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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

26 février 2019 ( *1 )

Table des matières

 

Le cadre juridique

 

Le modèle de convention fiscale de l’OCDE

 

La directive 90/435

 

Les conventions visant à éviter la double imposition

 

Le droit danois

 

La taxation des dividendes

 

La retenue à la source

 

Le droit applicable à la fraude et à l’abus

 

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 

1) Affaire C-116/16, T Danmark

 

2) Affaire C-117/16, Y Denmark

 

La procédure devant la Cour

 

Sur les questions préjudicielles

 

Sur les premières à troisièmes questions ainsi que sur les quatrièmes questions, sous a) à c), dans les affaires au principal

 

Sur les quatrièmes questions, sous d) et e), ainsi que sur les cinquièmes et huitièmes questions dans les affaires au principal

 

Sur les éléments constitutifs d’un abus de droit et les preuves y afférentes

 

Sur la charge de la preuve de l’abus de droit

 

Sur les sixièmes, septièmes, neuvièmes et dixièmes questions dans les affaires au principal

 

Sur les dépens

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents – Directive 90/435/CEE – Exonération des bénéfices distribués par des sociétés d’un État membre à des sociétés d’autres États membres – Bénéficiaire effectif des bénéfices distribués – Abus de droit – Société établie dans un État membre et versant à une société associée établie dans un autre État membre des dividendes, dont la totalité ou la quasi-totalité est ensuite transférée en dehors du territoire de l’Union européenne – Filiale soumise à une obligation de retenir l’impôt sur les bénéfices à la source »

Dans les affaires jointes C-116/16 et C-117/16,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), par décisions du 19 février 2016, parvenues à la Cour le 25 février 2016, dans les procédures

Skatteministeriet

contre

T Danmark (C-116/16),

Y Denmark Aps (C-117/16),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, MM. J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev, T. von Danwitz, Mme C. Toader et M. F. Biltgen, présidents de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur), M. Ilešič, L. Bay Larsen, M. Safjan, C. G. Fernlund, C. Vajda et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 octobre 2017,

considérant les observations présentées :

pour T Danmark, par Mes A. M. Ottosen et S. Andersen, advokater,

pour Y Denmark Aps, par Mes L. E. Christensen et H. S. Hansen, advokater,

pour le gouvernement danois, par MM. C. Thorning et J. Nymann-Lindegren ainsi que par Mme M. S. Wolff, en qualité d’agents, assistés de Me J. S. Horsbøl Jensen, advokat,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et R. Kanitz, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme G. De Socio, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement luxembourgeois, par Mme D. Holderer, en qualité d’agent, assistée de Mes P.-E. Partsch et T. Lesage, avocats,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, H. Shev, U. Persson et N. Otte Widgren, ainsi que par M. F. Bergius, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et R. Lyal ainsi que par Mme L. Grønfeldt, en qualité d’agents, assistés de Me H. Peytz, avocat,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er mars 2018,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 1990, L 225, p. 6), telle que modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 (JO 2003, L 7, p. 41) (ci-après la « directive 90/435 »), ainsi que des articles 49, 54 et 63 TFUE.

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant le Skatteministeriet (ministère des Impôts, Danemark) à T Danmark et Y Denmark Aps au sujet de l’obligation faite à ces sociétés d’acquitter un impôt retenu à la source en raison du paiement, par celles-ci, de dividendes à des sociétés non-résidentes considérées, par l’autorité fiscale, comme n’étant pas les bénéficiaires effectifs de ces dividendes et ne pouvant pas, dès lors, bénéficier de l’exonération de la retenue à la source prévue par la directive 90/435.

Le cadre juridique

Le modèle de convention fiscale de l’OCDE

3

Le Conseil de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a adopté, le 30 juillet 1963, une recommandation concernant la suppression des doubles impositions et a invité les gouvernements des pays membres à se conformer, à l’occasion de la conclusion ou de la révision de conventions bilatérales, à un « modèle de convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune », élaboré par le comité des affaires fiscales de l’OCDE et annexé à ladite recommandation (ci-après le « modèle de convention fiscale de l’OCDE »). Ce modèle de convention fiscale est réexaminé et modifié régulièrement. Il fait l’objet de commentaires approuvés par le Conseil de l’OCDE.

4

Les points 7 à 10 des commentaires sur l’article 1er du modèle de convention fiscale de l’OCDE, dans sa version issue de la modification intervenue au cours de l’année 1977 (ci-après le « modèle de convention fiscale de l’OCDE de 1977 »), aux termes duquel cette convention s’applique aux personnes qui sont des résidents d’un État contractant ou des deux États contractants, attirent l’attention sur le fait qu’il pourrait être fait un usage incorrect de cette dernière, dans un objectif d’évasion fiscale, grâce à des constructions juridiques artificielles. Le texte de ces points des commentaires souligne l’importance du concept de « bénéficiaire effectif » introduit notamment à l’article 10 (taxation des dividendes) et à l’article 11 (taxation des intérêts) de ce modèle de convention, ainsi que la nécessité de la lutte contre la fraude fiscale.

5

L’article 10, paragraphes 1 et 2, du modèle de convention fiscale de l’OCDE de 1977 est ainsi libellé :

« 1.   Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un État contractant à un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État.

2.   Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l’État contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet État, mais si la personne qui reçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l’impôt ainsi établi ne peut excéder :

a)

5 pour cent du montant brut des dividendes si le bénéficiaire effectif est une société (autre qu’une société de personnes) qui détient directement au moins 25 pour cent du capital de la société qui paie les dividendes ;

b)

15 pour cent du montant brut des dividendes, dans tous les autres cas. »

6

Lors d’une révision des commentaires intervenue au cours de l’année 2003, ceux-ci ont été complétés par des remarques concernant les « sociétés relais », c’est-à-dire des sociétés qui, bien qu’étant propriétaires du revenu dans la forme, ne disposent dans la pratique que de pouvoirs très limités, faisant d’elles de simples fiduciaires ou de simples administrateurs agissant pour le compte des parties intéressées, si bien qu’elles ne doivent pas être considérées comme étant les bénéficiaires effectifs de ce revenu. Le point 12 des commentaires sur l’article 10, dans leur version issue de la révision intervenue au cours de l’année 2003, prévoit notamment que « [l]e terme “bénéficiaire effectif” n’est pas utilisé dans une acception étroite et technique, mais doit être entendu dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la Convention, notamment pour éviter la double imposition et prévenir l’évasion et la fraude fiscales ». Quant au point 12.1 de cette même version des commentaires, il indique qu’« [il] serait [...] contraire à l’objet et au but de la convention que l’État de la source accorde une réduction ou une exonération d’impôt à un résident d’un État contractant qui agit, autrement que dans le cadre d’une relation d’agent ou autre mandataire, comme un simple relais pour le compte d’une autre personne qui bénéficie réellement du revenu en cause » et qu’« une société relais ne peut pas être considérée normalement comme le bénéficiaire effectif si, bien qu’étant le propriétaire du revenu dans la forme, elle ne dispose dans la pratique que de pouvoirs très limités qui font d’elle un simple fiduciaire ou un simple administrateur agissant pour le compte des parties intéressées ».

7

Lors d’une nouvelle révision des commentaires intervenue au cours de l’année 2014, des précisions ont été apportées concernant les notions de « bénéficiaire effectif » ainsi que de « société relais ». Le point 10.3 de cette version des commentaires indique ainsi qu’« il existe de nombreux moyens de traiter le problème des sociétés relais et, plus généralement, les risques de chalandage fiscal, notamment par des dispositions spécifiques anti-abus dans les conventions, les règles générales anti-abus, les règles faisant primer le fond sur la forme et les règles de “substance économique” ».

La directive 90/435

8

Les premier et troisième considérants de la directive 90/435 sont rédigés comme suit :

« considérant que les regroupements de sociétés d’États membres différents peuvent être nécessaires pour créer dans la Communauté des conditions analogues à celles d’un marché intérieur et pour assurer ainsi l’établissement et le bon fonctionnement du marché commun ; que ces opérations ne doivent pas être entravées par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres ; qu’il importe, par conséquent, d’instaurer pour ces regroupements des règles fiscales neutres au regard de la concurrence afin de permettre aux entreprises de s’adapter aux exigences du marché commun, d’accroître leur productivité et de renforcer leur position concurrentielle sur le plan international ;

[...]

considérant que les dispositions fiscales actuelles régissant les relations entre sociétés mères et filiales d’États membres différents varient sensiblement d’un État membre à l’autre et sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d’un même État membre ; que la coopération entre sociétés d’États membres différents est, de ce fait, pénalisée par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre ; qu’il convient d’éliminer cette pénalisation par l’instauration d’un régime commun et de faciliter ainsi les regroupements de sociétés à l’échelle communautaire ».

9

L’article 1er de la directive 90/435 dispose :

« 1.   Chaque État membre applique la présente directive :

[...]

aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État à des sociétés d’autres États membres dont elles sont les filiales,

[...]

2.   La présente directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus. »

10

L’article 2 de cette directive indique les conditions de forme de société, de résidence fiscale et d’assujettissement à l’impôt qui doivent être remplies pour bénéficier de la directive.

11

L’article 3 de la directive 90/435 énonce :

« 1.   Aux fins de l’application de la présente directive :

a)

la qualité de société mère est reconnue au moins à toute société d’un État membre qui remplit les conditions énoncées à l’article 2 et qui détient, dans le capital d’une société d’un autre État membre remplissant les mêmes conditions, une participation minimale de 20 %.

Cette qualité est également reconnue, dans les mêmes conditions, à une société d’un État membre qui détient une participation d’au moins 20 % dans le capital d’une société du même État membre, participation détenue en tout ou en partie par un établissement stable de la première société situé dans un autre État membre.

À partir du 1er janvier 2007, le pourcentage minimal de participation sera de 15 %.

À partir du 1er janvier 2009, le pourcentage minimal de participation sera de 10 %.

b)

on entend par “société filiale” une société dont le capital comprend la participation visée au point a).

2.   Par dérogation au paragraphe 1, les États membres ont la faculté :

par voie d’accord bilatéral, de remplacer le critère de participation dans le capital par celui de détention des droits de vote,

de ne pas appliquer la présente directive à celles de leurs sociétés qui ne conservent pas, pendant une période ininterrompue d’au moins deux ans, une participation donnant droit à la qualité de société mère, ni aux sociétés dans lesquelles une société d’un autre État membre ne conserve pas, pendant une période ininterrompue d’au moins deux ans, une telle participation. »

12

L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive laisse aux États membres le choix entre deux systèmes, à savoir le système de l’exonération ou celui de l’imputation.

