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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

19 novembre 2015 (*)

«Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes – Relation entre cet accord et les conventions bilatérales préventives de la double imposition – Égalité de traitement – Discrimination fondée sur la nationalité – Ressortissant d’un État membre de l’Union européenne – Travailleurs frontaliers – Impôt sur les revenus – Répartition de la compétence fiscale – Rattachement fiscal – Nationalité»

Dans l’affaire C-241/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Baden-Württemberg (tribunal des finances du Bade-Wurtemberg, Allemagne), par décision du 19 décembre 2013, parvenue à la Cour le 16 mai 2014, dans la procédure

Roman Bukovansky

contre

Finanzamt Lörrach,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, Mme C. Toader et M. C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 février 2015,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Bukovansky, par Me H. Hauswirth, Rechtsanwalt,

–        pour le Finanzamt Lörrach, par M. D. Gress et Mme S. Parodi-Neef, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et B. Beutler, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, U. Persson, N. Otte Widgren, ainsi que par MM. F. Sjövall, L. Swedenborg et E. Karlsson, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. M. Holt, en qualité d’agent, assisté de Mme S. Ford, barrister,

–        pour la Commission européenne, par MM. R. Lyal et M. Wasmeier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 (JO 2002, L 114, p. 6, ci-après l’«accord sur la libre circulation des personnes»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Bukovansky, ressortissant allemand, au Finanzamt Lörrach (service des impôts de Lörrach) au sujet de la décision par laquelle ce dernier a imposé les revenus salariaux de M. Bukovansky en Allemagne, pour la période postérieure au transfert de la résidence de l’intéressé de l’Allemagne vers la Suisse.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, ont signé, le 21 juin 1999, sept accords, au nombre desquels figure l’accord sur la libre circulation des personnes. Par la décision 2002/309/CE, Euratom du Conseil et de la Commission, du 4 avril 2002 (JO L 114, p. 1), ces sept accords ont été approuvés au nom de la Communauté et sont entrés en vigueur le 1er juin 2002.

4        Aux termes du préambule de l’accord sur la libre circulation des personnes, les parties contractantes sont «décidé[e]s à réaliser la libre circulation des personnes entre [elles] en s’appuyant sur les dispositions en application dans la Communauté européenne».

5        L’accord sur la libre circulation des personnes vise, conformément à son article 1er, sous a) et d), à octroyer, en faveur des ressortissants des États membres de l’Union européenne et de la Confédération suisse, un droit d’entrée, de séjour, d’accès à une activité économique salariée, d’établissement en tant qu’indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes ainsi qu’à accorder les mêmes conditions de vie, d’emploi et de travail que celles accordées aux nationaux.

6        L’article 2 de cet accord, intitulé «Non-discrimination», prévoit:

«Les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité.»

7        L’article 4 dudit accord, intitulé «Droit de séjour et d’accès à une activité économique», énonce:

«Le droit de séjour et d’accès à une activité économique est garanti [...] conformément aux dispositions de l’annexe I.»

8        Selon l’article 15 de l’accord sur la libre circulation des personnes, les annexes et les protocoles de ce dernier en font partie intégrante.

9        L’article 16 de cet accord, intitulé «Référence au droit communautaire», est libellé comme suit:

«1.      Pour atteindre les objectifs visés par le présent accord, les parties contractantes prendront toutes les mesures nécessaires pour que les droits et obligations équivalant à ceux contenus dans les actes juridiques de la Communauté européenne auxquels il est fait référence trouvent application dans leurs relations.

2.      Dans la mesure où l’application du présent accord implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de sa signature. La jurisprudence postérieure à la date de la signature du présent accord sera communiquée à la Suisse. En vue d’assurer le bon fonctionnement de l’accord, à la demande d’une partie contractante, le comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence.»

10      L’article 21 dudit accord, intitulé «Relation avec les accords bilatéraux en matière de double imposition», dispose, à son paragraphe 1:

«Les dispositions des accords bilatéraux entre la Suisse et les États membres de la Communauté européenne en matière de double imposition ne sont pas affectées par les dispositions du présent accord. En particulier les dispositions du présent accord ne doivent pas affecter la définition du travailleur frontalier selon les accords de double imposition.»

