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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

14 septembre 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité directe – Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Libre circulation des capitaux – Trust – Trustees – Autres personnes morales – Notion – Impôt sur les plus-values afférentes aux biens détenus en trust en raison du transfert de lieu de résidence fiscale des trustees vers un autre État membre – Détermination du montant de l’imposition au moment de ce transfert – Recouvrement immédiat de l’imposition – Justification – Proportionnalité »

Dans l’affaire C-646/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance, chambre de la fiscalité, Royaume-Uni), par décision du 30 novembre 2015, parvenue à la Cour le 3 décembre 2015, dans la procédure

Trustees of the P Panayi Accumulation & Maintenance Settlements

contre

Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. E. Regan, J.-C. Bonichot, C.G. Fernlund (rapporteur) et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 octobre 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour Trustees of the P Panayi Accumulation & Maintenance Settlements, par Mme M. Lemos, barrister, et M. P. Baker, QC,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. M. Holt et D. Robertson ainsi que par Mme S. Simmons, en qualité d’agents, assistés de MM. R. Hill et J. Bremner, barristers,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement norvégien, par M. K.B. Moen ainsi que par Mmes K.E.B. Kloster et J.T. Kaasin, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,

–        pour l’Autorité de surveillance AELE, par MM. C. Zatschler et Ø. Bø ainsi que par Mme A. Steinarsdóttir, en qualité d’agents,


ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 décembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49, 54, 56 et 63 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les Trustees of the P Panayi Accumulation & Maintenance Settlements (ci-après les « trustees Panayi ») aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de l’imposition des plus-values latentes afférentes aux biens détenus en trust à l’occasion du transfert du lieu de résidence de ses trustees dans un État membre autre que l’État membre d’origine.

 Le cadre juridique du Royaume-Uni

 Les trusts

3        Il ressort du dossier soumis à la Cour que, dans les pays de common law, le terme trust vise en principe une opération triangulaire, par laquelle le fondateur du trust transmet des biens à une personne, le trustee, pour qu’il les gère selon l’acte constitutif du trust au profit d’une tierce personne, le bénéficiaire. Les trusts constitués au profit de personnes spécifiques sont parfois appelés settlements.

4        Le trust se caractérise par le fait que la propriété des biens qui le constituent se partage entre la propriété juridique et la propriété économique, qui reviennent, respectivement, au trustee et au bénéficiaire.

5        Bien qu’un trust soit reconnu par la loi et produise des effets juridiques, il est dépourvu de personnalité juridique propre et doit agir par l’intermédiaire de son trustee. Ainsi, les biens qui constituent le trust ne rentrent pas dans le patrimoine du trustee. Ce dernier doit gérer ces biens en tant que patrimoine séparé, distinct de son propre patrimoine. L’obligation essentielle du trustee est de respecter les conditions et les charges stipulées dans l’acte constitutif du trust et le droit de manière générale.

 L’imposition des plus-values

6        Le Taxation of Chargeable Gains Act 1992 (loi de 1992 sur l’imposition des plus-values), dans sa version applicable à la date des faits au principal (ci-après le « TCGA »), prévoit, à son article 2, paragraphe 1, qu’une personne est redevable de l’impôt sur les plus-values à l’égard des plus-values qu’elle réalise lors d’un exercice fiscal au cours duquel elle réside en partie ou habituellement au Royaume-Uni.

7        Selon l’article 69 du TCGA, les trustees sont traités « comme un ensemble de personnes unique et continu », distinct des personnes qui peuvent être les trustees au fil du temps. Cet article prévoit, en outre, que « ce groupe est traité comme résidant ou résidant habituellement au Royaume-Uni, sauf si la gestion générale des trusts est habituellement effectuée à l’extérieur du Royaume-Uni et que les trustees ou la majorité d’entre eux ne résident pas ou ne résident pas habituellement dans ce pays ».

8        L’article 80, paragraphes 1 à 4, du TCGA dispose :

« Les trustees cessant de résider au Royaume-Uni

1)      Le présent article s’applique lorsque les trustees du trust cessent à un moment quelconque (“la date pertinente”) de résider ou de résider habituellement au Royaume-Uni.

2)      Les trustees sont réputés, aux fins de la présente loi,

a)      avoir disposé des actifs définis immédiatement avant la date pertinente et

b)      les avoir immédiatement acquis à nouveau,

au prix du marché à cette date.