13

L’article 5 de la même directive est rédigé comme suit :

« Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source. »

Les conventions visant à éviter la double imposition

14

L’article 10, paragraphes 1 et 2, de la convention entre le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le gouvernement du Royaume de Danemark tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Luxembourg le 17 novembre 1980 (ci-après la « convention fiscale entre le Luxembourg et le Danemark »), répartit le pouvoir d’imposition entre ces deux États membres en matière de dividendes et est ainsi rédigé :

« 1.   Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un État contractant à un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État.

2.   Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l’État contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet État, mais si la personne qui reçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l’impôt ainsi établi ne peut excéder :

a)

5 pour cent du montant brut des dividendes si le bénéficiaire effectif est une société (autre qu’une société de personnes) qui détient directement au moins 25 pour cent du capital de la société qui paie les dividendes ;

b)

15 pour cent du montant brut des dividendes, dans tous les autres cas. »

15

L’article 10, paragraphes 1 et 2, de la convention entre le gouvernement du Royaume de Danemark et le gouvernement de la République de Chypre tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et le capital, signée le 26 mai 1981, répartissait le pouvoir d’imposition en ce qui concerne les dividendes et stipulait ce qui suit :

« 1.   Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un État contractant à un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État.

2.   Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l’État contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet État, mais si la personne qui reçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l’impôt ainsi établi ne peut excéder:

a)

10 pour cent du montant brut des dividendes si le bénéficiaire effectif est une société (autre qu’une société de personnes ou une société en commandite) qui détient directement au moins 25 pour cent du capital de la société qui paie les dividendes;

b)

15 pour cent du montant brut des dividendes, dans tous les autres cas. »

16

Selon l’article 10, paragraphe 2, de la convention entre le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement du Royaume de Danemark tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu, signée à Washington le 19 août 1999, l’État contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident peut imposer les dividendes distribués à une société résidente de l’autre État qui en est le « bénéficiaire effectif » au taux de 5 % de leur montant brut.

17

Il n’existe pas de convention fiscale entre le Royaume de Danemark et les Bermudes.

18

Il ressort de ces conventions bilatérales que l’État de la source, à savoir, dans les affaires au principal, le Royaume de Danemark, peut imposer les dividendes versés à une société établie dans un autre État membre dès lors que ladite société n’en est pas le bénéficiaire effectif à un taux supérieur à celui prévu par lesdites conventions. Aucune de ces conventions ne définit toutefois la notion de « bénéficiaire effectif ».

Le droit danois

La taxation des dividendes

19

L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la selskabsskattelov (loi relative à l’impôt sur les sociétés) prévoit :

« Sont [...] assujetties à l’impôt en vertu de la présente loi les sociétés et les associations, notamment mentionnées à l’article 1er, paragraphe 1, qui ont leur résidence à l’étranger, dès lors que

[...]

c)

elles perçoivent des dividendes relevant de l’article 16 A, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à l’établissement de l’impôt d’État sur les revenus [...]. Sont exclus de l’obligation fiscale les dividendes au titre d’actions de filiales (voir article 4 A de la loi relative à l’imposition des plus-values) lorsque les dividendes versés par la filiale bénéficient d’une exonération ou d’une réduction de l’imposition en application des dispositions de la directive [90/435] ou d’une convention fiscale conclue avec les îles Féroé, le Groenland ou l’État dont cette société mère est un résident. Sont également exclus de l’obligation fiscale les dividendes au titre d’actions de sociétés apparentées (voir article 4 B de la loi relative à l’imposition des plus-values) qui ne sont pas des actions de filiales lorsque la société bénéficiaire qui est membre d’un groupe est résidente dans un État membre de l’[Union/Espace économique européen (EEE)] et que les dividendes auraient bénéficié d’une exonération ou d’une réduction de l’imposition en application des dispositions de la directive [90/435] ou de la convention fiscale conclue avec l’État en question s’il s’était agi d’actions de filiales. Sont également exclus de l’obligation fiscale les dividendes perçus par des détenteurs de participations dans des sociétés mères qui figurent sur la liste des sociétés visées à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive [90/435], mais qui sont considérés, aux fins de leur imposition au Danemark, comme des entités transparentes. L’application de cette disposition est subordonnée à la condition que le détenteur de participations dans la société ne soit pas résident au Danemark. »

La retenue à la source

20

Si, en application de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, une obligation fiscale limitée naît en raison de dividendes en provenance du Danemark, l’article 65 de la kildeskattelov (loi sur les retenues à la source) fait obligation à la société danoise distributrice de procéder à une retenue à la source au taux de 28 %.

21

L’article 65, paragraphes 1 et 5, de la loi sur les retenues à la source, dans sa rédaction pertinente pour les faits au principal, énonçait :

« 1.   Pour toute adoption ou décision de distribution ou de passation au crédit de dividendes au titre d’actions ou de parts sociales de sociétés ou d’associations etc. visées à l’article 1er, paragraphe 1, points 1, 2, 2e et 4 de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, lesdites sociétés, associations, etc. doivent procéder à une retenue de 28 % du total distribué, sauf dispositions contraires du paragraphe 4 ou résultant des paragraphes 5 à 8. [...] Le montant ainsi retenu est dénommé “impôt sur les dividendes”.

[...]

5.   Il n’est pas retenu d’impôt sur les dividendes perçus par une société résidente à l’étranger en provenance d’une société résidente au Danemark lorsque ces dividendes ne font pas naître d’obligation fiscale [voir article 2, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés]. »

22

Il ressort des dispositions de l’article 2, paragraphe 2, point 2, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés qu’il est définitivement satisfait à l’obligation fiscale résultant de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette loi par le prélèvement de la retenue à la source prévue à l’article 65 de la loi sur les retenues à la source. Par ailleurs, le taux de l’impôt sur les bénéfices s’élevait, pendant la période en cause au principal, à 28 %.

23

Les sociétés mères danoises bénéficient d’une exonération de l’impôt sur les dividendes perçus de filiales danoises, conformément à l’article 13, paragraphe 1, point 2, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés. Par ailleurs, il ressort de l’article 31, paragraphe 1, point 2, du kildeskattebekendtgørelsen (arrêté sur les retenues à la source) que, lors de la distribution de tels dividendes, la société danoise distributrice n’a pas à procéder à une retenue à la source.

24

En revanche, dans la mesure où une société danoise est imposable sur les dividendes distribués par une autre société danoise, il appartient à cette dernière de procéder à la retenue à la source en application de l’article 65, paragraphe 1, de la loi sur les retenues à la source.

25

Le ministère des Impôts a reconnu devant la juridiction nationale, notamment dans le cadre de l’affaire au principal C-116/16, que c’est en méconnaissance des dispositions du traité FUE que le Royaume de Danemark avait prélevé, au cours de l’année 2011, sur les dividendes perçus par une société d’un autre État membre, un impôt au taux plus élevé que le taux de l’impôt sur les sociétés alors applicable. Par voie de conséquence, le ministère des Impôts a réduit le montant réclamé à 25 %, soit à un taux égal à celui de l’impôt sur les sociétés alors applicable.

26

La date d’exigibilité de la retenue à la source est précisée à l’article 66, paragraphe 1, deuxième phrase, de la loi sur les retenues à la source, qui est ainsi rédigé :

« La retenue à la source est exigible à compter de l’adoption d’un dividende ou d’une décision de distribution d’un dividende ou de passation au crédit de celui-ci et doit être payée au plus tard le mois suivant, à la date d’échéance du paiement par la société des impôts perceptibles à la source [dits “A skat”] et de la contribution spéciale des travailleurs qui auront été retenus. »

27

Le payeur de dividendes est responsable, envers l’État, du paiement des montants retenus.

28

En cas de retard de paiement de l’impôt retenu à la source, le taux des intérêts moratoires est plus élevé que celui prévu en cas de retard de paiement de l’impôt sur les sociétés dû par une société danoise. Toutefois, la juridiction nationale indique que, en vertu d’une modification législative ayant pris effet le 1er août 2013, les intérêts moratoires sont fixés au même taux, tant pour les retenues à la source que pour l’impôt sur les sociétés.

29

Le paiement des intérêts moratoires incombe à la personne tenue de procéder à la retenue à la source. Pour une société soumise à une obligation fiscale illimitée au Danemark, les dividendes imposables constituent l’un de ses revenus imposables. C’est la société distributrice qui doit procéder à la retenue à la source et s’en acquitter auprès du Trésor, ainsi que des intérêts moratoires en cas de paiement tardif.

30

En application de l’article 65 C, paragraphe 1, de la loi sur les retenues à la source, le payeur de redevances ayant leur source au Danemark est en principe tenu de procéder à une retenue à la source, que le bénéficiaire soit ou non résident au Danemark.

Le droit applicable à la fraude et à l’abus

31

Jusqu’à l’adoption de la loi no 540 du 29 avril 2015, il n’existait pas, au Danemark, de disposition législative générale visant à lutter contre les abus. Toutefois, la jurisprudence a développé le principe dit « de réalité », selon lequel l’imposition doit être déterminée sur la base d’une appréciation concrète des faits. Cela signifie notamment que les montages fiscaux artificiels peuvent, selon les circonstances, être écartés afin que l’imposition tienne compte de la réalité, en vertu du principe de la prééminence du fond sur la forme (substance-over-form).

32

Il ressort des décisions de renvoi que, dans chacune des affaires au principal, les parties s’accordent sur le fait que le principe de réalité ne constitue pas une justification suffisante pour écarter les montages en cause dans lesdites affaires.

33

Ainsi qu’il ressort de ces décisions de renvoi, la jurisprudence a également développé le principe dit du « bénéficiaire légitime des revenus »(rette indkomstmodtager). Ce principe repose sur les dispositions fondamentales relatives à l’imposition des revenus, figurant à l’article 4 de la statsskatteloven (loi relative aux impôts de l’État), qui ont pour effet que les autorités fiscales ne sont pas tenues d’admettre une dissociation artificielle entre l’entreprise ou l’activité qui génère les revenus et l’affectation des revenus qui en découlent. Ce principe vise donc à déterminer la personne qui – quelles que soient les apparences formelles – est le véritable bénéficiaire d’un revenu donné et donc celle qui est redevable de l’impôt y afférent.

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

34

Dans les deux affaires au principal, le ministère des Impôts conteste les décisions par lesquelles la Landsskatteret (commission fiscale nationale, Danemark) a considéré que T Danmark (affaire C-116/16) et Y Denmark (affaire C-117/16) devaient bénéficier de l’exonération de la retenue à la source, prévue par la directive 90/435, sur des dividendes versés à des entités établies dans un autre État membre.

