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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

25 juillet 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 167, 168 et 184 – Déduction de la taxe payée en amont – Régularisation – Biens d’investissement immobiliers – Affectation initiale à une activité n’ouvrant pas droit à déduction puis également à une activité soumise à la TVA – Organisme public – Qualité d’assujetti au moment de l’opération taxable »

Dans l’affaire C-140/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 22 décembre 2016, parvenue à la Cour le 17 mars 2017, dans la procédure

Szef Krajowej Administracji Skarbowej

contre

Gmina Ryjewo,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader, A. Prechal (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 janvier 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour le Szef Krajowej Administracji Skarbowej, par MM. J. Kaute et B. Kołodziej, en qualité d’agents,

–        pour la Gmina Ryjewo, par MM. M. Gizicki, adwokat, et B. Rasz, doradca podatkowy ,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme A. Kramarczyk-Szaładzińska, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme F. Clotuche-Duvieusart et M. Ł. Habiak, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 avril 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 167, 168 et 184 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), ainsi que du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Szef Krajowej Administracji Skarbowej (chef de l’administration fiscale nationale, Pologne) à la Gmina Ryjewo (commune de Ryjewo, Pologne) (ci-après la « commune ») au sujet d’une décision du Minister Finansów (ministre des Finances, Pologne, ci-après le « ministre ») refusant à la commune la régularisation de la déduction de la TVA payée en amont pour un bien d’investissement immobilier affecté, dans un premier temps, à une activité exonérée et, dans un second temps, également à une activité imposable.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112 dispose :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

[...]

c)      les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».

4        Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive :

« Est considéré comme ‘assujetti’ quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

5        L’article 13, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

[...] »

6        L’article 63 de la même directive dispose :

« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »

7        L’article 167 de la directive 2006/112 est rédigé comme suit :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

8        L’article 168 de cette directive prévoit :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

9        Aux termes de l’article 184 de ladite directive :

« La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. »

10      Aux termes de l’article 185, paragraphe 1, de la même directive :

« La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus. »

11      Les articles 187 et 189 de la directive 2006/112 comportent des règles en matière de régularisation de biens d’investissement portant, notamment, sur la période de régularisation applicable aux biens d’investissement immobiliers.

 Le droit polonais

12      L’article 15 de l’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et les services), du 11 mars 2004 (Dz. U. no 54, position 535), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à la TVA »), prévoit :

« 1.      Sont considérés comme assujettis les personnes morales, les établissements n’ayant pas la personnalité juridique et les personnes physiques qui exercent d’une façon indépendante une activité économique au sens du paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.      Est considérée comme activité économique toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités des personnes exploitant les ressources naturelles, des agriculteurs et des professions libérales. Est également considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel ayant un caractère de permanence en vue d’en retirer des recettes.

[...]

6.      Ne sont pas considérés comme des assujettis les autorités publiques et les organes qui les servent, en ce qui concerne les missions instituées par des dispositions spécifiques et pour la réalisation desquelles ils ont été désignés, à l’exclusion des activités réalisées en vertu de contrats de droit privé. »

13      L’article 86, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA dispose :

« Dans la mesure où les biens et services sont utilisés aux fins d’opérations imposables, l’assujetti visé à l’article 15 bénéficie d’un droit à déduction, sous réserve des articles 114, 119, paragraphe 4, 120, paragraphes 17 et 19, ainsi que 124. »

14      Aux termes de l’article 91 de cette loi :

« [...]

2.      S’agissant des biens et des services qui, sur la base des dispositions relatives à l’impôt sur les bénéfices, sont affectés par l’assujetti aux immobilisations corporelles et incorporelles amortissables, ainsi que des terrains et droits emphytéotiques affectés aux immobilisations corporelles et incorporelles de l’acquéreur, à l’exception de ceux dont la valeur initiale n’excède pas 15000 [zlotys polonais (PLN)], l’assujetti procède à la régularisation visée au paragraphe 1 au cours d’une période de cinq ans à compter de l’année du début de l’utilisation, ou de dix ans en ce qui concerne les terrains et droits emphytéotiques.

[...]