3)      Sous réserve des dispositions des paragraphes 4 et 5 ci-dessous, les actifs définis sont tous les actifs constituant le bien du trust immédiatement avant la date pertinente [...]

4)      Si, immédiatement après la date pertinente,

a)      les trustees exercent une activité commerciale au Royaume-Uni par l’intermédiaire d’une succursale ou d’une agence et que

b)      des actifs sont situés au Royaume-Uni et sont soit utilisés dans ou pour l’activité commerciale, soit utilisés ou détenus pour la succursale ou l’agence, les actifs relevant du point b) ci-dessus ne sont pas des actifs définis. »

9        Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, conformément à l’article 87 du TCGA, les plus-values réalisées par les trustees qui ne résident pas ou qui ne résident pas habituellement au Royaume-Uni sont attribuées aux bénéficiaires dans la mesure où les trustees effectuent des versements en capital aux bénéficiaires. Cet article prévoit que les plus-values réalisées par les trustees non-résidents sont comptabilisées comme si ces trustees étaient résidents au Royaume-Uni. Cet ensemble de plus-values réalisées est alors attribué aux bénéficiaires qui perçoivent des versements en capital de la part des trustees. Les versements en capital sont définis de manière large, afin d’inclure la plupart des prestations perçues du trust. Si un bénéficiaire est résident et domicilié au Royaume-Uni, il est susceptible de payer un impôt sur les plus-values portant sur les plus-values qualifiées de versements en capital qui lui sont attribuées.

10      En outre, l’article 91 du TCGA prévoit une augmentation du montant de l’impôt s’il existe un décalage entre la réalisation des plus-values par les trustees et la réception des versements en capital par le bénéficiaire.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Les quatre trusts qui font l’objet de la procédure au principal ont été créés au cours de l’année 1992 par M. Panico Panayi (ci-après les « trusts Panayi »), un ressortissant chypriote, au profit de ses enfants et d’autres membres de sa famille. Il a transféré à ces trusts 40 % des actions de Cambos Entreprises Limited, la société mère des entreprises qu’il avait fondées.

12      Il ressort des actes constitutifs desdits trusts que ni M. Panayi ni Mme Panayi du vivant de celui-ci n’ont la qualité de bénéficiaires. Néanmoins, M. Panayi conserve le pouvoir, en tant que curateur, de désigner de nouveaux trustees ou des trusteessupplémentaires. En revanche, les bénéficiaires de ces mêmes trusts ne disposent pas d’un tel droit. 

13      Au moment de la création des trusts Panayi, M. Panayi, son épouse et leurs enfants résidaient au Royaume-Uni. Les trustees initiaux des trusts Panayi étaient M. Panayi et KSL Trustees Limited, une « trust company » établie au Royaume-Uni. En 2003, Mme Panayi a été ajoutée en tant que trustee supplémentaire.

14      Au début de l’année 2004, M. et Mme Panayi ont décidé de quitter le Royaume-Uni pour retourner à Chypre à titre permanent. Avant leur déménagement, ils ont, tous les deux, le 19 août 2004, démissionné de leurs fonctions de trustee. Pour les remplacer, M. Panayi a désigné le même jour trois nouveaux trustees, résidant tous à Chypre. En revanche, KSL Trustees Limited, société résidente au Royaume-Uni, a conservé sa fonction de trustee jusqu’au 14 décembre 2005. Ainsi, le 19 août 2004, la majorité des trustees des trusts Panayi ont cessé de résider au Royaume-Uni.

15      Le 19 décembre 2005, les trustees Panayi ont vendu les actions détenues en trusts Panayi et ont réinvesti le produit de cette vente. Le 31 janvier 2006, lesdits trustees ont effectué leurs déclarations d’impôt, comprenant leurs autoévaluations, à l’égard de chacun des trusts Panayi, au titre de l’exercice fiscal 2004/2005. Une lettre d’accompagnement fournissait à l’administration fiscale des précisions sur le changement de trustees Panayi et l’acte ultérieur de cession d’actions par ces trustees.