35

Pour bénéficier des avantages fiscaux prévus par la directive 90/435, l’entité qui perçoit les dividendes doit répondre aux conditions que cette directive énonce. Toutefois, ainsi que l’expose le gouvernement danois dans ses observations, il peut arriver que des groupes de sociétés ne satisfaisant pas à ces conditions créent, entre la société qui distribue les dividendes et l’entité qui a vocation à en disposer réellement, une ou plusieurs sociétés artificielles, répondant aux conditions formelles de ladite directive. C’est au sujet de telles constructions financières que portent les questions de la juridiction de renvoi relatives à l’abus de droit ainsi qu’à la notion de « bénéficiaire effectif ».

36

Les faits tels que décrits par la juridiction de renvoi et illustrés, dans les décisions de renvoi, par plusieurs schémas de structure des groupes de sociétés concernés sont particulièrement complexes et détaillés. Il n’en sera retenu que les éléments nécessaires aux réponses à donner aux questions préjudicielles.

1)   Affaire C-116/16, T Danmark

37

Il ressort de la décision de renvoi que cinq fonds de capital investissement, dont aucun n’est une société résidente d’un État membre ou d’un pays avec lequel le Royaume de Danemark a signé une convention fiscale visant à éviter la double imposition, ont constitué, au cours de l’année 2005, un groupe composé de plusieurs sociétés dans le but de racheter T Danmark, un important prestataire danois de services.

38

Dans ses observations, le gouvernement danois a indiqué que l’affaire C-116/16 concerne le même groupe de sociétés que celui en cause dans l’affaire C-115/16, relative à l’imposition d’intérêts et qui fait l’objet de l’arrêt de ce jour, N Luxembourg 1 e.a. (C-115/16, C-118/16, C-119/16 et 299/16).

39

Ainsi que l’expose la juridiction de renvoi, les fonds de capital investissement ont créé des sociétés au Luxembourg. L’une d’entre elles, N Luxembourg 2, a acquis, au cours de l’année 2010, une participation importante dans le capital de T Danmark, si bien qu’elle détenait, pendant la période en cause au principal, plus de 50 % des actions de T Danmark. Les autres actions de T Danmark étaient détenues par des milliers d’actionnaires.

40

À la demande des autorités danoises, l’administration fiscale luxembourgeoise a établi, au printemps 2011, un « certificat de résidence », certifiant notamment que N Luxembourg 2 était assujettie à l’impôt sur le revenu des collectivités et était le bénéficiaire effectif de tous les dividendes payés sur les parts qu’elle possédait dans T Danmark ou de tout autre revenu dérivé de celles-ci. Dans ses observations, le gouvernement danois relève que ce certificat ne précise pas sur le fondement de quelles informations factuelles il a été établi.

41

Conformément à sa politique en matière de dividendes, T Danmark a versé à ses actionnaires, au cours de l’été 2011, des dividendes pour un montant total d’environ 1,8 milliard de couronnes danoises (DKK) (environ 241,4 millions d’euros). Des dividendes ont également été versés au printemps 2012.

42

Au cours de l’année 2011, T Danmark a saisi SKAT (administration fiscale, Danemark) d’une demande de réponse contraignante aux fins de savoir si les dividendes qu’elle distribuait à N Luxembourg 2 étaient exonérés en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous c), troisième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés et, par suite, s’ils échappaient à la retenue à la source.

43

Il était indiqué, dans la demande de réponse contraignante, que le montant envisagé des dividendes qui seraient distribués à N Luxembourg 2 au troisième trimestre de 2011 était d’environ 6 milliards de DKK (environ 805 millions d’euros). Il était également souligné que N Luxembourg 2 était une entité autonome dotée de sa propre direction et de l’autonomie de décision, si bien qu’il n’était à l’évidence pas possible de savoir à l’avance et avec certitude si et de quelle façon la direction de N Luxembourg 2 déciderait en fait d’utiliser ces dividendes. Enfin, il était précisé qu’une partie importante des investisseurs ultimes étaient résidents aux États-Unis.

44

Le ministère des Impôts a répondu qu’il ne pouvait être apporté de réponse à cette demande, faute de savoir comment N Luxembourg 2 utiliserait les dividendes versés par T Danmark.

45

T Danmark a répondu qu’il pouvait être tenu pour établi, aux fins de la réponse contraignante, que les dividendes seraient versés par T Danmark à N Luxembourg 2, laquelle distribuerait elle-même des dividendes à sa propre société mère. Selon ces indications, il pouvait être supposé que celle-ci distribuerait une partie de ces montants (à titre de dividendes et/ou d’intérêts et/ou de remboursement de dettes) à des sociétés contrôlées par les différents fonds de capital investissement ou par ses créanciers. T Danmark supposait également que des montants versés par la société mère de N Luxembourg 2 à des sociétés contrôlées par les différents fonds de capital investissement seraient transférés aux investisseurs ultimes dans les fonds de capital investissement, mais T Danmark précisait ne pas savoir de quelle manière ces transferts auraient lieu, ni comment ils seraient traités d’un point de vue fiscal.

46

Le Skatterådet (Conseil national des impôts, Danemark) a répondu par la négative à la demande de réponse contraignante.

47

Saisie par T Danmark d’une réclamation contre cette décision, la commission fiscale nationale a, en revanche, considéré que les dividendes distribués par cette dernière à N Luxembourg 2 étaient exonérés d’impôt. Elle a en effet jugé qu’une obligation fiscale limitée était exclue en application de la directive 90/435, puisque le Royaume de Danemark n’avait pas adopté de dispositions législatives visant à éviter les fraudes et les abus, comme le prévoit l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, et ne pouvait pas imposer, par conséquent, les dividendes en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés. Le ministère des Impôts a formé un recours juridictionnel contre cette décision de la commission fiscale nationale.

48

Dans ce contexte, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

a)

L’invocation par un État membre de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [90/435], relatif à l’application des dispositions nationales nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus, suppose-t-elle que ledit État membre ait adopté une disposition nationale spécifique pour transposer l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive ou que le droit national comporte des dispositions générales ou des principes généraux sur la fraude et l’abus pouvant être interprétés conformément audit article 1er, paragraphe 2 ?

b)

S’il est répondu par l’affirmative à la première question, l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, selon lequel “les dividendes bénéficient d’une exonération ou d’une réduction de l’imposition en application des dispositions de la directive 90/435 [...]”, peut-il être considéré comme étant une telle disposition nationale spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435 ?

2)

Une disposition figurant dans une convention en vue d’éviter les doubles impositions conclue entre deux États membres et rédigée conformément au [modèle de convention fiscale de l’OCDE], selon laquelle l’imposition des dividendes distribués dépend du point de savoir si leur bénéficiaire est considéré comme le bénéficiaire effectif de ces dividendes, constitue-t-elle une disposition conventionnelle anti-abus au sens de l’article 1er, paragraphe 2 [de la directive 90/435] ?

3)

S’il est répondu par l’affirmative à la deuxième question, incombe-t-il alors au juge national de définir la notion de “bénéficiaire effectif” ou bien est-ce que, lors de l’application de la directive 90/435, cette notion doit être interprétée en ce sens qu’elle doit recevoir une définition en droit de l’Union soumise au contrôle de la Cour ?

4)

a)

S’il est répondu par l’affirmative à la deuxième question et qu’il est répondu à la troisième question qu’il n’incombe pas au juge national de définir la notion de “bénéficiaire effectif”, cette notion doit-elle être interprétée en ce sens qu’une société résidente d’un État membre qui, dans les circonstances du litige au principal, perçoit des dividendes d’une filiale résidente d’un autre État membre, est le “bénéficiaire effectif” de ces dividendes au sens où cette notion doit être comprise en droit de l’Union ?

b)

La notion de “bénéficiaire effectif” doit-elle alors être comprise dans le sens que cette même notion reçoit à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/49/CE du Conseil, du 3 juin 2003, concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents (JO 2003, L 157, p. 49), ainsi qu’à l’article 1er, paragraphe 4, de celle-ci ?

c)

Cette notion doit-elle être interprétée en tenant uniquement compte des commentaires sur l’article 10 du [modèle de convention fiscale de l’OCDE de 1977] (point 12) ou peut-il être tenu compte de commentaires plus récents, notamment ceux de 2003 sur les “sociétés relais” et ceux de 2014 sur les “obligations contractuelles ou légales” ?

d)

Pour l’appréciation du point de savoir si le bénéficiaire des dividendes en est le “bénéficiaire effectif”, quelle est l’incidence du fait que ledit bénéficiaire est tenu par une obligation contractuelle ou légale de reverser ces dividendes à un tiers ?

e)

Pour l’appréciation du point de savoir si le bénéficiaire des dividendes doit être considéré comme le “bénéficiaire effectif”, quelle est l’incidence du fait que la juridiction de renvoi pourrait conclure, au terme d’une appréciation des circonstances de fait de l’affaire au principal, que, “fondamentalement”, le bénéficiaire – sans être tenu par une obligation contractuelle ou légale de reverser les dividendes reçus à un tiers – ne disposait pas du droit “d’utiliser le dividende et d’en jouir” au sens des commentaires de 2014 sur le [modèle de convention fiscale de l’OCDE de 1977] ?

5)

S’il est constaté en l’espèce

qu’il existe des “dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus” (voir article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435),

que la société A, résidente d’un État membre, a versé des dividendes à sa société mère B, résidente d’un autre État membre, qui les transfère ensuite à sa société mère C, résidente en dehors de l’Union européenne ou de l’[EEE] et qui, à son tour, les transfère à sa société mère D, également résidente en dehors de l’Union ou de l’[EEE],

qu’aucune convention fiscale n’a été conclue entre le premier de ces États et l’État de résidence de la société C,

qu’une convention fiscale a été conclue entre le premier de ces États et l’État de résidence de la société D et

qu’en application de sa loi, le premier de ces États ne pourrait exiger de retenue à la source sur les dividendes versés par la société A à la société D si cette dernière détenait directement la société A,

y a-t-il alors abus au sens de ladite directive, de telle sorte que la société B ne peut bénéficier de la protection qu’elle confère ?

6)

Lorsque, concrètement, une société résidente d’un État membre (la société mère) ne peut être considérée comme pouvant bénéficier, en application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale), les dispositions combinées de l’article 49 et de l’article 54 TFUE font-elles obstacle à une législation selon laquelle le dernier de ces États membres impose la société mère résidente de l’autre État membre sur les dividendes lorsque ce même État membre considère que, dans des circonstances similaires, les sociétés mères résidentes sont exonérées d’impôt sur ces dividendes ?

