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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

8 mai 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Opérations fictives – Impossibilité de déduire la taxe – Obligation, pour l’émetteur d’une facture, d’acquitter la TVA qui y figure – Amende d’un montant égal à celui de la TVA indûment déduite – Compatibilité avec les principes de neutralité de la TVA et de proportionnalité »

Dans l’affaire C-712/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Commissione tributaria regionale di Lombardia (commission fiscale régionale de Lombardie, Italie), par décision du 9 octobre 2017, parvenue à la Cour le 20 décembre 2017, dans la procédure

EN.SA. Srl

contre

Agenzia delle Entrate – Direzione Regionale Lombardia Ufficio Contenzioso,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, Mme C. Toader, MM. A. Rosas, L. Bay Larsen et M. Safjan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. M. Capolupo et G. De Bellis, avvocati dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mmes N. Gossement et F. Tomat, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 17 janvier 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EN.SA. Srl à l’Agenzia delle Entrate – Direzione Regionale della Lombardia (administration fiscale – direction régionale de Lombardie, Italie) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet d’un redressement fiscal dont cette société a fait l’objet, correspondant à une majoration de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due, assortie d’intérêts et de sanctions.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 63 de la directive TVA dispose :

« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »

4        L’article 167 de cette directive prévoit :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

5        Aux termes de l’article 168 de ladite directive :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)       la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

6        L’article 203 de la même directive énonce :

« La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture. »

7        Aux termes de l’article 273 de la directive TVA :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »

 Le droit italien

8        Le Decreto del Presidente della Repubblica n. 633 – Istituzione e disciplina dell’imposta sul valore aggiunto (décret du président de la République no 633 portant création et réglementation de la taxe sur la valeur ajoutée), du 26 octobre 1972, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « DPR no 633/1972 »), dispose, à son article 17, paragraphe 1 :

« La taxe est due par les personnes effectuant des cessions de biens et des prestations de services imposables, lesquelles doivent la verser au Trésor public, cumulativement pour toutes les opérations effectuées et nette de la déduction prévue à l’article 19, selon les modalités et dans les termes prévus au titre II ».

9        Aux termes de l’article 19, paragraphe 1, du DPR no 633/1972 :

« Pour déterminer la taxe due en vertu de l’article 17, paragraphe 1, ou l’excédent visé à l’article 30, paragraphe 2, le montant de la taxe acquittée ou due par l’assujetti ou lui ayant été facturée en contrepartie du droit de la répercuter pour des biens et services importés ou achetés dans l’exercice de son entreprise, de son métier ou de sa profession est déductible du montant de la taxe relative aux opérations qu’il a effectuées. Le droit à déduction de la taxe relative aux biens et aux services achetés ou importés prend naissance au moment où elle devient exigible et il peut être exercé, au plus tard, dans la déclaration relative à la deuxième année suivant celle durant laquelle le droit à déduction a pris naissance et aux conditions existant au moment de la naissance du droit lui–même ».

10      L’article 21 du DPR no 633/1972 prévoit :

« Si une facture est émise pour une opération inexistante ou si la facture et la taxe afférente à l’opération figurent pour des montants supérieurs à la réalité, la taxe est due pour la totalité du montant indiqué sur la facture ».

11      L’article 6, paragraphe 6, du Decreto legislativo n. 471 (décret-loi n°471) du 18 décembre 1997, dans sa version applicable à la date des faits en cause au principal, prévoyait :

« Quiconque déduit illégalement la taxe acquittée, due ou lui ayant été facturée en contrepartie du droit de la répercuter est puni d’une sanction administrative égale au montant de la déduction effectuée ».

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      EN.SA. est une société italienne de production et de distribution d’électricité. L’administration fiscale a procédé à la rectification des déclarations de TVA d’EN.SA. pour les exercices fiscaux 2009 et 2010. Cette administration a rejeté, en vertu de l’article 19 du DPR no 633/1972, la déduction de la TVA afférente à des opérations d’achat d’énergie électrique qu’elle a considérées comme fictives, en l’absence de transmission effective de l’énergie, et elle a infligé à EN.SA., en application de l’article 6, paragraphe 6, du décret-loi mentionné au point 11 du présent arrêt, une amende d’un montant égal à celui de la TVA indûment déduite.