7.      Les paragraphes 1 à 6 s’appliquent mutatis mutandis lorsque l’assujetti disposait du droit de déduire la totalité de la taxe payée en amont pour un bien ou un service utilisé par cet assujetti, et qu’il a procédé à cette déduction, ou lorsqu’il ne disposait pas de ce droit à déduction, mais qu’il y a eu par la suite modification du droit à déduction de la taxe payée en amont pour ce bien ou service. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      Depuis l’année 2005, la commune est enregistrée en tant qu’assujettie à la TVA.

16      Au cours des années 2009 et 2010, la commune a fait ériger une maison de la culture. Dans le cadre de cette construction, des biens et des services lui ont été fournis, pour lesquels elle a acquitté la TVA. Une fois la construction de la maison de la culture achevée, le centre culturel communal s’en est vu confier, en 2010, la gestion à titre gratuit.

17      Au cours de l’année 2014, la commune a exprimé son intention de transférer cet immeuble dans son patrimoine et d’en assumer directement la gestion. Par la suite, elle souhaitait en faire un usage aussi bien à titre gratuit, pour les besoins de la population de la commune, qu’à titre onéreux, en la louant à des fins commerciales. S’agissant de cet usage payant, la commune a expressément déclaré son intention d’émettre des factures incluant la TVA. La commune n’a, à ce jour, pas encore déduit la TVA acquittée pour la réalisation de cet investissement.

18      Saisi par la commune d’une demande de rescrit fiscal, le ministre a estimé, par une décision du 28 mai 2014, que, en application, notamment, de l’article 91, paragraphes 2 et 7, de la loi relative à la TVA, celle-ci ne pouvait pas bénéficier d’une régularisation du droit à déduction de la TVA, au motif principal que, ayant acquis les biens et services concernés aux fins de mettre l’immeuble gratuitement à disposition du centre culturel communal, la commune n’avait pas acquis ce bien aux fins d’une activité économique et n’avait donc pas agi en qualité d’assujettie à la TVA.

19      Par un jugement du 18 novembre 2014, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Gdańsku (tribunal administratif de voïvodie de Gdansk, Pologne) a accueilli le recours formé par la commune contre la décision du 28 mai 2014 du ministre.

20      Cette juridiction a considéré que l’utilisation initiale des biens et services par l’assujetti aux fins d’exercer des activités non soumises à la TVA ne le privait pas du droit de déduire ultérieurement la taxe payée en amont, lorsque la destination desdits produits et services est modifiée et que ceux-ci sont par la suite utilisés pour effectuer des opérations taxables. À cet égard, il ne saurait être valablement opposé à la commune que, dans sa demande ayant donné lieu à la décision du 28 mai 2014, lorsqu’elle a acquis l’immeuble, elle n’a pas expressément déclaré son intention de l’utiliser dans le cadre d’une activité économique.

21      Saisie d’un pourvoi en cassation formé par le ministre, la juridiction de renvoi, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), s’interroge sur la question de savoir si, conformément aux articles 167, 168 et 184 de la directive 2006/112, une commune est en droit de déduire, par voie de régularisation, la TVA payée en amont sur des dépenses d’investissement, lorsque le bien d’investissement en cause a d’abord été utilisé aux fins d’une activité non soumise à la TVA, en l’occurrence dans le cadre de la réalisation de missions qui incombent à la commune en tant qu’autorité publique, et ensuite également pour effectuer des opérations imposables.

22      À cet égard, la juridiction de renvoi estime qu’il découle de l’arrêt du 2 juin 2005, Waterschap Zeeuws Vlaanderen (C-378/02, EU:C:2005:335), que cette question appelle une réponse négative, dans la mesure où il ressort de cet arrêt qu’un organisme de droit public qui a agi en tant qu’autorité publique au moment de l’acquisition d’un bien d’investissement et non pas en qualité d’assujetti ne dispose d’aucun droit à déduire la TVA acquittée sur ce bien, y compris lorsque, par la suite, cet organisme a agi en tant qu’assujetti.

23      Toutefois, l’enseignement issu de cet arrêt serait devenu incertain dès lors que, par son ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje (C-500/13, EU:C:2014:1750), la Cour aurait considéré que, dans un cas où la commune concernée avait modifié l’affectation d’un bien d’investissement immobilier, ce bien étant affecté, dans un premier temps, à un usage n’ouvrant pas un droit à la déduction de la TVA et, dans un second temps, à un usage ouvrant un tel droit, une régularisation des déductions était en principe permise.