7)

Lorsque, concrètement, une société résidente d’un État membre (la société mère) ne peut être considérée comme pouvant bénéficier, en application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale) et que ce dernier État membre considère que la société mère y est tenue par une obligation fiscale limitée au titre de ces dividendes, les dispositions combinées de l’article 49 et de l’article 54 TFUE font-elles obstacle à une législation selon laquelle le dernier de ces États membres impose au débiteur de l’obligation de retenue à la source (la filiale) de s’acquitter d’intérêts moratoires en cas de retard de paiement de la retenue à la source, et ce à un taux plus élevé que celui appliqué par ce même État membre en matière de recouvrement de l’impôt sur les sociétés à l’encontre d’une société résidente dudit État membre ?

8)

S’il est répondu par l’affirmative à la deuxième question et qu’il est répondu à la troisième question dans le sens qu’il n’incombe pas au juge national de définir la notion de “bénéficiaire effectif” et si, concrètement, il s’ensuit qu’une société résidente d’un État membre (la société mère) ne peut être considérée comme pouvant bénéficier, en application de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale), ce dernier État membre est-il alors tenu, en application de la directive 90/435 ou de l’article 4, paragraphe 3, TUE, d’indiquer quelle personne ou entité il considère être le bénéficiaire effectif ?

9)

Lorsque, concrètement, une société résidente d’un État membre (la société mère) ne peut être considérée comme pouvant bénéficier, en application de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale), les dispositions combinées de l’article 49 et de l’article 54 TFUE (et/ou de l’article 63 TFUE) font-elles obstacle, ensemble ou séparément, à une législation :

selon laquelle le dernier de ces États membres fait obligation à la filiale de procéder à une retenue à la source au titre des dividendes et la rend responsable envers l’État des retenues à la source non prélevées, alors qu’une telle obligation de retenue n’est pas applicable si la société mère est résidente de ce même État membre ?

selon laquelle ce dernier État membre impose des intérêts moratoires sur la retenue à la source due ?

Pour la réponse à la neuvième question, il est demandé à la Cour de tenir compte des réponses aux sixième et septième questions.

10)

Dans une situation où :

une société résidente d’un État membre (la société mère) satisfait à la condition de détention d’au moins 10 % du capital d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale) posée par la directive 90/435 (en 2011),

concrètement, la société mère n’est pas considérée comme pouvant bénéficier, en application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus de la filiale,

l’actionnaire (ou les actionnaires) (directs ou indirects) de la société mère, résident(s) d’un pays tiers, est (sont) considéré(s) comme le(s) bénéficiaire(s) effectif(s) des dividendes en question,

l’actionnaire (ou les actionnaires) en question (directs ou indirects) satisfont également à cette condition relative au taux de participation,

les dispositions de l’article 63 TFUE font-elles alors obstacle à une législation selon laquelle l’État membre de résidence de la filiale impose les dividendes en question lorsque ce même État membre considère que des sociétés résidentes satisfaisant à la condition de la directive 90/435 relative au taux de participation, c’est-à-dire détenant au moins 10 % du capital de la société distributrice au cours de l’exercice 2011, sont exonérées d’impôt sur de tels dividendes ? »

2)   Affaire C-117/16, Y Denmark

49

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, Y Inc., établie aux États-Unis (ci-après « Y USA ») et société faîtière du groupe Y, est cotée en bourse. Ses filiales établies à l’étranger sont détenues par l’intermédiaire de Y Global Ltd, établie aux Bermudes (ci-après « Y Bermudes »), dont l’unique activité, en dehors de la détention des participations dans ses filiales, est la détention de droits de propriété intellectuelle sur les produits du groupe. Sa gestion administrative est assurée par une société de gestion indépendante.

50

Y Denmark, constituée au Danemark au cours de l’année 2000 par Y USA et qui a toujours compté une vingtaine de salariés, a pour objet la vente et le soutien, et rend compte de ses activités à Y BV, société établie aux Pays-Bas (ci-après « Y Holland »), laquelle a la responsabilité opérationnelle des ventes du groupe en dehors des États-Unis, du Canada et du Mexique. Y Denmark est également la société mère pour la partie européenne du groupe Y.

51

À la suite de l’adoption, aux États-Unis, de l’American Jobs Creation Act of 2004 (loi de 2004 sur la création d’emplois américains), les sociétés établies aux États-Unis ont bénéficié de la faculté temporaire de rapatrier des dividendes de filiales étrangères à des conditions fiscales particulièrement favorables moyennant l’engagement d’en utiliser les produits à des fins spécifiques aux États-Unis, notamment la recherche et le développement. C’est dans ces conditions que Y USA a décidé de rapatrier le plus de dividendes possible de Y Bermudes au cours de l’exercice allant du 1er mai 2005 au 30 avril 2006. La contribution totale, devant notamment provenir de dividendes versés par les filiales de Y Bermudes, a été fixée à 550 millions de dollars des États-Unis (USD) (environ 450,82 millions d’euros).

52

Avant qu’il ne soit procédé à ces distributions, la partie européenne du groupe Y a fait l’objet d’une restructuration. Dans ce cadre, le 9 mai 2005, Y Bermudes a constitué à Chypre la société Y Chypre avec un capital social initial de 20000 USD (environ 16400 euros), dont 2000 USD (environ 1640 euros) libérés à la constitution. Par convention du 16 septembre 2005, Y Bermudes a cédé à Y Chypre la participation détenue dans Y Denmark pour 90 millions d’euros. Le prix a été réglé par une reconnaissance de dette.

53

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, Y Chypre est une société de portefeuille (holding) qui exerce également quelques activités de gestion de trésorerie, tels des prêts à des filiales. Il ressort des rapports de gestion figurant dans les comptes annuels de cette société pour les exercices 2005-2006 et 2006-2007 que son activité principale était la gestion des participations. En outre, la société a versé des jetons de présence pour respectivement 571 USD (environ 468 euros) et 915 USD (environ 750 euros). D’après les comptes annuels, la société n’a pas été imposée, en l’absence de résultat fiscal bénéficiaire.

54

La juridiction de renvoi précise que, le 26 septembre 2005, Y Holland a décidé de distribuer un dividende de 76 millions d’euros à Y Denmark au titre de l’exercice 2004-2005. Ce dividende a été payé le 25 octobre 2005 à Y Denmark. Le 28 septembre 2005, l’assemblée générale des associés de Y Denmark a approuvé, au titre de ce même exercice comptable, le versement d’un dividende à Y Chypre, également de 76 millions d’euros. Cette somme a été payée à Y Chypre le 27 octobre 2005. Le 28 octobre 2005, Y Chypre a transféré cette même somme à Y Bermudes en remboursement partiel du prêt consenti lors de l’acquisition de Y Denmark.

55

Le 21 octobre 2005, Y Chypre a constitué une société aux Pays-Bas dénommée Y Holding BV. Par convention du 25 octobre 2005, Y Denmark a cédé sa participation dans Y Holland à Y Holding pour 14 millions d’euros.

56

Le 3 avril 2006, Y Bermudes a distribué un dividende de 550 millions USD (environ 450,82 millions d’euros) à Y USA. Le versement de ce dividende a été financé sur fonds propres et par emprunt bancaire.

57

Le 13 octobre 2006, l’assemblée générale des associés de Y Denmark a approuvé le versement d’un dividende au titre de l’exercice 2005-2006 d’un montant de 92012000 DKK (environ 12,3 millions d’euros) à Y Chypre. Y Denmark a fait savoir que ce montant faisait partie (en tant que dividende à percevoir) du dividende total de 550 millions USD (environ 450,82 millions d’euros) que Y Bermudes avait distribué à Y USA le 3 avril 2006, ce que le ministère des Impôts a contesté en l’absence de pièces justificatives. Y Denmark a transféré au cours de l’année 2010 un montant de 92012000 DKK (environ 12,3 millions d’euros) à Y Chypre.

58

Selon la juridiction de renvoi, la principale question qui se pose en l’espèce est de savoir si Y Chypre est tenue par une obligation fiscale limitée au Danemark au titre des dividendes en question. D’après le droit interne, une société mère étrangère n’est pas, en principe, tenue par une obligation fiscale limitée au Danemark en raison de dividendes. L’exonération des dividendes ou leur imposition réduite est cependant subordonnée à l’application soit de la directive 90/435, soit d’une convention en vue d’éviter les doubles impositions. Or, la plupart des conventions fiscales conclues par le Royaume de Danemark prévoient comme condition à l’exonération ou à la réduction de l’imposition que l’entité qui a perçu les dividendes en soit le « bénéficiaire effectif »(retmæssig ejer). La directive 90/435 ne prévoit pas de condition équivalente.

59

SKAT est d’avis que Y Chypre est tenue par une obligation fiscale limitée au Danemark au titre des dividendes en question, car ladite société ne saurait être considérée comme étant le bénéficiaire effectif de ces dividendes, au sens de la convention fiscale entre le Royaume de Danemark et la République de Chypre. De même, elle ne relèverait pas des dispositions de la directive 90/435, relatives à l’exonération de la retenue à la source.

60

Par décision du 17 septembre 2010, SKAT a constaté que Y Denmark aurait dû procéder à une retenue à la source sur deux versements de dividendes effectués au cours des années 2005 et 2006 en faveur de sa société mère, Y Chypre, et que Y Denmark devait être considérée comme étant responsable du paiement desdites retenues à la source.

61

Cette décision a fait l’objet d’une réclamation devant la commission fiscale nationale. Le 16 décembre 2011, cette dernière, à l’instar de SKAT, a constaté que Y Chypre n’était pas le bénéficiaire effectif des dividendes au sens de la convention fiscale entre le Royaume de Danemark et la République de Chypre, mais a accueilli le moyen soulevé par Y Denmark selon lequel il n’y avait pas lieu de procéder à une retenue à la source au motif que Y Chypre devait bénéficier des règles d’exonération prévues par la directive 90/435.

62

Le ministère des Impôts a saisi la juridiction de renvoi d’un recours contre la décision de la commission fiscale nationale.

63

Dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi relève que les parties au litige s’accordent sur le fait que le principe dit de « réalité » ne permet pas d’écarter les montages réalisés et que la société ayant perçu les dividendes, en l’occurrence Y Chypre, est le bénéficiaire légitime des revenus au sens du droit danois.

64

Dans ce contexte, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

a)

L’invocation par un État membre de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [90/435], relatif à l’application des dispositions nationales nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus, suppose-t-elle que ledit État membre ait adopté une disposition nationale spécifique pour transposer l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive ou que le droit national comporte des dispositions générales ou des principes généraux sur la fraude et l’abus pouvant être interprétés conformément audit article 1er, paragraphe 2 ?

b)

S’il est répondu par l’affirmative à la première question, sous a), l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, selon lequel “les dividendes bénéficient d’une exonération ou d’une réduction de l’imposition en application des dispositions de la directive 90/435 [...]”, peut-il être considéré comme étant une telle disposition nationale spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435 ?

