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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

2 juin 2016 (*)

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Article 9, paragraphe 1 – Notions d’“assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée” et d’“activité économique” – Article 24, paragraphe 1 – Notion de “prestation de services” – Ouvrages de génie rural – Construction et exploitation d’un système d’évacuation des eaux par une société commerciale à but non lucratif – Incidence du financement des ouvrages au moyen d’aides d’État et d’aides de l’Union européenne »

Dans l’affaire C-263/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Kúria (Cour suprême, Hongrie), par décision du 14 mai 2015, parvenue à la Cour le 3 juin 2015, dans la procédure

Lajvér Meliorációs Nonprofit Kft.,

Lajvér Csapadékvízrendezési Nonprofit Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Dél-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága (NAV),

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. D. Šváby, président de chambre, MM. J. Malenovský et M. Vilaras (rapporteur), juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes K. Talabér-Ritz et M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, et de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Lajvér Meliorációs Nonprofit Kft. et Lajvér Csapadékvízrendezési Nonprofit Kft., des sociétés commerciales à but non lucratif, à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Dél-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága (NAV) (direction principale des impôts de la région de Transdanubie méridionale, Hongrie) au sujet de leur droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les factures émises par Recontír BPM Kft. pour des travaux menés pour leur compte.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112 dispose que les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA.

4        L’article 9, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

5        L’article 24, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« Est considérée comme “prestation de services” toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens. »

 Le droit hongrois

6        L’article 5, paragraphe 1, de l’az általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény (loi n° CXXVII de 2007 relative à la taxe sur la valeur ajoutée, ci-après la « loi relative à la TVA ») prévoit :

« Assujetti : une personne ou une entité dotée de la capacité juridique qui, sous son propre nom, exerce une activité économique, sans considération du lieu, du but et du résultat de celle-ci. [...] »

7        L’article 6, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA dispose :

« Activité économique : toute activité exercée à la manière d’une profession procurant un revenu, c’est-à-dire avec un caractère durable ou régulier, en vue d’obtenir une contrepartie, ou arrivant à ce résultat, et cela de façon indépendante. »

8        L’article 16 de la loi relative à la TVA énonce :

« Le fait que la livraison de biens ou la prestation de services soit effectuée sur le fondement d’un contrat, d’une disposition législative ou réglementaire, d’une décision juridictionnelle ou administrative (y compris une décision ne portant pas sur le fond), ou encore par le biais d’une mise aux enchères, est sans incidence sur ladite livraison de biens ou prestation de services. »

9        Selon l’article 259, paragraphe 6, de la loi relative à la TVA :

« Contrepartie : tout avantage patrimonial, y compris les décharges accordées aux fins de la réduction d’une créance existante, mais à l’exclusion des indemnisations ».

10      L’article 4, paragraphe 1, de l’a gazdasági társaságokról szóló 2006. évi IV. törvény (loi n° IV de 2006 sur les sociétés commerciales) dispose :

« Une société commerciale peut être créée également pour exercer une activité économique commune ne visant pas à l’obtention d’un profit (société commerciale à but non lucratif). Une société commerciale à but non lucratif peut être constituée et exploitée sous n’importe quelle forme. Le caractère non lucratif de la société commerciale doit apparaître dans la dénomination sociale, à côté de la mention de la forme de cette société. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Les requérantes au principal sont des « sociétés commerciales à but non lucratif », qui, à ce titre, exercent une activité économique ne visant pas l’obtention d’un profit et qui ne peuvent exercer une activité économique procurant un revenu que de manière complémentaire. Elles ont été créées dans l’objectif de construire, puis d’exploiter des ouvrages de génie rural, à savoir un système d’évacuation des eaux, un réservoir et un puits d’alluvions sur des terrains appartenant à leurs associés.

12      Les travaux nécessaires à la réalisation de ces ouvrages ont été financés par des ressources de l’État et de l’Union européenne. Pour mener ces travaux, les requérantes au principal disposent des autorisations administratives et de l’accord des propriétaires des terrains concernés. Il est en outre prévu que les requérantes au principal prélèvent auprès desdits propriétaires une redevance d’exploitation des ouvrages de génie rural pour une période de huit ans.

13      La préparation et la réalisation des opérations ont été confiées par les requérantes au principal à Recontír BPM, laquelle a émis des factures incluant la TVA pour les travaux réalisés que les requérantes au principal ont souhaité déduire.

