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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 décembre 2016 (*)

« Manquement d’État – Articles 21, 45 et 49 TFUE – Articles 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen – Libre circulation des personnes – Libre circulation des travailleurs – Liberté d’établissement – Imposition des personnes physiques sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales – Imposition des personnes physiques sur les plus-values résultant d’un transfert de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle – Imposition à la sortie pour les particuliers – Recouvrement immédiat de l’imposition – Différence de traitement entre les personnes physiques qui échangent des parts sociales et maintiennent leur résidence sur le territoire national et celles qui procèdent à un tel échange et transfèrent leur résidence sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen – Différence de traitement entre les personnes physiques qui procèdent au transfert de la totalité d’un patrimoine lié à une activité exercée sur une base individuelle à une société ayant son siège et sa direction effective sur le territoire portugais et celles qui procèdent à un tel transfert à une société ayant son siège ou sa direction effective sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen – Proportionnalité »

Dans l’affaire C-503/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 11 novembre 2014,

Commission européenne, représentée par MM. G. Braga da Cruz et W. Roels, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes, Mme M. Rebelo et M. J. Martins da Silva, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par :

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Levits, C. Vajda (rapporteur), Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 mars 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 mai 2016,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur les dispositions des articles 10 et 38 du Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Singulares (code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, ci-après le « CIRS »), en vertu desquelles un contribuable qui échange des parts sociales et qui transfère sa résidence dans un État autre que la République portugaise ou qui procède au transfert d’actifs et de passifs liés à une activité exercée sur une base individuelle en échange de parts d’une société non-résidente doit, dans le premier cas, inclure, pour les opérations en question, tout revenu non affecté dans la base imposable du dernier exercice fiscal pour lequel il est toujours considéré comme un contribuable résident et, dans le second cas, ne peut pas bénéficier d’un report d’imposition en raison de l’opération en question, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi que des articles 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »).

I –  Le cadre juridique

A –  L’accord EEE

2        L’article 28 de l’accord EEE dispose :

« 1.      La libre circulation des travailleurs est assurée entre les États membres de la CE et les États de l’AELE.

2.      Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres de la CE et des États de l’AELE, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3.      Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique :

a)      de répondre à des emplois effectivement offerts ;

b)      de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres de la CE et des États de l’AELE ;

c)      de séjourner dans un des États membres de la CE ou des États de l’AELE, afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux ;

d)      de demeurer sur le territoire d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE après y avoir occupé un emploi.

4.      Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique.

5.      Les dispositions particulières applicables à la libre circulation des travailleurs figurent à l’annexe V. »

3        L’article 31 de l’accord EEE est libellé comme suit :

« 1.      Dans le cadre du présent accord, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE sur le territoire d’un autre de ces États sont interdites. La présente disposition s’étend également à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE, établis sur le territoire de l’un de ces États.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, notamment de sociétés au sens de l’article 34, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre 4.

2.      Les dispositions particulières applicables au droit d’établissement figurent aux annexes VIII à XI. »

B –  Le droit portugais

4        Aux termes de l’article 10 du CIRS, intitulé « Plus-values » :

« 1.      Constituent des plus-values les bénéfices obtenus qui, sans être considérés comme des revenus d’entreprise et professionnels, de capitaux ou immobiliers, résultent de :

a)      la cession à titre onéreux de droits réels sur des biens immeubles et l’affectation de tous biens du patrimoine privé à l’activité entrepreneuriale et professionnelle exercée à titre individuel par leur propriétaire ;

b)      la cession à titre onéreux de parts sociales, y compris leur remboursement et leur amortissement avec réduction du capital, et d’autres valeurs mobilières, ainsi que la valeur attribuée aux associés à la suite du partage, qui est considérée comme une plus-value au sens de l’article 81 du Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Colectivas [code de l’impôt sur le revenu des personnes morales] ;

[...]

3.      Les bénéfices sont réputés obtenus au moment de la pratique des actes prévus au paragraphe 1 [...]

[...]

4.      Le bénéfice soumis à l’impôt sur le revenu des personnes physiques est constitué :

a)      de la différence entre la valeur de réalisation et la valeur d’acquisition, nettes de la partie qualifiée de revenu de capitaux, le cas échéant, dans les cas prévus aux points a), b) et c) du paragraphe 1 ;

[...]

8.      En cas d’échange de parts sociales aux conditions visées à l’article 73, paragraphe 5, et à l’article 77, paragraphe 2, du code de l’impôt sur le revenu des personnes morales, l’attribution, du fait de cet échange, des titres représentant le capital social de la société aux associés de la société acquise ne donne pas lieu à l’imposition de ces derniers s’ils continuent à valoriser, à des fins fiscales, les nouvelles parts sociales au niveau des anciennes. Cette valeur est déterminée conformément aux dispositions du présent code, sans préjudice de l’imposition relative aux valeurs en espèces qui leur sont éventuellement attribuées.

9.      Dans le cas visé au paragraphe précédent, il convient d’observer en outre que :

a)      L’associé perdant la qualité de résident sur le territoire portugais, il y a lieu de compter dans la catégorie des plus-values, aux fins de l’imposition pour l’année de cette perte de la qualité de résident, le montant qui, en vertu du paragraphe 8, n’a pas été imposé lors de l’échange d’actions et qui correspond à la différence entre la valeur réelle des actions reçues et la valeur d’acquisition des anciennes, déterminée conformément aux dispositions du présent code ;

b)      Les dispositions de l’article 73, paragraphe 10, du code de l’impôt sur le revenu des personnes morales s’appliquent mutatis mutandis.

10.      Les dispositions des paragraphes 8 et 9 s’appliquent également, mutatis mutandis, en ce qui concerne l’attribution de parts ou d’actions dans les cas de fusion ou de scission auxquels s’applique l’article 74 du code de l’impôt sur le revenu des personnes morales.

