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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

29 octobre 2015 (*)

«Manquement d’État – Libre prestation des services – Libre circulation des capitaux – Intérêts afférents aux créances non représentées par des titres – Précompte mobilier – Sociétés d’investissement bénéficiaires de tels intérêts établies en Belgique – Sociétés d’investissement bénéficiaires de tels intérêts établies dans un autre État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE – Différence de traitement – Charge de la preuve – Intérêts afférents aux créances représentées par des titres d’origine belge – Imposition de tels intérêts lorsque les titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie dans un autre État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE – Exonération lorsque les titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie en Belgique»

Dans l’affaire C-589/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 19 décembre 2014,

Commission européenne, représentée par MM. J.-F. Brakeland et W. Roels, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume de Belgique, représenté par M. J.-C. Halleux et Mme M. Jacobs, en qualité d’agents,

partie défenderesse,


LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Borg Barthet, faisant fonction de président de chambre, MM. E. Levits (rapporteur) et S. Rodin, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en maintenant des dispositions selon lesquelles:

–        en matière d’intérêts afférents aux créances non représentées par des titres, une société́ d’investissement établie dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un État tiers partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), est soumise à la perception du précompte mobilier sur ces intérêts, alors qu’une société d’investissement établie en Belgique bénéficie d’une exonération de ce précompte, et

–        en matière d’intérêts afférents aux créances représentées par des titres d’origine belge, ces intérêts sont soumis à la perception du précompte mobilier lorsque les titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie dans un autre État membre de l’Union ou dans un État tiers partie à l’accord EEE, alors que ces intérêts sont exonérés du précompte mobilier lorsque les titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie en Belgique,

le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 56 TFUE et 63 TFUE ainsi que 36 et 40 de l’accord EEE.

 Le cadre juridique

 L’accord EEE

2        Aux termes de l’article 36, paragraphe 1, de l’accord EEE:

«Dans le cadre du présent accord, toute restriction à la libre prestation des services à l’intérieur du territoire des parties contractantes à l’égard des ressortissants des États membres de [l’Union] et des États de l’[Association européenne de libre-échange (AELE)] établis dans un État membre de [l’Union] ou dans un État de l’AELE, autre que celui du destinataire de la prestation, est interdite.»

3        L’article 40 de l’accord EEE prévoit:

«Dans le cadre du présent accord, les restrictions entre les parties contractantes aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres de [l’Union] ou dans les États de l’AELE, ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement, sont interdites. Les dispositions nécessaires à l’application du présent article figurent à l’annexe XII.»

 Le droit belge

4        Dans le droit fiscal belge, en ce qui concerne les sociétés résidentes qui sont imposables sur le montant total de leurs bénéfices, la retenue à la source sur le revenu de capitaux, à savoir le précompte mobilier, constitue, en général, une avance sur l’impôt des sociétés.

5        Une dérogation existe cependant en faveur des «sociétés d’investissement», à savoir les sociétés résidentes visées par la loi du 20 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuille d’investissement ainsi que les organismes de financement de pensions visés par la loi du 27 octobre 2006 relative au contrôle des institutions de retraite professionnelle. En effet, en vertu de l’article 185 bis du code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après le «CIR 1992»), ces sociétés résidentes ne sont pas soumises à l’impôt de droit commun, mais sont taxées sur une base forfaitaire très limitée.

6        Malgré ce traitement dérogatoire aux fins de la détermination de la base imposable, le précompte mobilier perçu à la source lors du paiement d’intérêts est remboursable, au titre de l’article 304, paragraphe 2, du CIR 1992, comme pour les sociétés imposées selon le régime de droit commun.

7        Conformément à l’article 17, paragraphe 1, du CIR 1992:

«Les revenus des capitaux et biens mobiliers sont tous les produits d’avoirs mobiliers engagés à quelque titre que ce soit, à savoir:

[...]

2°      les intérêts;

[...]»

8        En principe, ces revenus sont soumis à un précompte mobilier collecté par l’entité versant ces revenus au bénéficiaire. En vertu de l’article 269, 1°, du CIR 1992, le taux du précompte mobilier applicable notamment aux intérêts était de 21 % à la date d’expiration du délai de deux mois fixé dans l’avis motivé adressé au Royaume de Belgique.

