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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

26 avril 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Impôt régional sur les grands établissements commerciaux – Liberté d’établissement – Protection de l’environnement et aménagement du territoire – Aide d’État – Mesure sélective »

Dans les affaires C-236/16 et C-237/16,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décisions des 10 et 11 mars 2016, parvenues à la Cour le 25 avril 2016, dans les procédures

Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED)

contre

Diputación General de Aragón,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C.G. Fernlund, J.–C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et E. Regan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juillet 2017,

considérant les observations présentées :

pour l’Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED), par Mes J. Pérez-Bustamante Köster et F. Löwhagen, abogados, ainsi que par M. J. M. Villasante García, procurador,

pour la Diputación General de Aragón, par Me I. Susín Jiménez Ignacio, letrado, et M. J. A. Morales Hernández-San, procurador,

pour la Commission européenne, par Mmes N. Gossement et P. Němečková ainsi que par M. G. Luengo, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 49 et 54 TFUE ainsi que de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant l’Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED) à la Diputación General de Aragón (gouvernement régional d’Aragon, Espagne) au sujet de la légalité d’un impôt auquel sont soumis les grands établissements commerciaux situés dans la Communauté autonome d’Aragon.

Le droit espagnol

3

La Ley de las Cortes de Aragón 13/2005, de medidas fiscales y administrativas en materia de tributos cedidos y tributos propios de la Comunidad Autónoma de Aragón (loi du Parlement d’Aragon 13/2005, portant mesures fiscales et administratives en matière de droits cédés et de droits propres à la Communauté autonome d’Aragon), du 30 décembre 2005 (BOA no 154, du 31 décembre 2005, ci-après la « loi 13/2005 »), a institué, à partir du 1er janvier 2006, un impôt sur le préjudice environnemental causé par les grandes surfaces de ventes (ci-après l’« IDMGAV »).

4

L’article 28 de la loi 13/2005 précise que cet impôt vise à imposer l’activité des établissements commerciaux, au motif qu’elle induit de nombreux déplacements de véhicules et a, de ce fait, une influence négative sur l’environnement et le territoire de la Communauté autonome d’Aragon.

5

L’article 29 de la loi 13/2005 indique qu’un établissement commercial est réputé disposer d’une grande surface de vente lorsque la surface de vente ouverte au public est supérieure à 500 m2.

6

L’article 32 de la loi 13/2005 précise que sont redevables de l’IDMGAV les « titulaires de l’activité et du commerce causant le préjudice environnemental soumis à l’impôt ».

7

L’article 33 de la loi 13/2005 prévoit que sont exonérés dudit impôt les établissements commerciaux dont l’activité principale consiste à vendre les produits suivants : machines-outils, véhicules, outillage et fourniture industrielles ; matériaux de construction, équipements sanitaires, portes et fenêtres, vendus exclusivement à des professionnels ; pépinières pour le jardinage et la culture ; mobilier vendu dans les établissements individuels, « traditionnels » et spécialisés ; véhicules automobiles, en salles d’exposition de concessionnaires et en ateliers de réparation ; combustibles et carburant.

8

L’article 34 de cette loi précise les modalités de calcul de la base d’imposition et l’article 35 de celle-ci fixe les modalités de calcul de cet impôt, qui prévoient notamment l’application d’un coefficient en fonction du lieu de l’établissement, lorsque la base d’imposition dépasse 2000 m2. Il en résulte que le montant de l’impôt dû serait égal à 0 lorsque cette base d’imposition est inférieure ou égale à 2000 m2.

9

Le régime juridique de cet impôt a ensuite été précisé par des dispositions similaires du Decreto 1/2007 del Gobierno de Aragón, por el que se aprueba el Reglamento de desarrollo parcial de la Ley 13/2005 (décret 1/2007, du gouvernement régional d’Aragon, portant approbation du règlement d’exécution partielle de la loi 13/2005) (BOA no 8, du 20 janvier 2007, ci-après le « décret 1/2007 »).

