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ARRêT DE LA COUR (cinquième chambre)

11 juillet 2018 ( *1 )

« Manquement d’État – Sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Articles 11 et 12 ainsi que article 76, paragraphe 6 – Règlement (CE) no 987/2009 – Article 5 – Détachement de travailleur – Affiliation à un régime de sécurité sociale – Lutte contre la fraude – Certificat A 1 – Refus de reconnaissance par l’État membre de l’exercice de l’activité professionnelle en cas de fraude ou d’abus »

Dans l’affaire C-356/15,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 13 juillet 2015,

Commission européenne, représentée par M. D. Martin, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par :

Irlande, représentée par Mmes E. Creedon, M. Browne et G. Hodge ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de M. C. Toland, BL,

partie intervenante,

contre

Royaume de Belgique, représenté par Mmes L. Van den Broeck et M. Jacobs, en qualité d’agents, assistées de M. P. Paepe, avocat,

partie défenderesse,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, MM. E. Levits, A. Borg Barthet, Mme M. Berger (rapporteur) et M. F. Biltgen, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant les articles 23 et 24 de la loi-programme du 27 décembre 2012 (Moniteur belge du 31 décembre 2012, p. 88860, ci-après la « loi-programme »), le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 11 et 12 ainsi que de l’article 76, paragraphe 6, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement no 883/2004 »), de l’article 5 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO 2009, L 284, p. 1), et de la décision A 1 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, du 12 juin 2009, concernant l’établissement d’une procédure de dialogue et de conciliation relative à la validité des documents, à la détermination de la législation applicable et au service des prestations au titre du règlement no 883/2004 (JO 2010, C 106, p. 1, ci-après la « décision A 1 »).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 883/2004

2

Les considérants 5, 8, 15 et 17 du règlement no 883/2004 prévoient :

« (5)

Il convient, dans le cadre de cette coordination, de garantir à l’intérieur de la Communauté aux personnes concernées l’égalité de traitement au regard des différentes législations nationales.

[...]

(8)

Le principe général de l’égalité de traitement est d’une importance particulière pour les travailleurs qui ne résident pas dans l’État membre où ils travaillent, y compris les travailleurs frontaliers.

[...]

(15)

Il convient de soumettre les personnes qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, afin d’éviter les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter.

[...]

(17)

En vue de garantir le mieux possible l’égalité de traitement de toutes les personnes occupées sur le territoire d’un État membre, il est approprié de déterminer comme législation applicable, en règle générale, la législation de l’État membre dans lequel l’intéressé exerce son activité salariée ou non salariée. »

3

L’article 11 de ce règlement, intitulé « Règles générales », dispose, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.   Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

[...]

3.   Sous réserve des articles 12 à 16 :

a)

la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

[...] »

4

L’article 12 dudit règlement, intitulé « Règles particulières », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée. »

5

L’article 76 du règlement no 883/2004, intitulé « Coopération », dispose, à son paragraphe 6 :

« En cas de difficultés d’interprétation ou d’application du présent règlement, susceptibles de mettre en cause les droits d’une personne couverte par celui-ci, l’institution de l’État membre compétent ou de l’État membre de résidence de l’intéressé contacte la ou les institutions du ou des États membres concernés. À défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées peuvent saisir la commission administrative. »

Le règlement no 987/2009

6

Le considérant 2 du règlement no 987/2009 énonce :

« L’organisation d’une coopération plus efficace et plus étroite entre les institutions de sécurité sociale est un facteur essentiel pour permettre aux personnes concernées par le règlement (CE) no 883/2004 de faire valoir leurs droits dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions possibles. »

7

L’article 5 dudit règlement, intitulé « Valeur juridique des documents et pièces justificatives établis dans un autre État membre », prévoit :

« 1.   Les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du règlement de base et du règlement d’application, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis.

2.   En cas de doute sur la validité du document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’État membre qui reçoit le document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document. L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire.

3.   En application du paragraphe 2, en cas de doute sur les informations fournies par les intéressés, sur le bien-fondé d’un document ou d’une pièce justificative, ou encore sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution du lieu de séjour ou de résidence procède, pour autant que cela soit possible, à la demande de l’institution compétente, à la vérification nécessaire desdites informations ou dudit document.

4.   À défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle l’institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine. »

8

L’article 6 du règlement no 987/2009, intitulé « Application provisoire d’une législation et octroi provisoire de prestations », énonce, à son paragraphe 1 :

« Sauf disposition contraire du règlement d’application, lorsque les institutions ou les autorités de deux États membres ou plus ont des avis différents quant à la détermination de la législation applicable, la personne concernée est soumise provisoirement à la législation de l’un de ces États membres, l’ordre de priorité se déterminant comme suit :

a)

la législation de l’État membre où la personne exerce effectivement une activité salariée ou une activité non salariée, si elle n’exerce son ou ses activités que dans un seul État membre ;

[...] »

9

La décision A 1 établit une procédure de dialogue et de conciliation en cas de doute concernant la validité d’un document ou l’exactitude d’une pièce justificative ou lorsque des États membres ont des avis différents quant à la détermination de la législation applicable ou de l’institution appelée à servir des prestations.

Le droit belge

10

La loi-programme contient, au chapitre 1 de son titre 3, intitulé « Fraude sociale et application correcte de la loi », des dispositions concernant la lutte contre la fraude au détachement. La deuxième section de ce chapitre, intitulée « abus de droit », comprend les articles 22 à 25 de la loi-programme.

