Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

Share

Highlight in text

Go

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

11 décembre 2014 (*)

«Renvoi préjudiciel – Fiscalité indirecte – TVA – Sixième directive – Articles 18 et 22 – Droit à déduction – Acquisitions intracommunautaires – Autoliquidation – Exigences de fond – Exigences formelles – Non-respect des exigences formelles»

Dans l’affaire C-590/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Italie), par décision du 7 octobre 2013, parvenue à la Cour le 20 novembre 2013, dans la procédure

Idexx Laboratories Italia Srl

contre

Agenzia delle Entrate,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme C. Toader, faisant fonction de président de chambre, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Idexx Laboratories Italia Srl, par Me F. Tesauro, avvocato,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. De Socio, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 et 22 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991 (JO L 376, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de deux litiges – joints par la juridiction de renvoi – opposant Idexx Laboratories Italia Srl (ci-après «Idexx») à l’Agenzia delle Entrate – Ufficio di Milano 1 (administration fiscale – bureau de Milan 1, ci-après l’«Agenzia») au sujet, d’une part, de l’avis de mise en recouvrement émis par cette administration, portant rectification de la déclaration aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») établie par Idexx pour l’année 1998, et, d’autre part, du rejet de la demande de règlement du litige présentée par cette société.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La sixième directive comporte un titre XVI bis, intitulé «Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres», qui a été introduit dans celle-ci par la directive 91/680 et qui comprend notamment les articles 28 septies à 28 nonies.

4        L’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, intitulé «Naissance et étendue du droit à déduction», dispose:

«Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.»

5        Dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies de la sixième directive, l’article 17, paragraphe 2, de celle-ci prévoit:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la [TVA] due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti redevable de la taxe à l’intérieur du pays;

b)      la [TVA] due ou acquittée pour les biens importés à l’intérieur du pays;

c)      la [TVA] due conformément à l’article 5 paragraphe 7 point a), à l’article 6 paragraphe 3 et à l’article 28 bis paragraphe 6;

d)      la [TVA] due conformément à l’article 28 bis paragraphe 1 point a).»

6        Dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies de la sixième directive, l’article 18 de celle-ci, relatif aux «modalités d’exercice du droit à déduction», prévoit à son paragraphe 1, sous d):

«Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit:

[...]

d)      lorsqu’il est tenu d’acquitter la taxe en tant que preneur ou acheteur en cas d’application de l’article 21 point 1, remplir les formalités qui sont établies par chaque État membre.»

7        En ce qui concerne les redevables de la TVA, l’article 21, paragraphe 1, sous d), de cette directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 octies de celle-ci, dispose que la TVA est due en régime intérieur «par la personne effectuant une acquisition intracommunautaire de biens imposables».

8        Aux termes de l’article 22 de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci, intitulé «Obligations en régime intérieur»:

«[...]

2.      a)      Tout assujetti doit tenir une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la [TVA] et son contrôle par l’administration fiscale.

b)      [...]

Tout assujetti doit tenir un registre des matériaux qui lui ont été expédiés à partir d’un autre État membre, par ou pour le compte d’un assujetti identifié à la [TVA] dans cet autre État membre, en vue de la délivrance à cet assujetti d’un travail à façon.

[...]

4.      a)     Tout assujetti doit déposer une déclaration dans un délai à fixer par les États membres. [...]

b)      Dans la déclaration doivent figurer toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer, y compris, le cas échéant, et dans la mesure où cela apparaît nécessaire pour la constatation de l’assiette, le montant global des opérations relatives à cette taxe et à ces déductions ainsi que le montant des opérations exonérées.

c)      Dans la déclaration doivent également figurer:

[...]

–        d’autre part le montant total, hors [TVA], des acquisitions intracommunautaires de biens visées à l’article 28 bis paragraphes 1 et 6 et au titre desquelles la taxe est devenue exigible.

[...]

8.      Les États membres ont la faculté de prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

[...]»

