté les opérations concernées de bonne foi, après avoir vérifié le numéro de TVA de la société Evangelos gaitadzis dans la base de données VIES avant de conclure les opérations en cause.

15

La juridiction de renvoi relève que, en matière d’application de l’article 7, paragraphe 1, du ZDDS, concernant les moyens de preuve d’un transport intracommunautaire de biens et de leur réception dans un autre État membre, la jurisprudence bulgare a rendu des décisions contradictoires relatives à la force probatoire des lettres de voiture internationales. À cet égard, elle s’interroge sur le fait de savoir si les conditions de preuve pratiquées en vertu du droit bulgare sont conformes au droit de l’Union.

16

Dans ces conditions, l’Administrativen sad Varna a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Faut-il considérer que la condition d’exonération prévue à l’article 138, paragraphe 1, de la directive [TVA] est remplie et que la dérogation prévue à l’article 139, paragraphe 1, deuxième phrase, [de cette directive] ne trouve pas à s’appliquer dans un cas tel que celui ayant donné lieu au litige au principal, où il a été constaté que le fait que l’acquéreur des biens n’a pas la qualité de ‘personne identifiée à la TVA’ a été indiqué dans [la base de données VIES] après que la livraison a été effectuée, [où l’inscription tardive de la qualité de ‘personne n’ayant plus d’identification à la TVA’ ressort des renseignements recueillis par l’administration fiscale bulgare] et où la requérante soutient qu’elle a fait preuve de la diligence nécessaire en effectuant dans [cette base de données] des demandes de renseignements qui ne sont toutefois pas documentées?

2)

Une pratique administrative et une jurisprudence nationales imposant au vendeur (l’expéditeur d’après le contrat de transport) d’établir l’authenticité de la signature de l’acquéreur et, si cette signature est celle d’une personne représentant la société acquéreuse, de l’un de ses employés, occupant une fonction correspondante, ou d’un mandataire, est-elle contraire aux principes de neutralité fiscale, de proportionnalité et de protection de la confiance légitime?

3)

Dans un cas tel que celui ayant donné lieu au litige au principal, l’article 138, paragraphe 1, de la directive [TVA] est-il d’effet direct et la juridiction nationale peut-elle l’appliquer directement?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

17

Le Direktor met en cause la recevabilité de la demande de décision préjudicielle en soutenant que la juridiction de renvoi a présenté les faits de l’affaire au principal de manière erronée. Selon le Direktor, la juridiction de renvoi a considéré à tort comme établi le fait que la marchandise a été transportée en Grèce et remise à la société Evangelos gaitadzis.

18

À cet égard, il convient de relever, d’une part, que la juridiction de renvoi s’est limitée à indiquer à la Cour les documents que Traum a présentés afin de démontrer l’existence d’une livraison intracommunautaire de biens, sans avoir constaté elle-même que la marchandise a effectivement été transportée en Grèce ou remise à l’acquéreur, et, d’autre part, que les questions soumises à la Cour concernent, au contraire, les exigences de preuve auxquelles les États membres peuvent soumettre l’exonération de la TVA au titre d’une livraison intracommunautaire.

19

En outre, il est de jurisprudence constante que dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, basée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, celle-ci est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte du droit de l’Union, à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (voir arrêts WWF e.a.,C-435/97, EU:C:1999:418, point 31, ainsi que Endress,C-209/12, EU:C:2013:864, point 19 et jurisprudence citée). S’agissant, en particulier, des prétendues lacunes et erreurs factuelles contenues dans la décision de renvoi, il suffit de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour, mais à la juridiction nationale d’établir les faits qui ont donné lieu au litige et d’en tirer les conséquences pour la décision qu’elle est appelée à rendre (arrêt PreussenElektra,C-379/98, EU:C:2001:160, point 40).

20

Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur les première et deuxième questions

21

Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 138, paragraphe 1, et 139, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’administration fiscale d’un État membre refuse le bénéfice du droit à l’exonération de la TVA au titre d’une livraison intracommunautaire au motif que l’acquéreur n’était pas identifié à la TVA dans un autre État membre et que le fournisseur n’a démontré ni l’authenticité de la signature figurant sur les documents présentés à l’appui de sa déclaration de livraison prétendument exonérée ni le pouvoir de représentation de la personne ayant signé ces documents au nom de l’acquéreur.