9        Sur la base d’une délégation figurant à l’article 266 du CIR 1992, l’arrêté royal d’exécution de ce code (ci-après l’«AR/CIR 1992») prévoit des exonérations du précompte mobilier.

10      L’article 107, paragraphe 2, de l’AR/CIR 1992 dispose:

«Il est renoncé totalement à la perception du précompte mobilier sur:

[...]

5° b)      les revenus d’obligations, bons de caisse ou autres titres analogues faisant l’objet d’une inscription nominative chez l’émetteur et les revenus de créances et prêts non représentés par des titres, qui sont alloués ou attribués à des épargnants non-résidents par:

–        l’État, les régions, les communautés, la Commission communautaire française, la Commission communautaire commune, les provinces, les agglomérations et les communes;

–        les organismes ou établissements publics belges, pour autant que ces créances et prêts soient garantis par l’État, les régions ou les communautés;

–        les établissements financiers visés à l’article 105, 1°, a;

–        les entreprises visées à l’article 105, 1°, b ou c, qui pendant toute la durée écoulée de la convention en exécution de laquelle les revenus sont alloués ou attribués, ont satisfait aux conditions visées respectivement à l’article 105, 1°, b ou c;

[...]

6°      les revenus de créances et prêts représentés par des titres revêtant la forme d’effets de commerce, alloués ou attribués, soit par l’État, les régions, les communautés, la Commission communautaire française, la Commission communautaire commune, les provinces, les agglomérations, les communes ou les autres organismes ou établissements publics belges, soit en exécution de conventions conclues avant le 1er janvier 1967, par des sociétés, associations, organismes, établissements ou institutions belges de droit privé, à des épargnants non-résidents;

[...]

10°      les revenus d’obligations belges faisant l’objet d’une inscription nominative chez l’émetteur qui sont alloués ou attribués à des épargnants non-résidents par des débiteurs non visés au 5°, b.

Les dispositions de l’alinéa 1er ne sont toutefois applicables que si le bénéficiaire est:

–        soit un non-résident visé à l’article 227, 1° ou 3° du [CIR 1992];

–        soit un non-résident visé à l’article 227, 2° du [CIR 1992] qui, dans le pays dont il est résident, est assujetti à un impôt sur les revenus dont les dispositions du droit commun ne sont pas notablement plus avantageuses qu’en Belgique, soit dont les actions ou parts ne sont pas détenues à concurrence d’au moins la moitié par des habitants du Royaume;

–        soit une société d’investissement qui a fait appel public à l’épargne.»

11      L’article 110, paragraphe 4, de l’AR/CIR 1992 prévoit une exonération du précompte mobilier pour les revenus de dépôts alloués ou attribués à certains types de non-résidents, à savoir:

«a)      à des banques établies à l’étranger par des établissements financiers visés à l’article 105, 1°, a;

b)      à des épargnants non-résidents par des établissements financiers visés à l’article 105, 1°, a, ainsi que par des entreprises visées à l’article 105, 1°, b ou c, qui pendant toute la durée écoulée de la convention en exécution de laquelle les revenus sont alloués ou attribués, ont satisfait aux conditions visées respectivement à l’article 105, 1°, b ou c;

[...]

d)      par des sociétés de Bourse à des épargnants non-résidents».

12      En vertu de l’article 116 de l’AR/CIR 1992:

«Il est renoncé totalement à la perception du précompte mobilier sur les revenus visés aux articles 17 [...] du [CIR 1992] [...] qui sont alloués ou attribués à des sociétés d’investissement visées aux articles 114, 118, 119 quinquies et 119 decies de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers».

13      Les sociétés d’investissement en question sont exclusivement des sociétés belges, dès lors que les dispositions susmentionnées de cette loi du 4 décembre 1990 figurent au livre III, titre Ier, de ladite loi, intitulé «Des organismes de placement belges».

14      L’article 118, paragraphe 1, 6°, de l’AR/CIR 1992 prévoit:

«En ce qui concerne les obligations, bons de caisse ou autres titres analogues d’origine belge, il est renoncé totalement à la perception du précompte mobilier aux conditions suivantes:

[...]

6°      lorsqu’il s’agit de revenus visés à l’article 116:

[...]