16      Ces déclarations ne comprenant pas les autoévaluations pertinentes relatives à une dette au titre de l’article 80 du TCGA, cette administration a ouvert une enquête. Au mois de septembre 2010, ladite administration a adopté à l’égard des trustees une décision réévaluant l’impôt, au motif qu’il existait un impôt dû au titre de cette disposition. Ainsi, cette même administration a considéré que le fait générateur de cet impôt était la nomination, le 19 août 2004, des nouveaux trustees, dès lors que la majorité des trustees Panayi n’étaient plus résidents à cette date au Royaume-Uni et que, partant, l’administration des trusts Panayi était considérée comme s’étant déplacée à Chypre au cours de l’exercice fiscal 2004/2005. L’échéance dudit impôt était donc fixée au 31 janvier 2006.

17      Les trustees Panayi ont formé un recours devant le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance, chambre de la fiscalité, Royaume-Uni), en contestant la compatibilité de l’imposition à la sortie et son recouvrement immédiat prévus à l’article 80 du TCGA avec les libertés fondamentales de circulation du droit de l’Union.

18      L’administration fiscale estime, quant à elle, que, en raison de la nature juridique du trust au regard du droit de l’Angleterre et du pays de Galles, aucune des libertés de circulation n’est applicable en l’espèce. Dans l’hypothèse où l’une de ces libertés serait considérée comme applicable, cette administration admet que le recouvrement immédiat de l’imposition à la sortie constituerait a priori une restriction, mais elle serait toutefois justifiée et proportionnée.

19      La juridiction de renvoi expose que, si les trustees avaient conservé leur qualité de résident au Royaume-Uni, la vente qu’ils ont réalisée le 19 décembre 2005 des actions détenues en trust aurait constitué le fait générateur de l’impôt sur les plus-values afférentes à celles-ci. Cet impôt serait devenu exigible le 31 janvier 2007.

20      Cette juridiction indique que la Cour, dans les affaires relatives aux prélèvements de sortie, n’a pas eu à examiner la question de savoir si un trust, son fondateur, ses trustees ou ses bénéficiaires pouvaient se prévaloir de l’une ou de l’autre liberté fondamentale de circulation. Dans l’hypothèse où l’une de ces libertés serait applicable, cette juridiction se demande si une entrave peut être justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général liée à la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et, le cas échéant, si cette entrave est proportionnée.

21      C’est dans ces conditions que le First-tier Tribunal (Tax Chamber) (tribunal de première instance, chambre de la fiscalité) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Est-il compatible avec la liberté d’établissement, la libre circulation des capitaux et la libre prestation des services qu’un État membre adopte et maintienne une législation telle que celle prévue à l’article 80 du TCGA, qui prévoit qu’un impôt frappe les plus-values latentes sur les actifs qui se trouvent dans un patrimoine du trust si à un moment quelconque les trustees de ce trust ne résident plus ou ne résident plus habituellement dans cet État membre ?

2)      S’il peut être présumé qu’un tel impôt restreint l’exercice de la liberté en cause, cet impôt peut-il être justifié au titre de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition et être proportionné, lorsque la législation ne donne pas aux trustees l’option de reporter le paiement de l’impôt ou de le payer de manière échelonnée, ni ne prend en compte des pertes ultérieures de la valeur des actifs du trust ?

Les questions suivantes sont en particulier posées :

3)      Est-ce que l’une des libertés fondamentales est en cause lorsqu’un État membre prévoit un impôt sur les plus-values latentes portant sur l’augmentation de valeur des actifs détenus en trusts à la date à laquelle les trustees cessent, dans leur majorité, d’être résidents ou résidents habituels dans cet État membre ?

4)      Une restriction à cette liberté causée par ce prélèvement de sortie est-elle justifiée afin de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition, dans des circonstances dans lesquelles il était possible que l’impôt sur les plus-values puisse encore frapper les plus-values réalisées, mais seulement si des circonstances particulières apparaissaient dans le futur ?