14      Le droit à déduction revendiqué par les requérantes au principal a toutefois été refusé par la NAV, au motif que l’activité projetée n’était pas une « activité économique », au sens de l’article 6 de la loi relative à la TVA, que ce soit pour les segments faisant partie du réseau routier, et donc utilisables par tous, ou pour les segments situés sur des propriétés privées. Les requérantes au principal n’auraient donc pas, au regard de leur activité, la qualité d’« assujetties ». Elles n’exerceraient aucune activité qualifiable de « prestation de services », ni à l’égard de leurs associés ni à l’égard des tiers. L’exploitation normale des ouvrages de génie rural, qui consiste à entretenir la voie bétonnée et son environnement et à garantir l’écoulement des eaux, relèverait de la voirie publique et correspondrait à une obligation imposée par une règle de droit et non à une prestation de services. Les recettes réduites que les requérantes au principal envisagent de percevoir pour l’exploitation de ces ouvrages ne correspondraient pas à la notion de « contrepartie », au sens de la loi relative à la TVA.

15      Le recours introduit par les requérantes au principal contre cette décision de refus a été rejeté en première instance, pour les mêmes motifs que ceux avancés par la NAV.

16      Les requérantes au principal ont, en conséquence, introduit un pourvoi en cassation devant la Kúria (Cour suprême, Hongrie), devant laquelle elles ont fait valoir que, en tant que sociétés commerciales, elles ont la qualité d’« assujetties », l’assujettissement reposant sur une donnée objective. Elles considèrent que la possibilité d’exercer le droit à déduction dépend de la classification de l’activité exercée et que, pour répondre à la définition de l’« activité économique », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA, il suffit d’exercer de manière durable ou régulière une activité ayant pour résultat l’obtention d’une contrepartie. La réalisation d’un profit ne serait pas nécessaire aux fins de la qualification d’« activité économique ».

17      La juridiction de renvoi note que la notion d’« activité économique » est très large et que ni la réalisation d’un profit ni le financement des investissements au moyen d’aides d’État n’a d’influence en ce domaine. Selon elle, pour qualifier une activité de « prestation de services », il est indifférent que les requérantes au principal exécutent une obligation d’entretien que leur impose une règle de droit. En revanche, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la redevance payée en vertu du contrat d’exploitation et d’utilisation doit être considérée comme une contrepartie et s’il existe un lien direct entre l’entretien des ouvrages de génie rural réalisés grâce aux investissements et une telle contrepartie.

18      C’est dans ces circonstances que la Kúria (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Dans la situation de fait ici litigieuse, les requérantes [au principal] agissent-elles en tant qu’assujetties, compte tenu du fait que l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, de la directive [2006/112] n’exclut pas de la notion d’activité économique les activités exercées par les sociétés commerciales, y compris lorsque celles-ci peuvent n’exercer qu’à titre complémentaire une activité économique à la manière d’une profession procurant un revenu ?

2)      Le fait que les requérantes [au principal] réalisent une part importante de leurs investissements à partir d’aides d’État et qu’elles tirent, dans le cadre de l’exploitation, des recettes provenant d’une redevance d’un montant réduit, a-t-il une incidence sur la qualité d’assujetties de celles-ci ?

3)      En cas de réponse négative à la deuxième question, faut-il considérer que cette “redevance” constitue la contrepartie d’une prestation de services, et y a-t-il un lien direct entre la prestation de services et le paiement de la contrepartie ?

4)      Les requérantes [au principal] effectuent-elles, du fait de l’exploitation des investissements réalisés, une prestation de services au sens de l’article 24 de la directive [2006/112], tel qu’il a été interprété, ou cette activité ne saurait-elle être considérée comme une prestation de services, s’agissant de l’accomplissement d’obligations prévues par des règles de droit ? »

 Sur les questions préjudicielles

19      Par ses quatre questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que l’exploitation d’ouvrages de génie rural, tels que ceux en cause au principal, par une société commerciale à but non lucratif constitue une activité économique au sens de cette disposition, nonobstant la circonstance que, d’une part, ces ouvrages ont été financés de manière importante à partir d’aides d’État et, d’autre part, leur exploitation ne donne lieu qu’à des recettes provenant d’une redevance d’un montant réduit. Elle demande également si l’article 24 de ladite directive doit être interprété en ce sens que cette exploitation d’ouvrages de génie rural constitue une prestation de services et s’il existe un lien direct entre cette prestation et la redevance qui en serait la contrepartie, nonobstant la circonstance qu’il s’agit de l’accomplissement d’obligations prévues par des règles de droit.