24      À cet égard, se poserait la question de savoir s’il y a lieu d’attacher de l’importance au fait que, au moment de l’acquisition du bien d’investissement, la commune a ou non expressément déclaré son intention de l’utiliser à l’avenir également pour effectuer des opérations imposables.

25      En l’absence d’une telle expression d’intention, se poserait encore la question de savoir si la qualité en vertu de laquelle l’autorité publique a agi doit être appréciée exclusivement en fonction de la première utilisation du bien d’investissement ou s’il convient également de prendre en considération d’autres critères.

26      C’est dans ces conditions que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Au regard des articles 167, 168 et 184 et suivants de la directive [2006/112], ainsi que, au regard du principe de neutralité, une commune bénéficie-t-elle d’un droit à déduction (par voie de régularisation) de la TVA payée en amont sur ses dépenses d’investissement, lorsque :

–        le bien d’investissement qui a été produit (acquis) a d’abord été utilisé aux fins d’une activité non soumise à la TVA (dans le cadre de la réalisation par la commune de missions d’autorité publique relevant de la souveraineté dont elle jouit) ;

–        le mode d’utilisation du bien d’investissement a ensuite subi une modification et que la commune l’utilise aussi pour effectuer des opérations imposables ?

2)      Est-il important, pour la réponse à la première question, que, lors de la production ou de l’acquisition du bien d’investissement, la commune n’ait pas expressément manifesté son intention d’utiliser celui-ci aux fins d’effectuer des opérations taxées ?

3)      Est-il important, pour la réponse à la première question, que le bien d’investissement soit utilisé tant pour des opérations taxées que pour des opérations non soumises à la TVA (dans le cadre de la réalisation par la commune de missions d’autorité publique) et qu’il ne soit pas possible d’affecter objectivement les dépenses d’investissement concrètes à l’un des groupes d’opérations susvisées ? »

 Sur les questions préjudicielles

27      Par ses trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167, 168 et 184 de la directive 2006/112 ainsi que le principe de neutralité de la TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un organisme de droit public bénéficie d’un droit à régularisation des déductions de la TVA acquittée sur un bien d’investissement immobilier dans une situation, telle que celle en cause au principal, où, lors de l’acquisition de ce bien, d’une part, ce dernier pouvait par nature être utilisé tant pour des activités taxées que pour celles non taxées mais a été utilisé, dans un premier temps, pour des activités non taxées, et, d’autre part, cet organisme public n’avait pas expressément déclaré avoir l’intention d’affecter ledit bien à une activité taxée mais n’avait pas non plus exclu qu’il soit utilisé à une telle fin. 

28      Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (voir, notamment, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C-533/16, EU:C:2018:204, point 37).

29      Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C-533/16, EU:C:2018:204, point 38 et jurisprudence citée).

30      Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112 fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C-533/16, EU:C:2018:204, point 39 et jurisprudence citée).

31      Les dispositions de l’article 187 de la directive 2006/112 visent des situations de régularisation de déductions, telles que celle en cause au principal, dans lesquelles un bien d’investissement dont l’usage n’ouvre pas un droit à déduction est par la suite affecté à un usage y ouvrant droit (ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje, C-500/13, EU:C:2014:1750, point 23 et jurisprudence citée).

32      Le système de régularisation des déductions constitue un élément essentiel du système mis en place par la directive 2006/112 en ce qu’il a pour vocation d’assurer l’exactitude des déductions et donc la neutralité de la charge fiscale (ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje, C-500/13, EU:C:2014:1750, point 24 et jurisprudence citée).

33      Le droit à déduction de la TVA est néanmoins subordonné au respect d’exigences ou de conditions tant matérielles que formelles (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C-533/16, EU:C:2018:204, point 40 et jurisprudence citée).