13      En revanche, l’administration fiscale n’a pas relevé qu’EN.SA. avait manqué à son obligation d’acquitter la TVA due pour chacune de ses opérations de vente d’électricité.

14      Ces différentes opérations s’inscrivent, selon cette administration, dans un mécanisme circulaire de vente des mêmes quantités d’énergie aux mêmes prix, entre des sociétés faisant partie du même groupe. Elles auraient été réalisées dans le seul but de permettre au groupe Green Network de présenter des comptes plus favorables, afin de pouvoir bénéficier de financements bancaires.

15      L’administration fiscale a émis, à l’encontre d’EN.SA., deux avis de redressement correspondant chacun à une majoration de la TVA due, assortie d’intérêts et d’une amende, pour des montants respectifs de 47 618 491 euros au titre de l’exercice 2009 et de 22 001 078 euros pour l’exercice 2010.

16      EN.SA. a formé des recours contre ces avis devant la Commissione tributaria provinciale di Milano (commission fiscale provinciale de Milan, Italie), qui les a rejetés. Cette société a interjeté appel du jugement rendu par cette juridiction devant la Commissione tributaria regionale di Lombardia (commission fiscale régionale de Lombardie, Italie).

17      La juridiction de renvoi souligne le fait que les opérations de vente fictive d’électricité en cause au principal n’ont procuré aucun avantage fiscal à leurs auteurs, en raison du caractère circulaire des opérations, et l’absence de perte de recettes pour le Trésor public. Elle se demande si, en l’occurrence, s’agissant d’opérations fictives, il est conforme aux principes du droit de l’Union de faire supporter la TVA à l’opérateur. En l’absence de fraude fiscale, la juridiction de renvoi estime que le principe de neutralité de la taxe devrait prévaloir et que le refus de déduction de la TVA régulièrement acquittée et l’infliction d’une amende supplémentaire égale au montant de la TVA indûment déduite ne sont pas proportionnés à l’infraction ayant consisté à émettre des factures pour des opérations fictives.

18      Dans ces conditions, la Commissione tributaria regionale di Lombardia (commission fiscale régionale de Lombardie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans une situation où des opérations considérées comme fictives n’ont pas causé de préjudice au Trésor public et n’ont procuré aucun avantage fiscal au contribuable, le droit national, à savoir l’application des articles 19 (sur la déduction) et 21, paragraphe 7, (facturation des opérations) du [DPR no 633/1972] et de l’article 6, paragraphe 6, du decreto legislativo n. 471 (décret-loi no 471) du 18 décembre 1997 (violation des obligations en matière de documents comptables, enregistrement et individualisation des opérations), est-il conforme aux principes du droit de l’Union en matière de [TVA], tels que dégagés par la jurisprudence de la [Cour], dès lors que la mise en œuvre simultanée de ces dispositions du droit interne détermine :

a)      la non-déductibilité en cascade de la taxe ayant grevé l’acquisition par le cessionnaire et ce pour chacune des opérations litigieuses qui font intervenir le même sujet et ont la même base d’imposition ;

b)      l’application de la taxe et son paiement par le cédant (et l’exclusion de la répétition de l’indu) pour les opérations de cession correspondantes et parallèles, également considérées comme fictives ;

c)      l’application d’une amende d’un montant égal à celui de la taxe considérée comme non déductible. »

 Sur la question préjudicielle

19      Même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation des « principes de droit de l’Union en matière de TVA tels que dégagés par la jurisprudence de la Cour », en mentionnant spécialement les principes de proportionnalité et de neutralité, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction de renvoi, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 2018, L.E.G.O., C-242/17, EU:C:2018:804, point 43 ; du 7 février 2019, Escribano Vindel, C-49/18, EU:C:2019:106, point 32, et du 12 février 2019, TC, C-492/18 PPU, EU:C:2019:108, point 37).

