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ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

26 avril 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Directive 2006/112/CE – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Déduction de la taxe payée en amont – Droit au remboursement de la TVA – Opérations relevant d’une période d’imposition ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal clôturé – Législation nationale – Possibilité pour l’assujetti de rectifier les déclarations fiscales ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal – Exclusion – Principe d’effectivité – Neutralité fiscale – Sécurité juridique »

Dans l’affaire C-81/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Suceava (cour d’appel de Suceava, Roumanie), par décision du 23 janvier 2017, parvenue à la Cour le 14 février 2017, dans la procédure

Zabrus Siret SRL

contre

Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Iaşi – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Suceava,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. C. Vajda, président de chambre, M. E. Juhász (rapporteur) et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement roumain, par M. R. Radu ainsi que par Mmes C. M. Florescu et R. Mangu, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et L. Radu Bouyon, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive TVA »), ainsi que des principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Zabrus Siret SRL (ci-après « Zabrus ») au Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Iaşi – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Suceava (direction générale des finances publiques de Iași – administration départementale des finances publiques de Suceava, Roumanie) (ci-après la « direction générale »), au sujet de la possibilité pour l’assujetti de rectifier les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afin de faire valoir le droit à déduction de la TVA.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 167 de la directive TVA prévoit :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

4

L’article 168 de cette directive dispose :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

5

Aux termes de l’article 179, premier alinéa, de la directive TVA, « [l]a déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période ».

6

L’article 180 de cette directive est libellé comme suit :

« Les États membres peuvent autoriser un assujetti à procéder à une déduction qui n’a pas été effectuée conformément aux articles 178 et 179. »

7

Aux termes de l’article 182 de la directive TVA, « [l]es États membres déterminent les conditions et modalités d’application des articles 180 et 181 ».

8

L’article 183 de la directive TVA prévoit :

« Lorsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent.

Toutefois, les États membres peuvent refuser le report ou le remboursement lorsque l’excédent est insignifiant. »

9

L’article 250 de cette directive dispose :

« 1.   Tout assujetti doit déposer une déclaration de TVA dans laquelle figurent toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer, y compris, et dans la mesure où cela est nécessaire pour la constatation de l’assiette, le montant global des opérations relatives à cette taxe et à ces déductions ainsi que le montant des opérations exonérées.

2.   Les États membres autorisent, et peuvent exiger, que la déclaration visée au paragraphe 1 soit faite, dans les conditions qu’ils déterminent, par voie électronique. »

10

L’article 252 de ladite directive dispose :

« 1.   La déclaration de TVA doit être déposée dans un délai à fixer par les États membres. Ce délai ne peut dépasser de plus de deux mois le terme de chaque période imposable.

2.   Les États membres fixent la durée de la période imposable à un, deux ou trois mois.

Les États membres peuvent toutefois fixer des durées différentes pour autant qu’elles n’excèdent pas un an. »

Le droit roumain

11

L’Ordonanța Guvernului nr. 92/2003 privind Codul de procedură fiscală (ordonnance du gouvernement no 92/2003 portant code de procédure fiscale, Monitorul Oficial al României, partie I, no 863 du 26 septembre 2005), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal (ci-après le « code de procédure fiscale »), prévoit, à son article 84, intitulé « La rectification des déclarations fiscales » :

« (1)

Les déclarations fiscales peuvent être rectifiées par le contribuable, de sa propre initiative, dans le délai de prescription du droit de fixer des obligations fiscales.

(2)

Les déclarations fiscales peuvent être rectifiées lorsque le contribuable constate des erreurs dans la déclaration initiale, en présentant une déclaration rectificative.

(3)

Dans le cas de la [TVA], la rectification des erreurs dans les déclarations de taxe est faite conformément aux dispositions du code des impôts. Les erreurs matérielles de la déclaration de la [TVA] sont rectifiées conformément à la procédure approuvée par arrêté du président de l’Agenția Națională de Administrare Fiscală [Agence nationale d’administration fiscale (ANAF)].