 Le droit italien

9        L’essentiel des dispositions pertinentes en matière de TVA sont prévues, d’une part, par le décret nº 633 du président de la République, portant création et réglementation de la taxe sur la valeur ajoutée (Decreto del presidente della Repubblica n. 633, istituzione e disciplina dell’imposta sul valore aggiunto), du 26 octobre 1972 (supplément ordinaire à la GURI nº 292, du 11 novembre 1972, ci-après le «DPR nº 633/72»), modifié à plusieurs reprises, et, d’autre part, par le décret-loi nº 331, portant harmonisation des dispositions en matière d’impôts sur les huiles minérales, l’alcool, les boissons alcoolisées et les tabacs manufacturés, ainsi qu’en matière de TVA, avec les dispositions instaurées par les directives CEE, et modifications qui découlent de cette harmonisation, ainsi que dispositions concernant le régime des centres agréés d’assistance fiscale, les procédures de remboursements de l’impôt, l’exclusion de l’ILOR des revenus des entreprises à hauteur du montant correspondant aux charges professionnelles directes, l’instauration pour 1993 d’une taxe de consommation extraordinaire sur certains biens, et autres dispositions fiscales (decreto-legge n. 331 – armonizzazione delle disposizioni in materia di imposte sugli oli minerali, sull’alcole, sulle bevande alcoliche, sui tabacchi lavorati e in materia di IVA con quelle recate da direttive CEE e modificazioni conseguenti a detta armonizzazione, nonché disposizioni concernenti la disciplina dei centri autorizzati di assistenza fiscale, le procedure dei rimborsi di imposta, l’esclusione dall’ILOR dei redditi di impresa fino all’ammontare corrispondente al contributo diretto lavorativo, l’istituzione per il 1993 di un’imposta erariale straordinaria su taluni beni ed altre disposizioni tributarie), du 30 août 1993 (GURI nº 203, du 30 août 1993), converti en loi par la loi nº 427, du 29 octobre 1993 (GURI nº 255, du 29 octobre 1993, ci-après le «DL nº 331/93»).

10      Les dispositions pertinentes en ce qui concerne les modalités et les conditions générales relatives à la facturation ainsi qu’à l’enregistrement des factures et des acquisitions sont celles figurant aux articles 21, 23 et 25 du DPR nº 633/72.

11      S’agissant du droit à déduction portant sur les opérations intracommunautaires, l’article 45 du DL nº 331/93 prévoit:

«En application des articles 19 et suivants du [DPR nº 633/72] et sous réserve des limitations qui y sont prévues, la taxe due pour les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées dans l’exercice d’une entreprise, d’un art ou d’une profession, ouvre un droit à déduction.»

12      Selon l’article 46, paragraphe 1, du DL nº 331/93, intitulé «Facturation des opérations intracommunautaires», la facture relative à l’acquisition intracommunautaire doit être numérotée et complétée par le cessionnaire ou le commettant en indiquant la contre-valeur en lires de la contrepartie et des autres éléments constitutifs de la base imposable de l’opération, calculée selon le taux des biens ou des services acquis.

13      Sous le titre «Enregistrement des opérations intracommunautaires», l’article 47du DL nº 331/93 dispose:

«1.      Les factures relatives aux acquisitions intracommunautaires visées à l’article 38, paragraphes 2 et 3, sous b), et aux opérations visées à l’article 46, paragraphe 1, deuxième phrase, après avoir été complétées conformément à la première phrase de ce même paragraphe, doivent être inscrites, dans le mois de leur réception ou ultérieurement, mais en tout état de cause dans les quinze jours de la réception, et au titre du mois correspondant, de façon distincte dans le registre visé à l’article 23 du [DPR nº 633/72], en suivant l’ordre de la numérotation, en indiquant également la contrepartie des opérations dans la devise étrangère. Les factures visées à l’article 46, paragraphe 5, doivent être enregistrées dans le mois de leur émission. Elles doivent être enregistrées de façon distincte, dans les délais prévus par les phrases précédentes, également dans le registre prévu à l’article 25 du décret précité par référence, respectivement, au mois de leur réception ou de leur émission.

2.      Les contribuables visés à l’article 22 du [DPR nº 633/72] peuvent enregistrer les factures visées au paragraphe 1 dans le registre visé à l’article 24 du décret au lieu du registre des factures émises, sans préjudice des prescriptions relatives aux délais et aux modalités indiquées au paragraphe 1.

3.      Les contribuables visés à l’article 4, paragraphe 4, du [DPR nº 633/72] qui ne sont pas assujettis à la taxe doivent enregistrer, après numérotation par ordre chronologique, les factures visées au paragraphe 1 du présent article dans un registre ad hoc, tenu et conservé conformément à l’article 39 du [DPR nº 633/72], dans le mois qui suit celui au cours duquel ils les ont obtenues ou au cours du mois d’émission pour les factures visées à l’article 46, paragraphe 5.

4.      Les factures relatives aux opérations intracommunautaires visées à l’article 46, paragraphe 2, doivent être inscrites de façon distincte au registre prévu à l’article 23 du [DPR nº 633/72], selon l’ordre de la numérotation et en référence à leur date d’émission.