22

Afin de répondre à ces questions, il convient de rappeler qu’une livraison intracommunautaire, qui constitue le corollaire de l’acquisition intracommunautaire, est exonérée de la TVA si elle satisfait aux conditions fixées à l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA (arrêt Mecsek-GabonaC-273/11, EU:C:2012:547, point 29 et jurisprudence citée).

23

En vertu de cette disposition, les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans l’Union européenne par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

24

Selon une jurisprudence constante, l’exonération de la TVA au titre de la livraison intracommunautaire d’un bien ne devient applicable que lorsque le droit de disposer de ce bien comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur, que le fournisseur établit que ledit bien a été expédié ou transporté dans un autre État membre et que, à la suite de cette expédition ou de ce transport, le même bien a quitté physiquement le territoire de l’État membre de livraison (voir, notamment, arrêt Teleos e.a.,C-409/04, EU:C:2007:548, point 42).

25

En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 139, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA, l’exonération de cette taxe est soumise à la condition que la livraison ne soit pas effectuée pour un assujetti ou une personne morale non assujettie dont les acquisitions intracommunautaires de biens ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.

26

Or, les questions posées par la juridiction de renvoi visent les modalités de preuve susceptibles d’être imposées au fournisseur pour démontrer que les conditions de l’exonération de la TVA lors d’une livraison intracommunautaire de biens sont remplies.

27

À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en l’absence de disposition concrète dans la directive TVA quant aux preuves que les assujettis sont tenus de fournir afin de bénéficier de l’exonération de la TVA, il appartient aux États membres de fixer, conformément à l’article 131 de cette directive, les conditions dans lesquelles ils exonèrent les livraisons intracommunautaires en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et tout abus éventuels. Toutefois, dans l’exercice de leurs pouvoirs, les États membres doivent respecter les principes généraux du droit qui font partie de l’ordre juridique de l’Union, au nombre desquels figurent notamment les principes de sécurité juridique et de proportionnalité (arrêt Mecsek-Gabona, EU:C:2012:547 , point 36 et jurisprudence citée).

28

Le principe de sécurité juridique, qui a pour corollaire le principe de protection de la confiance légitime, exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables (arrêt Plantanol,C-201/08, EU:C:2009:539, point 46 et jurisprudence citée).

29

Il importe de rappeler que ce principe s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des charges financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude les obligations qu’elle leur impose. Il s’ensuit qu’il est nécessaire que les assujettis aient connaissance de leurs obligations fiscales avant de conclure une transaction (voir arrêt Teleos e.a., EU:C:2007:548 , point 48 et jurisprudence citée).

30

Dans ce contexte, la Cour a précisé que les obligations qui incombent à un assujetti en matière de preuve doivent être déterminées en fonction des conditions fixées expressément à cet égard par le droit national et de la pratique habituelle établie pour des transactions similaires (voir arrêt Mecsek-Gabona, EU:C:2012:547 , point 38).

31

Ainsi, il serait contraire au principe de sécurité juridique qu’un État membre, qui a prévu les conditions pour l’application de l’exonération de la TVA au titre d’une livraison intracommunautaire, en fixant notamment une liste de documents à présenter aux autorités compétentes, et qui a accepté, dans un premier temps, les documents présentés par le fournisseur en tant que preuves justificatives du droit à l’exonération, puisse ultérieurement obliger ce fournisseur à acquitter la TVA afférente à cette livraison, lorsqu’il s’avère que, notamment en raison d’une fraude commise par l’acquéreur dont le fournisseur n’avait et ne pouvait avoir connaissance, les biens concernés n’ont en réalité pas quitté le territoire de l’État membre de livraison (voir arrêt Teleos e.a., EU:C:2007:548 , point 50).

32

En effet, selon la jurisprudence de la Cour, dans une telle situation, bien qu’il n’existe apparemment aucune preuve tangible permettant de conclure que les biens concernés ont été transférés en dehors du territoire de l’État membre de livraison, le fait d’obliger un assujetti à fournir une telle preuve ne garantit pas l’application correcte et simple des exonérations de la TVA. Au contraire, cette obligation place cet assujetti dans une situation d’incertitude quant à la possibilité d’appliquer l’exonération à la livraison intracommunautaire ou quant à la nécessité d’inclure la TVA dans le prix de vente (voir arrêts Teleos e.a., EU:C:2007:548 , points 49 et 51, ainsi que Mecsek-Gabona, EU:C:2012:547 , point 41).