(4)

Les déclarations fiscales ne peuvent être ni déposées ni rectifiées après la levée de la réserve du contrôle ultérieur, excepté dans le cas où la rectification est due au respect ou au non-respect d’une condition légale imposant la rectification de la base d’imposition et/ou de l’impôt correspondant.

(5)

On entend par “erreurs”, au sens du présent article, les erreurs relatives au montant des impôts, taxes et contributions, des biens et des revenus imposables ainsi que d’autres éléments de la base d’imposition.

(6)

Si, lors du contrôle fiscal, le contribuable dépose ou rectifie les déclarations fiscales relatives aux périodes et aux impôts, taxes, contributions ainsi qu’autres revenus faisant l’objet du contrôle fiscal, celles-ci ne sont pas prises en considération par l’autorité fiscale. »

12

L’article 105 du code de procédure fiscale, comportant les « Règles concernant le contrôle fiscal », dispose :

« [...]

(3)   Le contrôle fiscal est effectué une seule fois pour chaque impôt, taxe, contribution et autres sommes dues au budget général consolidé et pour chaque période d’imposition.

[...]

(5)   Le contrôle fiscal est effectué conformément aux principes d’indépendance, d’unité, d’autonomie, de hiérarchie, de territorialité et de décentralisation.

[...]

(8)   À la fin du contrôle fiscal, le contribuable est tenu de produire une attestation sur l’honneur certifiant avoir fourni tous les documents et informations demandés aux fins du contrôle fiscal.

(9)   Le contribuable est tenu de prendre les mesures prévues dans l’acte établi à l’occasion du contrôle fiscal, dans les délais et les conditions fixés par les autorités de contrôle fiscal. »

13

L’article 105 bis de ce code, relatif aux « Règles concernant le nouveau contrôle », est libellé comme suit :

« (1)   Par dérogation aux dispositions de l’article 105, paragraphe 3, le contrôleur fiscal peut décider de contrôler à nouveau une certaine période.

2)   (On entend par “nouveau contrôle” le contrôle fiscal effectué après l’apparition de données supplémentaires, non connues des contrôleurs fiscaux à la date de leurs contrôles, qui ont une incidence sur le résultat de ces derniers.

(3)   On entend par “données supplémentaires” les informations, documents ou autres pièces obtenus à la suite de contrôles croisés, inopinés ou transmis à l’autorité fiscale par les autorités chargées des poursuites pénales ou par d’autres autorités publiques ou obtenus de quelque manière que ce soit par les autorités de contrôle, susceptibles de modifier le résultat du contrôle fiscal précédent.

(4)   Au début du nouveau contrôle, l’autorité de contrôle fiscal est tenue de communiquer au contribuable la décision de nouveau contrôle, qui peut être contestée dans les conditions prévues dans le présent code. Les dispositions relatives au contenu et à la communication de l’avis de contrôle s’appliquent mutatis mutandis à la décision de nouveau contrôle. »

14

L’article 106 dudit code, intitulé « L’obligation de collaboration du contribuable », prévoit, à son paragraphe 1, que le contribuable est tenu de collaborer à l’établissement de la situation factuelle fiscale. Il est tenu de fournir les informations et de présenter, à l’endroit où le contrôle fiscal a lieu, tous les documents ainsi que tout autre élément nécessaire pour clarifier la situation factuelle fiscalement pertinente.

15

L’annexe 1 de l’Ordinul nr. 179 pentru aprobarea instrucțiunilor de corectare a erorilor materiale din deconturile de taxă pe valoarea adăugată (arrêté no 179 portant approbation des règles de rectification des erreurs matérielles dans les déclarations de la taxe sur la valeur ajoutée), du 14 mai 2007 (ci-après l’« arrêté no 179/2007 ») dispose, à ses points 1, 3.1, 4.1 et 4.2 :

« 1.