11

L’article 22 de celle-ci prévoit :

« Pour l’application du présent chapitre, l’on entend par :

1°   “Les règlements européens de coordination” :

a)

Le titre II du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté [(JO 1971, L 149, p. 2)] ;

b)

Le titre III du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du [règlement no 1408/71 (JO 1972, L 74, p. 1)] ;

c)

Le règlement (CE) no 859/2003 du Conseil du 14 mai 2003 visant à étendre les dispositions du règlement (CEE) no 1408/71 et du règlement (CEE) no 574/72 aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas déjà couverts par ces dispositions uniquement en raison de leur nationalité [(JO 2003, L 124, p. 1)] ;

d)

Le titre II du règlement [no 883/2004] ;

e)

Le titre II du règlement [no 987/2009] ;

f)

Le règlement (UE) no 1231/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010, visant à étendre le règlement (CE) no 883/2004 et le règlement (CE) no 987/2009 aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas déjà couverts par ces règlements uniquement en raison de leur nationalité [(JO 2010, L 344, p. 1)] ;

2°   “Guide pratique” : guide pratique pour la détermination de la législation applicable aux travailleurs sur le territoire de l’Union européenne, de l’Espace économique européen et la Suisse élaboré par la Commission administrative ;

3°   “Commission administrative” : la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale ;

[...] »

12

L’article 23 de la loi-programme dispose :

« Il est question d’abus relatif aux règles visant à déterminer la législation applicable dans les Règlements européens de coordination, lorsqu’il est fait application à l’égard d’un travailleur salarié ou indépendant des dispositions des Règlements de coordination à une situation dont les conditions qui sont fixées dans les règlements et qui sont précisées dans le Guide pratique ou dans les décisions de la Commission administrative ne sont pas respectées, afin de se soustraire à la législation de sécurité sociale belge qui aurait dû être appliquée à cette situation si les dispositions réglementaires et administratives précitées avaient été correctement respectées. »

13

L’article 24 de la loi-programme énonce :

« § 1.   Lorsque le juge national, une institution publique de sécurité sociale ou un inspecteur social constate un abus visé au présent chapitre, le travailleur salarié ou indépendant concerné sera assujetti à la législation belge de sécurité sociale si cette législation avait dû être appliquée conformément aux dispositions réglementaires et administratives citées à l’article 22.

§ 2.   La législation de sécurité sociale belge s’appliquera à partir du premier jour où les conditions de son application sont remplies, en tenant compte des délais de prescription prévus à l’article 42, alinéa 1er, deuxième phrase, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, et à l’article 16 de l’arrêté royal no 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants. »

14

L’article 25 de la loi-programme dispose :

« Il appartient à l’institution ou à l’inspecteur qui invoque l’abus visé à l’article 23, d’apporter la preuve de cet abus. »

La procédure précontentieuse

15

Le 21 novembre 2013, la Commission a adressé au Royaume de Belgique une lettre de mise en demeure concernant l’incompatibilité des articles 23 et 24 de la loi-programme avec les articles 11 et 12 ainsi que l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, l’article 5 du règlement no 987/2009 ainsi que la décision A 1.

16

Dans cette lettre, la Commission a reproché au Royaume de Belgique d’avoir adopté lesdits articles 23 et 24 habilitant les autorités nationales compétentes à imposer, d’une manière unilatérale, sans suivre la procédure de dialogue et de conciliation prévue par ces règlements, le rattachement à la législation nationale en matière de sécurité sociale d’un travailleur détaché déjà assujetti à la sécurité sociale dans l’État membre dans lequel son employeur exerce normalement ses activités, au motif que la délivrance par l’organisme de sécurité sociale de ce dernier État membre d’un document attestant de l’assujettissement à la sécurité sociale de celui-ci (ci-après un « certificat A 1 »), en vertu des règlements nos 883/2004 et 987/2009, constitue un abus de droit.

17

Par lettre du 20 janvier 2014, le Royaume de Belgique a répondu à la lettre de mise en demeure du 21 novembre 2013 en invoquant notamment l’adage fraus omnia corrumpit et l’interdiction de l’abus de droit en tant que principes généraux du droit qui permettraient aux États membres d’adopter des dispositions nationales dérogatoires au droit dérivé de l’Union.

18

De plus, le gouvernement belge a soutenu que les règlements nos 883/2004 et 987/2009 permettent aux États membres l’adoption de mesures unilatérales, telles que celles prévues aux articles 23 et 24 de la loi-programme, lorsque ces États membres estiment que l’application de ces règlements donne lieu à des fraudes et à des abus de droit.

19

Le 25 septembre 2014, la Commission a notifié un avis motivé au Royaume de Belgique qui y a répondu par lettre datée du 24 novembre 2014 par laquelle la Commission a notamment été informée de la suspension temporaire de l’application des mesures prévues aux articles 23 et 24 de la loi-programme en raison de la procédure en manquement en cours.

20

N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a introduit le présent recours.

21

Par décision du président de la Cour du 10 novembre 2015, l’Irlande a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

Sur le recours

Sur la recevabilité du recours

Sur la recevabilité du recours pris dans son ensemble

– Argumentation des parties

22

À titre principal, le Royaume de Belgique excipe de l’irrecevabilité du recours pris dans son ensemble au motif que la Commission n’apporte pas de preuve de l’existence du manquement allégué et, plus particulièrement, de l’impossibilité d’interpréter et d’appliquer les dispositions litigieuses de la loi-programme conformément aux dispositions de droit de l’Union, alors que, dans sa réponse à l’avis motivé, il avait fait état d’une telle possibilité.

23

En outre, selon le Royaume de Belgique, l’affirmation de la Commission selon laquelle l’article 24 de la loi-programme contredirait expressément les articles 11 et 12 ainsi que l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 et l’article 5 du règlement no 987/2009 ne serait pas étayée.

24

La Commission conclut au rejet de l’exception d’irrecevabilité.

– Appréciation de la Cour

25

Il est vrai que, selon une jurisprudence constante, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est en effet cette dernière qui doit apporter à la Cour tous les éléments nécessaires à la vérification, par celle-ci, de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (arrêt du 4 septembre 2014, Commission/France, C-237/12, EU:C:2014:2152, point 32).

26

Toutefois, la question de savoir si la Commission a établi l’existence du manquement relève non pas de l’examen de la recevabilité de son recours, mais du fond (arrêt du 4 juin 2015, Commission/Pologne, C-678/13, non publié, EU:C:2015:358, point 18 et jurisprudence citée).

27

L’exception d’irrecevabilité du recours pris dans son ensemble, soulevée par le Royaume de Belgique, n’est donc pas fondée et doit être rejetée.

Sur la recevabilité des griefs tirés d’une violation de l’article 11 du règlement no 883/2004, de l’article 5 du règlement no 987/2009 et de la décision A 1

– Argumentation des parties

28

À titre subsidiaire, le Royaume de Belgique fait valoir, en premier lieu, que le grief tiré d’une violation de l’article 11 du règlement no 883/2004 manque de précision en ce que la requête ne permet pas de déterminer clairement si le grief vise cet article 11 pris dans son ensemble ou exclusivement le paragraphe 1 de celui-ci. En tout état de cause, la Commission ne présenterait aucun argument spécifique, précis et cohérent, se rattachant à ce paragraphe 1.

