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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

27 juin 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Droit à déduction de la taxe payée en amont – Conditions matérielles du droit à déduction – Livraison effective des biens »

Dans les affaires jointes C-459/17 et C-460/17,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Conseil d’État (France), par décisions du 21 juillet 2017, parvenues à la Cour le 31 juillet 2017, dans les procédures

SGI (C-459/17),

Valériane SNC (C-460/17)

contre

Ministre de l’Action et des Comptes publics,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. C. G. Fernlund (rapporteur), président de chambre, MM. J.-C. Bonichot et E. Regan, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour SGI et Valériane, par Me L. Boré, avocat,

–        pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes E. de Moustier et A. Alidière, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mmes N. Gossement et J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991 (JO 1991, L 376, p. 1) (ci-après la « sixième directive »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement SGI (C-459/17) et Valériane SNC (C-460/17) au ministre de l’Action et des Comptes publics (France) au sujet du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour des opérations d’acquisition de biens d’équipement.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2 de la sixième directive prévoit :

« Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée :

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ;

2.      les importations de biens. »

4        Selon l’article 3 de cette directive :

« 1.      Au sens de la présente directive, on entend par :

–        “territoire d’un État membre” : l’intérieur du pays, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3,

–        “Communauté” et “territoire de la Communauté” : l’intérieur des États membres, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3,

[...]

2.      Aux fins de l’application de la présente directive, l’“intérieur du pays” correspond au champ d’application du traité instituant la Communauté économique européenne, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, à l’article 227.

3.      Sont exclus de l’intérieur du pays, les territoires nationaux suivants :

[...]

–        République française :

Départements d’outre-mer.

[...] »

5        Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, « [e]st considéré comme “livraison d’un bien” le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme propriétaire ».

6        L’article 10, paragraphes 1 et 2, de cette même directive énonce :

« 1.      Sont considérés comme :

a)      fait générateur de la taxe : le fait par lequel sont réalisées les conditions légales, nécessaires pour l’exigibilité de la taxe ;

b)      exigibilité de la taxe : le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.

2.      Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée. [...]

[...] »

7        L’article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive dispose :

« 1.      Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.      Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ;

[...] »

 Le droit français

8        L’article 199 undecies B, point I, du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux litiges au principal (ci-après le « CGI »), prévoit :

« Les contribuables domiciliés en France au sens de l’article 4 B peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu’ils réalisent dans les départements d’outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, dans le cadre d’une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l’article 34.

[...]

Les dispositions du premier alinéa s’appliquent aux investissements réalisés par une société soumise au régime d’imposition prévu à l’article 8 ou un groupement mentionné aux articles 239 quater ou 239 quater C, dont les parts sont détenues [...] par des contribuables domiciliés en France au sens de l’article 4 B. En ce cas, la réduction d’impôt est pratiquée par les associés ou membres dans une proportion correspondant à leurs droits dans la société ou le groupement.

[...]

La réduction d’impôt prévue au présent I s’applique aux investissements productifs mis à la disposition d’une entreprise dans le cadre d’un contrat de location [...] »

9        Selon l’article 271 du CGI :

« I.      1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d’une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération.

[...]

II.      1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas :

a)      Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l’article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ;

[...] »

10      L’article 272, paragraphe 2, du CGI énonce :

« La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l’article 283 ne peut faire l’objet d’aucune déduction par celui qui a reçu la facture. »

11      L’article 283, paragraphe 4, du CGI dispose :

« Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d’une marchandise ou à l’exécution d’une prestation de services, ou fait état d’un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l’acheteur, la taxe est due par la personne qui l’a facturée. »

12      Selon la juridiction de renvoi, il résulte de l’article 271 et de l’article 272, paragraphe 2, ainsi que de l’article 283, paragraphe 4, du CGI qu’un contribuable n’est pas en droit de déduire de la TVA dont il est redevable la TVA mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucune marchandise ou prestation de services. 

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13      SGI et Valériane, sociétés de droit français ayant leur siège à la Réunion (France), ont pour activité la réalisation d’investissements éligibles à la réduction d’impôt prévue à l’article 199 undecies B du CGI. Dans le cadre du dispositif visé à cet article, lesdites sociétés procèdent à l’acquisition de biens d’équipement destinés à être donnés en location à des exploitants établis à la Réunion.