5)      La proportionnalité doit-elle être déterminée au regard des faits de l’espèce ? En particulier, la restriction causée par un tel impôt est-elle proportionnée :

a)      dans des circonstances dans lesquelles la législation ne prévoit pas d’option de reporter le paiement de l’impôt ou de le payer de manière échelonnée, ni qu’une perte ultérieure de la valeur des actifs des trusts après la sortie soit prise en compte,

b)      mais que, dans les circonstances particulières de l’évaluation de l’impôt qui fait l’objet du recours, les actifs ont été vendus avant que l’impôt ne soit exigible et n’ont pas perdu de valeur entre la relocalisation du trust et la date de la vente ? »

 Sur les questions préjudicielles

22      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement s’opposent, dans des circonstances, telles que celles en cause au principal, où les trustees, selon le droit national, sont traités comme un ensemble de personnes unique et continu, distinct des personnes qui peuvent être les trustees au fil du temps, à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’imposition des plus-values latentes afférentes aux biens détenus en trust lorsque la majorité des trustees transfèrent leur résidence dans un autre État membre, sans permettre le recouvrement différé de l’impôt ainsi dû. 

23      Afin de répondre aux questions posées, il y a lieu, tout d’abord, de déterminer si les trusts, tels que ceux en cause au principal, relèvent de la liberté d’établissement et, le cas échéant, si cette liberté est applicable à une situation telle que celle en cause au principal.

 Sur l’application aux trusts de la liberté d’établissement

24      L’article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre. Conformément à l’article 54, premier alinéa, TFUE, les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union sont assimilées, pour l’application des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement, aux personnes physiques ressortissantes des États membres.

25      En vertu de l’article 54, second alinéa, TFUE, par société, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l’exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif.

26      À cet égard, il y a lieu de constater que la liberté d’établissement, qui constitue l’une des dispositions fondamentales du droit de l’Union (arrêt du 24 mai 2011, Commission/Belgique, C-47/08, EU:C:2011:334, point 77 et jurisprudence citée) contribuant à l’objectif de réalisation du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2005, SEVIC Systems, C-411/03, EU:C:2005:762, point 19), a une très large portée.

27      Il découle ainsi de la jurisprudence de la Cour, premièrement, que les dérogations à cette liberté sont d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 1974, Reyners, 2/74, EU:C:1974:68, points 43 à 55 ainsi que du 1er février 2017, Commission/Hongrie, C-392/15, EU:C:2017:73, point 106 et jurisprudence citée), deuxièmement, que, si les dispositions du traité relatives à ladite liberté visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre de l’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation (arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, 81/87, EU:C:1988:456, point 16, ainsi que du 21 mai 2015, Verder LabTec, C-657/13, EU:C:2015:331, point 33 et jurisprudence citée) et, troisièmement, que la notion d’établissement au sens du traité a une très large portée, impliquant la possibilité pour un ressortissant de l’Union de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d’un État membre autre que son État d’origine, et d’en tirer profit, favorisant ainsi l’interpénétration économique et sociale à l’intérieur de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, EU:C:1995:411, point 25).

28      En l’espèce, il est constant, d’une part, que les trusts en cause au principal sont constitués selon le droit du Royaume-Uni et, d’autre part, qu’ils ne sont pas, au regard de ce droit, considérés comme des sociétés de droit civil ou commercial, y compris des sociétés coopératives. Il y a lieu, dès lors, de déterminer si ces trusts peuvent relever de la notion d’« autres personnes morales » relevant du droit public ou privé poursuivant un but lucratif, au sens de l’article 54, second alinéa, TFUE.

29      À cet égard, comme Mme l’avocat général l’a indiqué, en substance, aux points 33 et 34 de ses conclusions, cette notion d’« autres personnes morales » comprend une entité qui, en vertu du droit national, dispose des droits et des obligations lui permettant d’agir en tant que telle dans l’ordre juridique concerné, nonobstant l’absence d’une forme juridique particulière, et qui poursuit un but lucratif.

30      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour, en premier lieu, que, en vertu du droit national concerné, les biens mis en trust forment un patrimoine séparé, distinct du patrimoine personnel des trustees, et que ces derniers ont le droit et l’obligation de gérer ces biens et d’en disposer conformément aux conditions stipulées dans l’acte constitutif du trust et au droit national.