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

10

Au cours de l’année 2007, l’ANGED, une association qui regroupe au niveau national de grandes entreprises de distribution, a introduit devant le Tribunal Superior de Justicia de Aragón (Cour supérieure de justice d’Aragon, Espagne) un recours tendant à l’annulation du décret 1/2007. Ce recours fait suite à celui qu’elle a formé en 2006 devant cette juridiction contre l’orden del Departamento de Economía, Hacienda y Empleo de la Diputación General de Aragón (arrêté du département des Finances, de l’Économie et de l’Emploi du gouvernement régional d’Aragon), du 12 mai 2006 (BOA no 57, du 22 mai 2006) qui détermine les dispositions nécessaires à l’application des taxes environnementales créées par la loi 13/2005 et approuve les formulaires de déclaration, de paiements fractionnés et d’auto-liquidation.

11

Cette juridiction a suspendu ses décisions dans ces deux affaires en attendant l’issue de recours portés devant le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne) par un groupe de députés et le gouvernement espagnol concernant la loi instituant l’IDMGAV. Après le rejet de ces recours par le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle), le Tribunal Superior de Justicia de Aragón (Cour supérieure de justice d’Aragon) a rejeté le recours introduit par l’ANGED contre le décret 1/2007 et a accueilli partiellement celui formé contre l’arrêté du 12 mai 2006. L’ANGED a alors formé un pourvoi contre ces deux arrêts devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne).

12

L’ANGED avait également saisi la Commission d’une plainte concernant l’institution de l’IDMGAV et son prétendu caractère d’aide d’État.

13

Par lettre du 28 novembre 2014, la Commission a informé les autorités espagnoles que, à la suite d’une évaluation préliminaire du régime de l’IDMGAV, l’exonération accordée aux petits établissements commerciaux ainsi qu’à certains établissements spécialisés pouvait être susceptible d’être considérée comme une aide d’État incompatible avec le marché intérieur, et qu’il convenait que le Royaume d’Espagne supprime ou modifie cet impôt.

14

C’est dans ce contexte que le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, identiques dans les affaires C-236/16 et C-237/16 :

« 1)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’existence d’une taxe régionale qui est censée taxer le préjudice environnemental causé par l’utilisation des installations et des éléments affectés à l’activité et au commerce réalisés dans les établissements commerciaux ayant une grande surface de vente et de stationnement pour la clientèle, dès lors que la surface de vente ouverte au public est supérieure à 500 m2, qui est exigible quel que soit le lieu où sont effectivement situés ces établissements commerciaux, dans ou hors du tissu urbain consolidé, et qui, dans la plupart des cas, frappe les entreprises d’autres États membres, eu égard au fait que :

a)

en réalité, elle ne s’applique pas aux commerçants qui sont propriétaires de plusieurs établissements commerciaux, quelle que soit la surface totale de vente ouverte au public, si aucun de ces établissements ne dispose d’une surface de vente ouverte au public supérieure à 500 m2 ou, si l’un ou plusieurs d’entre eux dépassent ce seuil, dès lors que la base d’imposition ne dépasse pas 2000 m2, alors qu’elle frappe effectivement les commerçants ayant un seul établissement commercial dont la surface de vente ouverte au public dépasse ces seuils et au fait que

b)

cette taxe ne s’applique pas aux établissements commerciaux vendant exclusivement des machines, des véhicules, de l’outillage et des fournitures industrielles ; des matériaux de construction, d’assainissement et des portes et des fenêtres [aux] professionnels ; [du mobilier] dans des établissements individuels, traditionnels et spécialisés ; des véhicules automobiles [en salles d’exposition et en ateliers, mais aussi aux jardineries ainsi qu’aux stations-services], quelle que soit leur surface de vente ouverte au public ?

2)

L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que constitue une aide d’État interdite, conformément à cette disposition, le fait de ne pas soumettre à l’IDMGAV les établissements commerciaux dont la surface de vente ouverte au public ne dépasse pas 500 m2 ou dépasse ce seuil mais dont la base d’imposition ne dépasse pas 2000 m2, et les établissements commerciaux vendant exclusivement des machines, des véhicules, de l’outillage et des fournitures industrielles ; des matériaux de construction, d’assainissement [et] des portes et des fenêtres [aux professionnels] ; [du mobilier] dans des établissements individuels, traditionnels et spécialisés ; des véhicules automobiles [en salles d’exposition et en ateliers, mais aussi les jardineries ainsi que les stations-services] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

15

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un impôt frappant les grands établissements commerciaux, tel que celui en cause au principal.

