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ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

27 mars 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Harmonisation des législations fiscales – Déduction de la taxe payée en amont – Bien d’investissement immobilier – Cession-bail (sale and lease back) – Régularisation des déductions de la TVA – Principe de neutralité de la TVA – Principe de l’égalité de traitement »

Dans l’affaire C-201/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Mons (Belgique), par décision du 9 mars 2018, parvenue à la Cour le 19 mars 2018, dans la procédure

Mydibel SA

contre

État belge,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda (rapporteur) et P. G. Xuereb, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Mydibel SA, par Me W. Huber, avocat,

–        pour le gouvernement belge, par MM. J.-C. Halleux et P. Cottin ainsi que par Mme C. Pochet, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes J. Jokubauskaitė et N. Gossement, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 14, 15, 168, 184, 185, 187 et 188 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009 (JO 2010, L 10, p. 14) (ci-après la « directive TVA »), ainsi que des principes de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de l’égalité de traitement.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mydibel SA à l’État belge au sujet de la régularisation d’une déduction de la TVA.

 Le cadre juridique

3        Aux termes de l’article 14 de la directive TVA :

« 1.      Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

2.      Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes :

a)      la transmission, avec paiement d’une indemnité, de la propriété d’un bien en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi ;

b)      la remise matérielle d’un bien en vertu d’un contrat qui prévoit la location d’un bien pendant une certaine période ou la vente à tempérament d’un bien, assorties de la clause que la propriété est normalement acquise au plus tard lors du paiement de la dernière échéance ;

c)      la transmission d’un bien effectuée en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente.

3.      Les États membres peuvent considérer comme livraison de biens la délivrance de certains travaux immobiliers. »

4        L’article 15 de cette directive dispose :

« 1.      Sont assimilés à des biens corporels l’électricité, le gaz, la chaleur ou le froid et les choses similaires.

2.      Les États membres peuvent considérer comme biens corporels :

a)      certains droits sur les biens immeubles ;

b)      les droits réels donnant à leur titulaire un pouvoir d’utilisation sur les biens immeubles ;

c)      les parts d’intérêts et actions dont la possession assure en droit ou en fait l’attribution en propriété ou en jouissance d’un bien immeuble ou d’une fraction d’un bien immeuble. »

5        L’article 168 de ladite directive énonce :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

b)      la TVA due pour les opérations assimilées aux livraisons de biens et aux prestations de services conformément à l’article 18, point a), et à l’article 27 ;

c)      la TVA due pour les acquisitions intracommunautaires de biens conformément à l’article 2, paragraphe 1, point b) i) ;

d)      la TVA due pour les opérations assimilées aux acquisitions intracommunautaires conformément aux articles 21 et 22 ;

e)      la TVA due ou acquittée pour les biens importés dans cet État membre. »

6        Sous le chapitre 5, intitulé « Régularisation des déductions », du titre X de la directive TVA, figurent les articles 184 à 189 de cette directive. L’article 184 de ladite directive précise :

« La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. »

7        L’article 185 de la directive TVA prévoit :

« 1.      La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation. »

8        Aux termes de l’article 186 de cette directive :

« Les États membres déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185. »

9        L’article 187 de ladite directive dispose :

« 1.      En ce qui concerne les biens d’investissement, la régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

Toutefois, les États membres peuvent, lors de la régularisation, se baser sur une période de cinq années entières à compter du début de l’utilisation du bien.

En ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers, la durée de la période servant de base au calcul des régularisations peut être prolongée jusqu’à vingt ans.

2.      Chaque année, la régularisation ne porte que sur le cinquième ou, dans le cas où la période de régularisation a été prolongée, sur la fraction correspondante de la TVA dont les biens d’investissement ont été grevés.

La régularisation visée au premier alinéa est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l’année au cours de laquelle le bien a été acquis, fabriqué ou, le cas échéant, utilisé pour la première fois. »

10      L’article 188 de la même directive précise :

« 1.      En cas de livraison pendant la période de régularisation, le bien d’investissement est considéré comme s’il était resté affecté à une activité économique de l’assujetti jusqu’à l’expiration de la période de régularisation.