–        le bénéficiaire des revenus doit avoir été propriétaire des titres productifs des revenus pendant toute la période à laquelle ceux-ci se rapportent;

–        les titres productifs des revenus doivent, pendant toute cette même période, soit:

a)      avoir fait l’objet d’une inscription nominative chez l’émetteur, lorsqu’il s’agit de titres nominatifs;

b)      avoir été déposés à découvert en Belgique auprès d’une banque, d’un établissement public de crédit ou d’une caisse d’épargne soumise au contrôle de la Commission bancaire, financière et des assurances, lorsqu’il s’agit de titres au porteur;

c)      avoir fait l’objet d’une inscription en compte-titres en Belgique, au nom de son propriétaire ou de son détenteur auprès d’un organisme de liquidation ou d’un teneur de comptes agréé qui est habilité à détenir de tels titres, lorsqu’il s’agit de titres dématérialisés.

[...]»

 La procédure précontentieuse

15      Par suite de la réception de plusieurs plaintes, la Commission a envoyé, le 27 juin 2008, une lettre de mise en demeure au Royaume de Belgique, en l’invitant à présenter ses observations sur la possible incompatibilité avec le traité CE et l’accord EEE, premièrement, de la limitation de l’exonération du précompte mobilier aux seules sociétés d’investissement belges, deuxièmement, de la limitation de l’exonération de ce précompte uniquement aux obligations et aux autres titres analogues d’origine belge et, troisièmement, de la limitation de l’exonération dudit précompte aux seuls titres au porteur faisant l’objet d’un dépôt à découvert auprès d’une banque belge ou d’une inscription en compte-titres en Belgique.

16      Le Royaume de Belgique a répondu à cette lettre de mise en demeure par une lettre du 21 octobre 2009, enregistrée par les services de la Commission le 27 octobre suivant, en contestant la discrimination invoquée dans les premier et deuxième griefs.

17      Dans une communication du 21 septembre 2010, le Royaume de Belgique a reconnu que le troisième grief retenu dans la lettre de mise en demeure n’était pas contestable et a annoncé une modification de sa réglementation fiscale, afin de mettre un terme à la discrimination en cause dans les meilleurs délais.

18      La Commission a considéré que les explications fournies par le Royaume de Belgique lui permettaient d’abandonner le deuxième grief, relatif à l’exonération du précompte mobilier portant sur les revenus d’obligations. N’étant pas convaincue par les arguments présentés par le Royaume de Belgique au sujet du premier grief et cet État membre n’ayant pas adopté les modifications réglementaires annoncées en ce qui concerne le troisième grief, la Commission a émis, le 21 février 2013, un avis motivé, notifié le 22 février suivant, confirmant sa position, selon laquelle le Royaume de Belgique avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des articles 56 TFUE et 63 TFUE ainsi que 36 et 40 de l’accord EEE. La Commission a invité le Royaume de Belgique à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci, lequel expirait le 22 avril 2013.

19      Dans une réponse du 26 avril 2013, le Royaume de Belgique a admis que les mesures nécessaires afin de se conformer audit avis motivé n’avaient pas encore été prises et a fait état d’une proposition de modification de la réglementation, visant à apporter une solution définitive aux violations du droit de l’Union constatées dans l’ordonnance Tate & Lyle Investments (C-384/11, EU:C:2012:463) ainsi que dans l’arrêt Commission/Belgique (C-387/11, EU:C:2012:670).

20      Ces engagements n’ayant pas été respectés, la Commission a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Sur le premier grief

 Argumentation des parties

21      La Commission soutient que, en maintenant des dispositions réglementaires selon lesquelles une société d’investissement établie dans un État membre autre que le Royaume de Belgique ou dans un État tiers partie à l’accord EEE est soumise à la perception du précompte mobilier sur les intérêts afférents aux créances non représentées par des titres, alors qu’une société d’investissement établie en Belgique bénéficie d’une exonération de ce précompte, le Royaume de Belgique a enfreint les articles 63 TFUE et 40 de l’accord EEE.