14      À la suite de vérifications de comptabilité, l’administration fiscale (France) a remis en cause le droit de SGI et de Valériane à déduction de la TVA figurant sur diverses factures d’acquisition de biens d’équipement, au motif, entre autres, que ces factures ne correspondaient à aucune livraison effective. L’administration fiscale a, en conséquence, émis des rappels de TVA à la charge de SGI, pour les périodes du quatrième trimestre de l’année 2004 et des deux premiers trimestres de l’année 2005, et de Valériane, pour la période du troisième trimestre de l’année 2004.

15      SGI et Valériane ont contesté ces rappels de TVA devant le tribunal administratif de la Réunion (France), lequel a rejeté leurs recours par deux jugements du 28 février 2013, confirmés par la cour administrative d’appel de Bordeaux (France). 

16      En ce qui concerne SGI, la cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir indiqué que cette société avait invoqué sa bonne foi, a relevé que celle-ci ne contestait ni le fait que de nombreuses opérations n’avaient pas donné lieu à une livraison effective, ni le fait que des livraisons avaient été tardives, ni, enfin, le fait que certaines transactions avaient été annulées et que ladite société s’était ainsi abstenue de contrôler la réalité de ces opérations économiques portant sur des montants importants. Cette juridiction en a déduit que l’administration fiscale avait apporté la preuve que SGI, en sa qualité de « professionnelle de la défiscalisation outre-mer », ne pouvait ignorer le caractère fictif des opérations en cause ou la surfacturation de certaines d’entre elles.

17      S’agissant de Valériane, ladite juridiction a considéré que les investigations faites par l’administration fiscale avaient permis de mettre en évidence, d’une part, l’absence de livraison et d’installation du matériel en cause et, d’autre part, l’existence d’un certain nombre de manquements de la part de cette société, tels que le non-versement du solde de la facture, l’absence d’encaissement du dépôt de garantie et des loyers prévus par le contrat de bail passé avec le locataire du matériel et l’absence de vérification de l’existence réelle du matériel alors que le contrat de location avait été signé avant même la facturation et la réception du matériel. 

18      Considérant que la cour administrative d’appel de Bordeaux avait commis une erreur de droit, SGI et Valériane se sont pourvues en cassation devant le Conseil d’État (France) sur le fondement de la sixième directive, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour.

19      À l’appui de son pourvoi, SGI soutient que, en l’absence de tout indice sérieux supposant l’implication des opérations économiques litigieuses dans une fraude, il ne lui incombait pas de procéder à un contrôle de la réalité de ces opérations. Quant à Valériane, elle fait valoir que la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas recherché si l’administration avait apporté la preuve qu’elle avait ou aurait dû avoir connaissance de l’implication de l’opération en cause dans une fraude à la TVA.

20      Selon la juridiction de renvoi, il est vrai que, dans ses arrêts du 31 janvier 2013, Stroy trans (C-642/11, EU:C:2013:54) et du 31 janvier 2013, LVK (C-643/11, EU:C:2013:55), la Cour a considéré que, si, compte tenu de fraudes ou d’irrégularités commises par l’émetteur de la facture ou en amont de l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction, cette opération est considérée comme n’ayant jamais été réalisée effectivement, le droit à déduction de la TVA ne peut être refusé au destinataire de la facture que s’il est établi, au vu d’éléments objectifs et sans exiger de ce dernier des vérifications qui ne lui incombent pas, que ce destinataire savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. 

21      Toutefois, la juridiction de renvoi fait observer que ces deux arrêts ont été rendus dans des hypothèses différentes de celles des affaires au principal, où l’administration fiscale se fondait sur des irrégularités commises par l’émetteur de la facture ou l’un des fournisseurs de celui-ci, et où les questions préjudicielles portaient sur les conséquences à tirer, pour l’exercice du droit à déduction par le destinataire d’une facture, de l’absence de rectification, par l’administration fiscale, dans un avis d’imposition rectificatif adressé à l’émetteur de cette facture, de la TVA déclarée par ce dernier.