[...] »

5        L’article 38 du CIRS, intitulé « Entrée de patrimoine pour la réalisation du capital de société », prévoit :

« 1.      Il n’y a pas lieu de déterminer un résultat imposable en vertu de la réalisation du capital social résultant du transfert de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle par une personne physique, pour autant que toutes les conditions suivantes sont remplies :

a)      l’entité à laquelle est transmis le patrimoine est une société et a son siège statutaire et sa direction effective sur le territoire portugais ;

b)      la personne physique qui effectue le transfert détient au moins 50 % du capital de la société et l’activité exercée par celle-ci est, en substance, identique à celle qui était exercée à titre individuel ;

c)      les éléments actifs et passifs faisant l’objet du transfert sont pris en compte aux fins de ce transfert aux valeurs enregistrées dans la comptabilité ou les écritures de la personne physique, c’est-à-dire celles qui résultent de l’application des dispositions du présent code ou des réévaluations effectuées au titre de dispositions fiscales ;

d)      les parties du capital reçues en contrepartie du transfert sont évaluées, aux fins de l’imposition des profits ou des pertes relatifs à leur transfert ultérieur, par la valeur nette des éléments d’actif et de passif transférés, valorisés conformément au point qui précède ;

e)      la société visée au point a) s’engage, par voie de déclaration, à respecter les dispositions de l’article 77 du code de l’impôt sur le revenu des personnes morales ; cette déclaration doit être jointe à la déclaration périodique de revenus de la personne physique relative à l’exercice du transfert.

2.      Les dispositions du paragraphe précédent ne s’appliquent pas si des biens pour lesquels il y a eu report d’imposition des bénéfices, au sens de l’article 10, paragraphe 3, sous b), font partie du patrimoine transmis.

3.      Les bénéfices résultant de la cession à titre onéreux, à quelque titre que ce soit, des parties du capital reçues en contrepartie du transfert visé au paragraphe 1 sont qualifiés, dans les cinq ans à compter de la date de celui-ci, de revenus d’entreprise et professionnels et sont considérés comme des revenus nets de la catégorie B. Pendant cette période, aucune opération sur les parts sociales bénéficiant de régimes de neutralité ne peut être effectuée, sous peine qu’il soit considéré, au moment de la réalisation de ces opérations, que les bénéfices ont été réalisés et qu’il faut les majorer de 15 % pour chaque année ou partie d’année écoulée à partir de laquelle a été constatée l’entrée de patrimoine pour la réalisation du capital de la société, et les ajouter au revenu de l’année où ces opérations ont été constatées. »

6        Aux termes de l’article 77, paragraphe 1, du code de l’impôt sur le revenu des personnes morales :

« Lorsque le régime institué à l’article 38, paragraphe 1, du [CIRS] est applicable, les biens qui constituent l’actif et le passif du patrimoine faisant l’objet du transfert doivent être inscrits dans la comptabilité de la société à laquelle ils sont transmis, aux valeurs mentionnées audit paragraphe 1, sous c), et la détermination du résultat imposable de cette société doit s’effectuer comme suit :

a)      les résultats relatifs aux biens qui constituent le patrimoine transféré sont calculés comme si ce transfert n’avait pas eu lieu ;

b)      les réintégrations et les amortissements sur les éléments de l’actif immobilisé sont pratiqués conformément au régime ayant été appliqué lors de la détermination du résultat imposable de la personne physique ;

c)      les provisions qui ont été transférées relèvent, du point de vue fiscal, du régime qui leur était applicable aux fins de la détermination du résultat imposable de la personne physique. »

II –  La procédure précontentieuse

7        Le 17 octobre 2008, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République portugaise, dans laquelle elle estimait que cet État membre avait manqué aux obligations lui incombant en vertu des articles 18, 39 et 43 CE, devenus, respectivement, articles 21, 45 et 49 TFUE, ainsi que des articles 28 et 31 de l’accord EEE en imposant les plus-values latentes en cas d’échange de parts sociales lorsqu’une personne physique transfère sa résidence dans un autre État membre ou en cas de transfert à une société d’actifs et de passifs liés à l’exercice d’une activité économique ou professionnelle par une personne physique si la société à laquelle les actifs et les passifs ont été transférés a son siège ou sa direction effective dans un autre État.

8        La République portugaise a répondu à ladite lettre de mise en demeure par une lettre datée du 15 mai 2009, en contestant la position de la Commission.

9        N’ayant pas été convaincue par cette réponse, la Commission a émis, le 3 novembre 2009, un avis motivé dans lequel elle a estimé que la République portugaise a manqué aux obligations lui incombant en adoptant et en maintenant les dispositions des articles 10 et 38 du CIRS, en vertu desquelles un contribuable qui transfère sa résidence dans un autre État ou qui procède au transfert d’actifs et de passifs liés à une activité exercée sur une base individuelle en échange de parts sociales d’une société ayant son siège ou sa direction effective sur le territoire d’un autre État doit inclure tout revenu non affecté dans la base imposable du dernier exercice fiscal pour lequel il est toujours considéré comme un contribuable résident. La Commission a également invité ledit État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

10      La République portugaise a répondu audit avis motivé en estimant que les griefs de la Commission étaient dénués de fondement.

11      Le 28 octobre 2011, la Commission a adressé à cette dernière une lettre de mise en demeure complémentaire, dans laquelle cette institution faisait référence à la version à jour de l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS, tout en indiquant que sa position exprimée dans la lettre de mise en demeure et dans l’avis motivé restait inchangée. Elle a, en outre, maintenu sa position relative à l’article 38 du CIRS, telle qu’elle ressortait de la lettre de mise en demeure et de l’avis motivé.

12      À la suite de la réponse de la République portugaise à ladite lettre de mise en demeure complémentaire, dans laquelle cet État membre continuait à estimer que les griefs de la Commission étaient dénués de fondement, la Commission a adressé, le 22 novembre 2012, un avis motivé complémentaire audit État membre dans lequel elle a, d’une part, réitéré son grief tiré de ce que les articles 10 et 38 du CIRS enfreignent les articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi que les articles 28 et 31 de l’accord EEE et, d’autre part, invité cet État membre à se conformer à cet avis motivé complémentaire dans un délai de deux mois.

13      La République portugaise ayant, dans sa réponse du 23 janvier 2013, réitéré que la position de la Commission était erronée, cette dernière a décidé d’introduire le présent recours.

III –  Sur le recours

A –  Sur le prétendu manque de précision et de rigueur dans la délimitation de l’objet du litige

1.     Argumentation des parties

14      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité du recours, la République portugaise fait valoir que les modifications apportées par la Commission aux conclusions figurant dans la requête par rapport à celles figurant dans l’avis motivé et dans l’avis motivé complémentaire vont au-delà de simples précisions et constituent des modifications substantielles de l’objet initial du litige tel qu’il ressort de ces avis motivés. En effet, selon cet État membre, les griefs figurant dans lesdits avis motivés ne correspondaient pas au libellé des articles 10 et 38 du CIRS, dispositions sur lesquelles la Commission s’est pourtant appuyée, de sorte qu’aucune situation de manquement n’était envisageable.