2)

a)

Une disposition figurant dans une convention en vue d’éviter les doubles impositions conclue entre deux États membres et rédigée conformément au [modèle de convention fiscale de l’OCDE], selon laquelle l’imposition des dividendes distribués dépend du point de savoir si leur bénéficiaire est considéré comme le bénéficiaire effectif de ces dividendes, constitue-t-elle une disposition conventionnelle anti-abus au sens de l’article 1er, paragraphe 2 ?

b)

Dans l’affirmative, le terme “conventionnelles” figurant à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435 doit-il être interprété en ce sens qu’il suppose que, suivant son droit interne, un État membre puisse invoquer la convention fiscale au détriment du contribuable ?

3)

S’il est répondu par l’affirmative à la deuxième question, sous a), incombe-t-il alors au juge national de définir la notion de “bénéficiaire effectif” ou bien est-ce que, lors de l’application de la directive 90/435, cette notion doit être interprétée en ce sens qu’elle doit recevoir une définition en droit de l’Union soumise au contrôle de la Cour ?

4)

a)

S’il est répondu par l’affirmative à la deuxième question, sous a), et qu’il est répondu à la troisième question qu’il n’incombe pas au juge national de définir la notion de “bénéficiaire effectif”, cette notion doit-elle être interprétée en ce sens qu’une société résidente d’un État membre qui, dans les circonstances du litige au principal, perçoit des dividendes d’une filiale résidente d’un autre État membre, est le “bénéficiaire effectif” de ces dividendes au sens où cette notion doit être comprise en droit de l’Union ?

b)

La notion de “bénéficiaire effectif” doit-elle alors être comprise dans le sens que cette même notion reçoit à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive [2003/49] ainsi qu’à l’article 1er, paragraphe 4, de celle-ci ?

c)

Cette notion doit-elle être interprétée en tenant uniquement compte des commentaires sur l’article 10 du [modèle de convention fiscale de l’OCDE de 1977] (point 12) ou peut-il être tenu compte de commentaires plus récents, notamment ceux de 2003 sur les “sociétés relais” et ceux de 2014 sur les “obligations contractuelles ou légales” ?

d)

Pour l’appréciation du point de savoir si le bénéficiaire des dividendes en est le “bénéficiaire effectif”, quelle est l’incidence du fait que ledit bénéficiaire est tenu par une obligation contractuelle ou légale de reverser ces dividendes à un tiers ?

e)

Pour l’appréciation du point de savoir si le bénéficiaire des dividendes doit être considéré comme le “bénéficiaire effectif”, quelle est l’incidence du fait que la juridiction de renvoi pourrait conclure, au terme d’une appréciation des circonstances de fait de l’affaire au principal, que, “fondamentalement”, le bénéficiaire – sans être tenu par une obligation contractuelle ou légale de reverser les dividendes reçus à un tiers – ne disposait pas du droit “d’utiliser le dividende et d’en jouir” au sens des commentaires de 2014 sur le [modèle de convention fiscale de l’OCDE de 1977] ?

5)

S’il est constaté en l’espèce

qu’il existe des “dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus” (voir article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435),

que la société A, résidente d’un État membre, a versé des dividendes à sa société mère B, résidente d’un autre État membre, qui les transfère ensuite à sa société mère C, résidente en dehors de l’Union [ou de l’EEE] et qui, à son tour, les transfère à sa société mère D, également résidente en dehors de l’Union ou de l’EEE,

qu’aucune convention fiscale n’a été conclue entre le premier de ces États et l’État de résidence de la société C,

qu’une convention fiscale a été conclue entre le premier de ces États et l’État de résidence de la société D et

qu’en application de sa loi, le premier de ces États ne pourrait exiger de retenue à la source sur les dividendes versés par la société A à la société D si cette dernière détenait directement la société A,

y a-t-il alors abus au sens de ladite directive de telle sorte que la société B ne peut bénéficier de la protection qu’elle confère ?

6)

Lorsque, concrètement, une société résidente d’un État membre (la société mère) ne peut être considérée comme pouvant bénéficier, en application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale), les dispositions de l’article 43 CE, lues avec celles de l’article 48 CE (et/ou de l’article 56 CE) font-elles obstacle à une législation selon laquelle le dernier de ces États membres impose la société mère résidente de l’autre État membre sur les dividendes lorsque ce même État membre considère que, dans des circonstances similaires, les sociétés mères résidentes sont exonérées d’impôt sur ces dividendes ?

7)

Lorsque, concrètement, une société résidente d’un État membre (la société mère) ne peut être considérée comme pouvant bénéficier, en application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale) et que ce dernier État membre considère que la société mère y est tenue par une obligation fiscale limitée au titre de ces dividendes, les dispositions de l’article 43 CE, lues avec celles de l’article 48 CE (et/ou de l’article 56 CE) font-elles obstacle à une législation selon laquelle le dernier de ces États membres impose au débiteur de l’obligation de retenue à la source (la filiale) de s’acquitter d’intérêts moratoires en cas de retard de paiement de la retenue à la source, et ce à un taux plus élevé que celui appliqué par ce même État membre en matière de recouvrement de l’impôt sur les sociétés à l’encontre d’une société résidente dudit État membre ?

8)

S’il est répondu par l’affirmative à la deuxième question, sous a), et qu’il est répondu à la troisième question dans le sens qu’il n’incombe pas au juge national de définir la notion de “bénéficiaire effectif” et si, concrètement, il s’ensuit qu’une société résidente d’un État membre (la société mère) ne peut être considérée comme pouvant bénéficier, en application de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale), ce dernier État membre est-il alors tenu, en application de la directive 90/435 ou de l’article 10 CE, d’indiquer quelle personne ou entité il considère être le bénéficiaire effectif ?

9)

Lorsque, concrètement, une société résidente d’un État membre (la société mère) ne peut être considérée comme pouvant bénéficier, en application de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale), les dispositions de l’article 43 CE, lues avec celles de l’article 48 CE (et/ou de l’article 56 CE) font-elles obstacle, ensemble ou séparément, à une législation :

selon laquelle le dernier de ces États membres fait obligation à la filiale de procéder à une retenue à la source au titre des dividendes et la rend responsable envers l’État des retenues à la source non prélevées, alors qu’une telle obligation de retenue n’est pas applicable si la société mère est résidente de ce même État membre ?

selon laquelle ce dernier État membre impose des intérêts moratoires sur la retenue à la source due ?

Pour la réponse à la neuvième question, il est demandé à la Cour de tenir compte des réponses aux sixième et septième questions.

10)

Dans une situation où :

une société résidente d’un État membre (la société mère) satisfait à la condition de détention d’au moins 20 % du capital d’une société résidente d’un autre État membre (la filiale) posée par la directive 90/435 (en 2005 et en 2006),

concrètement, la société mère n’est pas considérée comme pouvant bénéficier, en application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, d’une exonération de la retenue à la source au titre de dividendes perçus de la filiale,

l’actionnaire (ou les actionnaires) (directs ou indirects) de la société mère, résident(s) d’un pays tiers, est (sont) considéré(s) comme le(s) bénéficiaire(s) effectif(s) des dividendes en question,

l’actionnaire (ou les actionnaires) en question (directs ou indirects) satisfont également à cette condition relative au taux de participation,

les dispositions de l’article 56 CE font-elles alors obstacle à une législation selon laquelle l’État membre de résidence de la filiale impose les dividendes en question lorsque ce même État membre considère que des sociétés résidentes satisfaisant à la condition de la directive 90/435 relative au taux de participation, c’est-à-dire détenant au moins 20 % du capital de la société distributrice au cours des exercices 2005 et 2006 (15 % en 2007 et en 2008, puis 10 % après), sont exonérées d’impôt sur de tels dividendes ? »

La procédure devant la Cour

65

En raison de la connexité des deux affaires au principal, qui portent toutes deux sur l’interprétation de la directive 90/435 et des libertés fondamentales consacrées par les traités, il y a lieu de les joindre aux fins de l’arrêt.

66

Par lettre du 2 mars 2017, le gouvernement danois a demandé, conformément à l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, que ces affaires soient jugées par la grande chambre de la Cour. Par ailleurs, eu égard aux similitudes entre ces affaires et les affaires C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16, qui font l’objet de l’arrêt de ce jour, N Luxembourg 1 e.a. (C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16, EU:C:2019:134), le gouvernement danois a également suggéré que, en application de l’article 77 de son règlement de procédure, la Cour décide d’organiser une audience de plaidoiries commune à l’ensemble de ces affaires. La Cour a fait droit aux demandes du gouvernement danois.

Sur les questions préjudicielles

67

Les questions posées par la juridiction nationale portent sur trois thèmes. Le premier thème est relatif à l’existence d’une base juridique permettant à un État membre de refuser, en raison de la commission d’un abus de droit, le bénéfice de l’exonération prévue à l’article 5 de la directive 90/435 à une société ayant distribué des bénéfices à une société d’un autre État membre et dont elle est la filiale. Pour autant qu’une telle base juridique existe, le deuxième thème abordé par les questions porte sur les éléments constitutifs d’un éventuel abus de droit et sur les modalités de preuve y afférentes. Enfin, le troisième thème des questions, également posées dans l’hypothèse de l’existence d’une possibilité pour un État membre de refuser de faire bénéficier une telle société des avantages de la directive 90/435, porte sur l’interprétation des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux, afin de permettre à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation danoise viole ces libertés.

Sur les premières à troisièmes questions ainsi que sur les quatrièmes questions, sous a) à c), dans les affaires au principal

68

Par les premières à troisièmes questions ainsi que par les quatrièmes questions, sous a) à c), dans les affaires au principal, la juridiction de renvoi demande en substance, en premier lieu, si la lutte contre la fraude ou les abus, permise par l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, suppose l’existence d’une disposition nationale ou conventionnelle anti-abus au sens dudit article. En deuxième lieu, elle demande si une convention rédigée conformément au modèle de convention fiscale de l’OCDE et contenant la notion de « bénéficiaire effectif » peut constituer une disposition conventionnelle anti-abus, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435. En troisième lieu, elle cherche à savoir si cette notion de « bénéficiaire effectif » est une notion du droit de l’Union et doit être comprise dans le même sens que celle de « bénéficiaire » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/49 et s’il est possible de tenir compte, pour l’interprétation de cette disposition, de l’article 10 du modèle de convention fiscale de l’OCDE de 1977. Elle demande notamment si une disposition contenant la notion de « bénéficiaire effectif » peut être considérée comme constituant une base juridique permettant de lutter contre l’abus de droit.