16

Selon une jurisprudence constante, la liberté d’établissement vise à garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil aux ressortissants d’autres États membres et aux sociétés visées à l’article 54 TFUE, et interdit, pour ce qui concerne les sociétés, toute discrimination fondée sur le lieu du siège (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, C-374/04, EU:C:2006:773, point 43, ainsi que du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France, C-170/05, EU:C:2006:783, point 22).

17

Sont, à cet égard, prohibées non seulement les discriminations ostensibles fondées sur le lieu du siège des sociétés, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport-és Divatkereskedelmi, C-385/12, EU:C:2014:47, point 30 et jurisprudence citée).

18

Par ailleurs, un prélèvement obligatoire qui prévoit un critère de différenciation apparemment objectif mais qui défavorise dans la plupart des cas, compte tenu de ses caractéristiques, les sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres et qui sont dans une situation comparable à celles ayant leur siège dans l’État membre d’imposition, constitue une discrimination indirecte fondée sur le lieu du siège des sociétés interdite par les articles 49 et 54 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport-és Divatkereskedelmi, C-385/12, EU:C:2014:47, points 37 à 41).

19

Dans les affaires au principal, la législation en cause pose un critère relatif à la surface de vente de l’établissement, lequel n’établit aucune discrimination directe.

20

Il ne ressort pas non plus des éléments soumis à la Cour que ce critère défavorise dans la plupart des cas des ressortissants d’autres États membres ou des sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres.

21

En effet, un tel constat ne résulte pas des données fournies par l’ANGED dans le cadre de ses observations écrites, lesquelles visent d’ailleurs essentiellement l’impôt sur les grands établissements institué par la Communauté autonome de Catalogne.

22

La juridiction de renvoi précise, en outre, qu’elle manque d’informations « valables » pour démontrer l’existence éventuelle d’une discrimination cachée.

23

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à un impôt frappant les grands établissements commerciaux, tel que celui en cause au principal.

Sur la seconde question

24

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si est constitutif d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, un impôt tel que celui en cause au principal qui frappe les grands établissements de distribution en fonction, essentiellement, de leur surface de vente, en ce qu’il en exonère ceux dont la surface de vente ne dépasse pas 500 m2, ceux dont la surface de vente dépasse ce seuil mais dont la base d’imposition ne dépasse pas 2000 m2 et ceux dont l’activité est consacrée à la vente de machines, de véhicules, d’outillage et de fournitures industrielles, de matériaux de construction, d’assainissement et de portes et de fenêtres pour les professionnels, de mobilier dans des établissements individuels traditionnels et spécialisés et de véhicules automobiles ainsi que les jardineries et les stations-services.

25

La qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C-20/15 P et C-21/15 P, EU:C:2016:981, point 53).

26

En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage, dont il a davantage été fait état devant la Cour, il résulte d’une jurisprudence constante que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de « discriminatoire » (voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C-20/15 P et C-21/15 P, EU:C:2016:981, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

27

S’agissant en particulier de mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et constitue, partant, une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, ne constitue pas une telle aide au sens de cette disposition, un avantage fiscal résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C-20/15 P et C-21/15 P, EU:C:2016:981, point 56 ).

28

À cet égard, la qualification d’une mesure fiscale nationale de « sélective » suppose, dans un premier temps, d’identifier le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et, dans un second temps, de démontrer que la mesure fiscale examinée y déroge, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C-20/15 P et C-21/15 P, EU:C:2016:981, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

29

Il y a lieu également de rappeler que le cadre juridique de référence aux fins d’apprécier la sélectivité d’une mesure ne doit pas nécessairement être déterminé dans les limites du territoire de l’État membre concerné, mais peut être celui du territoire dans le cadre duquel une autorité régionale ou locale exerce la compétence qu’elle tient de la constitution ou de la loi. Tel est le cas lorsque cette entité dispose d’un statut de droit et de fait la rendant suffisamment autonome par rapport au gouvernement central d’un État membre pour que, par les mesures qu’elle adopte, ce soit cette entité, et non le gouvernement central, qui joue un rôle fondamental dans la définition de l’environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises [voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2008, Union General de Trabajadores de La Rioja (UGT-Rioja) e.a., C-428/06 à C-434/06, EU:C:2008:488, points 47 à 50 ainsi que jurisprudence citée].

