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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 décembre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Fait générateur de la taxe – Régime particulier des agences de voyages – Articles 65 et 308 – Marge réalisée par une agence de voyages – Détermination de la marge – Versements d’acomptes avant la prestation de services de voyage fournie par l’agence de voyages – Coût effectif supporté par l’agence de voyages »

Dans l’affaire C-422/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 16 février 2017, parvenue à la Cour le 13 juillet 2017, dans la procédure

Szef Krajowej Administracji Skarbowej

contre

Skarpa Travel sp. z o.o.,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de la septième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Juhász (rapporteur) et C. Vajda, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 juin 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour le Szef Krajowej Administracji Skarbowej, par M. J. Kaute et Mme M. Kowalewska, en qualité d’agents,

–        pour Skarpa Travel sp. z o.o., par Mme J. Zając-Wysocka, radca prawny,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme A. Kramarczyk-Szaładzińska, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes M. Siekierzyńska et N. Gossement, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 65 et 308 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Szef Krajowej Administracji Skarbowej (chef de l’administration fiscale nationale, Pologne) à Skarpa Travel sp. z o.o. (ci-après « Skarpa ») au sujet d’un avis fiscal émis par le Minister Finansów (ministre des Finances, Pologne, ci-après le « ministre »), relatif à la date d’exigibilité et au mode de calcul de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en cas d’encaissement d’un acompte sur le paiement d’un service touristique fourni par une agence de voyages.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes de l’article 63 de la directive TVA, « [l]e fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée ».

4        L’article 65 de cette directive dispose :

« En cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé. »

5        L’article 66 de ladite directive est libellé comme suit :

« Par dérogation aux articles 63, 64 et 65, les États membres peuvent prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis à un des moments suivants :

a)      au plus tard lors de l’émission de la facture ;

b)      au plus tard lors de l’encaissement du prix ;

c)      en l’absence d’émission ou en cas d’émission tardive de la facture, dans un délai déterminé et au plus tard à l’expiration du délai d’émission des factures imposé par les États membres en application de l’article 222, deuxième alinéa, ou, si aucun délai n’a été imposé par l’État membre, dans un délai déterminé à compter de la date du fait générateur.

La dérogation prévue au premier alinéa ne s’applique pas, cependant, aux prestations de services pour lesquelles l’acquéreur ou preneur est redevable de la TVA en application de l’article 196 ni aux livraisons ou aux transferts de biens visés à l’article 67. »

6        L’article 306 de la même directive prévoit :

« 1.      Les États membres appliquent un régime particulier de la TVA aux opérations des agences de voyages conformément au présent chapitre, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services d’autres assujettis.

Le présent régime particulier n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles s’applique, pour calculer la base d’imposition, l’article 79, premier alinéa, point c).

2.      Aux fins du présent chapitre, les organisateurs de circuits touristiques sont considérés comme agences de voyages. »

7        L’article 307 de la directive TVA est libellé comme suit :

« Les opérations effectuées, dans les conditions prévues à l’article 306, par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de services unique de l’agence de voyages au voyageur.

La prestation unique est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services. »

8        Aux termes de l’article 308 de cette directive, « [p]our la prestation de services unique fournie par l’agence de voyages, est considérée comme base d’imposition et comme prix hors TVA, au sens de l’article 226, point 8), la marge de l’agence de voyages, c’est-à-dire la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur ».

9        L’article 309 de ladite directive dispose :

« Si les opérations pour lesquelles l’agence de voyages a recours à d’autres assujettis sont effectuées par ces derniers en dehors de [l’Union], la prestation de services de l’agence est assimilée à une activité d’intermédiaire exonérée en vertu de l’article 153.

Si les opérations visées au premier alinéa sont effectuées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de [l’Union], seule doit être considérée comme exonérée la partie de la prestation de services de l’agence de voyages qui concerne les opérations effectuées en dehors de [l’Union]. »

10      Aux termes de l’article 310 de la directive TVA, « [l]es montants de la TVA qui sont portés en compte à l’agence de voyages par d’autres assujettis pour les opérations qui sont visées à l’article 307 et qui profitent directement au voyageur ne sont ni déductibles ni remboursables dans aucun État membre ».