22      En effet, en vertu de l’article 116 de l’AR/CIR 1992, une société d’investissement établie en Belgique bénéficierait d’office d’une exonération du précompte mobilier sur tous les intérêts de source belge qui lui sont versés ou attribués, alors qu’une société d’investissement similaire établie dans un autre État membre serait soumise à une taxation définitive de ces revenus mobiliers au taux de 21 %, au titre du précompte mobilier.

23      L’exonération du précompte mobilier dont pourraient bénéficier les sociétés non-résidentes au titre de l’article 107, paragraphe 2, de l’AR/CIR 1992 ou de l’article 110 de celui-ci ne serait que partielle, puisqu’elle ne porterait que sur certains types limités de revenus mobiliers, tels que les revenus d’obligations, de bons de caisse ou d’autres titres analogues, ou bien sur les revenus de dépôts en numéraires auprès de banques belges, et ne concernerait pas les intérêts de créances non représentées par des titres qui seraient taxés à titre définitif au moyen du précompte mobilier, sans qu’il existe une possibilité d’imputation ou de remboursement.

24      Cette différence de traitement, qui aboutirait à une imposition plus lourde des sociétés d’investissement étrangères, aurait pour effet de favoriser les investissements réalisés par les sociétés d’investissement de droit belge, inciterait les emprunteurs à se financer auprès des sociétés d’investissement belges et constituerait donc une restriction à la libre circulation des capitaux.

25      Ladite différence de traitement affecterait des situations comparables et ne serait justifiée par aucune raison impérieuse d’intérêt général.

26      Le Royaume de Belgique fait valoir que les situations visées par le premier grief de la Commission correspondent à des cas de figure théoriques qui se présentent rarement, voire qui ne se rencontrent jamais dans la pratique, s’agissant des revenus alloués ou attribués à des sociétés d’investissement, de surcroît établies dans un autre État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE.

27      Afin de dissiper tout doute sur l’existence d’une discrimination, le Royaume de Belgique se propose de modifier sa réglementation et d’élargir la notion de «sociétés d’investissement», visée à l’article 116 de l’AR/CIR 1992, aux sociétés d’investissement de droit étranger, en limitant toutefois cet élargissement à l’Espace économique européen (EEE).

 Appréciation de la Cour

28      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours en manquement, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (voir, notamment, arrêts Commission/Pays-Bas, 290/87, EU:C:1989:362, point 11; Commission/Grèce, C-305/06, EU:C:2008:486, point 41; Commission/Italie, C-369/11, EU:C:2013:636, point 68, et Commission/Slovaquie, C-361/13, EU:C:2015:601, point 44).

29      En l’espèce, la Commission soutient, d’une part, que, en vertu de l’article 116 de l’AR/CIR 1992, seule une société d’investissement établie en Belgique bénéficie d’office d’une exonération du précompte mobilier sur tous les intérêts de source belge qui lui sont versés ou attribués.

30      D’autre part, cette institution fait valoir que l’exemption du précompte mobilier dont pourraient bénéficier les sociétés non-résidentes au titre de l’article 107, paragraphe 2, de l’AR/CIR 1992 ou de l’article 110 de celui-ci n’est que partielle, dès lors qu’elle ne concernerait pas les intérêts de créances non représentées par des titres, qui seraient taxés à titre définitif au moyen du précompte mobilier, sans qu’existe une possibilité d’imputation ou de remboursement.

31      Or, conformément à l’article 107, paragraphe 2, 5°, sous b), de l’AR/CIR 1992, il est renoncé totalement à la perception du précompte mobilier sur les revenus de créances et de prêts non représentés par des titres, qui sont alloués ou attribués à des épargnants non-résidents par les débiteurs énumérés à cette disposition, à savoir l’État, les régions, les communautés, la Commission communautaire française, la Commission communautaire commune, les provinces, les agglomérations et les communes, les organismes ou les établissements publics belges, pour autant que ces créances et ces prêts sont garantis par l’État, les régions ou les communautés, les établissements financiers visés à l’article 105, 1°, sous a), de l’AR/CIR 1992 et les entreprises visées à l’article 105, 1°, sous b) ou c), de celui-ci.

32      L’allégation de la Commission, reprise au point 30 du présent arrêt, étant contredite par le texte même de l’article 107, paragraphe 2, 5°, sous b), de l’AR/CIR 1992, tel qu’il est reproduit par la Commission dans sa requête, et, en l’absence d’autres précisions de la part de cette institution, notamment sur les conditions d’application de cette disposition, la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires aux fins de la vérification de l’existence et de l’étendue du manquement reproché.