15      La Commission souligne qu’elle a apporté des modifications mineures aux conclusions de sa requête par rapport à celles figurant dans son avis motivé complémentaire, afin d’y faire apparaître les précisions transmises par la République portugaise au cours de la procédure administrative et, en particulier, dans sa réponse à l’avis motivé complémentaire. Elle estime que ces modifications ne changent en rien le sens et la portée des griefs soulevés contre cet État membre et que les droits de la défense dudit État membre ont parfaitement été respectés.

2.     Appréciation de la Cour

16      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, s’il est vrai que l’objet du recours introduit en vertu de l’article 258 TFUE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue à cette disposition et que, par conséquent, l’avis motivé de la Commission et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques, cette exigence ne saurait toutefois aller jusqu’à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite dans leur formulation, dès lors que l’objet du litige n’a pas été étendu ou modifié.  Ainsi, la Commission peut préciser ses griefs initiaux dans sa requête, à la condition cependant qu’elle ne modifie pas l’objet du litige (voir arrêt du 21 janvier 2016, Commission/Chypre, C-515/14, EU:C:2016:30, points 12 et 13 ainsi que jurisprudence citée).

17      En l’occurrence, la Commission a clairement indiqué tant dans le cadre de la procédure précontentieuse que devant la Cour qu’elle reprochait à la République portugaise d’avoir, en adoptant et en maintenant en vigueur les articles 10 et 38 du CIRS, manqué aux obligations découlant des articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi que des articles 28 et 31 de l’accord EEE.

18      En outre, une lecture combinée du dispositif de l’avis motivé et de l’avis motivé complémentaire avec les articles 10 et 38 du CIRS permettait à la République portugaise de comprendre, d’une part, quelles sont les situations, prévues par les dispositions en cause, que la Commission a visées dans ces avis motivés et, d’autre part, les conséquences juridiques découlant desdites dispositions pour ces situations et que cette institution a considérées comme étant contraires au droit de l’Union.

19      Il s’ensuit que la Commission n’a ni étendu ni modifié l’objet du recours tel qu’il a été circonscrit par la procédure précontentieuse.

20      Dans ces conditions, l’argument de la République portugaise, tiré du prétendu manque de précision et de rigueur dans la délimitation de l’objet du litige, ne saurait mettre en cause la recevabilité du recours et doit, dès lors, être rejeté.

B –  Sur le fond

21      D’une part, la Commission fait grief à la République portugaise d’avoir, en adoptant et en maintenant l’article 10 du CIRS, en vertu duquel un contribuable qui échange des parts sociales et transfère sa résidence dans un autre État membre ou dans un autre État de l’Espace économique européen (EEE) doit inclure, pour les opérations en question, tout revenu non affecté dans la base imposable du dernier exercice fiscal pour lequel il est toujours considéré comme un contribuable résident, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 21, 45 et 49 TFUE et des articles 28 et 31 de l’accord EEE.

22      D’autre part, la Commission fait grief à cet État membre d’avoir, en adoptant et en maintenant l’article 38 du CIRS, en vertu duquel un contribuable qui procède au transfert d’actifs et de passifs liés à une activité exercée sur une base individuelle en échange de parts d’une société ayant son siège ou sa direction effective sur le territoire d’un autre État membre ou d’un autre État de l’EEE ne peut pas bénéficier d’un report d’imposition en raison de l’opération en question, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 TFUE et 31 de l’accord EEE.

23      Il convient d’apprécier ces griefs séparément.

1.     Sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales

a)     Argumentation des parties

24      La Commission fait valoir que, en matière d’imposition des plus-values résultant d’un échange de parts sociales, l’article 10 du CIRS réserve un traitement fiscal désavantageux aux contribuables qui quittent le territoire portugais par rapport à ceux qui maintiennent leur résidence au Portugal. En effet, un actionnaire ou un associé deviendrait redevable, du seul fait du transfert de sa résidence en dehors du Portugal, d’un impôt sur les plus-values en cause correspondant à la différence entre la valeur réelle des actions reçues et la valeur d’acquisition des anciennes. En revanche, si cet actionnaire ou cet associé maintient sa résidence au Portugal, la valeur des parts sociales reçues équivaudrait à celle des parts cédées. Ainsi, en cas de maintien de la résidence au Portugal, l’actionnaire ou l’associé ne serait imposé qu’au moment de la cession définitive des parts sociales reçues, sauf en cas de paiement supplémentaire en espèces.

25      La Commission considère que l’avantage du report de l’imposition sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales à l’égard des contribuables résidant sur le territoire portugais crée une différence de traitement entre ceux-ci et les contribuables qui décident de transférer leur résidence dans un autre État membre ou dans un État de l’EEE, ce qui n’est compatible ni avec les articles 21, 45 et 49 TFUE ni avec les articles 28 et 31 de l’accord EEE.

26      À cet égard, elle se fonde sur les arrêts du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C-9/02, EU:C:2004:138), et du 7 septembre 2006, N (C-470/04, EU:C:2006:525), lesquels portent sur l’imposition de sortie des personnes physiques, qu’elle estime applicables au cas d’espèce. En revanche, selon la Commission, l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, EU:C:2011:785), dans lequel la Cour a reconnu pour la première fois qu’une législation nationale en matière d’imposition à la sortie est susceptible d’être justifiée par l’objectif visant à assurer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, ne saurait être applicable en l’espèce car il se rapporte uniquement à l’imposition des personnes morales.

27      Même si la Commission reconnaît la légitimité de l’objectif poursuivi par le législateur portugais d’assurer l’efficacité du régime fiscal, elle considère que la disposition nationale en cause n’est pas proportionnée, car le droit de l’Union, et plus particulièrement les directives 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), ainsi que 2010/24/UE du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures (JO 2010, L 84 p. 1), prévoient déjà des mécanismes d’information entre les autorités compétentes des États membres et d’assistance mutuelle en matière de recouvrement des impôts permettant d’atteindre cet objectif sans recourir à des restrictions aux libertés fondamentales consacrées par le traité FUE.