29

En deuxième lieu, le Royaume de Belgique fait valoir que les arguments invoqués dans la requête pour fonder le grief tiré de la violation de l’article 5 du règlement no 987/2009 ne se rapportent qu’au paragraphe 1 de cet article. La Commission aurait tardivement déduit, dans son mémoire en réplique, une violation de l’article 5, paragraphes 2 à 4, du règlement no 987/2009 d’une violation de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004.

30

En troisième lieu, s’agissant du grief tiré d’une violation de la décision A 1, le Royaume de Belgique soutient que la Commission se contente, dans sa requête, de mentionner cette décision sans exposer les motifs d’une telle violation.

31

La Commission conclut au rejet de l’exception d’irrecevabilité.

– Appréciation de la Cour

32

Il convient de constater qu’il résulte de l’article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour et de la jurisprudence constante relative à cette disposition que toute requête introductive d’instance doit indiquer de manière claire et précise l’objet du litige et contenir l’exposé sommaire des moyens invoqués pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un tel recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la requête et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien qu’elle n’omette de statuer sur un grief (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2016, Commission/Pays-Bas, C-233/14, EU:C:2016:396, points 32 et 34 ainsi que jurisprudence citée).

33

La Cour a également jugé que, dans le cadre d’un recours formé en application de l’article 258 TFUE, celui-ci doit présenter les griefs de façon cohérente et précise, afin de permettre à l’État membre et à la Cour d’appréhender exactement la portée de la violation du droit de l’Union reprochée, condition nécessaire pour que ledit État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l’existence du manquement allégué (arrêt du 2 juin 2016, Commission/Pays-Bas, C-233/14, EU:C:2016:396, point 33 et jurisprudence citée).

34

En particulier, le recours de la Commission doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons l’ayant amenée à la conviction que l’État membre intéressé a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu des traités (arrêt du 2 juin 2016, Commission/Pays-Bas, C-233/14, EU:C:2016:396, point 35 et jurisprudence citée).

35

En l’occurrence, la requête de la Commission répond aux exigences de la jurisprudence rappelée aux points précédents.

36

S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité du grief tiré de la violation de l’article 11 du règlement no 883/2004, il découle sans ambiguïté tant des conclusions de la requête que des griefs exposés dans celle-ci que le recours de la Commission a pour objet l’incompatibilité des articles 23 et 24 de la loi-programme avec plusieurs dispositions du droit de l’Union relatives au détachement des travailleurs. La situation des salariés détachés fait l’objet de l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement, lequel met en œuvre, pour cette catégorie de salariés, le principe régissant ledit règlement, selon lequel les personnes qui relèvent du champ d’application de ce même règlement ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Ce principe est consacré à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. Les paragraphes 2 à 5 de cet article ne concernent pas la situation des travailleurs détachés.

37

S’il est vrai que, dans le cadre de son recours, la Commission a visé de manière générale l’article 11 dudit règlement, il convient de constater que ce recours contient un exposé clair des éléments de fait et de droit sur lesquels il est fondé. Il ressort tant de la procédure précontentieuse, et notamment de l’avis motivé adressé par la Commission au Royaume de Belgique, que de l’exposé du cadre juridique et des motifs de la requête que le manquement reproché par cette institution, en ce qu’il a trait à cet article, ne porte que sur le seul paragraphe 1 de celui-ci.

38

Par ailleurs, il ressort des mémoires déposés par le Royaume de Belgique que celui-ci a répondu au grief tiré d’un manquement à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. Partant, il est manifeste que le Royaume de Belgique ne pouvait raisonnablement se méprendre sur le fait que les griefs de la Commission visaient le paragraphe 1 de cet article et qu’il a pu utilement répondre à ces griefs.

39

En ce qui concerne, en deuxième lieu, la recevabilité du grief tiré de la violation de l’article 5 du règlement no 987/2009, il convient de rappeler que l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 soumet les États membres à une obligation générale de coopération en cas de difficultés d’interprétation ou d’application de ce dernier règlement, y compris par la saisine de la commission administrative.

40

L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 énonce que les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application des règlements nos 883/2004 et 987/2009, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres. Les paragraphes 2 à 4 de l’article 5 du règlement no 987/2009 décrivent la procédure de dialogue et de conciliation entre les institutions concernées devant être respectée par l’État membre qui éprouve des doutes quant à la validité de ces documents ou à l’exactitude des faits sur lesquels reposent les mentions qui y figurent. Ces dernières dispositions précisent ainsi la teneur de l’obligation générale de coopération entre les institutions compétentes des États membres, prévue à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004.

41

Il y a lieu, à cet égard, de constater que la Commission a, au point 10 de sa requête, rappelé le contenu de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 ainsi que celui de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004. En outre, il ressort, sans ambiguïté, de l’exposé du cadre juridique et des motifs de la requête qu’il est reproché au Royaume de Belgique d’avoir manqué à son obligation de respecter les principes institués par l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, tels que précisés à l’article 5 du règlement no 987/2009. Enfin, il ressort tant des documents échangés au cours de la procédure précontentieuse, notamment de l’avis motivé adressé par la Commission au Royaume de Belgique, que de la requête de la Commission que cette institution invoque un manquement de cet État membre à l’article 5 du règlement no 987/2009 dans son ensemble.

42

Partant, il est manifeste, d’une part, que le Royaume de Belgique, qui ne pouvait raisonnablement se méprendre sur l’objet des griefs de la Commission en ce que ceux-ci se rapportaient à l’article 5 dudit règlement, dans son ensemble, était en mesure d’y répondre utilement et, d’autre part, que l’argument tiré du lien unissant cette disposition à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 n’a pas été soulevé tardivement.

43

S’agissant, en troisième lieu, de la recevabilité du grief tiré de la violation de la décision A 1, il convient de constater que, au point 11 de sa requête, la Commission, en citant la jurisprudence de la Cour relative au certificat A 1, décrit l’objectif et la portée de celui-ci. Il ressort, en outre, d’un examen de l’ensemble des arguments présentés dans cette requête, notamment des points 10 à 12 de celle-ci, que la Commission a exposé les motifs pour lesquels elle fait grief à cet État membre d’avoir violé les procédures prévues par la décision A 1.

44

Il résulte de ce qui précède que l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Royaume de Belgique contre les griefs tirés d’une violation de l’article 11 du règlement no 883/2004, de l’article 5 du règlement no 987/2009 et de la décision A 1 n’est pas fondée et doit être rejetée.