[...]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Au cours de l’année 1998, Idexx a effectué des acquisitions intracommunautaires auprès d’une société française et d’une société hollandaise, sans toutefois s’être acquittée des formalités requises par le droit national.

15      Il ressort du dossier soumis à la Cour qu’Idexx n’avait pas inscrit dans le registre TVA certaines factures établies par la société française.

16      Quant aux factures établies par la société hollandaise, celles-ci n’avaient pas été inscrites dans le registre des factures émises d’Idexx, mais uniquement dans son registre des achats avec l’indication «hors TVA».

17      Après un contrôle effectué par l’Agenzia au cours de l’année 2000, cette dernière a considéré que lesdites opérations représentaient des acquisitions intracommunautaires assujetties à la TVA et soumises, en tant que telles, au régime d’autoliquidation. Dans ce contexte, l’Agenzia a dressé un procès-verbal à l’encontre d’Idexx pour ne pas avoir respecté la réglementation italienne relative à l’enregistrement des opérations intracommunautaires.

18      Faisant suite audit procès-verbal, l’Agenzia a notifié à Idexx, le 27 mai 2004, un avis de recouvrement de la TVA pour l’année 1998 ainsi que d’une somme équivalant à 100 % de la taxe, au titre de sanction pour le non-respect des obligations prévues aux articles 46 et 47 du DL nº 331/93. Cette administration a ensuite rejeté la demande de règlement du litige présentée par Idexx.

19      Cette société a introduit deux recours distincts contre l’acte d’imposition et le refus d’accéder à sa demande de règlement du litige. Par deux jugements, la Commissione tributaria provinciale di Milano a accueilli ces deux recours et, partant, a annulé l’avis de recouvrement et le rejet de la demande de règlement.

20      L’Agenzia a interjeté appel de ces décisions, auquel la Commissione tributaria regionale della Lombardia a fait droit. Cette juridiction a relevé que les dispositions de droit italien relatives aux acquisitions intracommunautaires, notamment les articles 46 et 47 du DL nº 331/93, imposaient au cessionnaire ou au commettant non seulement l’obligation de numéroter et de compléter la facture lors de l’acquisition intracommunautaire avec tous les éléments constitutifs de la base imposable de l’opération, mais également l’obligation d’inscrire en temps voulu les factures ainsi complétées séparément dans les différents registres visés aux articles 23 et 25 du DPR nº 633/72.

21      Elle a considéré que le défaut d’enregistrement était un manquement relevant non pas de la forme, mais du fond et constituait une infraction de nature à justifier une rectification et/ou une mise en recouvrement.

22      Idexx a introduit deux pourvois devant la Corte di cassazione, laquelle a décidé de joindre les deux affaires. Dans ses pourvois, cette société a présenté deux moyens identiques reprochant à la Commissione tributaria regionale della Lombardia d’avoir illégalement qualifié de «manquement substantiel» l’absence de facturation et d’enregistrement des factures dans le cadre d’acquisitions intracommunautaires.

23      Idexx soutient que les acquisitions intracommunautaires n’ont pas d’effets substantiels, ne créant ni dettes ni crédits d’impôt mais uniquement des dettes et des crédits «apparents» ainsi que des obligations formelles d’écriture d’un compte d’ordre dans les deux registres TVA, sans conséquences sur le fond.

24      Dès lors, elle considère que le manquement à de telles obligations ne permet pas à l’Agenzia de rectifier la déclaration TVA de l’acquéreur et de lui réclamer le paiement d’une taxe qui ne serait que théorique en ignorant le droit à déduction qui, dans le cas d’espèce, ne pourrait être contesté.

25      La juridiction de renvoi estime que la réponse aux litiges pendants devant elle dépend de l’interprétation à donner de l’arrêt Ecotrade (C-95/07 et C-96/07, EU:C:2008:267). Elle explique que cet arrêt a fait l’objet de deux interprétations différentes, coexistantes, au sein de la Corte di cassazione et, partant, de l’ordre juridique national, conduisant à deux approches différentes.

26      Selon une première approche, le droit à déduction requiert que les obligations d’autofacturation et d’enregistrement prévues dans le cadre du régime d’autoliquidation par les normes nationales et le droit de l’Union doivent être remplies, ces obligations étant considérées comme des obligations de fond.