28      En outre, la République portugaise pourrait, par exemple, demander au contribuable quittant le territoire portugais de communiquer régulièrement des informations sur les parts sociales reçues, aux fins de vérifier s’il en est encore détenteur. L’imposition pourrait ainsi frapper les plus-values seulement au moment où le contribuable qui a quitté le territoire portugais a cédé les parts sociales reçues.

29      La République portugaise estime que l’article 10 du CIRS n’enfreint pas les articles 21, 45 et 49 TFUE ni les articles 28 et 31 de l’accord EEE. La situation très circonscrite sur laquelle porterait la disposition du CIRS en cause concernerait, en effet, la fin du report de l’imposition des plus-values effectivement réalisées dans le cadre d’un échange antérieur de parts sociales, du fait du transfert de la résidence du contribuable en dehors du territoire portugais. Dès lors, l’arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C-9/02, EU:C:2004:138), qui se rapportait à l’imposition des plus-values non encore réalisées en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable dans un autre État membre, ne serait pas applicable au cas d’espèce.

30      Selon la République portugaise, une éventuelle restriction à la libre circulation résultant de l’article 10 du CIRS est justifiée, tout d’abord, par l’objectif visant à garantir la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, conformément au principe de territorialité fiscale, objectif reconnu par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, EU:C:2011:785, point 45). Elle souligne que, en vertu de l’application combinée de la législation nationale et des conventions préventives de double imposition conclues par elle-même avec l’ensemble des États membres, le pouvoir d’imposer les plus-values résultant d’un échange de parts sociales appartient en principe exclusivement à l’État membre de résidence du contribuable cédant les parts sociales, à savoir, en l’espèce, la République portugaise. Dès lors, la République portugaise estime que retenir une obligation de ne pas imposer, en cas de transfert de la résidence du contribuable dans un autre État, de telles plus-values, lui ferait perdre définitivement son droit d’imposition sur celles-ci, compromettant ainsi son droit d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (voir, en ce sens, arrêts du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347/04, EU:C:2007:194, point 42, et du 8 novembre 2007, Amurta, C-379/05, EU:C:2007:655, point 58).

31      La République portugaise invoque, ensuite, des raisons liées à la cohérence du système fiscal. Selon cet État membre, un lien direct entre un avantage fiscal et la compensation d’un tel avantage par un prélèvement fiscal déterminé existe en l’espèce, puisque l’objectif de la disposition en cause est d’empêcher que l’avantage fiscal accordé au contribuable sous la forme d’un report d’imposition de plus-values réalisées rende ultérieurement impossible l’imposition effective de ces mêmes plus-values sur le territoire portugais. Il serait, en effet, essentiel au bon fonctionnement du régime du report d’imposition de certains actifs que l’octroi de l’avantage fiscal à un moment déterminé corresponde à une imposition effective de ces actifs à un moment ultérieur.

32      La République portugaise se prévaut, enfin, de la justification fondée sur la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux et de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

33      La République fédérale d’Allemagne estime que l’éventuelle restriction à la libre circulation résultant de l’article 10 du CIRS est justifiée, en tant que cet article vise à imposer des bénéfices générés sur le territoire portugais avant que la République portugaise ne perde son pouvoir d’imposition. Selon la République fédérale d’Allemagne, les principes dégagés par la Cour dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, EU:C:2011:785, point 45), sont valables, sans distinguer selon qu’il s’agit d’un régime d’imposition à la sortie applicable aux personnes physiques ou morales.

b)     Appréciation de la Cour

34      Il convient d’examiner le régime fiscal prévu à l’article 10 du CIRS au regard des articles 21, 45 et 49 TFUE avant de l’examiner au regard des articles 28 et 31 de l’accord EEE.

i)     Sur les griefs tirés d’une violation des articles 21, 45 et 49 TFUE

35      Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 21 TFUE, qui énonce de manière générale le droit, pour tout citoyen de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, trouve une expression spécifique à l’article 45 TFUE en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs et à l’article 49 TFUE en ce qui concerne la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, point 49 et jurisprudence citée).

36      Il convient, par conséquent, d’examiner le régime fiscal en cause au regard des articles 45 et 49 TFUE avant de l’examiner au regard de l’article 21 TFUE, en ce qui concerne les personnes se déplaçant d’un État membre vers un autre État membre dans le but de s’y installer pour des raisons non liées à l’exercice d’une activité économique.

–       Sur l’existence de restrictions aux articles 45 et 49 TFUE

37      L’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de cette dernière et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre (voir arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, point 51 et jurisprudence citée).

38      Même si, selon le libellé de ces dispositions, celles-ci visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, il importe de constater que, dans ce contexte, les ressortissants des États membres disposent, en particulier, du droit, qu’ils tirent directement du traité, de quitter leur pays d’origine pour se rendre sur le territoire d’un autre État membre et d’y séjourner afin d’exercer une activité économique (arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, point 52 et jurisprudence citée).

39      Des dispositions qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer soit son droit à la libre circulation, soit son droit à la liberté d’établissement constituent dès lors des entraves à cette liberté même si elles s’appliquent indépendamment de la nationalité du ressortissant concerné (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, 81/87, EU:C:1988:456, point 16, ainsi que du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, point 53 et jurisprudence citée).

40      Par ailleurs, il est également de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la libre circulation des personnes et à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de ladite liberté (voir arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, point 54 et jurisprudence citée).

41      En l’occurrence, l’article 10, paragraphe 8, du CIRS prévoit que, en cas d’échange de parts sociales, l’attribution, du fait de cet échange, des titres représentant le capital social de la société aux associés de la société acquise ne donne pas lieu à l’imposition de ces derniers s’ils continuent à valoriser, à des fins fiscales, les nouvelles parts sociales au niveau des anciennes, sans préjudice de l’imposition relative aux valeurs en espèces qui leur sont éventuellement attribuées. Comme l’a confirmé la République portugaise lors de l’audience, l’impôt sur les plus-values résultant d’un tel échange n’est recouvré auprès du contribuable qu’en cas de cession définitive des parts reçues lors de cet échange et au moment de celle-ci.

42      Par dérogation à cette règle, l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS exige des contribuables transférant leur résidence dans un État autre que la République portugaise qu’ils incluent dans le revenu imposable de l’année civile au cours de laquelle ce transfert du lieu de résidence a eu lieu le montant qui, en vertu de l’article 10, paragraphe 8, du CIRS, n’avait pas été imposé lors de l’échange des parts sociales.