45

Partant, le recours est recevable.

Sur le fond

Argumentation des parties

46

La Commission rappelle dans sa requête, à titre liminaire, que l’article 11 du règlement no 883/2004 établit un principe de base, selon lequel les personnes auxquelles ce règlement est applicable sont en principe soumises à la législation d’un seul État membre. S’agissant des travailleurs détachés, la Commission souligne que ceux-ci demeurent soumis, selon la règle énoncée à l’article 12 du règlement no 883/2004, à la législation de l’État membre dans lequel ils exercent normalement leur activité, ce dernier fournissant auxdits travailleurs un certificat A 1 qui a pour objet d’attester de leur statut d’assuré dans cet État membre.

47

À cet égard, la Commission relève que l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 prévoit que les documents établis par l’autorité compétente d’un État membre s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre dans lequel ils ont été établis.

48

Elle ajoute que, en cas de difficultés d’interprétation ou d’application du règlement no 883/2004 susceptibles de mettre en cause les droits des personnes couvertes par celui-ci, l’article 76 de ce règlement prévoit que l’institution compétente de l’État membre de détachement contacte celle de l’État membre de provenance et, à défaut de solution dans un délai raisonnable, peut saisir la commission administrative.

49

En outre, la Cour aurait confirmé, dans l’arrêt du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere (C-2/05, EU:C:2006:69, points 24 et 25), que le certificat A 1, dans la mesure où il crée une présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs détachés au régime de sécurité sociale de l’État membre où est établie l’entreprise qui a détaché ces travailleurs, s’impose à l’institution compétente de l’État membre dans lequel sont détachés ces travailleurs et implique nécessairement que le régime de ce dernier État membre n’est pas susceptible de s’appliquer.

50

Selon la Commission, il résulte de cette jurisprudence que l’adoption des articles 23 et 24 de la loi-programme est contraire aux articles 11, 12 et 76 du règlement no 883/2004 et à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 tels qu’interprétés par la Cour.

51

S’agissant de l’argument du Royaume de Belgique, avancé au cours de la procédure précontentieuse, selon lequel cet État membre serait obligé d’adopter lesdites dispositions nationales en raison des exigences découlant de l’adage fraus omnia corrumpit et du principe général d’interdiction de l’abus de droit, la Commission soutient que, conformément à la jurisprudence de la Cour, en cas de suspicion d’un comportement abusif ou frauduleux, les États membres sont soumis à des contraintes importantes. Ainsi, pour refuser à des citoyens de l’Union le bénéfice de dispositions du droit de l’Union, les juridictions d’un État membre devraient non seulement tenir compte de comportements abusifs ou frauduleux au cas par cas, mais également se fonder sur des éléments objectifs et apprécier de tels comportements en tenant compte des objectifs poursuivis par les dispositions du droit de l’Union concernées.

52

Or, la Commission fait valoir que les dispositions mentionnées au point 50 du présent arrêt régissent de manière précise et détaillée les modalités de coopération en cas de suspicion de fraude ou d’abus de telle sorte qu’il n’y a pas lieu de déroger à des règles du droit de l’Union au titre du principe fraus omnia corrumpit.

53

Par ailleurs, selon cette institution, le principe général de sécurité juridique exige que, aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide par les autorités de l’État membre l’ayant délivré, le certificat A 1 lie les institutions de sécurité sociale et les juridictions de l’État membre dans lequel sont détachés les travailleurs concernés, en ce qu’il atteste l’affiliation de ces travailleurs au régime de sécurité sociale de l’État membre où leur entreprise est établie. L’adoption unilatérale des articles 23 et 24 de la loi-programme violerait ce principe ainsi que le principe de coopération loyale entre les États membres, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

54

Pour les mêmes motifs, la Commission rejette l’argument avancé par le Royaume de Belgique selon lequel le seul fait que les règlements nos 883/2004 et 987/2009 ont établi des procédures de dialogue et de conciliation spécifiques en cas de suspicion de fraude ou d’abus ne saurait priver les États membres de la possibilité de combattre ces fraudes ou ces abus par d’autres moyens.

55

L’Irlande, intervenue au soutien de la Commission, souligne notamment que lesdits règlements établissent un système de désignation de la législation applicable, respectueux du principe de sécurité juridique, qui repose sur la règle de l’unicité de la législation applicable et la reconnaissance du certificat A 1. Par ailleurs, un système de résolution des conflits serait prévu.

56

S’agissant du principe fraus omnia corrumpit, l’Irlande fait valoir que, sauf à violer le principe de sécurité juridique, un tel principe général du droit de l’Union ne permet pas d’évincer des dispositions expresses et dénuées d’ambiguïté sans que leur validité soit remise en cause.

57

Le Royaume de Belgique précise dans son mémoire en réponse, à titre liminaire, que la notion d’« abus relatif aux règles visant à déterminer la législation applicable dans les [r]èglements européens de coordination », définie à l’article 23 de la loi-programme, comprend un élément matériel et un élément intentionnel.

58

Seraient notamment qualifiés de « fraudes », à titre d’exemple, de faux certificats A 1, des détachements de résidents belges au terme de leur période d’assujettissement à la sécurité sociale belge, des détachements ininterrompus dont la durée excède le délai maximal de 24 mois ou encore l’absence totale de relation directe entre le travailleur détaché et son employeur ainsi que les situations décrites dans le Guide pratique visé à l’article 22 de la loi-programme.

59

Pour de telles situations, il devrait être prouvé, en vertu de l’article 23 de la loi-programme, la volonté « de se soustraire à la législation de sécurité sociale belge qui aurait dû être appliquée à cette situation si les dispositions réglementaires et administratives [...] avaient été correctement respectées ». En revanche, ne relèveraient pas de cet article des cas d’optimalisation sociale ou encore des cas dans lesquels les certificats A 1 ne contiennent que de simples erreurs matérielles.

60

Le Royaume de Belgique précise, en outre, que la preuve d’un abus, au sens de l’article 24, paragraphe 1, de la loi-programme, ne peut être apportée qu’après un examen, au cas par cas, des éléments objectifs.