31      En second lieu, ainsi qu’il a été mentionné aux points 7 et 8 du présent arrêt, d’une part, selon l’article 69 du TCGA, les trustees sont appréhendés en droit national comme un ensemble de personnes unique et continu, distinct des personnes qui peuvent être les trustees au fil du temps. Cet article prévoit également que cet ensemble est considéré comme résidant ou résidant habituellement au Royaume-Uni, sauf si la gestion générale des trusts est habituellement effectuée à l’extérieur du Royaume-Uni et que les trustees ou la majorité d’entre eux ne résident pas ou ne résident pas habituellement dans ce pays. D’autre part, aux termes de l’article 80 du TCGA, lorsque des trustees d’un trust cessent à un moment quelconque de résider ou de résider habituellement au Royaume-Uni, ils sont réputés avoir disposé immédiatement avant cette date des actifs constituant le bien du trust et les avoir immédiatement acquis à nouveau au prix du marché.

32      Ainsi, il apparaît que la législation en cause au principal, aux fins de ses dispositions, considère les trustees dans leur ensemble, en tant qu’entité et non pris individuellement, redevables de l’impôt dû sur les plus-values latentes afférentes aux biens du trust lorsque ce dernier est réputé avoir transféré son siège d’administration dans un État membre autre que le Royaume-Uni. Un tel transfert intervient lorsqu’une majorité des trustees cessent de résider au Royaume-Uni. L’activité des trustees en relation avec la propriété et la gestion des biens du trust est donc intrinsèquement liée au trust lui-même et, partant, constitue un tout indivisible avec ce dernier. Dans ces conditions, un tel trust devrait être considéré comme étant une entité qui, en vertu du droit national, dispose de droits et d’obligations lui permettant d’agir en tant que telle dans l’ordre juridique concerné.

33      S’agissant de la question de savoir si les trusts en cause au principal poursuivent un but lucratif, il suffit de constater qu’il ressort du dossier soumis à la Cour que ces trusts sont dépourvus de but caritatif ou social et qu’ils ont été constitués afin que les bénéficiaires jouissent des profits générés par les biens desdits trusts.

34      Il s’ensuit qu’une entité telle qu’un trust qui, en vertu du droit national, dispose de droits et d’obligations lui permettant d’agir en tant que telle et qui exerce une activité économique effective peut se prévaloir de la liberté d’établissement.

35      Se pose alors la question de savoir si cette liberté est applicable dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle le transfert de lieu de résidence des trustees dans un État membre autre que le Royaume-Uni constitue le fait générateur de l’imposition des plus-values afférentes aux biens détenus en trust.

 Sur l’applicabilité de la liberté d’établissement

36      La Cour a déjà considéré qu’une société constituée selon le droit d’un État membre, qui transfère son siège de direction effective dans un autre État membre, sans que ce transfert de siège affecte sa qualité de société du premier État membre, peut se prévaloir de la liberté d’établissement aux fins de mettre en cause la légalité d’une imposition mise à sa charge, par le premier État membre, à l’occasion dudit transfert de siège (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 33).

37      Dans l’affaire au principal, il convient de constater, en premier lieu, que, dès lors que les trustees ont le droit et l’obligation de gérer les biens détenus en trust et que le fait générateur de l’imposition des plus-values afférentes aux biens d’un trust est le transfert de lieu de résidence de ces trustees hors du Royaume-Uni, ce transfert de lieu de résidence emporte également, au regard du droit national, transfert du siège d’administration de ce trust. 

38      En second lieu, il ressort du dossier soumis à la Cour que le transfert du siège d’administration en cause au principal n’apparaît pas avoir affecté, au regard du droit national concerné, la qualité de trust des trusts en cause au principal.

39      Dans ces conditions, la jurisprudence de la Cour relative à l’imposition des plus-values afférentes aux biens d’une société à l’occasion du transfert de siège de direction effective de celle-ci dans un autre État membre vaut également dans le cas où un État membre impose les plus-values afférentes aux biens détenus en trust en raison du transfert du siège d’administration du trust dans un autre État membre. Il s’ensuit que la liberté d’établissement est applicable à une situation telle que celle en cause au principal.

40      Dès lors, il y a lieu de déterminer si une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, dans le cas du transfert du siège d’administration d’un trust dans un autre État membre, prévoit d’une part, l’imposition des plus-values afférentes aux biens détenus en trust à l’occasion de ce transfert et, d’autre part, le recouvrement immédiat de l’impôt dû relatif à celles-ci, constitue une entrave à cette liberté.

 Sur l’existence d’une entrave à la liberté d’établissement

41      Il est de jurisprudence constante que l’article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement. Cette liberté comprend, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C-657/13, EU:C:2015:331, point 32 et jurisprudence citée).