69

Il convient, tout d’abord, d’examiner les premières questions dans les affaires au principal, par lesquelles la juridiction de renvoi demande si, pour lutter contre un abus de droit dans le cadre de l’application de la directive 90/435, un État membre doit avoir adopté une disposition nationale spécifique de transposition de cette directive ou s’il peut se référer à des principes ou à des dispositions anti-abus nationaux ou conventionnels.

70

À cet égard, il est de jurisprudence constante qu’il existe, dans le droit de l’Union, un principe général de droit selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (arrêts du 9 mars 1999, Centros, C-212/97, EU:C:1999:126, point 24 et jurisprudence citée ; du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, EU:C:2006:121, point 68 ; du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, EU:C:2006:544, point 35 ; du 22 novembre 2017, Cussens e.a., C-251/16, EU:C:2017:881, point 27, ainsi que du 11 juillet 2018, Commission/Belgique, C-356/15, EU:C:2018:555, point 99).

71

Le respect de ce principe général de droit s’impose aux justiciables. En effet, l’application de la réglementation de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les opérations qui sont réalisées dans le but de bénéficier frauduleusement ou abusivement des avantages prévus par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2007, Kofoed, C-321/05, EU:C:2007:408, point 38 ; du 22 novembre 2017, Cussens e.a., C-251/16, EU:C:2017:881, point 27, ainsi que du 11 juillet 2018, Commission/Belgique, C-356/15, EU:C:2018:555, point 99).

72

Il découle ainsi de ce principe qu’un État membre doit refuser le bénéfice des dispositions du droit de l’Union lorsque celles-ci sont invoquées non pas en vue de réaliser les objectifs de ces dispositions, mais dans le but de bénéficier d’un avantage du droit de l’Union alors que les conditions pour bénéficier de cet avantage ne sont que formellement remplies.

73

Tel est le cas, par exemple, lorsque l’accomplissement de formalités douanières ne s’inscrit pas dans le cadre de transactions commerciales normales, mais est purement formel et vise seulement à bénéficier abusivement de l’octroi de montants compensateurs (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 1981, Schumacher e.a., 250/80, EU:C:1981:246, point 16, ainsi que du 3 mars 1993, General Milk Products, C-8/92, EU:C:1993:82, point 21) ou de restitutions à l’exportation (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke, C-110/99, EU:C:2000:695, point 59).

74

Par ailleurs, le principe de l’interdiction de l’abus de droit trouve à s’appliquer dans des matières aussi variées que la libre circulation des marchandises (arrêt du 10 janvier 1985, Association des Centres distributeurs Leclerc et Thouars Distribution, 229/83, EU:C:1985:1, point 27), la libre prestation des services (arrêt du 3 février 1993, Veronica Omroep Organisatie, C-148/91, EU:C:1993:45, point 13), les marchés publics de services (arrêt du 11 décembre 2014, Azienda sanitaria locale n. 5  Spezzino  e.a., C-113/13, EU:C:2014:2440, point 62), la liberté d’établissement (arrêt du 9 mars 1999, Centros, C-212/97, EU:C:1999:126, point 24), le droit des sociétés (arrêt du 23 mars 2000, Diamantis, C-373/97, EU:C:2000:150, point 33), la sécurité sociale (arrêts du 2 mai 1996, Paletta, C-206/94, EU:C:1996:182, point 24 ; du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 48, ainsi que du 11 juillet 2018, Commission/Belgique, C-356/15, EU:C:2018:555, point 99), les transports (arrêt du 6 avril 2006, Agip Petroli, C-456/04, EU:C:2006:241, points 19 à 25), la politique sociale (arrêt du 28 juillet 2016, Kratzer, C-423/15, EU:C:2016:604, points 37 à 41), les mesures restrictives (arrêt du 21 décembre 2011, Afrasiabi e.a., C-72/11, EU:C:2011:874, point 62) ou encore la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, EU:C:2006:121, point 74).

75

S’agissant de cette dernière matière, la Cour a relevé à plusieurs reprises que, si la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive 77/388 du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), le principe d’interdiction des pratiques abusives n’en constitue pas moins un principe général du droit de l’Union qui s’applique indépendamment du point de savoir si les droits et les avantages dont il est abusé trouvent leur fondement dans les traités, dans un règlement ou dans une directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2017, Cussens e.a., C-251/16, EU:C:2017:881, points 30 et 31).

76

Il s’ensuit que le principe général d’interdiction des pratiques abusives doit être opposé à une personne lorsque celle-ci se prévaut de certaines règles du droit de l’Union prévoyant un avantage d’une manière qui n’est pas cohérente avec les finalités que visent ces règles. La Cour a ainsi jugé que ce principe est opposable à un assujetti en vue de lui refuser le bénéfice, notamment, du droit à exonération de la TVA, même en l’absence de dispositions du droit national prévoyant un tel refus (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, Schoenimport  Italmoda  Mariano Previti e.a., C-131/13, C-163/13 et C-164/13, EU:C:2014:2455, point 62, ainsi que du 22 novembre 2017, Cussens e.a., C-251/16, EU:C:2017:881, point 33).

77

Si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435 prévoit que celle-ci ne fait pas obstacle à l’application des dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et les abus, cette disposition ne saurait être interprétée comme excluant l’application du principe général du droit de l’Union de l’interdiction des pratiques abusives, rappelé aux points 70 à 72 du présent arrêt. En effet, les opérations dont SKAT allègue qu’elles sont constitutives d’abus de droit relèvent du champ d’application du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Weald Leasing, C-103/09, EU:C:2010:804, point 42) et pourraient s’avérer incompatibles avec l’objectif poursuivi par cette directive.

78

À cet égard, ainsi qu’il ressort des premier et troisième considérants de la directive 90/435, celle-ci a pour objet de faciliter les regroupements de sociétés à l’échelle de l’Union en instaurant des règles fiscales neutres au regard de la concurrence afin de permettre aux entreprises de s’adapter aux exigences du marché commun, d’accroître leur productivité et de renforcer leur position concurrentielle sur le plan international.

79

Or, autoriser la création de montages financiers ayant pour seul but de bénéficier des avantages fiscaux résultant de l’application de la directive 90/435 ne serait pas cohérent avec de tels objectifs et, au contraire, porterait atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur en faussant les conditions de concurrence. Ainsi que l’a relevé en substance Mme l’avocate générale au point 51 de ses conclusions dans l’affaire C-116/16, il en irait ainsi également même si les opérations en cause ne poursuivent pas exclusivement un tel but, la Cour ayant jugé que le principe d’interdiction des pratiques abusives s’applique, en matière fiscale, lorsque la recherche d’un avantage fiscal constitue le but essentiel des opérations en cause (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2008, Part Service, C-425/06, EU:C:2008:108, point 45, ainsi que du 22 novembre 2017, Cussens e.a., C-251/16, EU:C:2017:881, point 53).

80

Au demeurant, il ne saurait être opposé à l’application du principe général d’interdiction des pratiques abusives le droit pour les contribuables de tirer avantage de la concurrence que se livreraient les États membres en raison du défaut d’harmonisation de l’imposition des revenus. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la directive 90/435 avait pour objectif une harmonisation en matière d’impôts directs par l’instauration de règles fiscales neutres au regard de la concurrence et qu’elle n’entendait pas priver les États membres de la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour combattre les fraudes et les abus.

81

Si la recherche, par un contribuable, du régime fiscal le plus avantageux pour lui ne saurait, en tant que telle, fonder une présomption générale de fraude ou d’abus (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, EU:C:2006:544, point 50 ; du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 84, ainsi que du 24 novembre 2016, SECIL, C-464/14, EU:C:2016:896, point 60), il n’en demeure pas moins qu’un tel contribuable ne saurait bénéficier d’un droit ou d’un avantage découlant du droit de l’Union lorsque l’opération en cause est purement artificielle sur le plan économique et vise à échapper à l’emprise de la législation de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, EU:C:2006:544, point 51 ; du 7 novembre 2013, K, C-322/11, EU:C:2013:716, point 61, ainsi que du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo, C-106/16, EU:C:2017:804, points 61 à 63).

82

Il résulte de ces éléments qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice des droits prévus par la directive 90/435, lorsque ceux-ci sont invoqués frauduleusement ou abusivement.

83

Ainsi, au regard du principe général du droit de l’Union d’interdiction des pratiques abusives et de la nécessité de faire respecter ce principe dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union, l’absence de dispositions anti-abus nationales ou conventionnelles est sans incidence sur l’obligation, pour les autorités nationales, de refuser le bénéfice de droits prévus par la directive 90/435, invoqués frauduleusement ou abusivement.

84

Les défenderesses au principal se prévalent de l’arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C-321/05, EU:C:2007:408), qui concernait le bénéfice d’une exonération prévue par la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents (JO L 225, p. 1), pour soutenir que, en raison de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, le bénéfice des avantages prévus par cette directive ne peut être refusé par l’État membre concerné que lorsque la législation nationale comporte une base juridique distincte et spécifique à cet égard.

85

Cette argumentation ne saurait toutefois être retenue.

86

La Cour a certes rappelé, au point 42 de l’arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C-321/05, EU:C:2007:408), que le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que les directives puissent, par elles-mêmes, créer des obligations dans le chef des particuliers et, partant, être invoquées en tant que telles par l’État membre à l’encontre des particuliers.

87

Elle a également rappelé qu’un tel constat est sans préjudice de l’exigence pour toutes les autorités d’un État membre, lorsqu’elles appliquent le droit national, d’interpréter celui-ci dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité des directives, afin d’atteindre le résultat visé par celles-ci, lesdites autorités étant ainsi en mesure d’opposer une interprétation conforme du droit national à des particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed, C-321/05, EU:C:2007:408, point 45 et jurisprudence citée).

88

C’est sur la base de ces considérations que la Cour a invité la juridiction de renvoi à examiner s’il existait, en droit danois, une disposition ou un principe général selon lequel l’abus de droit est prohibé ou bien d’autres dispositions sur la fraude ou l’évasion fiscales qui pourraient être interprétés conformément à la disposition de la directive 90/434 en vertu de laquelle, en substance, un État membre peut refuser le droit à déduction prévu par cette directive en présence d’une opération visant pour l’essentiel une telle fraude ou évasion et à vérifier ensuite, le cas échéant, si les conditions pour l’application de ces dispositions internes étaient réunies dans l’affaire au principal (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed, C-321/05, EU:C:2007:408, points 46 et 47).