20      Il convient de rappeler que, si la directive 2006/112 assigne un champ d’application très large à la TVA, seules les activités ayant un caractère économique sont visées par cette taxe (voir, notamment, arrêts du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring, C-305/01, EU:C:2003:377, point 39 ; du 26 juin 2007, T-Mobile Austria e.a., C-284/04, EU:C:2007:381, point 34, ainsi que du 29 octobre 2009, Commission/Finlande, C-246/08, EU:C:2009:671, point 34).

21      En effet, selon l’article 2 de la directive 2006/112, relatif aux opérations imposables, sont soumises à la TVA, à côté des importations de biens, les acquisitions intracommunautaires de biens, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti. En outre, en vertu de l’article 9 de ladite directive, est considéré comme « assujetti » quiconque accomplit, de façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité (voir, notamment, arrêts du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, 235/85, EU:C:1987:161, point 6 ; du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a., C-288/07, EU:C:2008:505, points 26 et 27, ainsi que du 29 octobre 2009, Commission/Finlande, C-246/08, EU:C:2009:671, point 35).

22      De même, l’analyse des notions de « livraison de biens » et de « prestation de services » démontre que ces notions, qui définissent, en partie, les opérations taxables en vertu de la directive 2006/112, ont un caractère objectif et qu’elles s’appliquent indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, EU:C:2006:16, point 44).

23      La notion d’« activité économique » est définie à l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2006/112 comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence (voir, notamment, arrêts du 26 juin 2007, T-Mobile Austria e.a., C-284/04, EU:C:2007:381, point 33 ; du 29 octobre 2009, Commission/Finlande, C-246/08, EU:C:2009:671, point 36, ainsi que du 20 juin 2013, Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr, C-219/12, EU:C:2013:413, point 16).

24      À cet égard, il convient de constater que le concept d’« exploitation », au sens de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2006/112, se réfère, conformément aux exigences du principe de neutralité du système commun de TVA, à toutes les opérations, quelle que soit leur forme juridique, qui visent à retirer du bien en question des recettes ayant un caractère de permanence (voir, en ce sens, arrêts du 26 juin 2007, T-Mobile Austria e.a., C-284/04, EU:C:2007:381, point 38, ainsi que du 13 décembre 2007, Götz, EU:C:2007:789, point 18).

25      En outre, selon l’article 24 de la directive 2006/112, est considérée comme prestation de services toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens.

26      Or, la base d’imposition d’une prestation de services est constituée par tout ce qui est reçu en contrepartie du service accompli et une prestation de services n’est, dès lors, taxable que s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contrepartie reçue. Il en résulte qu’une prestation de services n’est effectuée « à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, et n’est dès lors taxable, que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire (arrêts du 3 mars 1994, Tolsma, C-16/93, EU:C:1994:80, points 13 et 14 ; du 21 mars 2002, Kennemer Golf, C-174/00, EU:C:2002:200, point 39, ainsi que du 6 octobre 2009, SPÖ Landesorganisation Kärnten, C-267/08, EU:C:2009:619, point 19).

27      C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient de répondre aux questions posées.

28      En premier lieu, il ressort de la décision de renvoi que l’activité en cause au principal consiste en l’exploitation d’ouvrages de génie rural comportant un système d’évacuation des eaux, un réservoir et un puits d’alluvions. Une telle activité doit être considérée comme relevant de la notion d’« activité économique », au sens de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2006/112, si elle est accomplie en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

29      La question de savoir si cette activité vise à réaliser des recettes ayant un caractère de permanence est une question de fait qui doit être appréciée compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, parmi lesquelles figure, notamment, la nature du bien visé (voir arrêts du 19 juillet 2012, Rēdlihs, C-263/11, EU:C:2012:497, point 33, ainsi que du 20 juin 2013, Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr, C-219/12, EU:C:2013:413, point 19).

30      En l’occurrence, les prestations effectuées ou à effectuer par les requérantes au principal consistent à exploiter les ouvrages de génie rural ainsi que la voirie publique, qui intègre certains de leurs segments, en vue de garantir en permanence le libre écoulement des eaux, notamment par l’entretien de ces ouvrages. Ces prestations donnent ou donneront lieu à une rémunération, les requérantes au principal souhaitant prélever une redevance d’exploitation des ouvrages de génie rural pour une période déterminée de huit années auprès des propriétaires des terrains concernés.