Les erreurs matérielles des déclarations de la [TVA] déposées par les assujettis à la TVA peuvent être rectifiées par l’autorité fiscale compétente, à l’initiative de celle-ci ou à la demande de l’assujetti.

[...]

3.1.

La rectification des erreurs matérielles dans la déclaration de la [TVA] peut être faite dans le délai de prescription de 5 ans à compter du 1er janvier de l’année suivant celle où la déclaration dont la rectification est demandée a été déposée.

[...]

4.1.

Conformément aux présentes règles, la rectification des erreurs matérielles dans la déclaration de la [TVA] n’est pas possible pour la période fiscale ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal ou pour laquelle un contrôle fiscal est en cours.

4.2.

Par dérogation au point 4.1, la rectification de la déclaration de la [TVA] peut être faite sur le fondement de l’acte portant disposition de mesures à prendre communiqué par l’autorité de contrôle fiscal. Dans ce cas, la demande de rectification de l’erreur matérielle déposée par l’assujetti est accompagnée de la copie ou de l’original de l’acte portant disposition de mesures à prendre. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16

Zabrus a fait l’objet d’un contrôle en matière de TVA pour la période du 1er mai 2014 au 30 novembre 2014. Ce contrôle a été clôturé par un rapport du 26 janvier 2015.

17

Le 25 mai 2015, Zabrus a déposé une déclaration de TVA, relative au mois d’avril 2015, avec option de remboursement de cette taxe. À cette occasion, elle a notamment demandé le remboursement de deux montants s’élevant, respectivement, à 39637 lei roumains (RON) et à 26627 RON. Le premier montant a été inscrit dans cette déclaration à la suite de la rectification, après la clôture du contrôle fiscal susvisé, d’une note comptable de compensation de la TVA du mois de juillet 2014. Le second montant résulte de la rectification, au mois de février 2015, d’opérations effectuées au cours de l’année 2014, à l’égard desquelles Zabrus n’a identifié les pièces justificatives pertinentes, dans sa comptabilité, qu’après ledit contrôle fiscal.

18

Par la suite, Zabrus a fait l’objet d’un contrôle fiscal couvrant la période allant du 1er décembre 2014 au 30 avril 2015. Ce contrôle fiscal s’est conclu par un rapport émis le 9 juillet 2015.

19

Les autorités fiscales ont refusé de rembourser les montants de la TVA s’élevant à 39637 RON et à 26627 RON, au motif que les sommes réclamées portent sur des opérations réalisées lors d’une période d’imposition antérieure à la période contrôlée, qui a déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal en matière de TVA, ayant pris fin le 26 janvier 2015. Elles ont indiqué que, conformément à la réglementation nationale applicable, le principe d’unité du contrôle fiscal s’oppose au remboursement de ces montants demandés par Zabrus, car, à l’égard de la période déjà contrôlée, aucune irrégularité concernant les contributions de la TVA n’avait été constatée et les organes de contrôle n’avaient adopté aucun acte portant disposition de mesures à prendre par Zabrus.

20

Zabrus a, en vain, cherché, par différentes voies administratives, à faire valoir son droit au remboursement de la TVA. En particulier, tant sa demande de nouveau contrôle fiscal de la période du 1er mai 2014 au 30 novembre 2014 que sa demande de rectification d’erreur matérielle dans les déclarations de TVA des mois de mai à octobre 2014 ont été rejetées.

21

Le 22 octobre 2015, Zabrus a introduit, devant le Tribunalul Suceava (tribunal de grande instance de Suceava, Roumanie), un recours en annulation de la décision de la direction générale rejetant le remboursement de la TVA correspondant auxdits montants. Dans sa requête, Zabrus a souligné que la déduction de la TVA est un droit du contribuable qui ne saurait être restreint si les conditions de fond sont remplies, même s’il n’est pas satisfait à certaines exigences de forme. Elle a également affirmé que le refus des autorités fiscales de contrôler la TVA en invoquant le principe d’unité du contrôle fiscal équivaut à supprimer le droit à déduction en imposant des conditions supplémentaires de fond et de forme non conformes au droit de l’Union, de telle sorte qu’il s’agit d’une mesure disproportionnée et excessivement contraignante pour le contribuable.