11      L’article 7 de l’annexe I de l’accord sur la libre circulation des personnes, intitulé «Travailleurs frontaliers salariés», énonce, à son paragraphe 1:

«Le travailleur frontalier salarié est un ressortissant d’une partie contractante qui a sa résidence sur le territoire d’une partie contractante et qui exerce une activité salariée sur le territoire de l’autre partie contractante en retournant à son domicile en principe chaque jour, ou au moins une fois par semaine.»

12      L’article 9 de ladite annexe, intitulé «Égalité de traitement», dispose à ses paragraphes 1 et 2:

«1.      Un travailleur salarié ressortissant d’une partie contractante ne peut, sur le territoire de l’autre partie contractante, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux salariés en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.

2.      Le travailleur salarié et les membres de sa famille visés à l’article 3 de la présente annexe y bénéficient des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille.»

 Le droit conventionnel

13      La convention du 11 août 1971 entre la Confédération suisse et la République fédérale d’Allemagne (Bundesgesetzblatt 1972 II, p. 1022), telle que modifiée par le protocole de révision du 12 mars 2002 (Bundesgesetzblatt 2003 II, p. 67, ci-après la «convention germano-suisse»), est une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.

14      L’article 4 de la convention germano-suisse prévoit:

«1.      Au sens de la présente Convention, l’expression ‘résident d’un État contractant’ désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie de manière illimitée à l’impôt dans cet État.

[...]

4.       Lorsqu’une personne physique, qui est un résident de Suisse, ne possède pas la nationalité suisse et a été assujettie de manière illimitée à l’impôt dans la République fédérale d’Allemagne pendant au moins cinq ans au total, celle-ci peut l’imposer au cours de l’année où son assujettissement illimité a pris fin pour la dernière fois et au cours des cinq années suivantes pour les revenus provenant de la République fédérale d’Allemagne et pour les éléments de fortune situés dans la République fédérale d’Allemagne, nonobstant les autres dispositions de la présente Convention. L’imposition de ces revenus ou de ces éléments de fortune par la Suisse conformément aux dispositions de la présente Convention n’est pas touchée. Toutefois, la République fédérale d’Allemagne impute, en appliquant par analogie les prescriptions de la législation allemande relative à l’imputation des impôts étrangers, l’impôt suisse perçu conformément aux dispositions de la présente Convention sur ces revenus ou ces éléments de fortune, sur la partie de l’impôt allemand (à l’exception de l’impôt sur les entreprises) qui est perçue en vertu de la présente disposition sur ces revenus ou ces éléments de fortune, en sus de l’impôt allemand qui les frapperait conformément aux dispositions des [articles] 6 à 22. Les dispositions de ce paragraphe ne sont pas applicables lorsque la personne physique est devenue un résident de Suisse afin d’y exercer un emploi salarié effectif pour le compte d’un employeur auquel elle n’est pas liée, indépendamment de ses rapports de service, par un intérêt économique substantiel direct ou indirect sous forme d’une participation ou d’une autre manière.

5.      Lorsqu’une personne physique n’est considérée comme résident d’un État contractant, au sens du présent article, que pour une partie de l’année et est considérée comme résident de l’autre État contractant pour le reste de l’année (changement de domicile), chaque État ne peut percevoir les impôts établis sur la base de l’assujettissement fiscal illimité qu’au prorata de la période pendant laquelle cette personne était considérée comme un résident de cet État.

[...]»

15      L’article 15 de cette convention énonce:

«1.      Sous réserve des dispositions des [articles] 15 a à 19, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État.

2.      Nonobstant les dispositions du [paragraphe] 1, les rémunérations qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié exercé dans l’autre État contractant ne sont imposables que dans le premier État si:

a.      Le bénéficiaire séjourne dans l’autre État pendant une période ou des périodes n’excédant pas au total 183 jours au cours de l’année civile considérée;

b.      Les rémunérations sont payées par un employeur ou au nom d’un employeur qui n’est pas résident de l’autre État; et

c.      La charge des rémunérations n’est pas supportée par un établissement stable ou une base fixe que l’employeur a dans l’autre État.

[...]