33      Partant, le premier grief de la Commission doit être écarté.

 Sur le second grief

 Argumentation des parties

34      La Commission soutient que, en maintenant des dispositions réglementaires selon lesquelles les intérêts afférents aux créances représentées par des titres d’origine belge sont soumis à la perception du précompte mobilier lorsque les titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie dans un État membre autre que le Royaume de Belgique ou dans un État tiers partie à l’accord EEE, alors que ces intérêts sont exonérés du précompte mobilier lorsque les titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie en Belgique, le Royaume de Belgique a enfreint les articles 56 TFUE et 63 TFUE ainsi que les articles 36 et 40 de l’accord EEE.

35      En effet, les dispositions de l’article 118, paragraphe 1, 6°, troisième tiret, sous b) et c), de l’AR/CIR 1992 conduiraient à la perception du précompte mobilier en raison du seul fait que des titres d’origine belge, tels que les obligations, les bons de caisse ou les autres titres analogues, qui génèrent les intérêts, sont déposés ou inscrits auprès d’une banque qui n’est pas établie en Belgique.

36      Par conséquent, ces dispositions seraient de nature à dissuader les sociétés d’investissement bénéficiaires des intérêts à recourir aux services de banques établies dans un État membre autre que le Royaume de Belgique ou dans un État tiers partie à l’accord EEE, puisqu’un tel choix leur ferait supporter une taxation au taux de 21 %, et lesdites dispositions constitueraient, dès lors, une restriction à la libre prestation des services, au sens des articles 56 TFUE et 36 de l’accord EEE.

37      En outre, les mêmes dispositions pourraient constituer une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens des articles 63 TFUE et 40 de l’accord EEE, dès lors qu’elles augmenteraient la charge fiscale grevant des investissements qui ne sont pas destinés à influencer les décisions de l’entité distribuant les intérêts.

38      La Commission relève que, aux fins de la détention des titres soit en dépôt à découvert, soit en inscription en compte-titres, les banques établies en Belgique et les banques établies dans un autre État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE sont dans une situation objectivement comparable et ne remplissent qu’une fonction purement administrative. De surcroît, la restriction en cause ne saurait non plus, selon cette institution, être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

39      Le Royaume de Belgique fait état d’un projet d’arrêté royal, selon lequel, d’une part, il serait proposé de supprimer l’article 118, paragraphe 1, 6°, troisième tiret, sous b), de l’AR/CIR 1992, relatif aux titres au porteur, cette mesure étant la conséquence de la disparition de ces titres en Belgique et rendant caduque la discrimination alléguée, relative aux titres au porteur déposés à découvert en Belgique. D’autre part, en ce qui concerne les cas visés à l’article 118, paragraphe 1, 6°, troisième tiret, sous c), de l’AR/CIR 1992, un élargissement aux comptes-titres ouverts dans un État membre de l’EEE serait proposé. Le Royaume de Belgique fait valoir que, lorsque ledit arrêté royal sera entré en vigueur, les cas de discrimination soulevés par la Commission auront disparu.

 Appréciation de la Cour

40      Il importe de relever que l’article 56 TFUE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre les États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (voir, notamment, arrêts X et Passenheim-van Schoot, C-155/08 et C-157/08, EU:C:2009:368, point 32, ainsi que X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 20).

41      En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 56 TFUE exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services imposée au motif que le prestataire est établi dans un État membre différent de celui dans lequel la prestation est fournie (voir arrêts FKP Scorpio Konzertproduktionen, C-290/04, EU:C:2006:630, point 31; Centro Equestre da Lezíria Grande, C-345/04, EU:C:2007:96, point 20, et X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 21).

42      Constituent des restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (voir, notamment, arrêts Jobra, C-330/07, EU:C:2008:685, point 19; Tankreederei I, C-287/10, EU:C:2010:827, point 15, et X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 22).