61

Le Royaume de Belgique soutient, ainsi, que les articles 23 et 24 de la loi-programme ne s’appliquent que dans les rares hypothèses où les autorités ou les juridictions belges compétentes parviennent à établir un cas de fraude ayant conduit à la délivrance d’un certificat A 1 sans que les dispositions des règlements nos 883/2004 et 987/2009 aient été respectées, dans l’intention d’éviter un assujettissement à la législation nationale applicable en vertu de ces dispositions, à savoir la législation belge. Dès lors, l’affirmation de la Commission, selon laquelle les dispositions incriminées visent à annuler un certificat A 1 serait inexacte.

62

Le Royaume de Belgique fait également valoir que le dialogue entre les États membres concernant le retrait des certificats A 1 ne fonctionnant pas de manière satisfaisante compte tenu du cadre très rudimentaire et fragmentaire existant, il est nécessaire de disposer de moyens effectifs pour combattre la fraude.

63

Rappelant ensuite l’importance du principe établi à l’article 11, paragraphe 3, sous a), du règlement no 883/2004, selon lequel la législation qui s’applique est celle de l’État d’emploi ainsi que l’exception à ce principe prévue pour les travailleurs détachés, le Royaume de Belgique soutient que le travailleur qui bénéficie frauduleusement de cette exception est traité de manière plus favorable que les autres personnes occupées sur le territoire de l’État membre d’emploi.

64

Le Royaume de Belgique fait encore valoir que l’application du système de conflit de loi instauré par le règlement no 1408/71 et repris par le règlement no 883/2004 ne dépend que de la situation objective dans laquelle se trouve le travailleur intéressé. Or, l’application frauduleuse de l’article 12 du règlement no 883/2004 aboutirait à conférer aux assurés sociaux un droit d’option en violation du caractère impératif des règles de conflit.

65

S’agissant du principe général fraus omnia corrumpit, le Royaume de Belgique, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour ainsi que sur la doctrine, fait valoir qu’un État membre ne pourrait prendre des mesures d’exécution des règlements nos 883/2004 et 987/2009 qui violent un tel principe général du droit de l’Union. Confrontées à des situations frauduleuses, les autorités et les juridictions nationales devraient donc être autorisées à prendre des mesures correctives immédiates.

66

S’agissant, plus précisément, du grief tiré d’une violation de la décision A 1, le Royaume de Belgique, en renvoyant à l’arrêt du 8 juillet 1992, Knoch (C-102/91, EU:C:1992:303), fait valoir que cette décision ne constitue pas un acte ayant un caractère normatif et que, par conséquent, le non-respect de celle-ci ne peut pas faire l’objet d’un recours en manquement.

67

En ce qui concerne le grief tiré d’une violation des articles 11 et 12 du règlement no 883/2004, le Royaume de Belgique soutient que les autorités et les juridictions belges sont autorisées, dans le cadre d’une application correcte des règlements nos 883/2004 et 987/2009, à refuser « le bénéfice de l’avantage offert » par l’article 12 du règlement no 883/2004, lorsque ce bénéfice est invoqué frauduleusement. À cet égard, le Royaume de Belgique réfute l’argument invoqué par la Commission selon lequel l’existence de procédures de dialogue et de conciliation et la force contraignante des certificats A 1 empêcheraient l’application du principe fraus omnia corrumpit.

68

S’agissant d’une éventuelle violation du principe selon lequel les bénéficiaires du règlement no 883/2004 ne sont soumis à la législation que d’un seul État membre, le Royaume de Belgique soutient qu’il est possible que, en cas de fraude, l’institution prétendument compétente n’ait jamais émis ledit certificat A 1, que le travailleur ne soit pas soumis à la législation de cet État et qu’il ne bénéficie, en réalité, d’aucune protection en matière de sécurité sociale. Dans une telle hypothèse, il n’y aurait pas de violation caractérisée de ce principe. En outre, des constructions frauduleuses aboutiraient à des situations de concurrence déloyale et de dumping social. Ainsi, l’application des articles 23 et 24 de la loi-programme garantirait un « droit aux prestations de sécurité sociale et aux avantages sociaux », au sens de l’article 34, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

69

Même dans les cas où la personne concernée serait déjà assujettie à la sécurité sociale de l’État membre de l’institution émettrice, l’assujettissement à la sécurité sociale belge ne mènerait pas à un double assujettissement étant donné que l’article 6, paragraphe 1, sous a), du règlement no 987/2009 prévoit expressément que, en cas de désaccord entre deux États membres quant à la détermination de la législation applicable, la personne concernée est soumise provisoirement à la législation de l’un de ces États membres. Dans ce cas, s’appliquerait en priorité la législation de l’État membre dans lequel la personne exerce effectivement une activité économique, sous réserve qu’elle ne l’exerce que dans un seul État membre.

70

S’agissant du grief tiré d’une violation de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, le Royaume de Belgique considère que, étant donné que l’application du système de conflit de loi instauré par le règlement no 883/2004 dépend de la situation objective dans laquelle le travailleur intéressé se trouve, dans le cas où les autorités et les juridictions belges compétentes constatent qu’un certificat A 1 est un faux ou que des comportements frauduleux ont conduit à l’émission d’un tel document, la présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs détachés doit être considérée comme renversée.

71

En outre, selon le Royaume de Belgique, la Cour ne s’est pas encore exprimée sur la question de savoir si de tels documents lient, d’une manière absolue, les institutions de sécurité sociale et les juridictions de l’État membre dans lequel sont détachés des travailleurs, même si ces documents sont des faux ou ont été obtenus frauduleusement. Il est donc d’avis que, lorsqu’il a été prouvé que les certificats A 1 ont été obtenus d’une manière frauduleuse ou qu’il s’agit de faux, ces documents ne doivent pas bénéficier de la présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs détachés et, par conséquent, lier les institutions de sécurité sociale et les juridictions de l’État membre dans lequel sont détachées les personnes concernées.

72

Enfin, s’agissant du grief tiré d’une violation des procédures de dialogue et de conciliation, prévues à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 et à l’article 5 du règlement no 987/2009, le Royaume de Belgique conteste l’argument avancé par la Commission selon lequel l’utilisation de ces procédures est le seul instrument pour faire face à des cas de fraude, à l’exclusion d’autres instruments, l’application parallèle des procédures de dialogue et de conciliation n’étant pas exclue.

73

La Commission, dans son mémoire en réplique, réitère les griefs soulevés dans sa requête et maintient l’affirmation selon laquelle les articles 23 et 24 de la loi-programme permettent d’annuler le certificat A 1 en cas de fraude dès lors que l’application de ces articles aboutit à un changement de la législation applicable.