27      Selon la seconde approche, le droit à déduction naîtrait au moment de l’exigibilité de la TVA, c’est-à-dire non pas à la suite de l’accomplissement des formalités prévues pour l’exercice dudit droit, mais, en principe, au moment de la réalisation de l’opération de cession de biens ou de la prestation de services. Partant, le non-accomplissement des obligations formelles auxquelles l’assujetti est tenu aux fins de l’exercice de ce droit ne pourrait pas entraîner la perte du droit lui-même, dès lors que serait établie, également par d’autres moyens, la preuve que la somme due a effectivement été versée et que les éléments constitutifs du droit à déduction ne sont pas contestés. Le manquement aux obligations formelles pourrait, toutefois, dans certains cas, justifier l’application d’amendes administratives.

28      C’est dans ces conditions que la Corte di cassazione a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les principes énoncés par la [Cour] dans son arrêt [Ecotrade (EU:C:2008:267)], selon lesquels les articles 18, paragraphe 1, sous d), et 22 de la [sixième directive] s’opposent à une pratique de rectification des déclarations et de recouvrement de la [TVA] qui sanctionne une méconnaissance, d’une part, des obligations résultant des formalités établies par la réglementation nationale en application de l’article 18, paragraphe 1, sous d), de cette directive et, d’autre part, des obligations de comptabilité ainsi que de déclaration ressortant respectivement de l’article 22, paragraphes 2 et 4, de ladite directive par un refus du droit à déduction en cas d’application du mécanisme de l’autoliquidation – sont-ils également applicables en cas de méconnaissance totale des obligations imposées par cette même réglementation, lorsqu’il n’y a en tout état de cause aucun doute s’agissant de la situation de redevable de la taxe et de son droit à déduction?

2)      Les expressions ‘obblighi sostanziali’, ‘substantive requirements’ et ‘exigences de fond’, utilisées par la [Cour] dans les différentes versions linguistiques de l’arrêt [Ecotrade (EU:C:2008:267)], font-elles référence, en ce qui concerne les hypothèses d’‘autoliquidation’ en matière de TVA, à la nécessité d’acquitter la TVA ou d’assumer la dette fiscale ou encore à l’existence des conditions de fond qui justifient l’assujettissement du contribuable à la taxe et qui régissent le droit à déduction destiné à préserver le principe de neutralité de ladite taxe, émanant du droit de l’Union – comme le caractère inhérent, le caractère imposable et le caractère intégralement déductible?»

 Sur les questions préjudicielles

29      Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir, si les articles 18, paragraphe 1, sous d), et 22 de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que ces dispositions contiennent des exigences formelles du droit à déduction ou, au contraire, des exigences de fond de ce droit dont la méconnaissance, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, aboutirait à la perte de celui-ci.

30      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (arrêt Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 23 et jurisprudence citée).

31      Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, ce droit fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. En particulier, il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, en ce sens, arrêt Tóth, EU:C:2012:549, point 24 et jurisprudence citée).

32      Le régime des déductions ainsi établi vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA (arrêts Tóth, EU:C:2012:549, point 25 et jurisprudence citée, ainsi que Fatorie, C-424/12, EU:C:2014:50, point 31 et jurisprudence citée).

33      Dans le cadre des acquisitions intracommunautaires de biens imposables, il convient de rappeler, premièrement, que, en application du régime d’autoliquidation instauré par l’article 21, paragraphe 1, sous d), de la sixième directive, aucun paiement de la TVA n’a lieu entre le vendeur et l’acquéreur du bien, ce dernier étant redevable, pour l’acquisition effectuée, de la TVA en amont, tout en pouvant, en principe, déduire la même taxe de telle sorte qu’aucun montant n’est dû à l’administration fiscale.

34      Deuxièmement, lorsque le régime d’autoliquidation trouve à s’appliquer, l’article 18, paragraphe 1, sous d), de la sixième directive permet aux États membres d’établir les formalités portant sur les modalités d’exercice du droit à déduction.

35      Cependant, les formalités ainsi établies par l’État membre concerné et qui doivent être respectées par l’assujetti pour l’exercice de ce droit ne sauraient dépasser ce qui est strictement nécessaire en vue de contrôler l’application correcte de la procédure d’autoliquidation (arrêts Bockemühl, C-90/02, EU:C:2004:206, point 50, ainsi que Fatorie, EU:C:2014:50, point 34 et jurisprudence citée).

36      En outre, aux fins de l’application de la TVA et de son contrôle par l’administration fiscale, l’article 22 de la sixième directive prévoit certaines obligations qui incombent aux assujettis redevables de cette taxe, telles que la tenue d’une comptabilité et le dépôt d’une déclaration. En vertu du paragraphe 8 de cet article, les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude.