4.      Sous réserve des dispositions de l’[article] 15 a une personne physique qui est un résident d’un État contractant mais exerce une activité en tant que membre du directoire, directeur, gérant ou fondé de pouvoir d’une société de capitaux qui est un résident de l’autre État contractant, est imposable dans cet autre État pour les rémunérations qu’elle reçoit pour cette activité, à condition que son activité ne soit pas circonscrite de telle manière qu’elle ne comprenne que des tâches produisant tous leurs effets en dehors de cet autre État. Si cet autre État n’impose pas ces revenus, ils sont imposables dans l’État dont la personne physique est un résident.»

16      L’article 15 a de ladite convention dispose:

«1.      Nonobstant les dispositions de l’[article] 15, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un frontalier reçoit au titre d’un emploi salarié peuvent être imposés dans l’État contractant dont il est un résident. À titre de compensation, l’État contractant dans lequel le travail est exécuté peut prélever un impôt sur ces rémunérations par voie de retenue à la source. Cet impôt ne doit pas excéder 4,5 % du montant brut des rémunérations si la résidence est prouvée par une attestation officielle des autorités fiscales compétentes de l’État contractant dont le contribuable est un résident. Les dispositions du [paragraphe] 4 de l’[article] 4 sont réservées.

2.      Est réputé frontalier au sens des dispositions du [paragraphe] 1 toute personne qui est un résident d’un État contractant, mais dont le lieu de travail est situé dans l’autre État contractant, d’où il retourne régulièrement à son domicile. Si, après son travail, cette personne ne regagne pas régulièrement son domicile, elle perd sa qualité de frontalier uniquement si, pour une occupation sur toute l’année civile, elle ne regagne pas son domicile plus de 60 jours ouvrables en fonction de l’exercice de son activité.

3.      L’État contractant dont le frontalier est un résident tient compte, nonobstant les dispositions de l’[article] 24, de l’impôt perçu selon les dispositions de la troisième phrase du [paragraphe] 1 de la manière suivante:

a.      en République fédérale d’Allemagne, l’impôt est imputé sur l’impôt allemand sur le revenu conformément aux dispositions du [paragraphe] 36 de la loi [relative à l]’impôt sur le revenu (‘Einkommensteuergesetz’), à l’exclusion des dispositions du [paragraphe] 34 c de ladite loi. L’impôt est également pris en compte lors de la fixation des acomptes sur l’impôt sur le revenu;

[...]»

 Le droit allemand

17      En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz, ci-après l’«EStG»), dans sa version modifiée le 20 décembre 2007 (Bundesgesetzblatt 2007 I, p. 3150), les personnes physiques qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire national sont assujetties de façon illimitée à l’impôt sur le revenu.

18      L’article 1er, paragraphe 4, de l’EStG prévoit:

«Les personnes physiques ne possédant ni domicile ni résidence habituelle en Allemagne sont, sous réserve des paragraphes 2 et 3, et de l’article 1a, assujetties de manière limitée à l’impôt sur le revenu dans la mesure où elles perçoivent des revenus nationaux au sens de l’article 49.»

19      L’article 49 de l’EStG, relatif aux revenus partiellement imposables, énonce:

«1.      Constituent des revenus nationaux aux fins de l’assujettissement partiel à l’impôt sur le revenu (article 1er, paragraphe 4):

[...]

4)      les revenus d’un travail salarié (article 19)

a)      qui est ou a été exercé ou exploité en Allemagne,

[...]

c)      perçus comme rémunération d’une activité de gérant, de fondé de pouvoir ou de membre du directoire d’une société dont la direction est établie en Allemagne,

[...]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

20      M. Bukovansky, qui possède les nationalités allemande et tchèque, a vécu depuis l’année 1969 et jusqu’au mois de juillet 2008 en Allemagne. Du mois de janvier 1999 au mois de février 2006, il a travaillé en Suisse, où il a été employé par plusieurs sociétés du groupe Novartis. Il était alors assujetti à l’impôt sur le revenu dans l’État de sa résidence, à savoir la République fédérale d’Allemagne.