 Le droit polonais

11      L’article 19a, paragraphe 8, de l’Ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée), du 11 mars 2004 (Dz. U. no 54, position 535), telle que modifiée (ci-après la « loi relative à la TVA ») dispose :

« Si, avant d’effectuer une livraison de biens ou une prestation de services, l’ensemble ou une partie du paiement est encaissé (notamment : une avance, un acompte, des arrhes, une mensualité, un apport aux frais de construction ou au logement collectif avant l’établissement d’un droit coopératif sur un local d’habitation ou un local ayant une autre destination), la taxe devient exigible au moment de son encaissement à concurrence du montant encaissé, sous réserve du paragraphe 5, point 4. »

12      L’article 119 de cette loi prévoit :

« 1)      La base d’imposition d’une prestation de services touristiques est la marge diminuée de la taxe due, sous réserve du paragraphe 5.

2)      Par “marge” au sens du paragraphe 1, on entend la différence entre le montant que doit payer le destinataire du service et le coût effectivement supporté par l’assujetti au titre de l’acquisition de produits et services d’autres assujettis pour le bénéfice direct du voyageur ; par “services bénéficiant directement au voyageur”, on entend des services qui constituent le service touristique fourni, et notamment le transport, l’hébergement, les repas, l’assurance. »

13      La juridiction de renvoi indique que, depuis le 1er janvier 2014, les dispositions de droit national fondées sur l’article 66 de la directive TVA ne sont plus en vigueur en Pologne, lesquelles dispositions déterminaient la date d’exigibilité de cette taxe en matière d’acomptes versés au titre de services touristiques fournis par une agence de voyages.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Skarpa, en tant qu’agence de voyages, est soumise au régime particulier applicable aux agences de voyages, tel que prévu à l’article 119 de la loi relative à la TVA. Estimant que la date d’exigibilité de la TVA sur les acomptes encaissés par les agences de voyages ne ressort pas clairement de cette législation, elle a introduit une demande d’avis fiscal auprès du ministre.

15      Dans son avis fiscal, le ministre a précisé que la TVA est exigible au moment où les acomptes sont payés. Selon le ministre, afin de déterminer la marge réalisée par l’agence de voyages, qui constitue la base d’imposition de la TVA, Skarpa pourrait déduire de sa marge brute le montant estimé des coûts qu’elle aura à supporter, relatifs à la prestation concernée et procéder, par la suite, le cas échéant, aux corrections nécessaires, une fois qu’elle aura été en mesure de déterminer le montant définitif de ces coûts effectivement supportés.

16      Skarpa, en considérant que la TVA sur ses services ne devrait devenir exigible qu’au moment où il lui est possible de déterminer sa marge bénéficiaire définitive, a contesté cet avis fiscal devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Krakowie (tribunal administratif de voïvodie de Cracovie, Pologne).

17      Par jugement du 25 novembre 2014, cette juridiction a annulé ledit avis, au motif que l’article 119, paragraphe 2, de la loi relative à la TVA ne faisant référence qu’aux coûts effectivement supportés par le prestataire, la TVA ne devient exigible qu’au moment où la marge réelle est établie de manière définitive. Elle a constaté qu’une estimation de la base d’imposition n’est pas prévue lorsqu’il s’agit d’un acompte relatif à la fourniture de services touristiques par une agence de voyage. Ladite juridiction a également considéré que la correction de déclarations fiscales ne devrait intervenir que dans des situations exceptionnelles et ne saurait devenir la règle.

18      Le ministre a formé un pourvoi contre ce jugement devant la juridiction de renvoi, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), en faisant valoir que, à l’exception des cas mentionnés dans la loi relative à la TVA, tous les acomptes sont soumis à la taxe dès leur encaissement. Il admet que les coûts effectifs supportés par l’assujetti jusqu’au moment de l’encaissement de l’acompte peuvent être pris en compte aux fins de calculer la marge bénéficiaire. Toutefois, l’impossibilité de déterminer la marge réelle au moment du versement de l’acompte sur le paiement d’un service touristique fourni par une agence de voyages ne saurait avoir pour conséquence que la TVA ne devienne exigible qu’au moment où cette marge peut être déterminée de manière définitive.

19      La juridiction de renvoi se demande si la règle particulière relative à l’établissement de la base d’imposition des services fournis par les agences de voyages, prévue à l’article 308 de la directive TVA, a une incidence sur le moment où la TVA sur ces services devient exigible. Étant donné que les coûts supportés effectivement par l’agence de voyages ne seront connus que postérieurement à la prestation du service touristique au profit de son client, la juridiction de renvoi considère que l’article 65 de cette directive ne saurait trouver à s’appliquer dans une hypothèse relevant de l’article 308 de ladite directive. Cette juridiction admet cependant que la directive TVA ne dispose toutefois pas ainsi et qu’une telle approche ne pourrait être déduite que du cadre général de ladite directive.