30

N’est toutefois pas constitutive d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, une mesure introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélective, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C-20/15 P et C-21/15 P, EU:C:2016:981, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

31

Une mesure portant exception à l’application du système fiscal général peut être justifiée par la nature et l’économie générale du système fiscal si l’État membre concerné peut démontrer que cette mesure résulte directement des principes fondateurs ou directeurs de son système fiscal. À cet égard, une distinction doit être établie entre les objectifs assignés à un régime fiscal particulier et qui lui sont extérieurs et, d’autre part, les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de ces objectifs (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C-88/03, EU:C:2006:511, point 81).

32

Il convient également de rappeler que si, afin d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale, il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal regardé comme étant commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère est tout à fait pertinente à cette fin lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C-20/15 P et C-21/15 P, EU:C:2016:981, point 77).

33

S’agissant de la législation en cause au principal, il convient d’abord de relever qu’il n’a pas été contesté devant la Cour que le cadre de référence territorial devrait être celui de la Communauté autonome d’Aragon.

34

Si le critère relatif à la surface de vente ne se présente pas comme étant formellement dérogatoire à un cadre juridique de référence donné, il n’en a pas moins pour effet d’exclure les établissements commerciaux dont la surface de vente est inférieure au seuil fixé du champ d’application de cet impôt. Ainsi, l’IDMGAV ne saurait être distingué d’un impôt régional auquel sont assujettis les établissements commerciaux dont la surface de vente excède un certain seuil.

35

Or, l’article 107, paragraphe 1, TFUE définit les interventions étatiques en fonction de leurs effets, indépendamment des techniques utilisées (arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates Association, C-487/06 P, EU:C:2008:757, point 89).

36

Il ne peut, dès lors, être exclu a priori qu’un tel critère permette de favoriser, en pratique, « certaines entreprises ou certaines productions », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

37

Dans ce contexte, il convient par conséquent de déterminer si les établissements commerciaux qui sont ainsi exclus du champ d’application de cet impôt se trouvent ou non dans une situation comparable à celle des établissements qui en relèvent.

38

Dans le cadre de cette analyse, il importe de tenir compte de ce que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, relève de la compétence fiscale des États membres ou des entités infraétatiques disposant d’une autonomie fiscale la désignation des bases d’imposition et la répartition de la charge fiscale sur les différents facteurs de production et les différents secteurs économiques (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732, point 97).

39

En effet, comme le rappelle la Commission au point 156 de sa communication relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2016, C 262, p. 1), « les États membres sont libres de décider de la politique économique qu’ils jugent la plus appropriée et, en particulier, de répartir comme ils l’entendent la charge fiscale entre les différents facteurs de production[,] [...] dans le respect du droit de l’Union ».

40

S’agissant de l’impôt en cause au principal, il ressort des indications données par la juridiction de renvoi qu’il a pour objectif de contribuer à la protection de l’environnement et à l’aménagement du territoire. Il s’agirait, en effet, de corriger et de compenser les conséquences environnementales et territoriales sur le territoire en cause de l’activité de ces grands établissements commerciaux, résultant en particulier des flux de circulation engendrés, en les faisant contribuer au financement de plans d’action environnementaux et à l’amélioration des infrastructures.

41

À cet égard, il ne saurait être contesté que l’impact environnemental des établissements commerciaux dépend largement de leur taille. En effet, plus leur surface de vente est élevée, plus grande est l’affluence du public, ce qui se traduit par des atteintes à l’environnement. Il en résulte qu’un critère fondé sur le seuil de surface, tel que celui retenu par la législation nationale en cause au principal, afin de distinguer entre les entreprises selon que leur impact est plus ou moins fort, est cohérent avec les objectifs poursuivis.

42

Il est également manifeste que l’implantation de tels établissements présente un enjeu particulier en termes de politique d’aménagement du territoire, quelle que soit la localisation de ceux-ci (voir, par analogie, arrêt du 24 mars 2011, Commission/Espagne, C-400/08, EU:C:2011:172, point 80).

43

Quant à la détermination du niveau du seuil et des modalités de calcul de la base d’imposition, elle relève de la marge d’appréciation du législateur national et repose, en outre, sur des appréciations techniques et complexes pour lesquelles la Cour ne saurait appliquer qu’un contrôle juridictionnel limité.