33

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’administration fiscale bulgare a émis un avis d’imputation et de remboursement en se fondant sur les documents soumis par Traum conformément à l’article 45 du règlement d’application du ZDDS, sans pour autant exiger la preuve de l’authenticité de la signature de l’acquéreur figurant sur ces documents ou la présentation du pouvoir de représentation de la personne signataire. Ce n’est que dans le cadre d’un contrôle fiscal ultérieur que ces exigences, qui, selon la juridiction de renvoi, constituent des «conditions supplémentaires», ont été formulées par cette administration.

34

Or, il serait contraire au principe de sécurité juridique de refuser le bénéfice du droit à l’exonération de la TVA au titre des opérations en cause au principal au motif que le fournisseur n’a pas produit de telles preuves supplémentaires lors d’un contrôle ultérieur de ces opérations, alors que les documents présentés par Traum à l’appui de sa déclaration se conformaient à la liste de documents à présenter à l’administration fiscale bulgare, fixée à l’article 45 du règlement d’application du ZDDS, et ont été acceptés par cette administration, dans un premier temps, en tant que preuves justificatives du droit à l’exonération, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

35

En ce qui concerne le refus d’exonération de la TVA au titre de la livraison en cause au principal au motif que l’acquéreur n’était pas identifié à la TVA dans un autre État membre au moment de la livraison, il est certes vrai que l’attribution d’un numéro d’identification à la TVA apporte la preuve du statut fiscal de l’assujetti aux fins de l’application de cette taxe et facilite le contrôle fiscal des opérations intracommunautaires (voir, en ce sens, arrêt Mecsek-Gabona, EU:C:2012:547 , point 60).

36

Toutefois, étant donné que l’obligation de vérifier la qualité de l’assujetti incombe à l’autorité nationale compétente avant que cette dernière attribue à celui-ci un numéro d’identification à la TVA, une éventuelle irrégularité affectant le registre des assujettis ne saurait avoir pour conséquence de priver un opérateur, qui s’est fondé sur les données figurant dans ledit registre, de l’exonération dont il serait en droit de bénéficier. Ainsi, la Cour a jugé qu’il serait contraire au principe de proportionnalité que le fournisseur soit tenu pour redevable de la TVA au seul motif qu’une radiation rétroactive du numéro d’identification TVA de l’acquéreur est intervenue (voir, en ce sens, arrêt Mecsek-Gabona, EU:C:2012:547 , points 63 et 64).

37

Dans le cadre du litige au principal, Traum avait transmis à l’administration fiscale bulgare deux factures indiquant le numéro de TVA grec de la société Evangelos gaitadzis en vue d’établir l’existence de son droit à l’exonération de la TVA, conformément à l’article 45, paragraphe 1, sous a), du règlement d’application du ZDDS. Ces indications ont été confirmées, après vérification par cette administration dans la base de données VIES, dans l’avis d’imputation et de remboursement du2 novembre 2009. Partant, ladite administration avait convenu et accepté, dans un premier temps, que, conformément à la condition prévue à l’article 7, paragraphe 1, du ZDDS, l’acquéreur était assujetti à la TVA dans un autre État membre. Ce n’est que dans le cadre d’un contrôle ultérieur que la même administration a constaté que cette dernière condition faisait défaut. Dans ces conditions, refuser l’exonération de la TVA au titre d’une livraison intracommunautaire serait contraire aux principes de sécurité juridique et de proportionnalité.

38

En ce qui concerne la circonstance relevée par le Direktor dans ses observations écrites, selon laquelle Traum aurait dû démontrer, par d’autres moyens, que la société Evangelos gaitadzis était un assujetti agissant en tant que tel dans un autre État membre dont les acquisitions intracommunautaires étaient soumises à la TVA, il ressort de la décision de renvoi que cette exigence n’est pas prévue par la réglementation nationale en cause au principal et, de surcroît, n’avait pas été formulée avant l’émission de l’avis d’imputation et de remboursement par l’administration fiscale bulgare, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

39

Dans ses observations écrites, le Direktor fait encore valoir que Traum n’a pas agi de bonne foi et qu’elle n’a pas fait preuve de la diligence requise en vue de s’assurer de l’authenticité des documents présentés à l’appui de sa demande d’exonération de la TVA. Il fait également état d’une éventuelle fraude commise par la société Evangelos gaitadzis à l’égard de l’administration fiscale grecque. À cet égard, le Direktor soutient notamment que compte tenu des réponses données par les transporteurs lors du contrôle fiscal auquel la livraison en cause au principal avait été soumise, il est douteux que les documents de transport produits aient correspondu à la situation de fait réelle.