37      Toutefois, de telles mesures ne peuvent aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs et ne doivent pas remettre en cause la neutralité de la TVA (voir, en ce sens, arrêts Collée, C-146/05, EU:C:2007:549, point 26 et jurisprudence citée, ainsi que Ecotrade, EU:C:2008:267, point 66 et jurisprudence citée).

38      Troisièmement, il ressort du point 63 de l’arrêt Ecotrade (EU:C:2008:267) et de la jurisprudence ultérieure de la Cour (voir, entre autres, arrêts Uszodaépítő, C-392/09, EU:C:2010:569, point 39; Nidera Handelscompagnie, C-385/09, EU:C:2010:627, point 42; EMS-Bulgaria Transport, C-284/11, EU:C:2012:458, point 62, ainsi que Fatorie, EU:C:2014:50, point 35) que, dans le cadre du régime de l’autoliquidation, le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de la taxe en amont soit accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par l’assujetti.

39      Il peut en aller autrement si la violation de telles exigences formelles avait pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (arrêt EMS-Bulgaria Transport, EU:C:2012:458, point 71 et jurisprudence citée).

40      En conséquence, dès lors que l’administration fiscale dispose des données nécessaires pour établir que les exigences de fond sont satisfaites, elle ne saurait imposer, en ce qui concerne le droit de l’assujetti de déduire cette taxe, des conditions supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice de ce droit (voir, en ce sens, arrêt EMS-Bulgaria Transport, EU:C:2012:458, point 62 et jurisprudence citée).

41      À cet égard, il convient de préciser que les exigences de fond du droit à déduction sont celles qui régissent le fondement même et l’étendue de ce droit, telles que prévues à l’article 17 de la sixième directive, intitulé «Naissance et étendue du droit à déduction» (voir, en ce sens, arrêts Commission/Pays-Bas, C-338/98, EU:C:2001:596, point 71; Dankowski, C-438/09, EU:C:2010:818, points 26 et 33; Commission/Hongrie, C-274/10, EU:C:2011:530, point 44, ainsi que Kopalnia Odkrywkowa Polski Trawertyn P. Granatowicz, M. Wąsiewicz, C-280/10, EU:C:2012:107, points 43 et 44).

42      Les exigences formelles dudit droit règlent, en revanche, les modalités et le contrôle de l’exercice de celui-ci ainsi que le bon fonctionnement du système de la TVA, telles que les obligations relatives à la comptabilité, à la facturation et à la déclaration. Ces exigences figurent aux articles 18 et 22 de la sixième directive (voir, en ce sens, arrêts Commission/Pays-Bas, EU:C:2001:596, point 71; Collée, EU:C:2007:549, points 25 et 26; Ecotrade, EU:C:2008:267, points 60 à 65; Nidera Handelscompagnie, EU:C:2010:627, points 47 à 51; Kopalnia Odkrywkowa Polski Trawertyn P. Granatowicz, M. Wąsiewicz, EU:C:2012:107, points 41 et 48, ainsi que Tóth, EU:C:2012:549, point 33).

43      En ce qui concerne les acquisitions intracommunautaires de biens imposables, les exigences de fond requièrent, ainsi qu’il résulte de l’article 17, paragraphe 2, sous d), de la sixième directive, que ces acquisitions aient été effectuées par un assujetti, que ce dernier soit également le redevable de la TVA relative auxdites acquisitions et que les biens en cause soient utilisés pour les besoins de ses opérations taxées.

44      Il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, l’Agenzia disposait de toutes les données nécessaires pour établir que ces exigences de fond étaient réunies.

45      Dans ces conditions, il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le droit à déduction, visé à l’article 17, paragraphe 2, sous d), de la sixième directive, de la TVA due, relative aux acquisitions intracommunautaires en cause au principal, ne peut être refusé à Idexx au motif qu’elle n’a pas satisfait aux obligations résultant des formalités établies par la réglementation nationale adoptée en application des articles 18, paragraphe 1, sous d), et 22 de la sixième directive. Ce droit à déduction prend naissance, conformément au paragraphe 1 de cet article, au moment où la taxe déductible devient exigible.

46      Eu égard à ces considérations, il convient de répondre aux questions posées que les articles 18, paragraphe 1, sous d), et 22 de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que ces dispositions contiennent des exigences formelles du droit à déduction, dont la méconnaissance, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, ne saurait aboutir à la perte de ce droit.

 Sur les dépens

47      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:

Les articles 18, paragraphe 1, sous d), et 22 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, doivent être interprétés en ce sens que ces dispositions contiennent des exigences formelles du droit à déduction, dont la méconnaissance, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, ne saurait aboutir à la perte de ce droit.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.