22

La direction générale a fait valoir que, conformément aux dispositions du code de procédure fiscale et de l’arrêté no 179/2007, les opérations relatives à une période ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal ne peuvent être rectifiées ou à nouveau contrôlées qu’à l’initiative de l’autorité fiscale, en cas de survenance d’informations nouvelles grâce à la coopération avec d’autres institutions ou d’existence d’actes portant disposition de mesures à prendre adoptés lors de contrôles antérieurs. Toutefois, le cas de figure en l’espèce ne relèverait pas de telles hypothèses.

23

Par jugement du 31 mars 2016, le Tribunalul Suceava (tribunal de grande instance de Suceava) a rejeté le recours de Zabrus comme étant non fondé, au motif que le nouveau contrôle d’une période ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal exige l’existence d’informations nouvelles par rapport à celles contrôlées, inconnues des autorités au moment du premier contrôle et dont la production tardive ne doit pas être imputable à l’assujetti soumis au contrôle ou à l’autorité fiscale.

24

Cette juridiction a estimé que le principe d’unité du contrôle fiscal et celui de la sécurité des rapports juridiques seraient violés s’il était possible, après contrôle, de déposer des pièces justificatives ou de prendre en considération des erreurs d’enregistrement modifiant le montant à rembourser, dans des conditions autres que celles restrictivement prévues par le législateur en la matière. Elle a également indiqué que la perte du droit à déduction n’est pas disproportionnée, dans la mesure où l’erreur d’enregistrement ainsi que la découverte ultérieure des pièces justificatives sont imputables à Zabrus.

25

Ladite juridiction a, en outre, relevé que l’erreur d’enregistrement de la TVA à rembourser, d’un montant de 39637 RON, et la découverte ultérieure de pièces justificatives pour la déclaration de la TVA, d’un montant de 26627 RON, constituent non pas des informations supplémentaires, au sens de la réglementation nationale, mais des erreurs matérielles dans les déclarations de TVA qui ne peuvent plus être rectifiées, car le contrôle fiscal de la période allant du 1er mai 2014 au 30 novembre 2014, conclu par le rapport du 26 janvier 2015, en l’absence de constatation d’anomalies susceptibles de modifier la base d’imposition de la TVA, n’a pas été suivi de l’adoption d’un acte portant disposition de mesures à prendre par Zabrus rendant possible une rectification.

26

Le 31 mars 2016, Zabrus a formé un pourvoi contre ce jugement devant la Curtea de Apel Suceava (cour d’appel de Suceava) et a fait valoir que le droit au remboursement de la TVA ne saurait être écarté en imposant des conditions supplémentaires de fond ou de forme, telles que les conditions prévues dans la réglementation nationale, afin de rectifier les erreurs matérielles ou de procéder à un nouveau contrôle d’une période ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal. En invoquant les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité, Zabrus a relevé que la solution excessive adoptée par les autorités fiscales et confirmée par la juridiction de première instance annule son droit à déduction de la TVA pour des motifs contraires à la directive TVA.

27

La juridiction de renvoi considère que Zabrus ne saurait se fonder sur la jurisprudence de la Cour en matière de neutralité fiscale, dès lors qu’elle s’est vu opposer le refus du droit à déduction de la TVA non pas en raison du non-respect d’une exigence formelle du droit à déduction, mais en raison du principe d’unicité du contrôle fiscal, découlant du principe de sécurité juridique, ce dernier étant reconnu et protégé par le droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour.