89

Néanmoins, même s’il s’avérait, dans les affaires au principal, que le droit national ne comporte pas de règles susceptibles d’une interprétation conforme à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, il ne saurait, nonobstant ce que la Cour a jugé dans l’arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C-321/05, EU:C:2007:408), en être déduit que les autorités et les juridictions nationales seraient empêchées de refuser l’avantage tiré du droit à l’exonération prévu à l’article 5 de cette directive dans l’hypothèse d’une fraude ou d’un abus de droit (voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2014, Schoenimport « Italmoda » Mariano Previti e.a., C-131/13, C-163/13 et C-164/13, EU:C:2014:2455, point 54).

90

En effet, un refus opposé à un contribuable en présence de telles circonstances ne relève pas du cas de figure évoqué au point 86 du présent arrêt, dès lors qu’il répond au principe général du droit de l’Union selon lequel nul ne saurait frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2014, Schoenimport « Italmoda » Mariano Previti e.a., C-131/13, C-163/13 et C-164/13, EU:C:2014:2455, points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée).

91

Ainsi, dans la mesure où, comme il a été rappelé au point 70 du présent arrêt, des faits frauduleux ou abusifs ne sauraient fonder un droit prévu par l’ordre juridique de l’Union, le refus d’un avantage au titre d’une directive, telle que la directive 90/435, ne revient pas à imposer une obligation au particulier concerné en vertu de cette directive, mais n’est que la simple conséquence de la constatation selon laquelle les conditions objectives requises aux fins de l’obtention de l’avantage recherché, prévues par ladite directive en ce qui concerne ce droit, ne sont que formellement remplies (voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2014, Schoenimport  Italmoda  Mariano Previti e.a., C-131/13, C-163/13 et C-164/13, EU:C:2014:2455, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

92

Dans de telles circonstances, les États membres doivent, dès lors, refuser l’avantage résultant de la directive 90/435, conformément au principe général d’interdiction des pratiques abusives selon lequel le droit de l’Union ne saurait couvrir les pratiques abusives d’opérateurs économiques (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2018, Commission/Belgique, C-356/15, EU:C:2018:555, point 99 et jurisprudence citée).

93

Eu égard au constat opéré au point 72 du présent arrêt, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxièmes questions posées par la juridiction de renvoi, portant en substance sur le point de savoir si une disposition d’une convention bilatérale visant à éviter la double imposition et se référant à la notion de « bénéficiaire effectif » est susceptible de constituer une base juridique pour lutter contre les pratiques frauduleuses et abusives dans le cadre de la directive 90/435.

94

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu non plus de répondre aux troisièmes questions ainsi qu’aux quatrièmes questions, sous a) à c), relatives à l’interprétation de cette même notion de « bénéficiaire effectif », dès lors que celles-ci n’ont été posées que dans l’hypothèse d’une réponse affirmative aux deuxièmes questions.

95

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de répondre aux premières questions que le principe général du droit de l’Union selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union doit être interprété en ce sens que le bénéfice de l’exonération de la retenue à la source sur les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère, prévue à l’article 5 de ladite directive, doit, en présence d’une pratique frauduleuse ou abusive, être refusé à un contribuable par les autorités et les juridictions nationales, même en l’absence de dispositions du droit national ou conventionnel prévoyant un tel refus.

Sur les quatrièmes questions, sous d) et e), ainsi que sur les cinquièmes et huitièmes questions dans les affaires au principal

96

Par les quatrièmes questions, sous d) et e), ainsi que par les cinquièmes questions dans les affaires au principal, la juridiction de renvoi demande, en substance, quels sont les éléments constitutifs d’un abus de droit et comment ces éléments peuvent être établis. À cet égard, elle s’interroge notamment sur le point de savoir si une société peut être considérée comme ayant réellement perçu des dividendes de sa filiale lorsqu’elle est tenue par une obligation contractuelle ou légale de reverser ces dividendes à un tiers ou lorsqu’il ressort des circonstances de fait que, « fondamentalement », cette société, sans être tenue par une telle obligation, ne dispose pas du droit « d’utiliser le dividende et d’en jouir » au sens des commentaires, adoptés au cours de l’année 2014, sur le modèle de convention de l’OCDE de 1977. Elle s’interroge aussi sur le point de savoir s’il peut exister un abus de droit lorsque les dividendes, transférés par des sociétés relais, ont finalement pour bénéficiaire effectif une société ayant son siège dans un État tiers avec lequel l’État membre concerné a conclu une convention fiscale. Par les huitièmes questions, la juridiction de renvoi demande encore, en substance, si un État membre qui refuse de reconnaître à une société d’un autre État membre la qualité de bénéficiaire des dividendes est tenu d’identifier la société qu’il considère, le cas échéant, comme étant le bénéficiaire effectif.

Sur les éléments constitutifs d’un abus de droit et les preuves y afférentes

97

Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, la preuve d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (arrêts du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke, C-110/99, EU:C:2000:695, points 52 et 53, ainsi que du 12 mars 2014, O. et B., C-456/12, EU:C:2014:135, point 58).

98

C’est ainsi l’examen d’un ensemble de faits qui permet de vérifier si les éléments constitutifs d’une pratique abusive sont réunis, et notamment si des opérateurs économiques ont effectué des opérations purement formelles ou artificielles dénuées de toute justification économique et commerciale dans le but essentiel de bénéficier d’un avantage indu (voir, en ce sens, arrêts du 20 juin 2013, Newey, C-653/11, EU:C:2013:409, points 47 à 49 ; du 13 mars 2014, SICES e.a., C-155/13, EU:C:2014:145, point 33, ainsi que du 14 avril 2016, Cervati et Malvi, C-131/14, EU:C:2016:255, point 47).

99

Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier les faits au principal. Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, fournir des indices à la juridiction nationale afin de la guider dans l’appréciation des cas d’espèce dont elle a à connaître. Dans les affaires au principal, si la présence d’un certain nombre de ces indices pourrait permettre de conclure à l’existence d’un abus de droit, il incombe néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier si ces indices sont objectifs et concordants, et si les défenderesses au principal ont eu la possibilité d’apporter la preuve contraire.

100

Peut être considéré comme étant un montage artificiel un groupe de sociétés qui n’est pas mis en place pour des motifs qui reflètent la réalité économique, a une structure purement formelle et a pour principal objectif ou pour l’un de ses objectifs principaux l’obtention d’un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable. Tel est le cas notamment lorsque, grâce à une entité relais insérée dans la structure du groupe entre la société qui verse des dividendes et la société du groupe qui en est le bénéficiaire effectif, le paiement d’impôts sur les dividendes est évité.

101

Ainsi, constitue un indice de l’existence d’un montage visant à bénéficier indument de l’exonération prévue à l’article 5 de la directive 90/435 le fait que lesdits dividendes sont reversés, en totalité ou quasi-totalité et dans un délai très bref suivant leur perception, par la société qui les a perçus à des entités qui ne répondent pas aux conditions d’application de la directive 90/435, soit parce qu’elles ne sont établies dans aucun État membre, soit parce qu’elles ne sont pas constituées sous l’une des formes visées par cette directive, soit parce qu’elles ne sont pas assujetties à l’un des impôts énumérés à l’article 2, sous c), de ladite directive, soit encore parce qu’elles n’ont pas la qualité de « société mère » et ne répondent pas aux conditions prévues à l’article 3 de la même directive.

102

Or, ne répondent pas aux conditions d’application de la directive 90/435 des entités ayant leur résidence fiscale en dehors de l’Union, telles que, semble-t-il, les sociétés en cause dans l’affaire C-117/16 ou les fonds d’investissement en cause dans l’affaire C-116/16. Dans ces affaires, si les dividendes avaient été payés directement par la société danoise débitrice aux entités qui, selon le ministère des Impôts, en ont été les bénéficiaires effectifs, le Royaume de Danemark aurait pu percevoir l’impôt retenu à la source.

103

De même, le caractère artificiel d’un montage est susceptible d’être corroboré par la circonstance que le groupe de sociétés concerné est structuré de manière telle que la société qui perçoit les dividendes payés par la société débitrice doit elle-même reverser ces dividendes à une troisième société ne répondant pas aux conditions d’application de la directive 90/435, ce qui a pour conséquence qu’elle ne réalise qu’un bénéfice taxable insignifiant lorsqu’elle agit en qualité de société relais afin de permettre le flux financier de la société débitrice vers l’entité qui est le bénéficiaire effectif des sommes versées.

104

La circonstance qu’une société agit comme société relais peut être établie lorsque celle-ci a pour unique activité la perception des dividendes et la transmission de ceux-ci au bénéficiaire effectif ou à d’autres sociétés relais. L’absence d’activité économique effective doit, à cet égard, à la lumière des spécificités caractérisant l’activité économique en question, être déduite d’une analyse de l’ensemble des éléments pertinents relatifs, notamment, à la gestion de la société, à son bilan comptable, à la structure de ses coûts et aux frais réellement exposés, au personnel qu’elle emploie ainsi qu’aux locaux et à l’équipement dont elle dispose.

105

Peuvent également constituer des indices d’un montage artificiel les différents contrats existant entre les sociétés impliquées dans les opérations financières en cause, donnant lieu à des flux financiers intragroupes, les modalités de financement des opérations, l’évaluation des fonds propres des sociétés intermédiaires, ainsi que l’absence de pouvoir des sociétés relais de disposer économiquement des dividendes perçus. À cet égard, sont susceptibles de constituer de tels indices non seulement une obligation contractuelle ou légale, pour la société mère qui perçoit les dividendes, de les reverser à un tiers, mais également le fait que, « fondamentalement », ainsi que le mentionne la juridiction de renvoi, cette société, sans être tenue par une telle obligation contractuelle ou légale, ne dispose pas du droit d’utiliser ces dividendes et d’en jouir.

106

Au demeurant, de tels indices peuvent être confortés par des coïncidences ou des proximités temporelles entre, d’un côté, l’entrée en vigueur de nouvelles législations fiscales importantes, telle la législation danoise en cause dans les affaires au principal ou la législation des États-Unis mentionnée au point 51 du présent arrêt, et, de l’autre, la mise sur pied d’opérations financières complexes et l’octroi de prêts au sein d’un même groupe.

107

La juridiction de renvoi s’interroge également sur le point de savoir, en substance, s’il peut y avoir abus de droit lorsque des dividendes transférés par des sociétés relais ont finalement pour bénéficiaire effectif une société ayant son siège dans un État tiers avec lequel l’État membre d’origine a conclu une convention fiscale, en vertu de laquelle les dividendes n’auraient fait l’objet d’aucune retenue s’ils avaient été directement versés à la société ayant son siège dans cet État tiers.