34      Ainsi, s’agissant desdites exigences ou conditions matérielles, il résulte, selon la jurisprudence constante de la Cour, de l’article 168 de la directive 2006/112 que seule une personne qui a la qualité d’assujettie et qui agit en tant que telle au moment où elle acquiert un bien, dispose d’un droit à déduction au titre de ce bien et peut déduire la TVA due ou acquittée pour ce bien si elle l’utilise pour les besoins de ses opérations taxées (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1991, Lennartz, C-97/90, EU:C:1991:315, point 8, et du 22 octobre 2015, Sveda, C-126/14, EU:C:2015:712, point 18 ainsi que jurisprudence citée).

35      Conformément aux articles 63 et 167 de la directive 2006/112, le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible, soit lors de la livraison du bien (arrêt du 22 mars 2012, Klub, C-153/11, EU:C:2012:163, point 36 et jurisprudence citée).

36      Ces principes s’appliquent également dans une situation dans laquelle la personne concernée est un organisme de droit public réclamant un droit à régularisation des déductions de la TVA au titre de l’article 184 et suivants de la directive 2006/112 (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2005, Waterschap Zeeuws Vlaanderen, C-378/02, EU:C:2005:335, point 39).

37      Il en résulte que, lorsqu’un organisme public tel que, en l’occurrence, la commune, au moment de l’acquisition d’un bien d’investissement, agit en tant qu’autorité publique, au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/112, et, par conséquent, en qualité de non assujetti, il ne dispose, en principe, d’aucun droit à régularisation des déductions en relation avec ce bien, même si, par la suite, celui-ci est affecté à une activité taxée (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2005, Waterschap Zeeuws Vlaanderen, C-378/02, EU:C:2005:335, point 44).

38      Selon la jurisprudence constante de la Cour, la question de savoir si, au moment où un bien lui a été livré, l’assujetti a agi en tant qu’assujetti, à savoir pour les besoins d’une activité économique, constitue une question de fait qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner au regard de l’ensemble des données de l’espèce, parmi lesquelles figurent la nature des biens visés et la période écoulée entre l’acquisition des biens et leur utilisation aux fins des activités économiques de l’assujetti (voir en ce sens, notamment,arrêts du 11 juillet 1991, Lennartz, C-97/90, EU:C:1991:315, point 21, et du 22 octobre 2015, Sveda, C-126/14, EU:C:2015:712, point 21).

39      Cet examen vise à vérifier si l’assujetti a acquis ou a produit les biens d’investissement concernés dans l’intention, confirmée par des éléments objectifs, d’exercer une activité économique et a, par conséquent, agi en tant qu’assujetti, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Sveda, C-126/14, EU:C:2015:712, point 20).

40      En l’occurrence, si la législation nationale applicable dans l’affaire au principal prévoit, pour les biens d’investissement immobiliers, une période de régularisation de cinq, voire de dix ans à compter du début de l’utilisation du bien concerné, il résulte des constatations de la juridiction de renvoi que la demande de la commune a été introduite quatre ans après le début de l’utilisation de l’immeuble par le centre culturel communal qui s’en est vu confier la gestion à titre gratuit.

41      En outre et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il est constant que, en l’espèce, la commune, lors de l’acquisition du bien immobilier d’investissement en cause au principal, a agi dans les mêmes conditions qu’un particulier désirant faire ériger un immeuble, sans avoir recours, à cet effet, aux prérogatives de la puissance publique. Il en découle, conformément à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/112 et la jurisprudence y afférente, que la commune, lorsqu’elle a acheté le bien immobilier concerné, n’a pas agi en sa qualité d’autorité publique.

42      Partant, la situation en cause au principal se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 2 juin 2005, Waterschap Zeeuws Vlaanderen (C-378/02, EU:C:2005:335), dans laquelle l’organisme public en cause avait acquis le bien d’investissement en tant qu’autorité publique, au sens dudit article 13, paragraphe 1, et, par conséquent, en qualité de non assujetti.

43      Un autre élément distinguant la situation en cause au principal de celle ayant donné lieu à cet arrêt réside dans le fait que, en l’occurrence, la commune, lors de l’acquisition, au cours de l’année 2010, du bien immobilier d’investissement, était déjà enregistrée depuis l’année 2005 en tant qu’assujettie à la TVA.

44      Par ailleurs, la situation en cause au principal se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki (C-184/04, EU:C:2006:214), dans laquelle il était constant que la ville finnoise concernée avait, lors des acquisitions immobilières, agi en qualité d’assujettie, ces acquisitions ayant été effectuées aux fins d’une activité économique, à savoir la location des immeubles ayant fait l’objet de ces acquisitions.