 Sur les deux premières parties de la question

20      Par les deux premières parties de sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle des ventes fictives d’électricité réalisées de manière circulaire entre les mêmes opérateurs et pour les mêmes montants n’ont pas causé de pertes de recettes fiscales, la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui exclut la déduction de la TVA afférente à des opérations fictives, tout en obligeant les personnes qui mentionnent la TVA sur une facture à acquitter cette taxe, y compris pour une opération fictive.

21      À titre liminaire, il y a lieu de relever que les deux règles du droit national susmentionnées reflètent des dispositions analogues de la directive TVA.

22      D’une part, la non-déductibilité de la TVA afférente à des opérations fictives ressort de l’article 168 de cette directive.

23      En effet, il résulte de cet article que l’assujetti peut déduire la TVA grevant les biens et les services qu’il utilise pour les besoins de ses opérations taxées. En d’autres termes, le droit à déduction de la TVA grevant l’acquisition de biens ou de services en amont présuppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Portugal Telecom, C-496/11, EU:C:2012:557, point 36).

24      Or, lorsqu’une opération d’acquisition d’un bien ou d’un service est fictive, elle ne peut avoir un quelconque lien de rattachement avec les opérations de l’assujetti taxées en aval. En conséquence, lorsque la réalisation effective de la livraison de biens ou de la prestation de services fait défaut, aucun droit à déduction ne peut prendre naissance (arrêt du 27 juin 2018, SGI et Valériane, C-459/17 et C-460/17, EU:C:2018:501, point 36).

25      Il est donc inhérent au mécanisme de la TVA qu’une opération fictive ne puisse ouvrir droit à aucune déduction de cette taxe.

26      D’autre part, l’obligation, pour toute personne qui mentionne la TVA sur une facture, d’acquitter cette taxe figure expressément à l’article 203 de la directive TVA. À cet égard, la Cour a précisé que la TVA mentionnée sur une facture est due par l’émetteur de cette facture, y compris en l’absence de toute opération imposable réelle (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2013, Stroy trans, C-642/11, EU:C:2013:54, point 38).

27      En principe, les deux règles susmentionnées ne s’appliquent pas au même opérateur. C’est l’émetteur d’une facture qui est redevable de la TVA mentionnée sur celle-ci, tandis que la non-déductibilité de la TVA afférente à des opérations fictives est opposable au destinataire de cette facture.

28      Néanmoins, dans la situation particulière en cause au principal, les exigences fixées aux articles 168 et 203 de la directive TVA s’imposent conjointement au même opérateur. En effet, les mêmes quantités d’électricité étaient fictivement revendues au même prix entre les sociétés du même groupe de manière circulaire, de telle sorte que ces sociétés vendaient et rachetaient celles-ci au même prix. Ainsi, chaque opérateur se trouvait à la fois émetteur d’une facture mentionnant un montant de TVA et destinataire d’une autre facture, afférente à l’acquisition de la même quantité d’électricité au même prix et mentionnant le même montant de TVA. En tant qu’émettrice d’une facture et en application de la règle énoncée à l’article 203 de la directive TVA, EN.SA. était ainsi redevable au Trésor public du montant de TVA qui y figurait. En revanche, eu égard au caractère fictif des opérations concernées, il n’était pas permis à cette société, conformément à l’exigence découlant de l’article 168 de cette directive, de déduire la taxe de même montant figurant sur la facture dont elle était destinataire au titre du rachat de l’électricité.

29      Pour ces raisons, la juridiction de renvoi se demande si l’application combinée de ces exigences, résultant du droit national et reprises de la directive TVA, à un opérateur se trouvant dans une situation telle celle d’EN.SA., méconnaît le principe de neutralité de la TVA.

30      Il est vrai que le mécanisme de déduction de la TVA, tel qu’il est prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA, vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques, dès lors que celles-ci sont soumises à la TVA. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 29 octobre 2009, NCC Construction Danmark, C-174/08, EU:C:2009:669, point 27, et du 22 décembre 2010, RBS Deutschland Holdings, C-277/09, EU:C:2010:810, point 38).