43      Dès lors, alors que les contribuables qui continuent de résider sur le territoire portugais bénéficient d’un report d’imposition sur les plus-values résultant de l’échange des parts sociales jusqu’à la cession ultérieure des parts sociales reçues lors de l’échange, les contribuables qui transfèrent leur résidence en dehors du territoire portugais sont obligés, du fait de ce transfert, d’acquitter immédiatement l’impôt sur les plus-values résultant de cet échange.

44      Cette différence de traitement en ce qui concerne le moment de l’imposition des plus-values en cause constitue un désavantage en matière de trésorerie pour le contribuable qui souhaite transférer sa résidence en dehors du territoire portugais, par rapport à un contribuable qui maintient sa résidence sur ce territoire. En effet, tandis que le premier devient redevable, du seul fait d’un tel transfert, d’un impôt sur une plus-value qui n’est pas encore réalisée et dont il ne dispose donc pas, le second ne devra acquitter l’impôt dû que lorsque et dans la mesure où les plus-values ont été effectivement réalisées (voir, par analogie, arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant, C-9/02, EU:C:2004:138, point 46).

45      À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’exclusion d’un avantage de trésorerie dans une situation transfrontalière alors qu’il est octroyé dans une situation équivalente sur le territoire national constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, points 59 et 61).

46      Or, il ne ressort pas des éléments du dossier que cette différence de traitement peut s’expliquer par une différence de situation objective et, par ailleurs, la République portugaise n’a nullement soutenu devant la Cour que tel était le cas. En effet, à l’égard de la législation d’un État membre visant à imposer les plus-values générées sur son territoire, la situation d’une personne qui transfère sa résidence dudit État membre vers un autre État membre est similaire à celle d’une personne maintenant sa résidence dans le premier État membre, en ce qui concerne l’imposition des plus-values afférentes aux actifs qui ont été générées dans le premier État membre antérieurement au transfert de résidence (voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 38).

47      Il s’ensuit que la différence de traitement à laquelle est soumis, en matière d’imposition sur les plus-values résultant d’un échange des parts sociales, en vertu de l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS, un contribuable qui transfère sa résidence en dehors du territoire portugais par rapport à un contribuable qui maintient sa résidence sur ce territoire constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement, au sens des articles 45 et 49 TFUE.

–       Sur la justification des restrictions aux libertés consacrées aux articles 45 et 49 TFUE

48      Il convient d’examiner si la restriction aux libertés consacrées aux articles 45 et 49 TFUE, qui résulte de l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS, se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faudrait-il, dans une telle hypothèse, que celle-ci soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, notamment, arrêts du 18 janvier 2007, Commission/Suède, C-104/06, EU:C:2007:40, point 25, et du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 42).

49      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il appartient à l’État membre de démontrer, d’une part, que sa réglementation répond à un objectif d’intérêt général et, d’autre part, que ladite réglementation est conforme au principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2007, Commission/Italie, C-260/04, EU:C:2007:508, point 33 et jurisprudence citée). 

50      La République portugaise se prévaut de justifications tirées, en premier lieu, de la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, conformément au principe de territorialité, en deuxième lieu, de la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal et, en troisième lieu, de la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux ainsi que de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

51      S’agissant, en premier lieu, de l’objectif consistant à assurer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, il y a lieu de rappeler, d’une part, que celui-ci constitue un objectif légitime reconnu par la Cour et que, d’autre part, il ressort d’une jurisprudence constante que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir d’imposition, en vue d’éliminer les doubles impositions (arrêt du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, point 64 et jurisprudence citée).

52      Cependant, la Commission fait valoir que la République portugaise ne saurait se fonder sur l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, EU:C:2011:785), pour justifier la restriction aux libertés fondamentales par la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition des États membres, dès lors que cet arrêt se rapporte à l’imposition des sociétés sur les plus-values latentes et non pas à celle des personnes physiques sur celles-ci. Elle considère, au contraire, que ce sont les arrêts du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C-9/02, EU:C:2004:138), et du 7 septembre 2006, N (C-470/04, EU:C:2006:525), qui sont pertinents dans le présent contexte, lesquels portaient sur l’imposition des plus-values latentes des personnes physiques en cas de transfert de résidence du territoire d’un État membre vers le territoire d’un autre État membre.

53      Or, si l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, EU:C:2011:785), a certes été rendu dans le contexte de l’imposition sur les plus-values des sociétés, il n’en reste pas moins que la Cour a transposé par la suite les principes dégagés dans cet arrêt également dans le contexte de l’imposition sur les plus-values des personnes physiques (voir arrêts du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, points 75 à 78, et du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, points 65 à 67).

54      À cet égard, le fait qu’il était question dans ces deux derniers arrêts de plus-values réalisées et non pas, comme en l’espèce, de plus-values latentes est dénué de pertinence. Ce qui importe, en effet, est que, s’agissant de l’une ou de l’autre de ces plus-values, des opérations similaires, réalisées dans le cadre purement interne d’un État membre, à la différence d’une opération transfrontalière, n’auraient pas entraîné l’imposition immédiate de ces plus-values (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, point 71).

55      Au demeurant, dans la mesure où la Commission met en doute la légitimité de l’objectif visant à assurer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres à l’égard de l’imposition à la sortie des personnes physiques au titre des plus-values latentes, au motif que les moins-values éventuelles réalisées après le transfert de résidence vers un autre État membre ne sauraient être déduites par celles-ci dans cet autre État membre, il suffit de rappeler que la Cour a déjà jugé que l’éventuelle non-prise en compte de moins-values par l’État membre d’accueil n’impose aucune obligation, pour l’État membre d’origine, de réévaluer au moment de la cession définitive des nouvelles parts sociales une dette fiscale qui a été déterminée définitivement au moment où le contribuable, en raison du transfert de sa résidence, a cessé d’être assujetti à l’impôt dans l’État membre d’origine (voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 61).

56      Dès lors, il n’existe aucune raison objective pour faire une distinction, aux fins de la justification tirée de l’objectif consistant à assurer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, entre l’imposition à la sortie des personnes physiques et celle des personnes morales au titre des plus-values latentes.

57      Ensuite, il convient de relever que l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS est propre à garantir la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres concernés. En effet, l’imposition du décompte final au moment du transfert de la résidence vise à soumettre à l’impôt sur les bénéfices de l’État membre d’origine les plus-values non réalisées, nées dans le cadre de la compétence fiscale de cet État membre, avant le transfert de ladite résidence. Les plus-values réalisées postérieurement à ce transfert sont exclusivement imposées dans l’État membre d’accueil où elles sont nées, ce qui permet d’éviter une double imposition de celles-ci (voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 48).