45      De même, la situation en cause dans l’affaire au principal est différente de celle ayant donné lieu à l’ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje (C-500/13, EU:C:2014:1750), dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 11 de cette ordonnance, au moment de la livraison de l’immeuble concerné, la commune polonaise en cause avait agi en tant qu’assujettie, la juridiction de renvoi ayant relevé que, déjà au cours des travaux de construction de l’immeuble, cette commune avait expressément déclaré vouloir donner l’immeuble en location à une société de droit commercial qui lui verserait un loyer.

46      En revanche, dans le cadre de l’affaire au principal, ce n’est qu’après la livraison de l’immeuble en cause que la commune a déclaré son intention de vouloir le donner en location à des fins commerciales.

47      Toutefois, si une déclaration univoque et expresse de l’intention d’affecter le bien à un usage économique lors de son acquisition peut être suffisante pour conclure que le bien a été acquis par l’assujetti agissant en tant que tel, l’absence d’une telle déclaration n’exclut pas qu’une telle intention puisse apparaître de manière implicite.

48      Il est vrai que, en l’occurrence, au moment de la livraison du bien immobilier en cause au principal, la seule intention affichée de la commune était d’affecter celui-ci à un usage public, en tant que maison de la culture. Si, par la suite, cette intention s’est concrétisée par la mise à disposition à titre gratuit de ce bien au profit du centre culturel communal, il n’en demeure pas moins que ladite affectation n’excluait pas en soi que ledit bien soit utilisé, à tout le moins en partie, à des fins économiques, par exemple dans le cadre d’une opération de location.

49      Dans cette mesure, la nature du bien qui, selon la jurisprudence de la Cour rappelée au point 38 du présent arrêt, est un élément dont il doit être tenu compte lorsqu’il s’agit de déterminer si, au moment où le bien immobilier lui a été livré, l’assujetti a agi en tant que tel, est de nature à indiquer que la commune a entendu agir en tant qu’assujettie.

50      De même, le fait que, bien avant la livraison et l’acquisition du bien immobilier en cause au principal, la commune était déjà enregistrée en tant qu’assujettie à la TVA est un indice en ce sens.

51      En revanche, il est en soi sans importance que le bien concerné n’ait pas immédiatement été utilisé pour des opérations taxées, dès lors que l’utilisation faite du bien ne détermine que l’étendue de la déduction initiale ou de l’éventuelle régularisation subséquente mais n’affecte pas la naissance du droit à déduction (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C-184/04, EU:C:2006:214, point 39).

52      Partant, si, dans le cadre de sa première question, la juridiction de renvoi se réfère au fait que l’utilisation initiale du bien immobilier a été faite « dans le cadre de la réalisation par la commune de missions d’autorité publique relevant de la souveraineté dont elle jouit », ce fait, à supposer qu’il soit avéré, ce que conteste la commune, ne préjuge pas de la question distincte de savoir si, au moment où elle a acquis le bien, cette autorité publique a agi en tant qu’assujettie, lui ouvrant de ce fait un droit à déduction en relation avec ce bien, mais constitue un indice que la commune n’a pas agi en sa qualité d’assujettie.

53      Dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal, où, lors de l’acquisition d’un bien d’investissement immobilier pouvant par nature être utilisé tant pour des activités taxées que pour des activités non taxées, un organisme public ayant déjà la qualité d’assujetti n’a pas expressément déclaré avoir l’intention d’affecter ce bien à une activité taxée mais n’a pas non plus exclu que ce bien soit utilisé à une telle fin, une utilisation initiale de ce bien pour des activités non taxées n’empêche pas qu’il soit conclu, au terme d’un examen de l’ensemble des faits qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’opérer, ainsi qu’il a été rappelé au point 38 du présent arrêt, qu’il est satisfait à la condition posée par l’article 168 de la directive 2006/112, selon laquelle l’assujetti doit avoir agi en sa qualité d’assujetti au moment où il a acquis le bien concerné.