42      Ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 27 du présent arrêt, même si, selon leur libellé, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre de l’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation.

43      Doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C-657/13, EU:C:2015:331, point 34 et jurisprudence citée).

44      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que c’est uniquement dans le cas du transfert du siège d’administration d’un trust dans un État membre autre que le Royaume-Uni que la législation en cause au principal prévoit, d’une part, l’imposition des plus-values latentes afférentes aux biens détenus en trust à l’occasion de ce transfert et, d’autre part, le recouvrement immédiat de l’impôt dû relatif à celles-ci. En revanche, tel ne serait pas le cas lors d’un transfert similaire à l’intérieur du territoire national.

45      Il s’ensuit que, ainsi que le reconnaît le gouvernement du Royaume-Uni, les plus-values latentes en cause au principal n’auraient pas été imposées par le Royaume-Uni si les trustees nouvellement désignés avaient été résidents dans cet État membre.

46      Par conséquent, il y a lieu de constater que la législation en cause au principal comporte une différence de traitement entre un trust qui maintient son siège d’administration au Royaume-Uni et un trust dont le siège d’administration est transféré dans un autre État membre en raison du fait que le lieu de résidence de ses nouveaux trustees se trouve dans cet autre État membre.

47      Cette différence de traitement est de nature, d’une part, à décourager les trustees, gestionnaires du trust, de transférer le siège d’administration de celui-ci dans un autre État membre et, d’autre part, à dissuader le fondateur du trust, pour autant que l’acte constitutif de celui-ci le permet, de désigner de nouveaux trustees non-résidents. Elle constitue, dès lors, une entrave à la liberté d’établissement.

48      Cette entrave ne saurait être admise que si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union. Encore faut-il, dans cette dernière hypothèse, que l’entrave soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland, C-388/14, EU:C:2015:829, points 26 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

49      S’agissant, tout d’abord, du caractère comparable des situations concernées, il suffit de constater que, à l’égard de la législation d’un État membre visant à imposer les plus-values générées sur son territoire, la situation d’un trust qui transfère son siège d’administration vers un autre État membre est, pour ce qui concerne l’imposition des plus-values afférentes aux biens du trust qui ont été générées dans le premier État membre antérieurement à ce transfert, analogue à celle d’un trust qui maintient son siège d’administration dans ce premier État membre (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 38).

50      Ensuite, selon le Royaume-Uni, une telle entrave est justifiée par la raison d’intérêt général liée à la préservation de la répartition équilibrée de la compétence fiscale entre les États membres.

51      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres est un objectif légitime reconnu par la Cour. D’autre part, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur compétence fiscale, en vue d’éliminer les doubles impositions (arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C-657/13, EU:C:2015:331, point 42 et jurisprudence citée).

52      En l’occurrence, il découle de la jurisprudence de la Cour que le transfert du siège d’administration d’un trust d’un État membre vers un autre État membre ne saurait signifier que l’État membre d’origine doive renoncer à son droit d’imposer une plus-value née dans le cadre de sa compétence fiscale avant ledit transfert. À cet égard, la Cour a considéré qu’un État membre est, conformément au principe de territorialité fiscale associé à un élément temporel, à savoir la résidence fiscale du contribuable sur le territoire national pendant la période où les plus-values latentes sont apparues, en droit d’imposer lesdites plus-values au moment de l’émigration dudit contribuable. Une telle mesure vise à prévenir des situations de nature à compromettre le droit de l’État membre d’origine d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire et peut donc être justifiée par des motifs liés à la préservation de la répartition de la compétence fiscale entre les États membres (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 46 et jurisprudence citée).

53      Toutefois, la Cour a précisé que l’objectif consistant à préserver la répartition de la compétence fiscale entre les États membres ne saurait justifier une mesure nationale que lorsque l’État membre sur le territoire duquel des revenus ont été générés se voit effectivement empêché d’exercer sa compétence fiscale sur lesdits revenus (arrêt du 23 janvier 2014, DMC, C-164/12, EU:C:2014:20, point 56).

