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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

10 juillet 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Droit à déduction de la TVA payée en amont – Article 168 – Chaîne de livraisons de biens – Refus du droit à déduction en raison de l’existence de cette chaîne – Obligation de l’autorité fiscale compétente d’établir l’existence d’une pratique abusive »

Dans l’affaire C-273/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie), par décision du 13 avril 2018, parvenue à la Cour le 20 avril 2018, dans la procédure

SIA « Kuršu zeme »

contre

Valsts ieņēmumu dienests,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. C. G. Fernlund (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement letton, par Mmes I. Kucina et V. Soņeca, en qualité d’agents,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, O. Serdula et J .Vláčil, en qualité d’agents,

pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,

pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mmes N. Gossement et I. Rubene, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SIA « Kuršu zeme » au Valsts ieņēmumu dienests (administration fiscale, Lettonie) (ci-après le « VID ») au sujet du refus de ce dernier d’admettre le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente aux acquisitions de biens effectuées par cette société auprès de la société SIA « KF Prema », au motif que ces acquisitions n’auraient en réalité pas eu lieu.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), i), de la directive TVA prévoit :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a)

les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

b)

les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre :

i)

par un assujetti agissant en tant que tel [...] »

4

L’article 14, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

5

L’article 20, premier alinéa, de ladite directive est libellé comme suit :

« Est considérée comme “acquisition intracommunautaire de biens” l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui de départ de l’expédition ou du transport du bien. »

6

Aux termes de l’article 23 de la même directive :

« Les États membres prennent les mesures assurant que sont qualifiées d’acquisitions intracommunautaires de biens les opérations qui, si elles avaient été effectuées sur leur territoire par un assujetti agissant en tant que tel, auraient été qualifiées de livraisons de biens. »

7

L’article 32, premier alinéa, de la directive TVA prévoit :

« Dans le cas où le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par une tierce personne, le lieu de la livraison est réputé se situer à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. »

8

L’article 40 de cette directive dispose :

« Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. »

9

L’article 68 de ladite directive énonce :

« Le fait générateur de la taxe intervient au moment où l’acquisition intracommunautaire de biens est effectuée.

L’acquisition intracommunautaire de biens est considérée comme effectuée au moment où la livraison de biens similaires sur le territoire de l’État membre est considérée comme effectuée. »

10

L’article 69 de la même directive prévoit :

« Pour les acquisitions intracommunautaires de biens, la taxe devient exigible lors de l’émission de la facture, ou à l’expiration du délai visé à l’article 222, premier alinéa, si aucune facture n’a été émise avant cette date. »

11

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA :

« Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans [l’Union européenne] par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens. »

12

L’article 167 de cette directive prévoit que « [l]e droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible ».

13

L’article 168 de ladite directive dispose :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...]

c)

la TVA due pour les acquisitions intracommunautaires de biens conformément à l’article 2, paragraphe 1, point b) i) ».

14

L’article 193 de la même directive prévoit :

« La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable [...] »

15

L’article 200 de la directive TVA énonce :

« La TVA est due par la personne effectuant une acquisition intracommunautaire de biens imposable. »

Le droit letton

16

Le Likums par pievienotās vērtības nodokli (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée), du 9 mars 1995 (Latvijas Vēstnesis, 1995, no 49, ci-après la « loi relative à la TVA »), dans sa version applicable aux faits en cause au principal, dispose, à son article 1er, points 2 et 34 :

« 2)   par livraison de biens, il y a lieu d’entendre l’opération consistant à transférer la propriété d’un bien à un tiers pour qu’il puisse en disposer.

[...]

34)   par acquisition intracommunautaire de biens, il y a lieu d’entendre la réception de biens sur le territoire national à partir d’un autre État membre lorsque ceux-ci sont expédiés ou transportés à partir de cet autre État membre par le fournisseur, le destinataire ou un tiers agissant en leur nom. »

17

L’article 2, paragraphe 2, de cette loi prévoit :

« Les opérations réalisées sur le territoire national dans le cadre d’une activité économique soumises à la [TVA] sont :

1)

les livraisons de biens à titre onéreux, y compris l’autoconsommation ;

[...] »

18

L’article 10, paragraphe 1, points 1 et 7, de ladite loi dispose :

« Seul un assujetti enregistré auprès de l’administration a le droit, dans sa déclaration TVA, de déduire du montant de l’impôt à verser au Trésor public, au titre de la taxe versée en amont :

1)   le montant de la taxe indiqué sur les factures reçues d’autres assujettis pour les biens acquis ou les prestations de services reçues aux fins d’assurer ses propres opérations taxables, y compris les opérations effectuées à l’étranger qui auraient été imposables si elles avaient été effectuées sur le territoire national ;

[...]