L’activité économique est présumée être entièrement taxée pour le cas où la livraison du bien d’investissement est taxée.

L’activité économique est présumée être entièrement exonérée pour le cas où la livraison du bien d’investissement est exonérée.

2.      La régularisation prévue au paragraphe 1 se fait en une seule fois pour tout le temps de la période de régularisation restant à courir. Toutefois, lorsque la livraison du bien d’investissement est exonérée, les États membres peuvent ne pas exiger une régularisation dans la mesure où l’acquéreur est un assujetti qui utilise le bien d’investissement en question uniquement pour des opérations pour lesquelles la TVA est déductible. »

11      L’article 189 de la directive TVA prévoit :

« Pour l’application des articles 187 et 188, les États membres peuvent prendre les mesures suivantes :

a)      définir la notion de biens d’investissement ;

b)      préciser quel est le montant de TVA qui est à prendre en considération pour la régularisation ;

c)      prendre toutes dispositions utiles afin d’éviter que les régularisations ne procurent aucun avantage injustifié ;

d)      autoriser des simplifications administratives. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      Mydibel a pour activité la fabrication de dérivés de pommes de terre et est, à ce titre, assujettie à la TVA. Elle est propriétaire de plusieurs immeubles pour lesquels elle a déduit intégralement les taxes ayant grevé les factures de construction, de transformation ou de rénovation.

13      Le 1er octobre 2009, afin d’augmenter ses liquidités, Mydibel a conclu avec deux institutions financières des opérations de sale and lease back (cession-bail), non soumises à la TVA, portant sur ces immeubles, divisés en deux lots. Pour chaque lot, Mydibel a conclu avec ces institutions deux conventions par actes notariés. D’une part, elle a conclu une convention de constitution d’un droit d’emphytéose sur lesdits immeubles au profit desdites institutions, pour une durée de 99 ans, moyennant le paiement d’une redevance immédiate d’un montant de 9 630 000 euros pour le premier lot et de 2 700 000 euros pour le second lot, ainsi que d’une redevance annuelle d’un montant de 25 euros. D’autre part, elle a conclu une convention de leasing immobilier portant sur les mêmes immeubles, par laquelle ces mêmes institutions ont concédé à Mydibel l’usage des immeubles en cause pour une période non révocable de 15 ans, moyennant le paiement d’un loyer trimestriel, correspondant à une valeur d’investissement d’un montant de 9 630 000 euros pour le premier lot et de 2 700 000 euros pour le second lot, augmentée des intérêts. En vertu de cette dernière convention, Mydibel bénéficie, à l’expiration du leasing, d’une option d’achat pour un prix correspondant à 10 % de la valeur d’investissement pour le premier lot et à 3 % de cette valeur pour le second lot.

14      À la suite d’un contrôle fiscal, réalisé les 11 mai et 8 juin 2012 et portant sur la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010, l’administration fiscale belge a rejeté, en vertu du mécanisme de la révision, la déduction de la TVA initialement opérée sur les immeubles en cause en raison desdites opérations de sale and lease back (cession-bail).

15      Un relevé de régularisation a été soumis le 18 septembre 2012 pour accord à Mydibel et un procès-verbal a été établi le 22 novembre 2013 et notifié, à la même date, avec la décision de régularisation. Cette dernière décision porte, premièrement, sur un montant de 981 381,28 euros pour erreurs de déduction de la TVA, deuxièmement, sur une amende proportionnelle de 98 130 euros, et, troisièmement, sur des intérêts de retard à compter du 21 janvier 2011. Au moyen de retenues sur le solde créditeur du compte courant TVA de Mydibel, l’administration fiscale belge a perçu, en apurement du montant de la régularisation, la somme totale de 1 363 971,20 euros.

16      Le 1er avril 2014, Mydibel a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision de régularisation et du procès-verbal du 22 novembre 2013 devant le tribunal de première instance du Hainaut (Belgique).

17      Par jugement du 13 octobre 2015, le tribunal de première instance du Hainaut a déclaré ce recours recevable et partiellement fondé. Il a jugé que l’amende n’était pas due, a condamné l’État belge à rembourser à Mydibel toutes sommes perçues en raison de l’amende annulée, majorées des intérêts moratoires et a débouté Mydibel du surplus de sa demande.