54      Or, dans l’affaire au principal, les trustees Panayi allèguent que, même en l’absence d’imposition immédiate des plus-values concernées à l’occasion du transfert du siège de l’administration des trusts en cause au principal, le Royaume-Uni n’aurait pas été empêché d’imposer ces plus-values afférentes aux biens détenus en trusts Panayi, car, en vertu de l’article 87 du TCGA, des plus-values réalisées par des trustees non-résidents et attribuées aux bénéficiaires résidents, sous la forme de versements en capital, pourraient être imposées dans le chef de ces bénéficiaires.

55      Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 50 de ses conclusions, une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en ce qu’elle soumet entièrement la compétence fiscale que conserve l’État membre en cause au pouvoir discrétionnaire des trustees et des bénéficiaires, ne saurait être considérée comme étant suffisante pour préserver la compétence fiscale de cet État membre sur les plus-values générées sur son territoire.

56      En conséquence, il y a lieu de constater qu’une législation d’un État membre qui prévoit, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’imposition des plus-values latentes afférentes aux biens détenus en trust à l’occasion du transfert du siège d’administration de ce trust vers un autre État membre, nonobstant le fait que ce premier État membre a la possibilité de conserver une éventuelle compétence fiscale sur ces plus-values, est propre à garantir la préservation de la répartition de la compétence fiscale entre les États membres, dès lors que ce premier État membre perd son pouvoir d’imposition sur ces plus-values à la suite de ce transfert.

57      S’agissant enfin de la proportionnalité de la mesure en cause, il découle de la jurisprudence de la Cour, d’une part, que satisfait au principe de proportionnalité le fait que l’État membre d’origine, aux fins de sauvegarder l’exercice de sa compétence fiscale, détermine le montant d’impôt relatif aux plus-values latentes nées sur son territoire au moment où sa compétence fiscale sur ces plus-values cesse d’exister, en l’occurrence au moment du transfert du siège d’administration du trust vers un autre État membre (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 52). D’autre part, une législation d’un État membre qui prévoit qu’un trust qui transfère son siège d’administration vers un autre État membre peut opter entre le recouvrement immédiat du montant de l’impôt relatif à ces plus-values ou le recouvrement différé du montant dudit impôt, assorti, le cas échéant, d’intérêts selon la législation nationale applicable, constituerait une mesure moins attentatoire à la liberté d’établissement qu’un recouvrement immédiat de l’impôt dû (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C-657/13, EU:C:2015:331, point 49 et jurisprudence citée). 

58      Par ailleurs, dans ce contexte, il importe de préciser qu’un recouvrement différé ne saurait aboutir à une obligation pour l’État membre d’origine de tenir compte des éventuelles moins-values qui se seraient produites après le transfert du siège d’administration d’un trust dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 61).

59      Or, il ressort du dossier soumis à la Cour que la législation en cause au principal prévoit uniquement le recouvrement immédiat de l’impôt en cause. Il s’ensuit qu’une telle législation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visant à préserver la répartition de la compétence fiscale entre les États membres et constitue, partant, une entrave non justifiée à la liberté d’établissement. 

60      Cette appréciation ne saurait être remise en cause par le fait que, dans les circonstances de l’affaire au principal, les plus-values ont été réalisées après l’établissement du montant de l’impôt, mais avant qu’il ne devienne exigible, étant donné que le caractère disproportionné de la législation en cause au principal résulte du fait que cette législation ne prévoit pas la possibilité pour le contribuable de différer le moment du recouvrement de l’impôt dû.

61      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement s’opposent, dans des circonstances, telles que celles en cause au principal, où les trustees, selon le droit national, sont traités comme un ensemble de personnes unique et continu, distinct des personnes qui peuvent être les trustees au fil du temps, à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’imposition des plus-values latentes afférentes aux biens détenus en trust lorsque la majorité des trustees transfèrent leur résidence dans un autre État membre, sans permettre le recouvrement différé de l’impôt ainsi dû.

 Sur les dépens

62      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

Les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement s’opposent, dans des circonstances, telles que celles en cause au principal, où les trustees, selon le droit national, sont traités comme un ensemble de personnes unique et continu, distinct des personnes qui peuvent être les trustees au fil du temps, à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’imposition des plus-values latentes afférentes aux biens détenus en trust lorsque la majorité des trustees transfèrent leur résidence dans un autre État membre, sans permettre le recouvrement différé de l’impôt ainsi dû.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.