31      Dans de telles conditions, il convient de considérer que l’exploitation de ces ouvrages est assurée en vue d’en retirer des recettes.

32      À cet égard, s’il n’est pas certain que les requérantes au principal avaient débuté l’exploitation des ouvrages de génie rural à la date à laquelle elles ont revendiqué leur droit à déduction de la TVA payée en amont, il y a lieu de rappeler que celui qui a l’intention, confirmée par des éléments objectifs, de commencer d’une façon indépendante une « activité économique », au sens de l’article 9 de la directive 2006/112, et qui effectue les premières dépenses d’investissement à ces fins doit être considéré comme un assujetti (voir, par analogie, arrêts du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98 à C-147/98, EU:C:2000:145, point 47, ainsi que du 8 juin 2000, Breitsohl, C-400/98, EU:C:2000:304, point 34).

33      En outre, il y a lieu de constater que la période de huit années prévue pour sa perception confère à la redevance d’exploitation envisagée un caractère de permanence au sens de la jurisprudence citée au point 23 du présent arrêt.

34      L’existence de recettes ayant un caractère de permanence ne saurait être mise en doute au motif que les requérantes au principal ne pourraient exercer une activité économique à la manière d’une profession procurant un revenu qu’à titre complémentaire.

35      D’une part, il convient de rappeler qu’il ressort tant du libellé même de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2006/112 que de la jurisprudence de la Cour que, pour considérer que l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel est exercée en vue d’en retirer des recettes, il est indifférent que cette exploitation vise ou non à générer des profits (voir, notamment, arrêt du 20 juin 2013, Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr, C-219/12, EU:C:2013:413, point 25), de sorte que le fait que, en raison de leur forme sociale, les requérantes au principal ne puissent exercer une activité économique à la manière d’une profession procurant un revenu qu’à titre complémentaire est sans incidence sur l’existence d’une activité économique visant à réaliser des recettes ayant un caractère de permanence.

36      D’autre part, l’incidence d’un possible exercice de l’activité en cause au principal à titre complémentaire sur le caractère économique de cette activité dépend de l’analyse de l’ensemble des conditions d’exploitation des ouvrages de génie rural pour déterminer s’ils sont utilisés en vue d’en tirer des recettes présentant effectivement un caractère de permanence (voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 1996, Enkler, C-230/94, EU:C:1996:352, point 27, ainsi que du 19 juillet 2012, Rēdlihs, C-263/11, EU:C:2012:497, point 34).

37      Néanmoins, au vu des éléments factuels communiqués par la juridiction de renvoi et déjà relevés aux points 30 à 33 du présent arrêt, il apparaît que, en raison de sa durée, la redevance d’exploitation envisagée doit se voir conférer un caractère de permanence de nature à faire regarder l’exploitation de ces ouvrages comme une « activité économique », au sens de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2006/112.

38      Enfin, la circonstance que les investissements réalisés auraient été financés en grande partie par des aides accordées par l’État membre et l’Union ne saurait influer sur la nature économique ou non de l’activité déployée ou projetée par les requérantes au principal, puisque la notion d’« activité économique » a un caractère objectif et qu’elle s’applique indépendamment, non seulement des buts et des résultats des opérations concernées, mais également du mode de financement choisi par l’opérateur concerné, y compris lorsqu’il s’agit de subventions publiques (voir, en ce qui concerne l’interdiction de limiter le droit à déduction, arrêts du 6 octobre 2005, Commission/France, C-243/03, EU:C:2005:589, points 32 et 33, ainsi que du 23 avril 2009, PARAT Automotive Cabrio, C-74/08, EU:C:2009:261, points 20 et 26).

39      En second lieu, l’exploitation des ouvrages de génie rural ne peut être considérée comme relevant de la catégorie des prestations de services effectuées à titre onéreux que s’il existe un lien direct entre le service rendu et la redevance d’exploitation reçue ou à recevoir par les requérantes au principal et que si cette redevance constitue la contre-valeur effective du service fourni aux bénéficiaires.