22      En revanche, dans les affaires au principal, le droit à déduction a été refusé parce que les biens en question n’avaient pas été effectivement fournis aux sociétés en cause au principal. La juridiction de renvoi se demande si, dans une telle situation, pour refuser à un assujetti le droit de déduire la TVA, il suffit d’établir que les biens ou les prestations de services ne lui ont pas été effectivement fournis, ou s’il faut également établir que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude à la TVA. 

23      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de l’article 17 de la [sixième directive], dont les dispositions ont été reprises en substance à l’article 168 de la directive [2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1)], doivent-elles être interprétées en ce sens que, pour refuser à un assujetti le droit de déduire, de la [TVA] dont il est redevable à raison de ses propres opérations, la taxe portée sur des factures correspondant à des biens ou à des prestations de services dont l’administration fiscale établit qu’ils ne lui ont pas été effectivement fournis, il y a lieu, dans tous les cas, de rechercher s’il est établi qu’il savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la [TVA], que cette fraude ait été commise à l’initiative de l’émetteur de la facture, de son destinataire ou d’un tiers ? »

24      Par décision du président de la Cour du 23 août 2017, les affaires C-459/17 et C-460/17 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

25      Il convient de relever que les faits en cause au principal ont eu lieu dans un département français d’outre-mer situé en dehors du champ d’application de la sixième directive, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de celle-ci.

26      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déclaré comme étant recevables des demandes de décision préjudicielle dans des cas où, même si les faits au principal ne relevaient pas directement du champ d’application du droit de l’Union, les dispositions de ce droit avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’était conformée, pour les solutions apportées à des situations ne relevant pas du champ d’application du droit de l’Union, à celles retenues par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2018, Jacob et Lassus, C-327/16 et C-421/16, EU:C:2018:210, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

27      En effet, dans de tels cas, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer (arrêt du 22 mars 2018, Jacob et Lassus, C-327/16 et C-421/16, EU:C:2018:210, point 34).

28      En l’espèce, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’article 17 de la sixième directive a été rendu applicable par le droit français de manière directe et inconditionnelle également au département français d’outre-mer en cause au principal. Partant, il existe un intérêt certain de l’Union à ce qu’une réponse soit apportée à la question posée.

29      Il s’ensuit que la question préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

30      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que, pour refuser à l’assujetti destinataire d’une facture le droit de déduire la TVA mentionnée sur cette facture, il suffit que l’administration établisse que les opérations auxquelles cette facture correspond n’ont pas été réalisées effectivement, ou s’il faut que cette administration établisse également l’absence de bonne foi de cet assujetti.

31      À titre liminaire, il y a lieu d’indiquer, premièrement, que la directive 2006/112, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, a abrogé la sixième directive sans pour autant apporter de changements de fond par rapport à celle-ci. Les dispositions pertinentes de la sixième directive revêtant une portée en substance identique à celles de la directive 2006/112, la jurisprudence de la Cour relative à cette dernière directive est également applicable à la sixième directive.

32      Deuxièmement, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, en l’occurrence, il n’est pas contesté que SGI et Valériane ainsi que les fournisseurs des biens concernés ont la qualité d’assujettis, au sens de la sixième directive.

33      Troisièmement, la question posée est fondée sur la prémisse selon laquelle les biens en cause au principal, sur lesquels porte la TVA d’amont, n’ont pas été effectivement fournis.

34      L’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive prévoit que le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. Tel est le cas, en vertu de l’article 10, paragraphe 2, de cette directive, lorsque la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée.

35      Il s’ensuit que, dans le système de la TVA, le droit à déduction est lié à la réalisation effective de la livraison de biens ou de la prestation de services en cause (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 4 juillet 2013, Menidzherski biznes reshenia, C-572/11, non publiée, EU:C:2013:456, point 19 et jurisprudence citée).

36      À l’inverse, lorsque la réalisation effective de la livraison de biens ou de la prestation de services fait défaut, aucun droit à déduction ne peut prendre naissance.

37      Dans cette perspective, la Cour a déjà précisé que l’exercice du droit à déduction ne s’étend pas à une taxe qui est due exclusivement parce qu’elle est mentionnée sur une facture (ordonnance du président de la Cour du 4 juillet 2013, Menidzherski biznes reshenia, C-572/11, non publiée, EU:C:2013:456, point 20 et jurisprudence citée).