43      Selon une jurisprudence constante, l’article 56 TFUE confère des droits non seulement au prestataire de services lui-même, mais également au destinataire desdits services (arrêts Eurowings Luftverkehr, C-294/97, EU:C:1999:524, point 34; FKP Scorpio Konzertproduktionen, C-290/04, EU:C:2006:630, point 32; Dijkman et Dijkman-Lavaleije, C-233/09, EU:C:2010:397, point 24, ainsi que X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 23).

44      En outre, il y a lieu de relever que l’article 36 de l’accord EEE est analogue à l’article 56 TFUE, de telle sorte que les considérations énoncées aux points 40 à 43 du présent arrêt s’appliquent, en principe, également à l’article 36 de l’accord EEE (voir, notamment, arrêts Commission/Belgique, C-383/10, EU:C:2013:364, point 71, et Commission/Espagne, C-678/11, EU:C:2014:2434, point 66).

45      En l’espèce, la réglementation en cause prévoit une exonération du précompte mobilier sur les intérêts perçus par les sociétés d’investissement résidentes, lorsque les titres productifs de revenus sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie en Belgique. En revanche, une telle exonération n’est pas prévue lorsque les titres productifs de revenus sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie dans un autre État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE.

46      Cette différence de traitement est de nature à dissuader les sociétés d’investissement bénéficiaires d’intérêts à recourir aux services de banques établies dans un État membre autre que le Royaume de Belgique ou dans un État tiers partie à l’accord EEE, dès lors que la charge fiscale à laquelle sont soumis les intérêts perçus par ces sociétés d’investissement résidentes est plus élevée lorsque ces titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie dans un tel État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE.

47      Une telle réglementation constitue donc une restriction à la libre prestation des services, prohibée, en principe, par les articles 56 TFUE et 36 de l’accord EEE.

48      Le Royaume de Belgique n’a invoqué devant la Cour aucune raison impérieuse d’intérêt général qui serait susceptible de justifier, en l’espèce, cette restriction à la libre prestation des services, au sens des articles 56 TFUE et 36 de l’accord EEE.

49      Pour autant que le Royaume de Belgique fait état d’un projet d’arrêté royal ayant pour objet de rendre la réglementation en cause conforme aux articles 56 TFUE et 36 de l’accord EEE, il suffit de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts Commission/Grèce, C-351/13, EU:C:2014:2150, point 20; Commission/Belgique, C-317/14, EU:C:2015:63, point 34, et Commission/France, C-485/14, EU:C:2015:506, point 30).

50      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le grief de la Commission relatif à la violation, par la réglementation en cause, des articles 56 TFUE et 36 de l’accord EEE doit être regardé comme fondé.

51      Les dispositions du traité FUE ainsi que de l’accord EEE relatives à la libre prestation des services s’opposant à cette réglementation, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément ladite réglementation à la lumière des articles 63 TUE et 40 de l’accord EEE, concernant la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêts Commission/Belgique, C-383/10, EU:C:2013:364, point 74, et Commission/Belgique, C-296/12, EU:C:2014:24, point 51).

52      Par conséquent, il y a lieu de constater que, en maintenant en vigueur des dispositions selon lesquelles les intérêts afférents aux créances représentées par des titres d’origine belge sont soumis à la perception du précompte mobilier lorsque ces titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie dans un État membre de l’Union autre que le Royaume de Belgique ou dans un État tiers partie à l’accord EEE, alors que ces intérêts sont exonérés du précompte mobilier lorsque lesdits titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie en Belgique, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 56 TFUE et 36 de l’accord EEE.

 Sur les dépens

53      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l’article 138, paragraphe 3, du même règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte, en principe, ses propres dépens. La Commission et le Royaume de Belgique ayant partiellement succombé en leurs moyens, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:

1)      En maintenant en vigueur des dispositions selon lesquelles les intérêts afférents aux créances représentées par des titres d’origine belge sont soumis à la perception du précompte mobilier lorsque ces titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie dans un État membre de l’Union européenne autre que le Royaume de Belgique ou dans un État tiers partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, alors que ces intérêts sont exonérés du précompte mobilier lorsque lesdits titres sont déposés ou inscrits en compte auprès d’une institution financière établie en Belgique, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 56 TFUE et 36 de l’accord sur l’Espace économique européen.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission européenne et le Royaume de Belgique supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.