21      Au mois de mars 2006, M. Bukovansky a été muté par son employeur suisse, dans le cadre d’une convention de transfert, dans une société filiale de ce groupe, Novartis Pharma Productions GmbH (ci-après «W-GmbH»), établie en Allemagne. Initialement, l’activité salariée exercée par M. Bukovansky en Allemagne devait avoir une durée de deux ans, mais elle a été progressivement prolongée, jusqu’à la fin de l’année 2012.

22      Le 1er août 2008, M. Bukovansky, tout en continuant à travailler pour W-GmbH, en Allemagne, a transféré son domicile en Suisse. Dans sa déclaration de revenus de l’année 2008, l’intéressé a estimé que, pour la période durant laquelle il avait été domicilié en Suisse, à savoir du mois d’août au mois de décembre 2008, il devait, en vertu de l’article 15 a, paragraphe 1, de la convention germano-suisse, être soumis, pour ses revenus de travailleur salarié provenant de W-GmbH, à l’impôt en Suisse, en tant que travailleur frontalier «en sens inverse».

23      Le service des impôts de Lörrach a cependant considéré que les revenus en question devaient être soumis à l’impôt en Allemagne pour la totalité de l’exercice fiscal 2008. Ce service a estimé que, pour la période allant du mois d’août au mois de décembre 2008, M. Bukovansky était assujetti à l’impôt sur le revenu en Allemagne en vertu des articles 1er, paragraphe 4, et 49, paragraphe 1 de l’EStG et que, en outre, les revenus de travailleur salarié versés par W-GmbH à l’intéressé devaient être, conformément à l’article 4, paragraphe 4, de la convention germano-suisse, imposés en Allemagne.

24      À la suite d’une réclamation de M. Bukovansky, le service des impôts de Lörrach a, d’une part, confirmé l’avis d’imposition établi aux fins de l’imposition des revenus concernés et, d’autre part, pris en considération les montants d’impôt payés par M. Bukovansky à l’administration fiscale suisse au titre de l’impôt sur le revenu à partir du mois d’août 2008.

25      Dans le cadre de son recours devant le Finanzgericht Baden-Württemberg (tribunal des finances du Bade-Wurtemberg), M. Bukovansky a maintenu son argumentation, tirée de ce que le salaire perçu en raison de son activité exercée pour W-GmbH au titre de la période allant du mois d’août au mois de décembre 2008 devait être exonéré de l’impôt en Allemagne et être soumis uniquement à l’impôt en Suisse. Le service des impôts de Lörrach a conclu au rejet de ce recours.

26      La juridiction de renvoi relève que, conformément à l’article 15 a, paragraphe 1, de la convention germano-suisse, la Confédération suisse doit être considérée, à partir du mois d’août 2008, comme étant l’État de résidence de M. Bukovansky, et comme étant en droit d’imposer les revenus salariaux de l’intéressé à partir de ce mois.

27      Toutefois, dès lors que M. Bukovansky ne possède pas la nationalité suisse, qu’il a été assujetti de manière illimitée à l’impôt en Allemagne pendant au moins cinq ans au total et qu’il a conservé son lieu de travail salarié en Allemagne, après son déménagement en Suisse, l’article 4, paragraphe 4, de cette convention prévoirait également que la République fédérale d’Allemagne pouvait soumettre l’intéressé à l’impôt au cours de l’année où son assujettissement illimité avait pris fin pour la dernière fois et au cours des cinq années suivantes, pour les revenus en provenance d’Allemagne et pour les éléments de fortune situés dans cet État membre, nonobstant les autres stipulations de ladite convention, la République fédérale d’Allemagne imputant, toutefois, l’impôt suisse perçu sur les revenus en cause, sur la partie concernée de l’impôt allemand. Pour cette période, la charge fiscale supportée par M. Bukovansky se situerait au niveau de l’impôt établi sur les revenus allemands.

28      Cette juridiction considère cependant que l’imposition prévue à l’article 4, paragraphe 4, de la convention germano-suisse, pesant sur les personnes ne possédant pas la nationalité suisse, constitue un traitement moins favorable que celui qui est réservé à un ressortissant suisse. En effet, le droit d’imposer les revenus salariaux d’un ressortissant suisse résidant en Allemagne, qui cesserait d’avoir sa résidence dans cet État tout en gardant son lieu de travail salarié dans celui-ci, reviendrait uniquement à la Suisse. Se pose, par conséquent, la question de savoir si cette différence de traitement est compatible avec le principe d’égalité de traitement, prévu à l’article 9, de l’annexe I de l’accord sur la libre circulation des personnes, et l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité, visée à l’article 2 de cet accord.