54      À cet égard, ainsi que l’a également relevé Mme l’avocat général au point 55 de ses conclusions, la vérification, dans chaque cas d’espèce, que cette condition est remplie doit s’effectuer à l’aune d’une acception large de la notion d’acquisition en « qualité d’assujetti ».

55      En effet, le caractère large d’une telle acception s’impose compte tenu de la finalité du régime des déductions et, partant, des régularisations qui, ainsi qu’il a été rappelé aux points 29 à 31 du présent arrêt, consiste à assurer la neutralité de la charge fiscale de toutes les activités économiques, principe dont il découle que, en règle générale, tout opérateur doit pouvoir exercer immédiatement son droit à déduction pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont, l’exactitude des déductions pouvant, le cas échéant, être assurée a posteriori par la voie d’une régularisation.

56      Enfin, est sans incidence sur l’examen de la condition posée par l’article 168 de la directive 2006/112 selon laquelle l’assujetti doit avoir agi en sa qualité d’assujetti au moment où il acquiert un bien, le fait qu’il est difficile, voire impossible, de ventiler objectivement les dépenses d’investissement concrètes entre opérations taxées et opérations non taxées.

57      Cette ventilation est spécifiquement régie par les règles relatives au prorata de déduction contenues aux articles 173 à 175 de la directive 2006/112. Le calcul d’un prorata de déduction pour déterminer le montant de la TVA déductible est, en principe, réservé aux seuls biens et services utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations économiques ouvrant droit à déduction et celles n’ouvrant pas droit à déduction (voir, notamment, arrêt du 14 décembre 2016, Mercedes Benz Italia, C-378/15, EU:C:2016:950, point 34).

58      En outre, la détermination des méthodes et des critères de ventilation des montants de la TVA payée en amont entre activités économiques et activités non économiques relève du pouvoir d’appréciation des États membres qui, dans l’exercice de ce pouvoir, doivent tenir compte de la finalité et de l’économie de cette directive et, à ce titre, prévoir un mode de calcul reflétant objectivement la part d’imputation réelle des dépenses en amont à chacune de ces deux activités (arrêt du 6 septembre 2012, Portugal Telecom, C-496/11, EU:C:2012:557, point 42).

59      En conséquence, il convient de répondre aux questions posées que les articles 167, 168 et 184 de la directive 2006/112 ainsi que le principe de neutralité de la TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un organisme de droit public bénéficie d’un droit à régularisation des déductions de la TVA acquittée sur un bien d’investissement immobilier dans une situation, telle que celle en cause au principal, où, lors de l’acquisition de ce bien, d’une part, ce dernier pouvait par nature être utilisé tant pour des activités taxées que pour celles non taxées mais a été utilisé, dans un premier temps, pour des activités non taxées et, d’autre part, cet organisme public n’avait pas expressément déclaré avoir l’intention d’affecter ledit bien à une activité taxée mais n’avait pas non plus exclu qu’il soit utilisé à une telle fin, pour autant qu’il résulte d’un examen de l’ensemble des circonstances de fait, qu’il incombe à la juridiction nationale d’opérer, qu’il est satisfait à la condition posée par l’article 168 de la directive 2006/112, selon laquelle l’assujetti doit avoir agi en sa qualité d’assujetti au moment où il a procédé à cette acquisition.

 Sur les dépens

60      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

Les articles 167, 168 et 184 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un organisme de droit public bénéficie d’un droit à régularisation des déductions de la TVA acquittée sur un bien d’investissement immobilier dans une situation, telle que celle en cause au principal, où, lors de l’acquisition de ce bien, d’une part, ce dernier pouvait par nature être utilisé tant pour des activités taxées que pour celles non taxées mais a été utilisé, dans un premier temps, pour des activités non taxées et, d’autre part, cet organisme public n’avait pas expressément déclaré avoir l’intention d’affecter ledit bien à une activité taxée mais n’avait pas non plus exclu qu’il soit utilisé à une telle fin, pour autant qu’il résulte d’un examen de l’ensemble des circonstances de fait, qu’il incombe à la juridiction nationale d’opérer, qu’il est satisfait à la condition posée par l’article 168 de la directive 2006/112, selon laquelle l’assujetti doit avoir agi en sa qualité d’assujetti au moment où il a procédé à cette acquisition.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.