31      Toutefois, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est également un objectif reconnu et encouragé par la directive TVA (arrêt du 31 janvier 2013, Stroy trans, C-642/11, EU:C:2013:54, point 46). Or, le risque de perte de recettes fiscales n’est pas, en principe, complètement éliminé tant que le destinataire d’une facture mentionnant indûment un montant de TVA est susceptible de l’utiliser aux fins d’obtenir la déduction de cette taxe (arrêt du 31 janvier 2013, Stroy trans, C-642/11, EU:C:2013:54, point 31).

32      Dans cette perspective, l’obligation prévue à l’article 203 de cette directive vise à éliminer le risque de perte de recettes fiscales que peut engendrer le droit à déduction (arrêt du 31 janvier 2013, Stroy trans, C-642/11, EU:C:2013:54, point 32).

33      Toutefois, en vertu du principe de proportionnalité, ladite obligation ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et, notamment, ne pas porter une atteinte excessive au principe de neutralité de la TVA. Or, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle le caractère fictif des opérations fait obstacle à la déductibilité de la taxe, le respect du principe de neutralité de la TVA est assuré par la possibilité, à prévoir par les États membres, de corriger toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi ou lorsque celui-ci a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales (arrêt du 31 janvier 2013, Stroy trans, C-642/11, EU:C:2013:54, point 43).

34      En l’occurrence, il ressort des explications fournies à la Cour par la juridiction de renvoi qu’EN.SA. a sciemment établi des factures ne correspondant à aucune opération réelle. Dans ces circonstances, cette société ne saurait se prévaloir de sa bonne foi. En revanche, toujours selon la juridiction de renvoi, les ventes fictives d’électricité entre les sociétés concernées n’ont donné lieu à aucune perte de recettes fiscales. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 47 de ses conclusions, cela tient au fait que les sociétés impliquées ont régulièrement acquitté la TVA grevant leurs ventes d’électricité et que, ayant, par la suite, racheté les mêmes quantités d’électricité au même prix, elles ont déduit un montant de TVA identique à celui qu’elles avaient acquitté.

35      Dans de telles circonstances, il ressort du point 33 du présent arrêt que la directive TVA, lue à la lumière des principes de neutralité et de proportionnalité, impose aux États membres de permettre à l’émetteur d’une facture afférente à une opération fictive de réclamer le remboursement de la taxe, figurant sur cette facture, qu’il a dû acquitter, lorsqu’il a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales.

36      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deux premières parties de la question posée que, dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle des ventes fictives d’électricité réalisées de manière circulaire entre les mêmes opérateurs et pour les mêmes montants n’ont pas causé de pertes de recettes fiscales, la directive TVA, lue à la lumière des principes de neutralité et de proportionnalité, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui exclut la déduction de la TVA afférente à des opérations fictives, tout en faisant obligation aux personnes qui mentionnent la TVA sur une facture d’acquitter cette taxe, y compris pour une opération fictive, à condition que le droit national permette de rectifier la dette fiscale résultant de cette obligation lorsque l’émetteur de ladite facture, qui n’était pas de bonne foi, a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur la troisième partie de la question

37      Par la troisième partie de sa question, la juridiction de renvoi demande si le principe de proportionnalité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans une situation telle que celle en cause au principal, à une règle du droit national en vertu de laquelle la déduction illégale de la TVA est punie d’une amende égale au montant de la déduction effectuée.

38      En vertu de l’article 273 de la directive TVA, les États membres ont la faculté d’adopter des mesures afin d’assurer l’exacte perception de la TVA et d’éviter la fraude. En particulier, à défaut de dispositions du droit de l’Union sur ce point, les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées en cas d’inobservation des conditions prévues par la législation de l’Union pour l’exercice du droit à déduction de la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Senatex, C-518/14, EU:C:2016:691, point 41, et du 26 avril 2017, Farkas, C-564/15, EU:C:2017:302, point 59 ainsi que jurisprudence citée).