29      Selon la juridiction de renvoi, l’article 21, paragraphe 1, de l’accord sur la libre circulation des personnes ne fait pas obstacle à une non-application des dispositions de la convention germano-suisse relatives à l’imposition, figurant à l’article 4, paragraphe 4, de cette convention, lu en combinaison avec l’article 15 a, paragraphe 1, quatrième phrase, de celle-ci. Certes, les dispositions de ladite convention ne seraient pas, en principe, affectées par les dispositions de l’accord sur la libre circulation des personnes. Toutefois, les stipulations des conventions préventives de la double imposition ne pourraient s’opposer à des interdictions édictées par le droit de l’Union en matière de discriminations. L’application de ces conventions devrait se faire dans le respect des obligations découlant des libertés fondamentales figurant dans cet accord.

30      C’est dans ces conditions que le Finanzgericht Baden-Württemberg (tribunal des finances du Bade-Wurtemberg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les dispositions de l’accord sur la libre circulation des personnes, et, en particulier, ses considérants et ses articles 1er, 2 et 21, ainsi que les articles 7 et 9 de son annexe I, doivent-elles être interprétées en ce sens qu’il n’est pas permis de soumettre à l’impôt allemand, conformément à l’article 4, paragraphe 4, de la convention germano-suisse, lu en combinaison avec l’article 15 a, paragraphe 1, quatrième phrase, de cette convention, un travailleur originaire d’Allemagne établi en Suisse, qui ne possède pas la nationalité suisse et qui, depuis son déménagement en Suisse, est devenu un frontalier ‘en sens inverse’, au sens de l’article 15 a, paragraphe 1, de ladite convention?»

 Sur la question préjudicielle

31      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement, énoncés aux articles 2 de l’accord sur la libre circulation des personnes et 9 de l’annexe I de celui-ci, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une convention bilatérale préventive de la double imposition, telle que la convention germano-suisse, en vertu de laquelle le droit d’imposer les revenus salariaux d’un contribuable allemand qui ne possède pas la nationalité suisse, bien que celui-ci ait transféré sa résidence de l’Allemagne vers la Suisse, tout en gardant son lieu de travail salarié dans le premier de ces États, revient à l’État de la source de ces revenus, à savoir la République fédérale d’Allemagne, alors que le droit d’imposer les revenus salariaux d’un ressortissant suisse, dans une situation analogue, revient au nouvel État de résidence, en l’occurrence la Confédération suisse.

32      S’agissant des circonstances de l’affaire au principal et des dispositions de l’accord sur la libre circulation des personnes susceptibles d’être appliquées, il convient de constater que, sur la base de son libellé, l’article 7, paragraphe 1, de l’annexe I de cet accord est applicable à la situation de M. Bukovansky. En effet, ce dernier est le ressortissant «d’une partie contractante», à savoir la République fédérale d’Allemagne, il a sa résidence sur le territoire «d’une partie contractante», en l’occurrence la Confédération suisse et il exerce une activité salariée sur le territoire de «l’autre partie contractante», à savoir la République fédérale d’Allemagne.

33      Cette disposition établit une distinction entre le lieu de résidence, situé sur le territoire d’une partie contractante, et le lieu d’exercice d’une activité salariée, qui doit se trouver sur le territoire de l’autre partie contractante, sans qu’il soit tenu compte de la nationalité de l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt Ettwein, C-425/11, EU:C:2013:121, point 35). En vertu de ladite disposition, M. Bukovansky doit être qualifié de «travailleur frontalier salarié» aux fins de l’application de l’accord sur la libre circulation des personnes, dès lors que, en outre, il est constant qu’il effectue, en principe, un trajet aller et retour quotidien ou, à tout le moins, une fois par semaine entre le lieu de sa résidence et celui de son activité salariée.