74

S’agissant du principe général fraus omnia corrumpit, la Commission affirme que la Cour a explicitement jugé, dans l’arrêt du 10 février 2000, FTS (C-202/97, EU:C:2000:75, point 53), que les États membres ne disposent pas du pouvoir de décider unilatéralement qu’un document établi par l’État membre de provenance du travailleur détaché est entaché de fraude.

75

S’agissant du grief tiré de la violation de l’article 11, paragraphe 1, et de l’article 12 du règlement no 883/2004, la Commission fait valoir que l’article 6, paragraphe 1, sous a), du règlement no 987/2009, contrairement à ce qu’avance le Royaume de Belgique, s’applique dans les hypothèses où aucune législation applicable n’a encore été déterminée. L’objectif de cette disposition serait d’assurer une couverture transitoire pour les personnes concernées et non d’imposer une seconde couverture obligatoire en violation de l’article 11, paragraphe 1, et de l’article 12 du règlement no 883/2004.

76

S’agissant du grief tiré de la violation de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 et de l’article 5 du règlement no 987/2009, la Commission précise que son recours vise non pas à empêcher le Royaume de Belgique de lutter contre l’abus ou les manœuvres frauduleuses, mais à garantir que les procédures mises en place par les règlements nos 883/2004 et 987/2009 soient respectées. Or, en s’arrogeant le droit, par l’adoption des articles 23 et 24 de la loi-programme, d’adopter unilatéralement des décisions d’assujettissement à la législation belge des travailleurs détachés au motif que ses propres inspecteurs et institutions de sécurité sociale ont « attesté » ou « prouvé » un cas de fraude, le Royaume de Belgique aurait violé ces règlements, en ce compris le principe de coopération loyale, lequel, en tant que principe général, reste applicable même en cas de suspicion de fraude ou d’abus.

77

Enfin, s’agissant de la décision A 1, la Commission rappelle que celle-ci détaille les modalités de la procédure de dialogue et de conciliation instituée par l’article 76 du règlement no 883/2004 et l’article 5 du règlement no 987/2009. L’article 23 de la loi-programme rappellerait d’ailleurs le nécessaire respect de ladite procédure. Néanmoins, selon la Commission, le droit unilatéral que cette disposition, combinée avec l’article 24 de cette même loi, confère aux institutions belges, permet précisément au Royaume de Belgique de ne pas respecter les modalités de la même procédure, telles que détaillées dans la décision A 1.

78

Le Royaume de Belgique, dans son mémoire en duplique, conteste notamment la lecture de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 faite par la Commission. Selon cet État membre, il ne ressort pas du texte de cette disposition que celle-ci ne peut être appliquée que dans des cas où aucune législation applicable n’a encore été déterminée. Cette disposition serait applicable dès lors que surgit un désaccord, entre les institutions ou les autorités de deux États membres ou plus, quant à la détermination de la législation applicable. Or, lorsque les autorités ou les juridictions compétentes veulent appliquer les articles 23 et 24 de la loi-programme, c’est-à-dire dans les rares cas où la fraude est prouvée, il y aurait, par hypothèse, un désaccord quant à la législation applicable.

Appréciation de la Cour

79

En ce qui concerne les griefs tirés d’une violation des articles 11 et 12 ainsi que de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 et de l’article 5 du règlement no 987/2009, il convient de relever, à titre liminaire, que les dispositions du règlement no 883/2004 déterminant la législation applicable tendent notamment à ce que les personnes concernées soient soumises au régime de sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités. Ce principe trouve son expression notamment à l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement (voir, par analogie, arrêts du 12 juin 2012, Hudzinski et Wawrzyniak, C-611/10 et C-612/10, EU:C:2012:339, point 41, ainsi que du 12 février 2015, Bouman, C-114/13, EU:C:2015:81, point 33).

80

L’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 prévoit que la législation applicable au travailleur détaché est celle, dans les conditions énoncées par cette disposition, de l’État membre dans lequel l’employeur de ce travailleur exerce normalement son activité et non celle de l’État membre dans lequel cette personne est détachée.

81

Les autorités compétentes de l’État membre dans lequel l’employeur exerce normalement ses activités fournissent au travailleur détaché le certificat A 1 ayant pour objet d’attester de la qualité d’assuré de ce travailleur dans cet État membre.

82

L’article 5, paragraphe 1,du règlement no 987/2009 énonce, en ce qui concerne la valeur juridique des documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application des règlements nos 883/2004 et 987/2009, ainsi que des pièces justificatives y afférentes, que lesdits documents s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre dans lequel ils ont été établis.

83

En vertu de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, en cas de difficultés d’interprétation ou d’application de ce règlement, susceptibles de mettre en cause les droits des personnes couvertes par celui-ci, l’institution de l’État membre compétent ou de l’État membre de résidence de l’intéressé contacte l’institution de l’État membre concerné. À défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées peuvent saisir la commission administrative.

84

Il y a lieu de relever que l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 reprend, en substance, le contenu de l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71. Or, le règlement no 883/2004 maintenant la règle de la soumission du travailleur détaché à la législation de l’État dans lequel son employeur exerce normalement son activité et les objectifs poursuivis par lesdits règlements étant identiques, il convient de se référer, par analogie, à la jurisprudence de la Cour relative au règlement no 1408/71.

85

Selon cette jurisprudence, l’institution compétente de l’État membre dans lequel l’employeur exerce normalement son activité déclare dans le certificat A 1 que son propre régime de sécurité sociale restera applicable aux travailleurs détachés pendant la période de détachement. Ainsi, en raison du principe selon lequel les travailleurs doivent être affiliés à un seul régime de sécurité sociale, le certificat A 1 implique nécessairement que le régime de sécurité sociale de l’État membre dans lequel le travailleur est détaché n’est pas susceptible de s’appliquer (voir, en ce sens, arrêts du 10 février 2000, FTS, C-202/97, EU:C:2000:75, point 49, et du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, EU:C:2006:69, point 21).

86

Le principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE et les objectifs poursuivis par l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 et par l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 seraient méconnus si l’État membre dans lequel sont détachés les travailleurs adoptait une législation autorisant ses propres institutions à considérer de manière unilatérale qu’elles ne sont pas liées par les mentions dudit certificat et à soumettre ces travailleurs à son propre régime de sécurité sociale (voir, en ce sens, arrêts du 10 février 2000, FTS, C-202/97, EU:C:2000:75, point 52 ; du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, EU:C:2006:69, point 23, et du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 38).