58      S’agissant du point de savoir si cette disposition, qui prévoit, au moment du transfert de résidence du contribuable du territoire portugais vers un autre État, l’imposition immédiate des plus-values latentes résultant d’un échange de parts sociales, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visant à une répartition du pouvoir d’imposition, il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, EU:C:2011:785, point 52), la Cour a déjà jugé qu’une réglementation d’un État membre, qui impose le recouvrement immédiat de l’imposition sur les plus-values latentes afférentes à des éléments de patrimoine d’une société transférant son siège de direction effective dans un autre État membre, au moment même dudit transfert, est disproportionnée, en raison de l’existence de mesures moins attentatoires à la liberté d’établissement que le recouvrement immédiat de cet impôt (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, points 73 et 85, ainsi que du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, point 67 et jurisprudence citée).

59      À cet égard, la Cour a considéré qu’une réglementation nationale offrant le choix à la société qui transfère son siège de direction effective dans un autre État membre entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de l’impôt et, d’autre part, le paiement différé du montant de cet impôt, assorti, le cas échéant, d’intérêts selon la réglementation nationale applicable, constituerait une mesure moins attentatoire à la liberté d’établissement que le recouvrement immédiat dudit impôt (voir arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, points 73 et 85, ainsi que du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, point 67 et jurisprudence citée). De plus, la Cour a admis qu’il était loisible pour l’État membre concerné de tenir compte également du risque de non-recouvrement de l’imposition, qui augmente en fonction de l’écoulement du temps, dans le cadre de sa réglementation nationale applicable au paiement différé des dettes fiscales, par des mesures telles que la constitution d’une garantie bancaire (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 74).

60      Eu égard à la jurisprudence citée aux deux points précédents, il y a lieu de constater que l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif lié à la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres, dans la mesure où les dispositions pertinentes du droit national ne laissent pas le choix au contribuable qui transfère sa résidence du territoire portugais vers un autre État membre d’opter entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de l’imposition sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales et, d’autre part, le paiement différé dudit montant, qui est nécessairement accompagné d’une charge administrative pour le contribuable, liée au suivi des actifs transférés, et assorti d’une garantie bancaire (voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, points 73 et 74).

61      Il s’ensuit que la nécessité d’assurer la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres ne saurait justifier la restriction aux libertés consacrées aux articles 45 et 49 TFUE qui résulte de l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS.

62      S’agissant, en deuxième lieu, de la justification tirée de la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal national, il convient de rappeler que la Cour l’a reconnue comme constituant une raison impérieuse d’intérêt général. Pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, la Cour a exigé que l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé soit établie (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, point 74 et jurisprudence citée).

63      En l’occurrence, la République portugaise fait valoir que la disposition nationale en cause est nécessaire pour garantir cette cohérence, étant donné que l’avantage fiscal accordé sous la forme d’un report d’imposition prend fin lorsque l’imposition ultérieure devient impossible, du fait que le contribuable bénéficiaire perd sa qualité de résident sur le territoire portugais. Or, il est, selon cet État membre, essentiel au bon fonctionnement du régime du report d’imposition qu’il existe une correspondance, à l’égard du même contribuable et d’une même imposition, entre l’octroi d’un avantage fiscal sous forme d’un report d’imposition et l’imposition effective des plus-values à un moment ultérieur.

64      À cet égard, force est de constater que la République portugaise n’a pas démontré qu’il existe un lien direct entre l’avantage fiscal prévu à l’article 10, paragraphe 8, du CIRS et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé. En effet, si, dans une situation transfrontalière, prévue à l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS, l’avantage fiscal accordé conformément à l’article 10, paragraphe 8, du CIRS est compensé par un prélèvement fiscal, car le montant de l’imposition dû est nécessairement recouvré au moment du transfert de la résidence du contribuable en dehors du territoire portugais, il en va autrement dans une situation purement interne, prévue à l’article 10, paragraphe 8, du CIRS. Il ressort, en effet, de l’examen de cette disposition que le recouvrement de l’impôt sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales n’intervient que dans l’hypothèse éventuelle d’une cession définitive des parts sociales reçues lors de cet échange. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 60 de ses conclusions, aussi longtemps qu’il ne cède pas les parts sociales reçues, un contribuable qui maintient sa résidence sur le territoire portugais peut toujours se prévaloir du bénéfice de l’avantage fiscal accordé à l’article 10, paragraphe 8, du CIRS, rendant ainsi seulement éventuel un recouvrement futur de l’impôt à son égard. Il s’ensuit que le prétendu lien entre l’avantage accordé au contribuable et l’imposition de celui-ci n’est pas certain (voir, par analogie, arrêt du 26 octobre 2006, Commission/Portugal, C-345/05, EU:C:2006:685, point 27).

65      En conséquence, il convient de rejeter l’argument de la République portugaise selon lequel la disposition en cause est objectivement justifiée par la nécessité de maintenir la cohérence du régime fiscal national.

66      S’agissant, en troisième lieu, de la justification tirée de l’efficacité des contrôles fiscaux et de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, force est de constater que la République portugaise, dans son mémoire en défense, s’est bornée à mentionner cette justification sans y consacrer un quelconque développement.

67      Il s’ensuit qu’une telle justification ne saurait être retenue.

68      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS constitue une restriction prohibée par les articles 45 et 49 TFUE et que le grief de la Commission tiré d’un manquement aux obligations incombant à l’État membre concerné en vertu de ces articles du traité FUE est fondé.

–       Sur le grief tiré de la violation de l’article 21 TFUE

69      S’agissant des citoyens de l’Union désireux de se déplacer à l’intérieur de l’Union pour des motifs non liés à l’exercice d’une activité économique, cette même conclusion s’impose par identité de motifs en ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article 21 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, point 91).

ii)  Sur l’existence d’une restriction aux articles 28 et 31 de l’accord EEE

70      À titre liminaire, il y a lieu de relever que les dispositions des articles 28 et 31 de l’accord EEE sont analogues à celles des articles 45 et 49 TFUE (voir arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C-269/09, EU:C:2012:439, point 95).