39      Ils sont toutefois tenus d’exercer leur compétence dans le respect du droit de l’Union et de ses principes, notamment les principes de proportionnalité et de neutralité de la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C-564/15, EU:C:2017:302, point 59 et jurisprudence citée). Ainsi, les sanctions ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs mentionnés à l’article 273 de la directive TVA ni remettre en cause la neutralité de cette taxe (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C-183/14, EU:C:2015:454, point 62).

40      En premier lieu, afin d’apprécier si une sanction est conforme au principe de proportionnalité, il convient de tenir compte, notamment, de la nature et de la gravité de l’infraction que cette sanction vise à réprimer, ainsi que des modalités de détermination du montant de celle-ci (arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C-564/15, EU:C:2017:302, point 60 et jurisprudence citée).

41      À cet égard, il convient de relever que, en l’occurrence, le droit national prévoit, en vue d’assurer l’exacte perception de la TVA et d’éviter la fraude, une amende dont le montant n’est pas calculé en fonction de la dette fiscale de l’assujetti, mais est égal au montant de la taxe indûment déduite par ce dernier. En effet, la dette fiscale de l’assujetti à la TVA étant égale à la différence entre la taxe due pour les biens et les services fournis en aval et la taxe déductible afférente aux biens et aux services acquis en amont, le montant de la taxe indûment déduite ne correspond pas nécessairement à cette dette.

42      Tel est en particulier le cas dans le litige au principal. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 63 de ses conclusions, dès lors qu’EN.SA. a acheté et vendu fictivement les mêmes quantités d’électricité au même prix, sa dette fiscale au titre de la TVA, pour ces opérations, était nulle. Dans cette situation, une amende égale à 100 % du montant de la taxe indûment déduite en amont, infligée sans qu’il soit tenu compte du fait qu’un même montant de TVA avait été régulièrement acquitté en aval et que le Trésor public n’avait subi, par suite, aucune perte de recettes fiscales, constitue une sanction disproportionnée par rapport à l’objectif qu’elle poursuit.

43      En second lieu, dans une situation telle que celle en cause au principal, le principe de neutralité de la TVA s’oppose également à l’application d’une sanction telle que celle prévue par le droit national. En effet, dans cette situation, ainsi qu’il a été dit au point 33 du présent arrêt, le respect du principe de neutralité de la TVA est assuré par la possibilité, à prévoir par les États membres, de corriger toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi ou a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales.

44      Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 57 de ses conclusions, l’infliction d’une amende égale à 100 % du montant de la taxe indûment déduite rend vaine la possibilité de rectifier la dette fiscale née au titre de l’article 203 de la directive TVA. En effet, même si cette dette peut être rectifiée en l’absence de risque de perte de recettes fiscales, un montant égal à celui de la taxe indûment déduite reste dû au titre de cette amende.

45      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la troisième partie de la question posée que les principes de proportionnalité et de neutralité de la TVA doivent être interprétés en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, ils s’opposent à une règle du droit national en vertu de laquelle la déduction illégale de la TVA est punie d’une amende égale au montant de la déduction effectuée.

 Sur les dépens

46      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      Dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle des ventes fictives d’électricité réalisées de manière circulaire entre les mêmes opérateurs et pour les mêmes montants n’ont pas causé de pertes de recettes fiscales, la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lue à la lumière des principes de neutralité et de proportionnalité, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui exclut la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente à des opérations fictives, tout en faisant obligation aux personnes qui mentionnent la TVA sur une facture d’acquitter cette taxe, y compris pour une opération fictive, à condition que le droit national permette de rectifier la dette fiscale résultant de cette obligation lorsque l’émetteur de la facture, qui n’était pas de bonne foi, a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

2)      Les principes de proportionnalité et de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) doivent être interprétés en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, ils s’opposent à une règle du droit national en vertu de laquelle la déduction illégale de la TVA est punie d’une amende égale au montant de la déduction effectuée.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.