87

Par conséquent, le certificat A 1, dans la mesure où il crée une présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs détachés au régime de sécurité sociale de l’État membre où est établie l’entreprise qui a détaché ces travailleurs, s’impose, en principe, à l’institution compétente de l’État membre dans lequel sont détachés ces travailleurs (voir, en ce sens, arrêts du 10 février 2000, FTS, C-202/97, EU:C:2000:75, point 53 ; du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, EU:C:2006:69, point 24, et du 27 avril 2017, A–Rosa Flussschiff, C-620/15, EU:C:2017:309, point 41).

88

La solution inverse serait de nature à porter atteinte au principe de l’affiliation des travailleurs salariés à un seul régime de sécurité sociale, ainsi qu’à la prévisibilité du régime applicable et, partant, à la sécurité juridique. En effet, dans des cas où le régime applicable serait difficile à déterminer, chacune des institutions compétentes des deux États membres concernés serait portée à considérer, au détriment des travailleurs concernés, que son propre régime de sécurité sociale leur est applicable (arrêts du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, EU:C:2006:69, point 25, et du 27 avril 2017, A–Rosa Flussschiff, C-620/15, EU:C:2017:309, point 42).

89

Toutefois, le principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE impose à l’institution compétente de l’État membre qui a délivré le certificat A 1 de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l’application des règles relatives à la détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale et, partant, de garantir l’exactitude des mentions figurant dans ce certificat (arrêts du 27 avril 2017, A–Rosa Flussschiff, C-620/15, EU:C:2017:309, point 39, et du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 37).

90

De surcroît, il incombe à ladite institution de reconsidérer le bien-fondé de cette délivrance et, le cas échéant, de retirer ce certificat A 1 lorsque l’institution compétente de l’État membre dans lequel sont détachés les travailleurs émet des doutes quant à l’exactitude des faits qui sont à la base dudit document et, partant, des mentions qui y figurent, notamment parce que celles-ci ne correspondent pas aux exigences de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 43 et jurisprudence citée).

91

Dans l’hypothèse où les institutions concernées ne parviendraient pas à se mettre d’accord, notamment sur l’appréciation des faits propres à une situation spécifique, il leur est loisible d’en appeler à la commission administrative (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 44 et jurisprudence citée).

92

Si cette dernière ne parvient pas à concilier les points de vue des institutions compétentes au sujet de la législation applicable en l’espèce, il est à tout le moins loisible à l’État membre dans lequel sont détachés les travailleurs concernés, et ce sans préjudice des éventuelles voies de recours de nature juridictionnelle existant dans l’État membre dont relève l’institution émettrice, d’engager une procédure en manquement, conformément à l’article 259 TFUE, aux fins de permettre à la Cour d’examiner, à l’occasion d’un tel recours, la question de la législation applicable auxdits travailleurs et, partant, l’exactitude des mentions figurant dans le certificat A 1 (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 45).

93

Ainsi, en cas d’erreur, même manifeste, d’appréciation des conditions d’application du règlement no 883/2004, et quand bien même il serait avéré que les conditions de l’activité des travailleurs concernés n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matériel de la disposition sur la base de laquelle le certificat A 1 a été délivré, la procédure à suivre pour résoudre les éventuels différends entre les institutions des États membres concernés portant sur la validité ou l’exactitude d’un certificat A 1 doit être respectée (arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 46 et jurisprudence citée).

94

S’il était admis que l’État membre dans lequel le travailleur est détaché puisse adopter une législation autorisant ses propres institutions à faire déclarer invalide unilatéralement un certificat A 1 en saisissant une juridiction de ce même État membre, le système fondé sur la coopération loyale entre les institutions compétentes des États membres risquerait d’être compromis. Dès lors, aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat A 1 s’impose, en principe, dans l’ordre juridique interne de l’État membre dans lequel sont détachés les travailleurs concernés et, partant, lie ses institutions (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, EU:C:2006:69, points 30 et 31).

95

Par voie de conséquence, une législation, telle que les articles 23 et 24 de la loi-programme, qui autorise les autorités compétentes du Royaume de Belgique à soumettre unilatéralement un travailleur à la législation belge en matière de sécurité sociale s’oppose au principe de l’affiliation des travailleurs salariés à un seul régime de sécurité sociale, établi à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, ainsi qu’au principe de sécurité juridique qui exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir en ce sens, notamment, arrêt du 12 décembre 2013, Test Claimants in the Franked Investment Income Group Litigation, C-362/12, EU:C:2013:834, point 44 et jurisprudence citée).

96

En outre, une législation, telle que celle en cause, n’est pas non plus compatible avec les dispositions des règlements nos 883/2004 et 987/2009 régissant la procédure à suivre en cas de difficultés d’interprétation ou d’application de ces derniers, notamment lorsque l’État membre dans lequel un travailleur est détaché estime que les conditions d’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 ne sont pas remplies.

97

Cette constatation ne saurait être remise en cause par l’argument invoqué par le Royaume de Belgique selon lequel les autorités nationales de cet État membre sont, en présence d’une fraude établie, autorisées à refuser l’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.

98

En premier lieu, il convient de constater qu’aucune disposition de ce règlement ou du règlement no 987/2009 ne contient une autorisation pour les États membres de prévoir unilatéralement, par la voie législative, la non-applicabilité de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 en cas de fraude ou d’abus, de telle sorte que le principe de coopération loyale que concrétisent l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 et l’article 5 du règlement no 987/2009 trouve à s’appliquer même dans de telles hypothèses.

99

Certes, conformément à la jurisprudence de la Cour, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes de l’Union, le principe d’interdiction de la fraude et de l’abus de droit constituant un principe général du droit de l’Union dont le respect s’impose aux justiciables. En effet, l’application de la réglementation de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les opérations qui sont réalisées dans le but de bénéficier frauduleusement ou abusivement des avantages prévus par le droit de l’Union (arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, points 48 et 49 et jurisprudence citée).