40      En l’occurrence, les prestations effectuées ou à effectuer par les requérantes au principal consistent à exploiter les ouvrages de génie rural ainsi que la voirie publique, qui intègre certains de leurs segments, en vue de garantir en permanence le libre écoulement des eaux, notamment par l’entretien de ces ouvrages, et constituent donc des prestations de services, au sens de l’article 24 de la directive 2006/112.

41      Dans l’appréciation du caractère onéreux de l’activité en cause au principal, la circonstance que, dans le cadre de cette activité, l’entretien de la voirie publique pour permettre le libre écoulement des eaux réponde à une obligation imposée par une règle de droit ne saurait avoir d’incidence, une telle circonstance n’étant pas susceptible de remettre en cause ni la qualification d’une telle activité de « prestation de services » ni le lien direct entre cette prestation et sa contrepartie.

42      En effet, il a été jugé que le fait que l’activité visée consiste dans l’exercice de fonctions conférées et réglementées par la loi, dans un but d’intérêt général, est sans pertinence pour apprécier si cette activité est constitutive de prestations de services effectuées à titre onéreux (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2000, Commission/France, C-276/97, EU:C:2000:424, point 33, ainsi que du 29 octobre 2009, Commission/Finlande, C-246/08, EU:C:2009:671, point 40). Par ailleurs, il a également été jugé que, même lorsque l’activité visée a pour objet d’exécuter une obligation constitutionnelle incombant exclusivement et directement à l’État membre concerné, le lien direct existant entre la prestation de services effectuée et la contrepartie reçue ne peut être remis en cause de ce seul fait (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2015, Saudaçor, C-174/14, EU:C:2015:733, point 39).

43      De même, aucun des autres éléments communiqués par la juridiction de renvoi n’est de nature à affecter le lien direct existant entre la prestation de services effectuée ou à effectuer et la contrepartie reçue ou à recevoir.

44      Il en est tout particulièrement ainsi du montant réduit de la redevance d’exploitation prévue par les requérantes au principal.

45      En effet, il y a lieu de rappeler que le fait qu’une opération économique soit effectuée à un prix supérieur ou inférieur au prix de revient, et, partant, à un prix supérieur ou inférieur au prix normal du marché, est sans pertinence s’agissant de la qualification d’opération à titre onéreux (voir, en ce sens, arrêts du 20 janvier 2005, Hotel Scandic Gåsabäck, C-412/03, EU:C:2005:47, point 22 ; du 9 juin 2011, Campsa Estaciones de Servicio, C-285/10, EU:C:2011:381, point 25, ainsi que du 27 mars 2014, Le Rayon d’Or, C-151/13, EU:C:2014:185, points 36 et 37).

46      Dès lors, une telle circonstance n’est pas de nature à affecter le lien direct entre les prestations de services effectuées ou à effectuer et la contrepartie reçue ou à recevoir dont le montant est déterminé à l’avance et selon des critères bien établis (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2015, Saudaçor, C-174/14, EU:C:2015:733, point 36).

47      En outre, le montant de ladite redevance a été déterminé à l’avance, puisqu’il est considéré, tant par la juridiction de renvoi que par le gouvernement hongrois et la Commission européenne, que la redevance reçue ou à recevoir est d’un montant réduit. Sur ce point, il peut également être admis que ce montant a été déterminé sur la base de critères bien établis. En effet, les prestations d’entretien effectuées ou à effectuer par les requérantes au principal doivent répondre à l’existence d’une obligation, pesant sur elles en tant qu’exploitantes des ouvrages de génie rural, de garantir le libre écoulement des eaux. Une telle obligation peut se concrétiser par des opérations d’entretien de nature circonscrite réalisées à échéances régulières et pouvant donner lieu à une rémunération déterminée à l’avance.

48      Dans un tel contexte, la redevance d’exploitation, même d’un montant réduit, peut constituer la contre-valeur du service fourni par les requérantes au principal aux propriétaires des terrains sur lesquels sont situés lesdits ouvrages, conformément aux arrêts du 3 mars 1994, Tolsma (C-16/93, EU:C:1994:80, points 13 et 14), du 21 mars 2002, Kennemer Golf (C-174/00, EU:C:2002:200, point 39), ainsi que du 6 octobre 2009, SPÖ Landesorganisation Kärnten (C-267/08, EU:C:2009:619, point 19).