71      Certes, la jurisprudence de l’Union qui porte sur des restrictions à l’exercice des libertés de circulation au sein de l’Union ne saurait être intégralement transposée aux libertés garanties par l’accord EEE, dès lors que l’exercice de ces dernières s’inscrit dans un contexte juridique différent (arrêt du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, point 81 et jurisprudence citée).

72      En l’occurrence, la République portugaise n’a toutefois pas indiqué les raisons pour lesquelles les considérations relatives à l’absence de justification des restrictions à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité, ayant conduit aux constats figurant aux points 61, 65 et 66 du présent arrêt, ne sauraient s’appliquer de la même manière aux libertés garanties par l’accord EEE.

73      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS constitue une restriction prohibée par les articles 28 et 31 de l’accord EEE et que le grief de la Commission, tiré d’un manquement aux obligations incombant à l’État membre concerné en vertu desdites dispositions de l’accord EEE, est fondé.

2.     Sur le transfert à une société de la totalité d’un patrimoine lié à une activité exercée sur une base individuelle

a)     Argumentation des parties

74      La Commission soutient que, en cas de transfert à une société d’actifs et de passifs par une personne physique en échange de parts sociales, l’article 38 du CIRS réserve un traitement fiscal différent suivant que le transfert est effectué à une société qui a son siège et sa direction effective sur le territoire portugais ou à une société qui a son siège ou sa direction effective en dehors de ce territoire. En effet, dans le premier cas, l’imposition des plus-values n’aurait lieu qu’au moment où ces actifs et passifs ont été cédés par la société qui les a reçus, pourvu que d’autres conditions soient également remplies. En revanche, dans le second cas, l’imposition des plus-values serait immédiate. La Commission estime que la République portugaise devrait appliquer la même règle, que la société à laquelle les actifs et les passifs ont été transférés ait ou non son siège et sa direction effective sur le territoire portugais.

75      Elle considère, dès lors, que l’article 38 du CIRS est contraire à l’article 49 TFUE et à l’article 31 de l’accord EEE et, pour les raisons exposées dans le cadre de son grief relatif à l’article 10 du CIRS, va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’efficacité du régime fiscal. En effet, la République portugaise pourrait, par exemple, demander régulièrement, en vertu de la directive 2011/16, des informations aux autorités compétentes de l’État membre où se trouve le siège ou la direction effective de la société destinataire du transfert des actifs et des passifs, en vue de vérifier si celle-ci en est toujours détentrice. Ce n’est que lorsqu’il est établi que les actifs et les passifs transférés ont été cédés par cette société qu’il convient, selon la Commission, d’imposer les plus-values concernées. La Commission renvoie en outre à la directive 2010/24 qui serait également pertinente dans des situations où l’impôt sur les plus-values n’a pas été acquitté.

76      La République portugaise fait valoir que l’article 38 du CIRS prévoit le report d’imposition des plus-values liées à la constitution de sociétés ou à la participation majoritaire dans des sociétés déjà existantes par l’apport de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale ou professionnelle d’une personne physique. L’objectif de cette disposition serait de permettre de modifier la forme juridique sous laquelle une activité économique est exercée, sans soumettre à une imposition les plus-values résultant de l’apport de patrimoine au moment de cet apport. Le bénéfice d’un report d’imposition jusqu’au moment de la cession ultérieure des éléments patrimoniaux transférés, sous réserve du respect de certaines exigences pour la société cessionnaire en matière d’inscription comptable des éléments patrimoniaux transférés, permettrait de garantir le respect du principe de continuité économique, de manière à pouvoir assurer l’imposition des revenus correspondants. La condition liée au lieu du siège ou de la direction effective de la société cessionnaire serait nécessaire afin d’assurer, en l’absence de mesures d’harmonisation, le respect du principe de continuité économique et l’imposition ultérieure des éléments de l’actif ou du passif transférés, étant donné que la compétence fiscale afférente à l’imposition d’une société ayant son siège ou sa direction effective en dehors du territoire portugais incombe non plus à la République portugaise, mais à l’État sur le territoire duquel cette société a son siège ou sa direction effective.

77      La mesure en cause serait donc conforme au principe fiscal de territorialité et justifiée par la nécessité de garantir la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.

b)     Appréciation de la Cour

78      Il convient d’examiner le régime fiscal prévu à l’article 38 du CIRS au regard de l’article 49 TFUE avant de l’examiner au regard de l’article 31 de l’accord EEE.

i)     Sur le grief tiré de la violation de l’article 49 TFUE

79      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, relève du champ d’application de l’article 49 TFUE tout résident d’un État membre, quelle que soit sa nationalité, qui détient dans le capital d’une société établie dans un autre État membre une participation lui conférant une influence certaine sur les décisions de cette société, lui permettant d’en déterminer les activités (voir arrêt du 18 décembre 2014, X, C-87/13, EU:C:2014:2459, point 21 et jurisprudence citée).

80      En l’espèce, il doit être constaté que le bénéfice du report d’imposition prévu à l’article 38, paragraphe 1, du CIRS est subordonné, en vertu de cette même disposition, sous b), à la condition que la personne physique qui effectue le transfert de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle à une société détienne au moins 50 % de son capital.

81      Par conséquent, l’article 38, paragraphe 1, du CIRS relève de la liberté d’établissement.

82      Cette même disposition prévoit qu’il n’y a pas lieu de déterminer un résultat imposable en vertu de la réalisation du capital social résultant du transfert de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle par une personne physique, si les conditions figurant à l’article 38, paragraphe 1, sous a) à e), du CIRS sont remplies. Conformément à l’article 38, paragraphe 1, sous a), du CIRS, il est exigé que l’entité à laquelle est transmis le patrimoine en cause soit une société qui a son siège statutaire et sa direction effective sur le territoire portugais. Ainsi que la République portugaise l’a confirmé lors de l’audience, dans un tel cas, l’impôt est recouvré auprès de la société cessionnaire au moment de la cession ultérieure des éléments du patrimoine en cause. En revanche, si la société cessionnaire n’a pas son siège statutaire et sa direction effective sur le territoire portugais, la personne physique qui procède au transfert est exclue du bénéfice de l’avantage fiscal prévu à l’article 38, paragraphe 1, du CIRS, et devient dès lors immédiatement redevable de l’impôt sur la plus-value.