34      En ce qui concerne les conventions bilatérales préventives de la double imposition conclues entre la Confédération suisse et les États membres de l’Union, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 21, paragraphe 1, de l’accord sur la libre circulation des personnes, les dispositions de ces conventions ne sont pas affectées par les dispositions de cet accord.

35      Il importe toutefois de vérifier si cette disposition dudit accord permet aux États contractants de déroger à l’ensemble des dispositions de celui-ci.

36      À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 9 de l’annexe I de l’accord sur la libre circulation des personnes, intitulé «Égalité de traitement», énonce, à son paragraphe 2, une règle spécifique visant à faire bénéficier le travailleur salarié et les membres de sa famille des mêmes avantages fiscaux et sociaux que ceux dont disposent les travailleurs salariés nationaux et les membres de leurs familles. Dans ce contexte, il convient de rappeler que la Cour a jugé que, en matière d’avantages fiscaux, le principe d’égalité de traitement, prévu à cette disposition, peut également être invoqué par un travailleur ressortissant d’une partie contractante, ayant exercé son droit de libre circulation, à l’égard de son État d’origine (voir, en ce sens, arrêt Ettwein, C-425/11, EU:C:2013:121, points 33 et jurisprudence citée ainsi que points 42 et 43).

37      Saisie de demandes de décision préjudicielle sur la question de savoir si les conventions préventives de la double imposition conclues entre les États membres de l’Union doivent être compatibles avec le principe d’égalité de traitement et, d’une manière générale, avec les libertés de circulation garanties par le droit primaire de l’Union, la Cour a jugé que les États membres sont libres, dans le cadre de conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale, mais sont tenus, dans l’exercice du pouvoir d’imposition ainsi réparti, de respecter ce principe et ces libertés (voir arrêts Gilly, C-336/96, EU:C:1998:221, point 30; Renneberg, C-527/06, EU:C:2008:566, points 48 à 51, ainsi que Imfeld et Garcet, C-303/12, EU:C:2013:822, points 41 et 42).

38      Par conséquent, lorsque, dans une convention préventive de la double imposition conclue entre des États membres, le critère de la nationalité apparaît dans une disposition qui a pour objet de répartir la compétence fiscale, cette différenciation fondée sur la nationalité ne saurait être considérée comme constitutive d’une discrimination interdite (arrêt Gilly, C-336/96, EU:C:1998:221, point 30). S’agissant, en revanche, de l’exercice de la compétence fiscale octroyée par une telle disposition, l’État membre titulaire de cette compétence doit respecter le principe d’égalité de traitement.

39      Cette jurisprudence portant sur la relation entre le droit primaire de l’Union et les conventions préventives de la double imposition conclues entre les États membres doit s’appliquer par analogie à la relation entre l’accord sur la libre circulation des personnes et les conventions préventives de la double imposition conclues entre les États membres et la Confédération suisse.

40      En effet, ainsi qu’il ressort du préambule, des articles 1er, sous d), et 16, paragraphe 2, de cet accord, ce dernier vise à réaliser, en faveur des ressortissants de l’Union et de ceux de la Confédération suisse, la libre circulation des personnes sur les territoires des parties contractantes de cet accord en s’appuyant sur les dispositions en application dans l’Union, dont les notions doivent être interprétées conformément à la jurisprudence de la Cour.

41      Certes, l’article 21 de l’accord sur la libre circulation des personnes stipule que les conventions préventives de la double imposition entre les États membres de l’Union et la Confédération suisse ne sont pas affectées par les dispositions de cet accord. Toutefois, cet article ne peut avoir une portée qui soit en conflit avec les principes sous-tendant l’accord dont il fait partie (voir, par analogie, arrêt TNT Express Nederland, C-533/08, EU:C:2010:243, point 51). Ledit article ne saurait donc être compris en ce sens qu’il permette aux États membres de l’Union et à la Confédération suisse de porter atteinte à la réalisation de la libre circulation des personnes en privant, dans l’exercice des compétences fiscales telles que réparties par leurs conventions bilatérales préventives de la double imposition, l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I dudit accord de son effet utile.

42      S’agissant de l’affaire au principal, il convient de relever qu’il est constant que M. Bukovansky, même après le transfert de sa résidence de l’Allemagne vers la Suisse, est traité, sur le plan fiscal, de la même manière, par l’État de la source de ses revenus salariaux, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, qu’un contribuable travaillant et résidant dans celui-ci.