20      En outre, dans la mesure où la TVA devient exigible, conformément à l’article 65 de la directive TVA, au moment où l’acompte est encaissé par l’agence de voyages, la juridiction de renvoi se demande si cette taxe doit être calculée sur le montant perçu ou s’il y a lieu de tenir compte de la méthode particulière de détermination de la base d’imposition prévue à l’article 308 de cette directive. À cet égard, elle indique que, d’un côté, la taxation de la totalité du montant de l’acompte pourrait entraîner une charge très élevée pour l’agence de voyages, fût-ce de manière provisoire, mais, d’un autre côté, permettre à une agence de voyages de tenir compte, aux fins de l’établissement de la base d’imposition du service concerné au moment du paiement d’un acompte par le client, du prix de services non encore acquitté ne serait pas compatible avec le régime particulier des agences de voyages.

21      C’est dans ces conditions que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions de la directive [TVA] doivent-elles être interprétées en ce sens que la taxe due au titre des acomptes encaissés par un assujetti fournissant des services touristiques, qui sont taxés dans le cadre du régime particulier prévu pour les agences de voyages aux articles 306 à 310 de la directive [TVA], devient exigible au moment défini à l’article 65 de ladite directive ?

2)      En cas de réponse positive à la première question, l’article 65 de la directive [TVA] doit-il être interprété en ce sens que, aux fins de la taxation, l’acompte encaissé par l’assujetti fournissant des services touristiques et taxé selon le régime particulier prévu pour les agences de voyages aux articles 306 à 310 de la directive [TVA] est réduit du coût dont il est question à l’article 308 de ladite directive, effectivement supporté par l’assujetti jusqu’au moment de l’encaissement de l’acompte ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

22      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 65 et 306 à 310 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une agence de voyages, soumise au régime particulier prévu à ces articles 306 à 310, encaisse un acompte sur le paiement de services touristiques qu’elle fournira au voyageur, la TVA est exigible, conformément audit article 65, dès l’encaissement dudit acompte.

23      Skarpa fait valoir que, en vue de déterminer la base d’imposition pertinente, en vertu de l’article 308 de cette directive, l’agence de voyages doit calculer sa marge bénéficiaire réelle, ce qui n’est cependant pas possible sans connaître les coûts effectifs qu’elle aura à supporter en amont, au titre de l’acquisition de biens et de services auprès d’autres assujettis. Ainsi, la taxe ne serait exigible qu’au moment où tous les coûts supportés effectivement par l’agence de voyages sont connus et que la marge réalisée est définitive. L’article 65 de cette directive ne saurait donc trouver à s’appliquer dans un tel cas.

24      Il convient de relever que le régime particulier de la TVA applicable aux agences de voyages, institué aux articles 306 à 310 de la directive TVA, contient des règles propres à l’activité de ces agences, lesquelles dérogent au système commun de la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2012, Kozak, C-557/11, EU:C:2012:672, point 16).

25      Selon l’article 306 de cette directive, les États membres appliquent ledit régime aux opérations des agences de voyages, dans la mesure où celles-ci agissent non pas en qualité d’intermédiaire, mais en leur propre nom à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services acquises auprès de tiers assujettis.

26      Pour les opérations des agences de voyages, effectuées conformément à cet article 306, le législateur de l’Union a prévu, aux articles 307 à 310 de la directive TVA, des dispositions spécifiques relatives au lieu d’imposition, au calcul de la base d’imposition de la taxe et à la déductibilité de celle-ci.

27      La Cour a déjà jugé que, en tant qu’exception au système commun de la directive TVA, ce régime particulier ne doit être appliqué que dans la mesure nécessaire pour atteindre son objectif (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2012, Kozak, C-557/11, EU:C:2012:672, point 20 et jurisprudence citée).

28      Selon la jurisprudence de la Cour, l’objectif essentiel des règles afférentes audit régime particulier est d’éviter les difficultés qui découleraient, pour les opérateurs économiques, des principes généraux de la directive TVA relatifs aux opérations impliquant la fourniture de prestations acquises auprès de tiers, dès lors que l’application des règles de droit commun concernant le lieu d’imposition, la base d’imposition et la déduction de la taxe acquittée en amont se heurterait, en raison de la multiplicité et de la localisation des prestations fournies, à des difficultés pratiques pour ces entreprises, qui seraient de nature à entraver l’exercice de leur activité (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2012, Kozak, C-557/11, EU:C:2012:672, point 19 et jurisprudence citée).

29      Il s’ensuit que le régime particulier de la TVA applicable aux agences de voyages ne constitue pas, en tant que tel, un régime fiscal indépendant et exhaustif, mais comporte uniquement des dispositions dérogatoires à certaines règles du système général de TVA, de telle sorte que les autres règles de ce système général s’appliquent aux opérations des agences de voyages soumises à la TVA.