49      À cet égard, il incombera à la juridiction de renvoi de vérifier si le montant de la redevance reçue ou à recevoir est de nature, en tant que contrepartie, à caractériser l’existence d’un lien direct entre les prestations de services effectuées ou à effectuer et ladite contrepartie et, par conséquent, le caractère onéreux des prestations de services. Elle devra tout particulièrement s’assurer que la redevance prévue par les requérantes au principal ne rémunère pas que partiellement les prestations effectuées ou à effectuer et que son niveau n’a pas été déterminé en raison de l’existence d’autres facteurs éventuels et susceptibles, le cas échéant, de remettre en cause le lien direct entre les prestations et leur contrepartie.

50      Par ailleurs, il reviendra, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de s’assurer que l’opération en cause au principal ne constitue pas un montage purement artificiel, dépourvu de réalité économique, effectué à la seule fin d’obtention d’un avantage fiscal (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 2011, Tanoarch, C-504/10, EU:C:2011:707, point 51, et du 12 juillet 2012, J.J. Komen en Zonen Beheer Heerhugowaard, C-326/11, EU:C:2012:461, point 35).

51      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées de la manière suivante :

–        L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que l’exploitation d’ouvrages de génie rural tels que ceux en cause au principal par une société commerciale à but non lucratif, n’exerçant qu’à titre complémentaire une telle activité à la manière d’une profession procurant un revenu, constitue une activité économique au sens de cette disposition, nonobstant la circonstance que, d’une part, ces ouvrages ont été financés de manière importante à partir d’aides d’État et, d’autre part, leur exploitation ne donne lieu qu’à des recettes provenant d’une redevance d’un montant réduit, dès lors que cette redevance a un caractère de permanence en raison de sa durée de perception prévue.

–        L’article 24 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que l’exploitation d’ouvrages de génie rural tels que ceux en cause au principal consiste en la réalisation de prestations de services effectuées à titre onéreux, au motif qu’elles sont en lien direct avec la redevance reçue ou à recevoir, sous réserve que cette redevance d’un montant réduit constitue la contre-valeur du service fourni et nonobstant la circonstance que ces prestations traduiraient l’accomplissement d’obligations prévues par des règles de droit. Il incombera à la juridiction de renvoi de vérifier si le montant de la redevance reçue ou à recevoir est de nature, en tant que contrepartie, à caractériser l’existence d’un lien direct entre les prestations de services effectuées ou à effectuer et ladite contrepartie et, par conséquent, le caractère onéreux des prestations de services. Elle devra tout particulièrement s’assurer que la redevance prévue par les requérantes au principal ne rémunère pas que partiellement les prestations effectuées ou à effectuer et que son niveau n’a pas été déterminé en raison de l’existence d’autres facteurs éventuels et susceptibles, le cas échéant, de remettre en cause le lien direct entre les prestations et leur contrepartie.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que l’exploitation d’ouvrages de génie rural tels que ceux en cause au principal par une société commerciale à but non lucratif, n’exerçant qu’à titre complémentaire une telle activité à la manière d’une profession procurant un revenu, constitue une activité économique au sens de cette disposition, nonobstant la circonstance que, d’une part, ces ouvrages ont été financés de façon importante à partir d’aides d’État et, d’autre part, leur exploitation ne donne lieu qu’à des recettes provenant d’une redevance d’un montant réduit, dès lors que cette redevance a un caractère de permanence en raison de sa durée de perception prévue.

2)      L’article 24 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que l’exploitation d’ouvrages de génie rural tels que ceux en cause au principal consiste en la réalisation de prestations de services effectuées à titre onéreux, au motif qu’elles sont en lien direct avec la redevance reçue ou à recevoir, sous réserve que cette redevance d’un montant réduit constitue la contre-valeur du service fourni et nonobstant la circonstance que ces prestations traduiraient l’accomplissement d’obligations prévues par des règles de droit. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si le montant de la redevance reçue ou à recevoir est de nature, en tant que contrepartie, à caractériser l’existence d’un lien direct entre les prestations de services effectuées ou à effectuer et ladite contrepartie et, par conséquent, le caractère onéreux des prestations de services. Elle devra tout particulièrement s’assurer que la redevance prévue par les requérantes au principal ne rémunère pas que partiellement les prestations effectuées ou à effectuer et que son niveau n’a pas été déterminé en raison de l’existence d’autres facteurs éventuels et susceptibles, le cas échéant, de remettre en cause le lien direct entre les prestations et leur contrepartie.

Signatures


* Langue de procédure : le hongrois.