18      Mydibel a, le 4 mars 2016, interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Mons (Belgique).

19      La juridiction de renvoi se demande si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, les dispositions de la directive TVA imposent une obligation de régulariser la déduction de la TVA et, dans l’affirmative, si une telle régularisation est conforme aux principes de neutralité de la TVA et de l’égalité de traitement.

20      Dans ces conditions, la cour d’appel de Mons a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« [1)]            Est-ce que les articles 14, 15, 168, 184, 185, 187 et 188 de la directive [2006/112] doivent être interprétés et appliqués de façon qu’il y ait ou non révision/régularisation de la TVA sur un bien d’investissement immeuble qui a initialement été déduite correctement, lorsque ce bien d’investissement immeuble a fait l’objet d’une opération sale and lease back (cession-bail), étant donné que :

–        le sale and lease back est formé par l’octroi combiné et simultané d’un droit d’emphytéose (étant un droit réel temporaire) par l’assujetti à deux institutions financières et d’un leasing par ces deux institutions financières à l’assujetti ;

–        cette opération sale and lease back forme une opération purement financière afin d’augmenter les liquidités de l’assujetti ;

–        l’opération sale and lease back (cession-bail) n’a pas été soumise à la TVA ;

–        le bien d’investissement immeuble est resté en [la] possession de l’assujetti et a été utilisé pour l’activité taxée de l’assujetti de façon ininterrompue et durable, tant avant l’opération qu’après ?

[2)]      Est-ce qu’une interprétation et une application des dispositions susmentionnées, conduisant à une révision/régularisation de la TVA initialement déduite, sont en conformité avec le principe de neutralité de la TVA et/ou le principe de l’égalité de traitement ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

21      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 184, 185, 187 et 188 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent une obligation de régulariser la TVA grevant un immeuble qui a initialement été déduite correctement, lorsque ce bien a fait l’objet d’une opération de sale and lease back (cession-bail) non soumise à la TVA dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

22      Les articles 184 et 185 de la directive TVA énoncent de manière générale les conditions dans lesquelles l’administration fiscale nationale doit exiger une régularisation de la TVA initialement déduite. En revanche, les articles 187 à 189 de cette directive prévoient des règles spécifiques pour la régularisation de la déduction de la TVA en ce qui concerne les biens d’investissement (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas, C-532/16, EU:C:2018:228, points 25 à 28).

23      À titre liminaire, il convient de constater qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que les immeubles en cause au principal sont à qualifier de « biens d’investissement », ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier en fonction du droit national. En effet, en vertu de l’article 189, sous a), de ladite directive, les États membres peuvent définir la notion de « biens d’investissement ». La Cour a jugé que cette notion recouvre les biens qui, utilisés aux fins d’une activité économique, se distinguent par leur caractère durable et leur valeur, lesquels impliquent que les coûts d’acquisition ne sont pas normalement comptabilisés comme dépenses courantes, mais sont amortis au cours de plusieurs exercices (arrêt du 16 février 2012, Eon Aset Menidjmunt, C-118/11, EU:C:2012:97, point 35 et jurisprudence citée).

24      En premier lieu, il convient d’examiner si une régularisation de la déduction de la TVA s’impose en vertu des articles 184 et 185 de la même directive.

25      Il ressort de l’article 184 de la directive TVA que la déduction de la TVA initialement opérée doit être régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. En vertu de l’article 185 de cette directive, une régularisation doit avoir lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA.