30      Ainsi, toutes les dispositions du système général de TVA sont susceptibles de s’appliquer aux opérations relevant du régime particulier des agences de voyages, sauf celles qui régissent le lieu d’imposition, le calcul de la base d’imposition de la taxe et la déductibilité de celle-ci.

31      En conséquence, les règles relatives au fait générateur et à l’exigibilité de la TVA sur les livraisons de biens et les prestations de services, figurant notamment aux articles 63 et 65 de la directive TVA, restent applicables aux opérations relevant du régime particulier des agences de voyages.

32      En vertu de l’article 63 de cette directive, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.

33      Néanmoins, l’article 65 de la directive TVA dispose que, en cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement à concurrence du montant encaissé. Cet article constitue une dérogation à la règle énoncée à l’article 63 de cette directive et, en tant que telle, doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2014, FIRIN, C-107/13, EU:C:2014:151, point 35 et jurisprudence citée).

34      Ainsi, afin que la taxe soit exigible dans de telles circonstances, il faut que tous les éléments pertinents du fait générateur, c’est-à-dire de la future prestation, soient déjà connus et donc, en particulier, que, au moment du versement de l’acompte, les services soient désignés avec précision (arrêt du 13 mars 2014, FIRIN, C-107/13, EU:C:2014:151, point 36 et jurisprudence citée).

35      En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que, au moment de l’encaissement d’un acompte par une agence de voyages, telle que Skarpa, cet acompte peut être rattaché à un service effectué par cette agence, tel que, par exemple, un voyage à une certaine date et dans un pays donné. Il apparaît ainsi, sous réserve de vérification par cette juridiction, qu’un tel acompte concerne un service désigné avec précision, de telle sorte que la TVA devient exigible au moment de l’encaissement de cet acompte en vertu de l’article 65 de la directive TVA.

36      Dans ces conditions, il convient de répondre à la première question que les articles 65 et 306 à 310 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une agence de voyages, soumise au régime particulier prévu à ces articles 306 à 310, encaisse un acompte sur le paiement de services touristiques qu’elle fournira au voyageur, la TVA est exigible, conformément audit article 65, dès l’encaissement dudit acompte, à condition que, à ce moment-là, les services touristiques à fournir soient désignés avec précision.

 Sur la seconde question

37      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi souhaite obtenir des éclaircissements sur la manière dont doit être taxé un acompte encaissé par une agence de voyages.

38      Selon l’article 308 de la directive TVA, pour la prestation de services unique fournie par l’agence de voyages, est considérée comme base d’imposition, la marge bénéficiaire de l’agence, c’est-à-dire la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté par cette agence pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur.

39      Ainsi qu’il a été rappelé aux points 26 et 28 du présent arrêt, cette règle détermine la base d’imposition de la TVA lorsque les agences de voyages acquièrent des biens ou des services auprès d’autres assujettis et fait partie des dispositions spécifiques prévues par le législateur de l’Union afin de tenir compte des particularités de l’activité des agences de voyages et de leur éviter des difficultés pratiques de nature à entraver l’exercice de leur activité.

40      Il s’ensuit que l’interprétation des dispositions de la directive TVA ne saurait avoir pour conséquence de rendre impossible, dans les faits, le calcul exact de la base d’imposition prévue spécifiquement à son article 308, lequel suppose que l’agence de voyages puisse déduire du prix total, hors TVA, payé par le voyageur, l’intégralité des coûts effectifs supportés par cette agence pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur.

41      Or, dans le cas où l’acompte versé par le client correspond au prix total ou à une partie significative du prix total du service touristique et que, au moment du versement de cet acompte, l’agence n’a encore supporté aucun coût effectif, ou seulement une part limitée du coût total individuel de ce service, la prise en compte uniquement du coût effectivement supporté par l’agence au moment dudit versement peut, dans certains cas, l’empêcher de soustraire l’intégralité ou une partie de ce coût du prix total, hors TVA, dudit service et peut, partant, fausser le mode de calcul de la base d’imposition tel qu’il est établi à l’article 308 de la directive TVA.

42      En outre, une agence de voyages peut être dans l’incapacité de déterminer le coût effectif du service touristique particulier d’un voyageur, au moment où ce dernier verse l’acompte y relatif.