83      Il s’ensuit que, dans le cas des personnes physiques qui transfèrent la totalité du patrimoine en cause à une société ayant son siège et sa direction effective sur le territoire portugais, l’impôt sur les plus-values devra être acquitté par la société cessionnaire au moment de la cession ultérieure des éléments de ce patrimoine, alors que les personnes physiques qui transfèrent la totalité dudit patrimoine à une société ayant son siège ou sa direction effective sur le territoire d’un État autre que la République portugaise deviennent redevables d’un impôt sur les plus-values au moment de ce transfert.

84      Il y a lieu de constater qu’un tel régime fiscal entraîne un désavantage en matière de trésorerie pour un contribuable qui transfère la totalité du patrimoine en cause à une société ayant son siège ou sa direction effective en dehors du territoire portugais, par rapport à un contribuable qui transfère ce même patrimoine à une société ayant son siège et sa direction effective sur le territoire portugais, et constitue donc une restriction à l’exercice du droit d’établissement au sens de la jurisprudence rappelée aux points 37 à 40 du présent arrêt.

85      Par ailleurs, il ne ressort pas des éléments du dossier que cette différence peut s’expliquer par une différence de situation objective et, au demeurant, la République portugaise n’a nullement soutenu devant la Cour que tel était le cas.

86      Pour justifier la restriction à la liberté d’établissement garantie par le traité, résultant de la disposition en cause, la République portugaise se prévaut, d’une part, de la nécessité d’assurer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, conformément au principe de territorialité, et, d’autre part, de la nécessité de garantir la continuité économique.

87      S’agissant, d’une part, de l’objectif consistant à assurer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, force est de constater, au regard de ce qui a été relevé au point 59 du présent arrêt, que l’article 38, paragraphe 1, sous a), du CIRS va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, en raison de l’existence de mesures moins attentatoires à la liberté d’établissement qu’une imposition immédiate.

88      Dans ces conditions, la restriction à la liberté d’établissement résultant de l’article 38, paragraphe 1, sous a), du CIRS ne saurait être justifiée par la nécessité d’assurer la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres.

89      S’agissant, d’autre part, de la justification tirée de la nécessité de garantir la continuité économique, la République portugaise invoque la nécessité de subordonner le bénéfice du report d’imposition à certaines exigences pour la société cessionnaire en matière d’inscription comptable des éléments patrimoniaux transférés. Or, selon cet État membre, le respect de telles exigences ne saurait être assuré, en l’absence de mesures d’harmonisation, à l’égard des sociétés ayant leur siège ou leur direction effective sur le territoire d’un autre État, puisque la compétence à l’égard de celles-ci revient non pas à la République portugaise, mais à l’État de résidence.

90      À cet égard, il convient de relever que l’exigence pour une société cessionnaire d’avoir son siège et sa direction effective sur le territoire portugais vise donc, en définitive, à assurer la possibilité, pour l’État portugais, d’imposer effectivement les plus-values en cause. Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 87 et 88 du présent arrêt, cet objectif ne saurait justifier la différence de traitement des personnes physiques, suivant qu’elles transfèrent la totalité du patrimoine en cause à une société ayant son siège et sa direction effective sur le territoire de la République portugaise ou à une société ayant son siège ou sa direction effective sur le territoire d’un autre État, puisqu’un tel objectif peut être assuré sans qu’il soit nécessaire d’opérer une distinction entre une situation purement interne et une situation transfrontalière. Ainsi, pour les raisons indiquées auxdits points, la restriction à la liberté d’établissement qui résulte de l’article 38, paragraphe 1, sous a), du CIRS est disproportionnée par rapport à cet objectif.

91      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’article 38, paragraphe 1, sous a), du CIRS constitue une restriction prohibée par l’article 49 TFUE et que le grief de la Commission, tiré d’un manquement aux obligations incombant à l’État membre concerné en vertu de cet article du traité FUE, est fondé.

ii)  Sur le grief tiré de la violation de l’article 31 de l’accord EEE

92      La République portugaise n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles les considérations relatives à l’absence de justification des restrictions à l’exercice de la liberté d’établissement garantie par le traité FUE, ayant conduit aux constats figurant aux points 87 à 90 du présent arrêt, ne sauraient s’appliquer de la même manière à la liberté d’établissement garantie par l’accord EEE.

93      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’article 38, paragraphe 1, sous a), du CIRS constitue une restriction prohibée par l’article 31 de l’accord EEE et que le grief de la Commission tiré d’un manquement aux obligations incombant à l’État membre concerné en vertu de dudit article de l’accord EEE est fondé.

94      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de constater que :

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS, en vertu duquel, pour un contribuable qui perd sa qualité de résident sur le territoire portugais, il y a lieu de compter dans la catégorie des plus-values, aux fins de l’imposition pour l’année de cette perte de la qualité de résident, le montant qui, en vertu de l’article 10, paragraphe 8, dudit code n’a pas été imposé lors d’un échange des parts sociales, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi que des articles 28 et 31 de l’accord EEE, et

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 38, paragraphe 1, sous a), de ce même code, qui réserve le bénéfice du report d’imposition prévu par cette disposition aux personnes physiques qui transfèrent la totalité d’un patrimoine affecté à une activité entrepreneuriale et professionnelle exercée à titre individuel à une société qui a son siège statutaire et sa direction effective sur le territoire portugais, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord EEE.

 Sur les dépens

95      En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

96      En l’espèce, la Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise, et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

97      Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, de ce même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d’Allemagne supportera, en conséquence, ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1)      En adoptant et en maintenant en vigueur l’article 10, paragraphe 9, sous a), du Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Singulares (code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques), en vertu duquel, pour un contribuable qui perd sa qualité de résident sur le territoire portugais, il y a lieu de compter dans la catégorie des plus-values, aux fins de l’imposition pour l’année de cette perte de la qualité de résident, le montant qui, en vertu de l’article 10, paragraphe 8, dudit code n’a pas été imposé lors d’un échange des parts sociales, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi que des articles 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992.

2)      En adoptant et en maintenant en vigueur l’article 38, paragraphe 1, sous a), de ce même code, qui réserve le bénéfice du report d’imposition prévu par cette disposition aux personnes physiques qui transfèrent la totalité d’un patrimoine affecté à une activité entrepreneuriale et professionnelle exercée à titre individuel à une société qui a son siège statutaire et sa direction effective sur le territoire portugais, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord sur l’Espace économique européen.

3)      La République portugaise est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

4)      La République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure : le portugais.