26      S’agissant de l’incidence éventuelle, sur la déduction de la TVA opérée par un assujetti, d’évènements survenus postérieurement à cette déduction, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’utilisation qui est faite des biens ou des services, ou qui est envisagée pour ceux-ci, détermine l’étendue de la déduction initiale à laquelle l’assujetti a droit ainsi que l’étendue d’éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes (arrêt du 31 mai 2018, Kollroß et Wirtl, C-660/16 et C-661/16, EU:C:2018:372, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

27      En effet, le mécanisme de régularisation prévu aux articles 184 à 186 de la directive TVA fait partie intégrante du régime de déduction de la TVA établi par cette directive. Il vise à accroître la précision des déductions de manière à assurer la neutralité de la TVA, de telle sorte que les opérations effectuées au stade antérieur continuent à donner lieu au droit à déduction dans la seule mesure où elles servent à fournir des prestations soumises à une telle taxe. Ce mécanisme a ainsi pour objectif d’établir une relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval (arrêt du 31 mai 2018, Kollroß et Wirtl, C-660/16 et C-661/16, EU:C:2018:372, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

28      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les immeubles en cause au principal ont été utilisés par Mydibel de façon ininterrompue et durable pour ses activités professionnelles. En outre, selon les indications figurant dans cette décision, si les opérations de sale and lease back (cession-bail) en cause au principal ont donné lieu au paiement d’une redevance immédiate à Mydibel, cette société s’est, quant à elle, engagée à payer aux institutions financières concernées un loyer trimestriel au cours d’une période de 15 ans dont le montant total correspond à celui de cette redevance augmenté d’intérêts. Il apparaît ainsi que ladite société a continué à utiliser les opérations réalisées aux fins de la construction, de la transformation ou de la rénovation des immeubles en cause pour ses opérations taxées en aval. Ce constat indique, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, l’absence de modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions qui sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA.

29      Contrairement à ce qu’a fait valoir la Commission européenne dans ses observations écrites, la seule constitution d’un droit d’emphytéose non soumis à la TVA ne saurait être considérée comme une modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions qui est intervenue postérieurement à la déclaration de TVA. En effet, une telle constitution n’a pas en soi pour effet de rompre la relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval.

30      Il s’ensuit que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, les articles 184 et 185 de la directive TVA n’imposent pas une régularisation de la TVA initialement déduite dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

31      En second lieu, il convient d’examiner si les circonstances de l’affaire au principal relèvent des règles spécifiques pour la régularisation de la déduction de la TVA en ce qui concerne les biens d’investissement et, notamment, des articles 187 et 188 de la directive TVA.

32      L’article 187 de cette directive décrit certaines modalités de régularisation de la déduction de la TVA en ce qui concerne les biens d’investissement. Notamment, il ressort de l’article 187, paragraphe 1, de ladite directive que, en ce qui concerne de tels biens, la régularisation est opérée pendant une période de cinq années, période qui peut être prolongée jusqu’à vingt ans pour les biens d’investissement immobiliers.

33      En vertu de l’article 188, paragraphe 1, de la même directive, en cas de livraison pendant la période de régularisation, le bien d’investissement est considéré comme s’il était resté affecté à une activité économique de l’assujetti jusqu’à l’expiration de la période de régularisation.

34      La Cour a précisé que la notion de « livraison de biens » se réfère non pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais à toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C-277/14, EU:C:2015:719, point 44 et jurisprudence citée).

35      S’il appartient au juge national de déterminer au cas par cas, en fonction des faits de l’espèce, si une opération donnée sur un bien entraîne le transfert du pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2005, Centralan Property, C-63/04, EU:C:2005:773, point 63), la Cour peut néanmoins lui fournir toute indication utile à cet égard.

36      Force est de constater que les opérations de sale and lease back (cession-bail) en cause au principal sont caractérisées par l’octroi combiné et simultané, d’une part, d’un droit d’emphytéose par l’assujetti aux deux institutions financières en cause au principal et, d’autre part, d’un leasing immobilier par ces deux institutions à l’assujetti.

37      Il importe donc de déterminer s’il convient, dans le contexte de l’affaire au principal, de considérer l’octroi du droit d’emphytéose et du leasing immobilier séparément ou bien conjointement.

38      La Cour a jugé que l’on se trouve en présence d’une prestation unique lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (arrêt du 21 février 2008, Part Service, C-425/06, EU:C:2008:108, point 53 et jurisprudence citée).

39      C’est à la juridiction nationale qu’il appartient d’apprécier si les éléments qui lui sont soumis caractérisent l’existence d’une opération unique, au-delà de l’articulation contractuelle de celle-ci (arrêt du 21 février 2008, Part Service, C-425/06, EU:C:2008:108, point 54).