43      M. Bukovansky soutient qu’il a subi une inégalité de traitement par rapport à un ressortissant suisse qui, tout comme lui, aurait transféré sa résidence de l’Allemagne vers la Suisse, tout en conservant le lieu de son travail salarié dans le premier de ces États, étant donné que la compétence pour imposer les revenus salariaux de ce dernier reviendra à l’État de résidence de celui-ci, à savoir la Confédération suisse, et non, comme dans son cas, à l’État de la source des revenus salariaux, à savoir la République fédérale d’Allemagne.

44      À cet égard, il importe de relever qu’une convention préventive de la double imposition, telle que la convention germano-suisse, a pour objet d’éviter que le même revenu soit imposé dans chacune des deux parties à cette convention et non pas de garantir que l’imposition à laquelle est assujetti le contribuable dans une partie contractante ne soit pas supérieure à celle à laquelle il serait assujetti dans l’autre partie contractante (arrêt Gilly, C-336/96, EU:C:1998:221, point 46).

45      En l’occurrence, il y a lieu de constater que la différence de traitement que M. Bukovansky soutient avoir subie découle de la répartition du pouvoir d’imposition entre les parties à la convention concernée et résulte des disparités existant entre les régimes fiscaux de ces parties. Or, ainsi qu’il a été mentionné aux points 37 et 38 du présent arrêt, le choix desdites parties, en vue de répartir entre elles la compétence d’imposition, de différents facteurs de rattachement n’est pas en tant que tel constitutif d’une discrimination interdite.

46      Ainsi, dès lors que, par rapport aux contribuables résidant en Allemagne, M. Bukovansky ne subit pas de désavantage fiscal, il n’y a pas lieu de conclure à l’existence d’une discrimination qui résulterait d’une inégalité de traitement contrevenant à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I dudit accord.

47      S’agissant du principe de non-discrimination énoncé à l’article 2 du même accord, il convient de relever que cet article interdit d’une manière générale toute discrimination exercée en raison de la nationalité. L’article 9 de l’annexe I de l’accord sur la libre circulation des personnes garantissant dans le domaine de la libre circulation des travailleurs l’application dudit principe, il n’y a pas lieu non plus de conclure à l’existence d’une discrimination contrevenant audit article 2 (voir, par analogie, arrêt Werner, C-112/91, EU:C:1993:27, points 19 et 20 ainsi que jurisprudence citée).

48      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement, énoncés aux articles 2 de l’accord sur la libre circulation des personnes et 9 de l’annexe I de ce dernier, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une convention bilatérale préventive de la double imposition, telle que la convention germano-suisse, en vertu de laquelle la compétence pour imposer les revenus salariaux d’un contribuable allemand qui ne possède pas la nationalité suisse, bien que celui-ci ait transféré sa résidence de l’Allemagne vers la Suisse tout en conservant son lieu de travail salarié dans le premier de ces États, revient à l’État de la source de ces revenus, à savoir la République fédérale d’Allemagne, alors que la compétence pour imposer les revenus salariaux d’un ressortissant suisse se trouvant dans une situation analogue revient au nouvel État de résidence, en l’occurrence la Confédération suisse.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement, énoncés à l’article 2 de l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999, et à l’article 9 de l’annexe I de cet accord, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une convention bilatérale préventive de la double imposition, telle que la convention du 11 août 1971 entre la Confédération suisse et la République fédérale d’Allemagne, telle que modifiée par le protocole de révision du 12 mars 2002, en vertu de laquelle la compétence pour imposer les revenus salariaux d’un contribuable allemand qui ne possède pas la nationalité suisse, bien que celui-ci ait transféré sa résidence de l’Allemagne vers la Suisse tout en conservant son lieu de travail salarié dans le premier de ces États, revient à l’État de la source de ces revenus, à savoir la République fédérale d’Allemagne, alors que la compétence pour imposer les revenus salariaux d’un ressortissant suisse se trouvant dans une situation analogue revient au nouvel État de résidence, en l’occurrence la Confédération suisse.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.