44

Il convient d’ajouter que la circonstance que la législation en cause au principal ne prévoit pas qu’il y a lieu, aux fins du calcul de l’impôt, d’additionner les surfaces des établissements commerciaux qui seraient détenus par un même propriétaire n’apparaît pas incohérente avec les objectifs poursuivis par le législateur national.

45

Dans ces conditions, un critère d’assujettissement à l’impôt fondé sur la surface de vente de l’entreprise, tel que celui en cause au principal, conduit à distinguer des catégories d’établissements qui ne se trouvent pas dans une situation comparable au regard de ces objectifs.

46

Dès lors, l’exonération fiscale dont bénéficient les établissements commerciaux situés sur le territoire de la Communauté autonome d’Aragon dont la surface de vente est inférieure à 500 m2 et ceux dont la surface de vente dépasse ce seuil mais dont la base d’imposition n’excède pas 2000 m2 ne peut être regardée comme conférant un avantage sélectif à ces établissements et, partant, n’est pas susceptible de constituer une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

47

La juridiction de renvoi s’interroge également sur les autres caractéristiques de l’impôt en cause au principal. Elle se demande si l’exonération totale accordée aux établissements qui exercent leur activité dans le secteur de la vente de machines, de véhicules, d’outillage et de fournitures industrielles, de matériaux de construction, d’assainissement et de portes et de fenêtres pour les professionnels, de mobilier dans des établissements individuels traditionnels et spécialisés et de véhicules automobiles ainsi qu’aux jardineries et aux stations-services est constitutive d’un avantage à leur profit.

48

Il y a lieu de relever que cette mesure présente un caractère dérogatoire par rapport au cadre de référence constitué par cette imposition spécifique.

49

La Communauté autonome d’Aragon fait valoir, dans ses observations écrites, que les activités des établissements commerciaux concernés, si elles nécessitent de grandes surfaces de vente, causent moins d’atteintes à l’environnement et à l’aménagement du territoire que les activités des établissements qui relèvent de l’imposition en cause.

50

Un tel élément peut être de nature à justifier la distinction retenue par la législation contestée au principal qui, dès lors, n’entraînerait pas l’attribution d’un avantage sélectif au profit des établissements commerciaux concernés. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier que tel est bien le cas dans les affaires pendantes devant elle.

51

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que n’est pas constitutif d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, un impôt tel que celui en cause au principal, qui frappe les grands établissements de distribution en fonction, essentiellement, de leur surface de vente, en ce qu’il en exonère ceux de ces établissements dont la surface de vente ne dépasse pas 500 m2 et ceux dont la surface de vente dépasse ce seuil mais dont la base d’imposition ne dépasse pas 2000 m2. Un tel impôt n’est pas non plus constitutif d’une aide d’État, au sens de cette disposition, en ce qu’il en exonère les établissements qui exercent leur activité dans le secteur de la vente de machines, de véhicules, d’outillage et de fournitures industrielles, de matériaux de construction, d’assainissement et de portes et de fenêtres pour les professionnels, de mobilier dans des établissements individuels traditionnels et spécialisés et de véhicules automobiles, ainsi que les jardineries et les stations-services, dès lors que ces établissements ne causent pas des atteintes à l’environnement et à l’aménagement du territoire aussi importantes que les autres, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

52

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

1)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à un impôt frappant les grands établissements commerciaux, tel que celui en cause au principal.

 

2)

N’est pas constitutif d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, un impôt tel que celui en cause au principal, qui frappe les grands établissements de distribution en fonction, essentiellement, de leur surface de vente, en ce qu’il en exonère ceux de ces établissements dont la surface de vente ne dépasse pas 500 m2 et ceux dont la surface de vente dépasse ce seuil mais dont la base d’imposition ne dépasse pas 2000 m2. Un tel impôt n’est pas non plus constitutif d’une aide d’État, au sens de cette disposition, en ce qu’il en exonère les établissements qui exercent leur activité dans le secteur de la vente de machines, de véhicules, d’outillage et de fournitures industrielles, de matériaux de construction, d’assainissement et de portes et de fenêtres pour les professionnels, de mobilier dans des établissements individuels traditionnels et spécialisés et de véhicules automobiles, ainsi que les jardineries et les stations-services, dès lors que ces établissements ne causent pas des atteintes à l’environnement et à l’aménagement du territoire aussi importantes que les autres, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.