28

Selon la juridiction de renvoi, il convient également de prendre en considération la possibilité, prévue par la réglementation nationale, de procéder à un nouveau contrôle d’une période ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal, mais cette possibilité est ouverte uniquement à l’initiative des autorités fiscales, en cas d’informations supplémentaires obtenues ultérieurement grâce à la coopération entre les institutions étatiques, disposition considérée comme étant conforme au droit de l’Union par la Cour dans son arrêt du 6 février 2014, Fatorie (C-424/12, EU:C:2014:50).

29

La juridiction de renvoi estime que les principes de neutralité, de proportionnalité et de sécurité juridique doivent également être appréciés, en l’espèce, au regard non seulement du manque de diligence de Zabrus mais aussi de la circonstance que les notes de compensation et de remboursement ont été émises par un service fiscal municipal.

30

Dans ces conditions, la Curtea de Apel Suceava (cour d’appel de Suceava) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La directive [TVA] et les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité s’opposent-ils, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, à une pratique administrative et/ou à une interprétation des dispositions du droit national qui empêchent de contrôler et d’accorder le droit au remboursement de la TVA découlant de régularisations au titre d’opérations effectuées au cours d’une période, antérieure à la période contrôlée, ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal, à la suite duquel les autorités fiscales n’ont pas constaté d’anomalies susceptibles de modifier la base d’imposition de la TVA, bien que les mêmes dispositions soient interprétées en ce sens que les autorités fiscales peuvent procéder à un nouveau contrôle d’une période ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal sur le fondement de données et d’informations supplémentaires obtenues ultérieurement grâce à la coopération entre les autorités et les institutions étatiques [?]

2)

La directive [TVA] et les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, à des dispositions nationales à caractère normatif qui excluent la possibilité de rectifier les erreurs matérielles dans les déclarations de TVA pour les périodes fiscales ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal, excepté lorsque la rectification est faite sur le fondement de l’acte portant disposition de mesures à prendre communiqué par l’autorité de contrôle fiscal à l’occasion du contrôle précédent [?] »

Sur les questions préjudicielles

31

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167, 168, 179, 180 et 182 de la directive TVA ainsi que les principes d’effectivité, de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, par dérogation au délai de prescription de cinq ans instauré par le droit national pour la rectification des déclarations de TVA, empêche, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, un assujetti de procéder à une telle rectification afin de faire valoir son droit à déduction au seul motif que cette rectification concerne une période qui a déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal.

32

En ce qui concerne le droit à déduction, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services qui leur ont été fournis en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par le législateur de l’Union (voir, notamment, arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 37, ainsi que du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, point 35).

33

Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 38, ainsi que du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, point 36).

34

Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité en ce qui concerne la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, notamment, arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 39, ainsi que du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, point 37).

35

Si le droit à déduction de la TVA est subordonné au respect des conditions de fond et de forme prévues par la directive TVA, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les interrogations de la juridiction de renvoi proviennent du seul fait que le droit à déduction a été refusé en raison de l’impossibilité pour l’assujetti de rectifier sa déclaration de TVA en ce que la demande de rectification portait sur une période qui avait déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal clôturé.

36

À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 167 et de l’article 179, premier alinéa, de la directive TVA, le droit à déduction s’exerce, en principe, au cours de la même période que celle pendant laquelle il a pris naissance, à savoir au moment où la taxe devient exigible.

37

Néanmoins, en vertu des articles 180 et 182 de ladite directive, un assujetti peut être autorisé à procéder à la déduction même s’il n’a pas exercé son droit au cours de la période pendant laquelle ce droit a pris naissance, sous réserve du respect de certaines conditions et modalités fixées par les réglementations nationales (voir arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport, C-284/11, EU:C:2012:458, point 46 et jurisprudence citée).