38      La bonne ou la mauvaise foi de l’assujetti qui demande la déduction de la TVA est sans incidence sur la question de savoir si la livraison est effectuée, au sens de l’article 10, paragraphe 2, de la sixième directive. En effet, conformément à la finalité de cette directive, qui vise à établir un système commun de TVA fondé, entre autres, sur une définition uniforme des opérations taxables, la notion de « livraison d’un bien », au sens de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, a un caractère objectif et doit être interprétée indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées, sans que l’administration fiscale soit obligée de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti ou de tenir compte de l’intention d’un opérateur autre que cet assujetti intervenant dans la même chaîne de livraisons (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Dixons Retail, C-494/12, EU:C:2013:758, points 19 et 21 ainsi que jurisprudence citée).

39      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler qu’il incombe à celui qui demande la déduction de la TVA d’établir qu’il répond aux conditions pour en bénéficier (arrêt du 26 septembre 1996, Enkler, C-230/94, EU:C:1996:352, point 24).

40      Il en découle que l’existence d’un droit à déduction de la TVA est subordonnée à la condition que les opérations correspondantes aient été effectivement réalisées.

41      Par ailleurs, ni les principes de sécurité juridique et d’égalité de traitement invoqués par SGI et Valériane ni la jurisprudence résultant des arrêts du 31 janvier 2013, Stroy trans (C-642/11, EU:C:2013:54), et du 31 janvier 2013, LVK (C-643/11, EU:C:2013:55), ne sauraient conduire à une conclusion différente.

42      Tout d’abord, s’agissant du principe de sécurité juridique, celui-ci exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 31 janvier 2013, LVK, C-643/11, EU:C:2013:55, point 51).

43      Or, en ce qui concerne les règles fiscales en cause au principal, il n’existe aucun indice laissant présumer que les requérantes au principal n’auraient pas été en mesure de s’orienter utilement en ce qui concerne l’application desdites règles.

44      Ensuite, s’agissant du principe de neutralité fiscale, qui constitue la traduction du principe général d’égalité de traitement, il requiert que les opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations ne soient pas traités différemment en matière de TVA, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2013, LVK, C-643/11, EU:C:2013:55, point 55). Or, un assujetti à qui est refusé le droit à déduction en raison de l’absence d’opération imposable ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’un assujetti à qui est accordé le droit à déduction en raison de l’existence d’une opération imposable effectivement réalisée.

45      Enfin, il y a lieu de préciser que les arrêts du 31 janvier 2013, Stroy trans (C-642/11, EU:C:2013:54), et du 31 janvier 2013, LVK (C-643/11, EU:C:2013:55), ont été rendus dans des circonstances factuelles substantiellement différentes de celles propres aux affaires en cause au principal. En effet, dans un contexte où il n’avait pas été établi que les livraisons de biens sur lesquelles se fondait le droit à déduction des assujettis concernés n’avaient pas effectivement eu lieu, ces deux arrêts portaient sur la question de savoir d’une part, si l’administration fiscale pouvait conclure à l’absence de livraisons imposables au seul motif qu’aucun document n’avait été présenté par les fournisseurs sur la réalisation des livraisons en cause et, d’autre part, si les assujettis destinataires de ces factures pouvaient se fonder sur l’absence de rectifications opérées par l’administration fiscale chez les émetteurs de factures litigieuses pour soutenir que les opérations en cause avaient réellement été effectuées.

46      Or, dans les affaires en cause au principal, ainsi qu’il a été exposé au point 33 du présent arrêt, la question posée est fondée sur la prémisse que les biens sur lesquels porte la TVA d’amont n’ont pas été effectivement fournis.

47      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 17 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que, pour refuser à l’assujetti destinataire d’une facture le droit de déduire la TVA mentionnée sur cette facture, il suffit que l’administration établisse que les opérations auxquelles cette facture correspond n’ont pas été réalisées effectivement. 

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. 

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, doit être interprété en ce sens que, pour refuser à l’assujetti destinataire d’une facture le droit de déduire la TVA mentionnée sur cette facture, il suffit que l’administration établisse que les opérations auxquelles cette facture correspond n’ont pas été réalisées effectivement.

Fernlund

Bonichot

Regan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2018.

Le greffier

Le président de la VIème chambre

A. Calot Escobar

 

C. G. Fernlund


*      Langue de procédure : le français.