43      Par conséquent, dans des situations telles que celles visées au deux points précédents, la marge bénéficiaire de l’agence peut être déterminée sur le fondement d’une estimation du coût effectif total qu’elle aura, in fine, à supporter. En vue d’une telle estimation, l’agence doit prendre en compte, le cas échéant, les coûts qu’elle a d’ores et déjà effectivement supportés au moment de l’encaissement de l’acompte.

44      En déduisant du prix total du voyage le coût effectif total estimé, l’agence de voyages obtient sa marge bénéficiaire prévisible. La base d’imposition de la TVA à acquitter lors de l’encaissement de l’acompte est obtenue en multipliant le montant de cet acompte par le pourcentage que représente la marge bénéficiaire prévisible ainsi déterminée dans le prix total du voyage.

45      Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions, il peut être raisonnablement attendu d’une agence de voyages normalement diligente qu’elle prépare une estimation relativement détaillée du coût total individuel d’un voyage, afin de déterminer le prix total de ce voyage.

46      Les coûts prévus ainsi estimés doivent être liés au service touristique concret au titre duquel l’acompte a été encaissé par l’agence de voyages, étant donné que la marge bénéficiaire et la base d’imposition sont à déterminer en se référant à chaque prestation de services unique fournie par l’agence, c’est-à-dire de manière individuelle et non pas globalement, eu égard aux groupes de services ou à un ensemble de services fournis pendant une période donnée (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C-380/16, non publié, EU:C:2018:76, points 89, 91 et 92).

47      Cette solution est sans préjudice du fait que, dès que le coût effectif définitif individuel du voyage sera connu de l’agence de voyages, celui-ci devra être pris en compte aux fins de la détermination de la TVA, conformément à l’article 308 de la directive TVA, le cas échéant, en procédant à la rectification des déclarations de la TVA effectuées lors de l’encaissement de l’acompte.

48      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l’article 308 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que la marge de l’agence de voyages et, par conséquent, sa base d’imposition, est constituée par la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté en amont par l’agence de voyages au titre de la livraison de biens et de la prestation de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur. Lorsque le montant de l’acompte correspond au prix total du service touristique ou à une partie significative de ce prix et que l’agence n’a encore supporté aucun coût effectif, ou seulement une part limitée du coût total individuel de ce service, ou encore lorsque le coût effectif individuel du voyage supporté par l’agence ne peut pas être déterminé au moment du paiement de l’acompte, la marge bénéficiaire peut être déterminée sur le fondement d’une estimation du coût effectif total qu’elle aura, in fine, à supporter. En vue d’une telle estimation, l’agence doit prendre en compte, le cas échéant, les coûts qu’elle a d’ores et déjà effectivement supportés lors de l’encaissement de l’acompte. Aux fins du calcul de la marge, du prix total du voyage est déduit le coût effectif total estimé et la base d’imposition de la TVA à acquitter lors de l’encaissement de l’acompte est obtenue en multipliant le montant de cet acompte par le pourcentage que représente la marge bénéficiaire prévisible ainsi déterminée dans le prix total du voyage.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      Les articles 65 et 306 à 310 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une agence de voyages, soumise au régime particulier prévu à ces articles 306 à 310, encaisse un acompte sur le paiement de services touristiques qu’elle fournira au voyageur, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est exigible, conformément audit article 65, dès l’encaissement dudit acompte, à condition que, à ce moment-là, les services touristiques à fournir soient désignés avec précision.

2)      L’article 308 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45, doit être interprété en ce sens que la marge de l’agence de voyages et, par conséquent, sa base d’imposition, est constituée par la différence entre le montant total, hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à payer par le voyageur et le coût effectif supporté en amont par l’agence de voyages au titre de la livraison de biens et de la prestation de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur. Lorsque le montant de l’acompte correspond au prix total du service touristique ou à une partie significative de ce prix et que l’agence n’a encore supporté aucun coût effectif, ou seulement une part limitée du coût total individuel de ce service, ou encore lorsque le coût effectif individuel du voyage supporté par l’agence ne peut pas être déterminé au moment du paiement de l’acompte, la marge bénéficiaire peut être déterminée sur le fondement d’une estimation du coût effectif total qu’elle aura, in fine, à supporter. En vue d’une telle estimation, l’agence doit prendre en compte, le cas échéant, les coûts qu’elle a d’ores et déjà effectivement supportés lors de l’encaissement de l’acompte. Aux fins du calcul de la marge, du prix total du voyage est déduit le coût effectif total estimé et la base d’imposition de la TVA à acquitter lors de l’encaissement de l’acompte est obtenue en multipliant le montant de cet acompte par le pourcentage que représente la marge bénéficiaire prévisible ainsi déterminée dans le prix total du voyage.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.