100

Dans ce contexte, la Cour a constaté que, lorsque dans le cadre du dialogue prévu à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, l’institution de l’État membre dans lequel des travailleurs ont été détachés saisit l’institution émettrice des certificats A 1 d’éléments concrets qui donnent à penser que ces certificats ont été obtenus frauduleusement, il appartient à la seconde institution, en vertu du principe de coopération loyale, de réexaminer, à la lumière de ces éléments, le bien-fondé de la délivrance desdits certificats et, le cas échéant, de retirer ceux-ci (arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 54).

101

Si cette dernière institution s’abstient de procéder à un tel réexamen dans un délai raisonnable, lesdits éléments doivent pouvoir être invoqués dans le cadre d’une procédure judiciaire, aux fins d’obtenir du juge de l’État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés qu’il écarte les certificats en cause (arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 55).

102

Dans un tel cas, le juge national peut écarter les certificats A 1 concernés et il lui appartient de déterminer si les personnes soupçonnées d’avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de certificats obtenus de manière frauduleuse sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée sur la base du droit national applicable (arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 60).

103

Toutefois, les personnes auxquelles il est reproché, dans le cadre d’une telle procédure, d’avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de certificats obtenus de manière frauduleuse doivent disposer de la possibilité de réfuter les éléments sur lesquels se fonde cette procédure, dans le respect des garanties liées au droit à un procès équitable, avant que le juge national décide, le cas échéant, d’écarter ces certificats et se prononce sur la responsabilité desdites personnes en vertu du droit national applicable (arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 56).

104

Or, il convient de constater que, en l’occurrence, la réglementation nationale litigieuse ne satisfait pas aux conditions décrites aux points 100 et 101 du présent arrêt.

105

En effet, d’une part, cette réglementation ne prévoit aucune obligation d’entamer la procédure de dialogue et de conciliation prévue par les règlements nos 883/2004 et 987/2009. D’autre part, ladite réglementation ne se limite pas à conférer au seul juge national le pouvoir de constater l’existence d’une fraude et d’écarter, pour ce motif, un certificat A 1, mais prévoit que, en dehors de toute procédure judiciaire, les institutions de sécurité sociale belges ainsi que les inspecteurs sociaux belges décident de soumettre les travailleurs détachés à la législation belge en matière de sécurité sociale.

106

En deuxième lieu, il résulte d’une jurisprudence constante qu’un État membre ne saurait justifier l’inexécution des obligations qui lui incombent en vertu du traité par la circonstance que d’autres États membres manqueraient également à leurs obligations. En effet, dans l’ordre juridique de l’Union établi par le traité FUE, la mise en œuvre du droit de l’Union par les États membres ne peut être soumise à une condition de réciprocité. Les articles 258 et 259 TFUE prévoient les voies de recours appropriées pour faire face aux manquements des États membres aux obligations qui découlent du traité FUE (arrêt du 19 novembre 2009, Commission/Finlande, C-118/07, EU:C:2009:715, point 48 et jurisprudence citée).

107

En troisième lieu, en ce qui concerne l’argument selon lequel le cadre légal du retrait des certificats A 1 est très rudimentaire et fragmentaire de telle sorte que les États membres se heurtent à des difficultés alors qu’ils doivent prendre des mesures immédiates afin de sanctionner la fraude, il convient de constater que, s’il n’est pas exclu que la procédure de coopération et de conciliation ne fonctionne pas toujours de façon satisfaisante et sans heurts dans la pratique, les États membres ne sauraient cependant tirer des difficultés éventuelles rencontrées pour réunir les informations requises ou des carences susceptibles de se produire dans la coopération entre leurs administrations compétentes, une justification au non-respect de leurs obligations résultant du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2013, Commission/Belgique, C-383/10, EU:C:2013:364, point 53 et jurisprudence citée).

108

En quatrième lieu, en ce qui concerne l’argument invoqué par le Royaume de Belgique selon lequel, même dans le cas où la personne concernée serait déjà assujettie à la sécurité sociale de l’État membre de l’institution émettrice, l’assujettissement à la sécurité sociale belge ne mènerait pas à un double assujettissement dans la mesure où, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous a), du règlement no 987/2009, la personne concernée serait soumise provisoirement à la législation de l’État membre dans lequel elle exerce effectivement une activité salariée ou non salariée, il convient de constater qu’une telle interprétation rendrait l’article 5, paragraphes 2 à 4, de ce règlement sans objet. En effet, en présence d’un document établi conformément à l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement, la procédure prévue à l’article 5, paragraphes 2 à 4, du même règlement doit être appliquée en cas de désaccord quant à ce document entre les autorités compétentes de différents États membres, l’application de l’article 6 du règlement no 987/2009 étant exclue dans une telle hypothèse.

109

Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir les griefs de la Commission tirés du manquement du Royaume de Belgique aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 11, paragraphe 1, de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 ainsi que de l’article 5 du règlement no 987/2009.

110

S’agissant du grief tiré d’une violation de la décision A 1, il convient de constater qu’il résulte d’une jurisprudence constante qu’une telle décision, tout en étant susceptible de fournir une aide aux institutions de sécurité sociale chargées d’appliquer le droit de l’Union dans ce domaine, n’est pas de nature à obliger ces institutions à suivre certaines méthodes ou à adopter certaines interprétations lorsqu’elles procèdent à l’application des règles de l’Union (arrêts du 8 juillet 1992, Knoch, C-102/91, EU:C:1992:303, point 52, ainsi que du 1er octobre 1992, Grisvard et Kreitz, C-201/91, EU:C:1992:368, point 25).

111

Partant, la décision A 1 étant dépourvue de caractère normatif, il ne saurait être reproché au Royaume de Belgique d’avoir violé, par l’adoption des articles 23 et 24 de la loi-programme, cette décision.

112

Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter comme non fondé le grief tiré d’une violation de la décision A 1.

113

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en adoptant les articles 23 et 24 de la loi-programme, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 11, paragraphe 1, de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 ainsi que de l’article 5 du règlement no 987/2009.

Sur les dépens

114

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Belgique et le manquement ayant, pour l’essentiel, été constaté, il y a lieu de condamner ce dernier aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

 

1)

En adoptant les articles 23 et 24 de la loi-programme du 27 décembre 2012, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 11, paragraphe 1, de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 76, paragraphe 6, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, ainsi que de l’article 5 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004.

 

2)

Le recours est rejeté pour le surplus.

 

3)

Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.

 

Da Cruz Vilaça

Levits

Borg Barthet

Berger

Biltgen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 2018.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la Vème chambre

J. L. da Cruz Vilaça


( *1 ) Langue de procédure : le français.