40

Or, la décision de renvoi ne contient pas d’indications permettant de conclure que la livraison en cause au principal était impliquée dans une fraude fiscale ou que Traum n’a pas agi de bonne foi dans le contexte d’une éventuelle fraude commise par l’acquéreur.

41

À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure introduite au titre de l’article 267 TFUE, la Cour n’est pas compétente pour vérifier ni pour apprécier les circonstances de fait relatives à l’affaire au principal. Il appartient donc à la juridiction nationale d’effectuer une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait de cette affaire afin de déterminer si Traum a agi de bonne foi et a pris toutes les mesures pouvant raisonnablement être requise d’elle pour s’assurer que l’opération réalisée ne la conduisait pas à participer à une fraude fiscale (voir, par analogie, arrêt Mecsek-Gabona, EU:C:2012:547 , point 53).

42

Dans l’hypothèse où cette juridiction parviendrait à la conclusion qu’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que Traum savait ou aurait dû savoir que l’opération qu’elle a effectuée était impliquée dans une fraude commise par l’acquéreur et qu’elle n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables en son pouvoir pour éviter cette fraude, le bénéfice du droit à l’exonération de la TVA peut lui être refusé (voir, en ce sens, arrêt Mecsek-Gabona, EU:C:2012:547 , point 54).

43

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que les articles 138, paragraphe 1, et 139, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’administration fiscale d’un État membre refuse le bénéfice du droit à l’exonération de la TVA au titre d’une livraison intracommunautaire au motif que l’acquéreur n’était pas identifié à la TVA dans un autre État membre et que le fournisseur n’a démontré ni l’authenticité de la signature figurant sur les documents présentés à l’appui de sa déclaration de livraison prétendument exonérée ni le pouvoir de représentation de la personne ayant signé ces documents au nom de l’acquéreur, alors que les preuves justificatives du droit à l’exonération présentées par le fournisseur à l’appui de sa déclaration se conformaient à la liste de documents à présenter à ladite administration, fixée par le droit national, et qu’elles ont été acceptées par celle-ci, dans un premier temps, en tant que preuves justificatives, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la troisième question

44

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il est doté d’un effet direct, de sorte qu’il peut être invoqué par les assujettis devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État en vue d’obtenir une exonération de la TVA au titre d’une livraison intracommunautaire.

45

Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État, quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier (voir, en ce sens, arrêts Portgás,C-425/12, EU:C:2013:829, points 18 et 23, ainsi que Association de médiation sociale,C-176/12, EU:C:2014:2, point 31 et jurisprudence citée).

46

En l’occurrence, l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit l’obligation pour les États membres d’exonérer les livraisons de biens satisfaisant aux conditions qui y sont énumérées.

47

Si l’article 131 de cette directive laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent les conditions de l’exonération de la TVA prévues à l’article 138 de celle-ci en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations, cette circonstance n’affecte cependant pas le caractère précis et inconditionnel de l’obligation d’exonération prescrite par ce dernier article (voir, par analogie, arrêt Association de médiation sociale, EU:C:2014:2 , point 33).

48

Il en résulte que l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il est doté d’un effet direct, de sorte qu’il peut être invoqué par les assujettis devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État en vue d’obtenir une exonération de la TVA au titre d’une livraison intracommunautaire.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

 

1)

Les articles 138, paragraphe 1, et 139, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/88/UE du Conseil, du 7 décembre 2010, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’administration fiscale d’un État membre refuse le bénéfice du droit à l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée au titre d’une livraison intracommunautaire au motif que l’acquéreur n’était pas identifié à cette taxe dans un autre État membre et que le fournisseur n’a démontré ni l’authenticité de la signature figurant sur les documents présentés à l’appui de sa déclaration de livraison prétendument exonérée ni le pouvoir de représentation de la personne ayant signé ces documents au nom de l’acquéreur, alors que les preuves justificatives du droit à l’exonération présentées par le fournisseur à l’appui de sa déclaration se conformaient à la liste de documents à présenter à ladite administration, fixée par le droit national, et qu’elles ont été acceptées par celle-ci, dans un premier temps, en tant que preuves justificatives, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

2)

L’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/88, doit être interprété en ce sens qu’il est doté d’un effet direct, de sorte qu’il peut être invoqué par les assujettis devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État en vue d’obtenir une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée au titre d’une livraison intracommunautaire.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: le bulgare.