38

À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la possibilité d’exercer le droit à déduction sans aucune limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de sécurité juridique qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, compte tenu des droits et des obligations de ce dernier à l’égard de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause. Dès lors, un délai de forclusion dont l’échéance a pour conséquence de sanctionner le contribuable insuffisamment diligent, qui a omis de réclamer la déduction de la TVA en amont, en lui faisant perdre le droit à déduction, ne saurait être considéré comme étant incompatible avec le régime établi par la directive TVA, pour autant, d’une part, que ce délai s’applique de la même manière aux droits analogues en matière fiscale fondés sur le droit interne et à ceux fondés sur le droit de l’Union (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’il ne rend pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport, C-284/11, EU:C:2012:458, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée).

39

En l’occurrence, il ressort de la réglementation nationale, citée dans la décision de renvoi, que le droit à déduction de la TVA s’inscrit, en droit roumain, dans le délai général de prescription de cinq ans. Néanmoins l’exercice du droit à déduction fait l’objet d’un délai de forclusion plus court en cas de contrôle fiscal. En effet, il ne serait, en principe, plus possible de procéder à la rectification des déclarations de TVA par l’assujetti pour les périodes imposables qui ont déjà fait l’objet d’un contrôle des autorités fiscales. Ainsi, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti ne saurait rectifier ses déclarations de TVA. Le gouvernement roumain fait valoir que cette limitation découle du principe d’unicité du contrôle fiscal et que le principe de sécurité juridique requiert le caractère unique d’un tel contrôle.

40

S’il ne résulte pas des éléments fournis par la juridiction de renvoi que la réglementation nationale en cause au principal prévoit, en matière de TVA, un régime différent de celui prévu dans d’autres matières fiscales du droit interne, le principe d’effectivité s’oppose en revanche à une telle réglementation dans la mesure où celle-ci est susceptible de priver, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti de la possibilité de rectifier ses déclarations de TVA lorsque cet assujetti a fait l’objet d’un contrôle fiscal relatif à la période d’imposition visée par ladite rectification, alors même que le délai de forclusion de cinq ans fixé par ladite réglementation n’est pas encore écoulé.

41

En effet, lorsque, comme dans les circonstances telles que celles en cause au principal, le contrôle fiscal est déclenché immédiatement après le dépôt d’une déclaration fiscale ou dans un bref laps de temps, l’assujetti est privé, selon ladite réglementation, de la possibilité de rectifier sa déclaration de TVA, de telle sorte que l’exercice du droit à déduction de la TVA par l’assujetti devient en pratique impossible ou, à tout le moins, excessivement difficile.

42

Partant, le fait pour une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, de priver l’assujetti de la possibilité de rectifier sa déclaration de TVA en écourtant le délai qui lui était ouvert à cette fin, est incompatible avec le principe d’effectivité.

43

En outre, les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité s’opposent également à une réglementation telle que celle en cause au principal.

44

Le principe de neutralité de la TVA exige, selon une jurisprudence constante, que la déduction de cette taxe en amont soit accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Astone, C-332/15, EU:C:2016:614, point 45).

45

Cependant, dans l’affaire au principal, c’est précisément l’omission de certaines exigences formelles prévues par la réglementation nationale en cause qui a eu pour conséquence le refus de la déduction de la TVA à Zabrus, bien que celle-ci ait demandé une rectification de ses déclarations afin de démontrer que les conditions de fond requises pour pouvoir bénéficier de la déduction des deux montants en cause étaient réunies.

46

Le non-respect des exigences formelles auxquelles il est possible de remédier n’est pas de nature à remettre en cause le bon fonctionnement du système de TVA.

47

Ainsi, par l’application d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, une partie du poids de la TVA restera définitivement à la charge de l’assujetti, ce qui est contraire à la jurisprudence citée au point 34 du présent arrêt.

48

En ce qui concerne le principe de proportionnalité, certes, le législateur national a la possibilité d’assortir les obligations formelles des assujettis de sanctions de nature à inciter ces derniers à respecter lesdites obligations, en vue d’assurer un bon fonctionnement du système de la TVA.