40      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les opérations de sale and lease back (cession-bail) en cause au principal forment des opérations purement financières afin d’augmenter les liquidités de Mydibel et que les immeubles en cause au principal sont restés en la possession de cette dernière, qui les a utilisés de façon ininterrompue et durable pour les besoins de ses opérations taxées. Ces faits semblent indiquer, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que chacune de ces opérations forme une opération unique, la constitution du droit d’emphytéose portant sur les immeubles en cause au principal étant indissociable du leasing immobilier portant sur les mêmes biens.

41      Il s’ensuit que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, chaque opération de sale and lease back (cession-bail) en cause au principal constitue une opération unique. Dans ces conditions, ces opérations ne sauraient être qualifiées de « livraisons de biens » dans la mesure où les droits transférés aux institutions financières en cause au principal à la suite desdites opérations, à savoir les droits civils d’emphytéose diminués des droits provenant du leasing immobilier dont est titulaire Mydibel, ne les habilitent pas à disposer des immeubles en cause au principal comme si elles en étaient propriétaires.

42      À la lumière de ce qui précède et, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, les articles 187 et 188 de la directive TVA n’imposent pas une régularisation de la TVA initialement déduite dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

43      Dans ces conditions, il convient de répondre à la première question que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi des éléments de fait et de droit national pertinents, les articles 184, 185, 187 et 188 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’imposent pas une obligation de régulariser la TVA grevant un immeuble qui a initialement été déduite correctement, lorsque ce bien a fait l’objet d’une opération de sale and lease back (cession-bail) non soumise à la TVA dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

 Sur la seconde question

44      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une interprétation des articles 184, 185, 187 et 188 de la directive TVA en ce sens qu’ils imposent une obligation de régulariser la TVA initialement déduite dans des circonstances telles que celles en cause au principal est conforme aux principes de neutralité de la TVA et de l’égalité de traitement.

45      Eu égard à la réponse à la première question, la seconde question ne se pose que si la juridiction de renvoi, après vérification, devait estimer que les opérations de sale and lease back (cession-bail) en cause au principal constituent une modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions qui sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, au sens de l’article 185 de la directive TVA, ou bien une livraison, au sens de l’article 188 de cette directive, et que, partant, il existe une obligation de régulariser la TVA initialement déduite dans les circonstances de l’affaire au principal.

46      Or, une telle obligation de régulariser la TVA initialement déduite serait, en tout état de cause, conforme aux principes de neutralité de la TVA et de l’égalité de traitement.

47      À cet égard, il suffit de constater que, dans ces conditions, un assujetti ayant conclu une telle opération non soumise à la TVA et portant sur un immeuble dont il est propriétaire ne se trouverait pas, du point de vue de la TVA, dans une situation comparable à celle d’un assujetti qui serait resté propriétaire d’un immeuble de manière ininterrompue depuis la réalisation des travaux ayant ouvert droit à déduction de la TVA payée en amont.

48      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question qu’une interprétation des articles 184, 185, 187 et 188 de la directive TVA en ce sens qu’ils imposent une obligation de régulariser la TVA initialement déduite dans des circonstances telles que celles en cause au principal est conforme aux principes de neutralité de la TVA et de l’égalité de traitement.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

1)      Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi des éléments de fait et de droit national pertinents, les articles 184, 185, 187 et 188 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’imposent pas une obligation de régulariser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) grevant un immeuble qui a initialement été déduite correctement, lorsque ce bien a fait l’objet d’une opération de sale and lease back (cession-bail) non soumise à la TVA dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

2)      Une interprétation des articles 184, 185, 187 et 188 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2009/162, en ce sens qu’ils imposent une obligation de régulariser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) initialement déduite dans des circonstances telles que celles en cause au principal est conforme aux principes de neutralité de la TVA et de l’égalité de traitement.

von Danwitz

Vajda

Xuereb

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 mars 2019.

Le greffier

Le président de la VIIème chambre

A. Calot Escobar

 

T. von Danwitz


*      Langue de procédure : le français.