108

À cet égard, lors de l’examen de la structure du groupe, il est sans pertinence que certains des bénéficiaires effectifs des dividendes versés par la société relais aient leur résidence fiscale dans un État tiers ayant conclu une convention de prévention de la double imposition avec l’État membre d’origine. Force est en effet de constater que l’existence d’une telle convention ne saurait exclure, en soi, un abus de droit. Ainsi, une convention de cette nature ne saurait remettre en question l’existence d’un abus de droit dûment établie sur la base d’un ensemble de faits attestant que des opérateurs économiques ont effectué des opérations purement formelles ou artificielles dénuées de toute justification économique et commerciale dans le but essentiel de bénéficier indûment de l’exonération de la retenue à la source prévue à l’article 5 de la directive 90/435.

109

Il convient d’ajouter que, alors qu’une taxation doit correspondre à une réalité économique, l’existence d’une convention de prévention de la double imposition n’est pas comme telle de nature à établir la réalité d’un paiement effectué à des bénéficiaires résidents de l’État tiers avec lequel cette convention a été conclue. Si la société débitrice des dividendes souhaite bénéficier des avantages d’une telle convention, il lui est loisible de verser ces dividendes directement aux entités ayant leur résidence fiscale dans un État ayant conclu une convention de prévention de la double imposition avec l’État d’origine.

110

Cela étant, il ne saurait non plus être exclu, en présence d’une situation dans laquelle les dividendes auraient été exonérés en cas de versement direct à la société ayant son siège dans un État tiers, que le but de la structure du groupe soit étranger à tout abus de droit. Dans un tel cas, il ne saurait être reproché au groupe d’avoir opté pour une telle structure plutôt que pour un versement direct des dividendes à ladite société.

111

De surcroît, lorsque le bénéficiaire effectif d’un paiement de dividendes a sa résidence fiscale dans un État tiers, le refus de l’exonération prévue à l’article 5 de la directive 90/435 n’est nullement soumis au constat d’une fraude ou d’un abus de droit.

112

En effet, cette directive, ainsi qu’il ressort notamment de son troisième considérant, vise à éliminer, par l’instauration d’un régime fiscal commun, toute pénalisation de la coopération entre sociétés d’États membres différents par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre et à faciliter ainsi le regroupement de sociétés à l’échelle de l’Union (arrêt du 8 mars 2017, Wereldhave Belgium e.a., C-448/15, EU:C:2017:180, point 25 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi qu’il a été souligné au point 78 du présent arrêt, ladite directive tend ainsi à assurer la neutralité, sur le plan fiscal, de la distribution de bénéfices par une société filiale sise dans un État membre à sa société mère établie dans un autre État membre dès lors qu’il résulte de l’article 1er de celle-ci qu’elle vise les seules distributions reçues par des sociétés d’un État membre et provenant de leurs filiales ayant leur siège dans d’autres États membres (voir, en ce sens, ordonnance du 4 juin 2009, KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer, C-439/07 et C-499/07, EU:C:2009:339, point 62 ainsi que jurisprudence citée).

113

Les mécanismes de la directive 90/435, en particulier son article 5, sont, dès lors, conçus pour des situations dans lesquelles, sans leur application, l’exercice par les États membres de leurs pouvoirs d’imposition pourrait conduire à ce que les bénéfices distribués par la société filiale à sa société mère soient soumis à une double imposition (arrêt du 8 mars 2017, Wereldhave Belgium e.a., C-448/15, EU:C:2017:180, point 39). De tels mécanismes n’ont en revanche pas vocation à s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif des dividendes est une société ayant sa résidence fiscale en dehors de l’Union puisque, dans un tel cas, l’exonération de la retenue à la source desdits dividendes dans l’État membre à partir duquel ils sont versés risquerait d’aboutir à ce que ces dividendes ne soient pas imposés de façon effective dans l’Union.

114

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de répondre aux quatrièmes questions, sous d) et e), dans les affaires au principal que la preuve d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. La réunion d’un certain nombre d’indices peut attester de l’existence d’un abus de droit, pour autant que ces indices sont objectifs et concordants. Peuvent constituer de tels indices, notamment, l’existence de sociétés relais n’ayant pas de justification économique ainsi que le caractère purement formel de la structure du groupe de sociétés, du montage financier et des prêts.

Sur la charge de la preuve de l’abus de droit

115

Il y a lieu de constater que la directive 90/435 ne contient pas de dispositions relatives à la charge de la preuve de l’existence d’un abus de droit.

116

Toutefois, ainsi que le soutiennent les gouvernements danois et allemand, c’est en principe aux sociétés qui demandent à bénéficier de l’exonération de la retenue à la source sur les dividendes prévue à l’article 5 de la directive 90/435 d’établir qu’elles remplissent les conditions objectives imposées par celle-ci. En effet, rien n’empêche les autorités fiscales concernées d’exiger du contribuable les preuves qu’elles jugent nécessaires pour l’établissement concret des impôts et des taxes concernés et, le cas échéant, de refuser l’exonération demandée si ces preuves ne sont pas fournies (arrêt du 28 février 2013, Petersen et Petersen, C-544/11, EU:C:2013:124, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

117

En revanche, dans le cas où une autorité fiscale de l’État membre d’origine entend, pour un motif tiré de l’existence d’une pratique abusive, refuser à une société ayant versé des dividendes à une société établie dans un autre État membre l’exonération prévue à l’article 5 de la directive 90/435, il lui appartient d’établir l’existence d’éléments constitutifs d’une telle pratique abusive en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents, notamment du fait que la société à laquelle les dividendes ont été versés n’en est pas le bénéficiaire effectif.

118

À cet égard, il appartient à une telle autorité non pas d’identifier les bénéficiaires effectifs de ces dividendes, mais d’établir que le prétendu bénéficiaire effectif n’est qu’une société relais par l’intermédiaire de laquelle un abus de droit a été commis. En effet, pareille identification peut s’avérer impossible, notamment parce que les bénéficiaires effectifs potentiels sont inconnus. L’autorité fiscale nationale ne dispose pas nécessairement, compte tenu de la complexité de certains montages financiers et de la possibilité que les sociétés intermédiaires impliquées dans les montages soient établies en dehors de l’Union, des renseignements lui permettant d’identifier ces bénéficiaires. Or, il ne saurait être exigé de cette autorité qu’elle fournisse des preuves qu’il lui serait impossible d’apporter.

119

Par ailleurs, même si les bénéficiaires effectifs potentiels sont connus, il n’est pas nécessairement établi lesquels d’entre eux sont ou seront les bénéficiaires effectifs réels. Ainsi, en l’occurrence, dans l’affaire C-117/16, la juridiction de renvoi indique que, si Y Chypre a pour société mère Y Bermudes, ayant son siège aux Bermudes, cette dernière a elle-même pour société mère Y USA, établie aux États-Unis. Or, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi estimerait que Y Chypre n’est pas le bénéficiaire effectif des dividendes, les autorités fiscales et les juridictions de l’État membre d’origine des dividendes se trouveraient, selon toute vraisemblance, dans l’impossibilité de déterminer laquelle de ces deux sociétés mères est ou sera le bénéficiaire effectif de ces dividendes. En particulier, l’attribution desdits dividendes pourrait avoir être décidée postérieurement aux constatations de l’autorité fiscale relatives à la société relais.

120

Par conséquent, il y a lieu de répondre aux huitièmes questions dans les affaires au principal que, en vue de refuser de reconnaître à une société la qualité de bénéficiaire effectif de dividendes ou d’établir l’existence d’un abus de droit, une autorité nationale n’est pas tenue d’identifier la ou les entités qu’elle considère comme étant les bénéficiaires effectifs de ces dividendes.

Sur les sixièmes, septièmes, neuvièmes et dixièmes questions dans les affaires au principal

121

Par ses sixièmes, septièmes, neuvièmes et dixièmes questions dans les affaires au principal, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir, pour le cas où le régime, prévu à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 90/435, d’exonération de la retenue à la source sur les dividendes versés par une société résidente d’un État membre à une société résidente d’un autre État membre ne serait pas applicable, si les articles 49 et 54 TFUE ou l’article 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à différents aspects de la réglementation du premier État membre, telle que celle en cause au principal, relative à l’imposition de ces dividendes.

122

À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que ces questions reposent sur la prémisse selon laquelle l’inapplicabilité de ce régime d’exonération découle du constat de l’existence d’une fraude ou d’un abus, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435. Or, en pareil cas, une société résidente d’un État membre ne saurait, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 70 du présent arrêt, revendiquer le bénéfice des libertés consacrées par le traité FUE pour mettre en cause la réglementation nationale régissant l’imposition des dividendes versés à une société résidente d’un autre État membre.

123

Il convient, par conséquent, de répondre aux sixièmes, septièmes, neuvièmes et dixièmes questions dans les affaires au principal que, dans une situation dans laquelle le régime, prévu par la directive 90/435, d’exonération de la retenue à la source sur les dividendes versés par une société résidente d’un État membre à une société résidente d’un autre État membre n’est pas applicable en raison de la constatation de l’existence d’une fraude ou d’un abus, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, l’application des libertés consacrées par le traité FUE ne saurait être invoquée pour mettre en cause la réglementation du premier État membre régissant l’imposition de ces dividendes.

Sur les dépens

124

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

1)

Les affaires C-116/16 et C-117/16 sont jointes aux fins de l’arrêt.

 

2)

Le principe général du droit de l’Union selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union doit être interprété en ce sens que le bénéfice de l’exonération de la retenue à la source sur les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère, prévue à l’article 5 de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, telle que modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003, doit, en présence d’une pratique frauduleuse ou abusive, être refusé à un contribuable par les autorités et les juridictions nationales, même en l’absence de dispositions du droit national ou conventionnel prévoyant un tel refus.

 

3)

La preuve d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. La réunion d’un certain nombre d’indices peut attester de l’existence d’un abus de droit, pour autant que ces indices sont objectifs et concordants. Peuvent constituer de tels indices, notamment, l’existence de sociétés relais n’ayant pas de justification économique ainsi que le caractère purement formel de la structure du groupe de sociétés, du montage financier et des prêts.

 

4)

En vue de refuser de reconnaître à une société la qualité de bénéficiaire effectif de dividendes ou d’établir l’existence d’un abus de droit, une autorité nationale n’est pas tenue d’identifier la ou les entités qu’elle considère comme étant les bénéficiaires effectifs de ces dividendes.

 

5)

Dans une situation dans laquelle le régime, prévu par la directive 90/435, telle que modifiée par la directive 2003/123, d’exonération de la retenue à la source sur les dividendes versés par une société résidente d’un État membre à une société résidente d’un autre État membre n’est pas applicable en raison de la constatation de l’existence d’une fraude ou d’un abus, au sens de l’article 1er , paragraphe 2, de cette directive, l’application des libertés consacrées par le traité FUE ne saurait être invoquée pour mettre en cause la réglementation du premier État membre régissant l’imposition de ces dividendes.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le danois.