49

Ainsi, une sanction administrative pécuniaire serait notamment susceptible d’être appliquée à l’encontre d’un assujetti négligeant, qui rectifie sa déclaration de TVA en s’appuyant sur des documents justifiant son droit à déduction de la TVA dont il était en possession au moment du dépôt de sa déclaration de cette taxe, ou après la découverte d’une erreur d’enregistrement modifiant le montant de TVA à rembourser.

50

Toutefois, les États membres doivent, conformément au principe de proportionnalité, avoir recours à des moyens qui, tout en permettant d’atteindre efficacement l’objectif visé par la réglementation nationale, portent le moins atteinte aux principes posés par la législation de l’Union, tel que le principe fondamental du droit à déduction de la TVA (arrêt du 10 juillet 2008, Sosnowska, C-25/07, EU:C:2008:395, point 23).

51

Dès lors, dans une situation telle que celle en cause au principal, compte tenu de la place prépondérante qu’occupe le droit à déduction dans le système commun de TVA, une sanction consistant en un refus absolu du droit à déduction apparaît disproportionnée au cas où aucune fraude ni atteinte au budget de l’État ne seraient établies (arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport, C-284/11, EU:C:2012:458, point 70 ainsi que jurisprudence citée).

52

Or, aucun élément du dossier soumis à la Cour n’indique un risque de fraude ou d’atteinte au budget de l’État.

53

Enfin, il y a lieu d’écarter l’argument du gouvernement roumain selon lequel la réglementation en cause au principal, justifiée par le principe d’unicité du contrôle fiscal, découlerait du principe de sécurité juridique.

54

Un régime de contrôle fiscal national, tel que celui en cause au principal, qui ne permet pas à un assujetti de rectifier sa déclaration de TVA, tandis qu’il prévoit une telle rectification lorsqu’elle est effectuée en exécutant un acte d’une autorité fiscale ainsi qu’une possibilité pour les autorités fiscales disposant de nouvelles informations d’effectuer un nouveau contrôle, ne vise pas à la sauvegarde des droits des contribuables et n’apparaît pas qu’il sert à l’application du principe de sécurité juridique. En réalité, un tel régime, assorti desdites exceptions, œuvre principalement pour l’efficacité des contrôles fiscaux et du fonctionnement de l’administration nationale.

55

Aucune autre conclusion ne saurait être déduite de l’arrêt du 6 février 2014, Fatorie (C-424/12, EU:C:2014:50). En effet, il résulte, certes, de cet arrêt qu’un assujetti ne saurait se prévaloir, dans le délai de forclusion, du principe de sécurité juridique pour s’opposer à la révocation, par les autorités fiscales, d’une décision par laquelle celles-ci ont reconnu à l’assujetti un droit à déduction de la TVA, en lui réclamant, à la suite d’un nouveau contrôle, cette taxe et des majorations de retard (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2014, Fatorie, C-424/12, EU:C:2014:50, point 51). En revanche, il ne découle pas de ce même arrêt que les autorités fiscales peuvent se prévaloir, dans le délai de forclusion, de ce même principe pour s’opposer à la rectification par l’assujetti d’une déclaration de TVA portant sur une période ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal.

56

Dans ces conditions, il convient de répondre aux questions posées que les articles 167, 168, 179, 180 et 182 de la directive TVA ainsi que les principes d’effectivité, de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, par dérogation au délai de prescription de cinq ans instauré par le droit national pour la rectification des déclarations de TVA, empêche, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, un assujetti de procéder à une telle rectification afin de faire valoir son droit à déduction au seul motif que cette rectification concerne une période qui a déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal.

Sur les dépens

57

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

 

Les articles 167, 168, 179, 180 et 182 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, ainsi que les principes d’effectivité, de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, par dérogation au délai de prescription de cinq ans instauré par le droit national pour la rectification des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), empêche, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, un assujetti de procéder à une telle rectification afin de faire valoir son droit à déduction au seul motif que cette rectification concerne une période qui a déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.