7)   le montant de la taxe afférente à des acquisitions intracommunautaires de biens réalisées aux fins d’assurer ses propres opérations taxables. »

19

L’article 18, paragraphe 1, de la même loi énonce :

« Les opérations intracommunautaires taxables sont :

1)   les opérations mentionnées à l’article 2, paragraphe 2, de la présente loi réalisées dans le cadre d’une activité économique et les acquisitions intracommunautaires de biens ;

2)   le transfert de biens d’une personne depuis un autre État membre vers le territoire national aux fins de l’exercice de l’activité économique de cette personne sur le territoire national qui est assimilé à une acquisition intracommunautaire de biens ;

[...] »

20

L’article 30, paragraphe 1, première phrase, de la loi relative à la TVA prévoit :

« Si un assujetti reçoit des biens d’un autre assujetti situé dans un autre État membre, le premier assujetti calcule et verse la taxe au Trésor public en appliquant à cette opération le taux correspondant, conformément à l’article 5, paragraphes 1 ou 3. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

21

Kuršu zeme est une société établie en Lettonie qui a, du mois de février au mois de décembre 2012, déclaré des opérations d’acquisition de biens auprès d’une autre société établie en Lettonie, KF Prema, et qui a déduit la TVA payée en amont y afférente.

22

Lors d’un contrôle fiscal, le VID a constaté que ces acquisitions étaient intervenues au terme d’une chaîne d’opérations successives entre plusieurs sociétés. En effet, les biens concernés avaient d’abord été vendus par UAB « Baltfisher », une société établie en Lituanie, à deux sociétés établies en Lettonie. Ils ont ensuite été revendus par ces dernières à une autre société établie en Lettonie qui les a revendus à KF Prema, laquelle les a finalement revendus à Kuršu zeme, qui a elle-même assuré le transport de ces biens depuis Klaipėda (Lituanie), jusqu’à son usine située en Lettonie.

23

N’ayant pu trouver d’explication logique à cette chaîne d’opérations, le VID a considéré, d’une part, que les sociétés intermédiaires n’avaient en réalité exercé aucune activité dans la réalisation de l’acquisition des biens en cause et, d’autre part, que Kuršu zeme ne pouvait ignorer la nature artificielle de ladite chaîne.

24

Le VID a alors estimé que Kuršu zeme avait en réalité acquis les biens en cause directement auprès de Baltfisher et a donc qualifié les acquisitions en cause d’« acquisitions intracommunautaires ». Par conséquent, par décision du 29 avril 2014, il a rectifié les déclarations de TVA émises par Kuršu zeme en incluant la valeur des biens en cause dans la valeur des biens acquis à partir d’autres États membres et en majorant en conséquence la TVA due, tout en réduisant à due concurrence la TVA payée en amont que Kuršu zeme avait déclarée.

25

Kuršu zeme a introduit un recours contre cette décision devant l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district, Lettonie) en faisant valoir, d’abord, que toutes les exigences formelles et matérielles pour pouvoir bénéficier du droit à déduction avaient été remplies, ensuite, qu’elle n’avait pas de raison de douter de KF Prema ni de la finalité de la réalisation de ses opérations et, enfin, qu’elle n’avait pas obtenu d’avantage fiscal dans le cadre des opérations réalisées avec cette société.

26

Son recours ayant été rejeté, Kuršu zeme a interjeté appel devant l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), laquelle a confirmé la décision de l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district).

27

Kuršu zeme a dès lors formé un pourvoi en cassation devant l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie) en faisant valoir que, lorsque le VID, l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district) et l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) ont conclu qu’elle était impliquée dans une chaîne d’opérations artificiellement créée pour obtenir un avantage fiscal, ils n’ont pas indiqué quel était cet avantage fiscal qu’elle ou les autres sociétés impliquées dans les opérations en cause auraient obtenu. Selon Kuršu zeme, même dans le cas où elle aurait acquis les biens en cause directement auprès de Baltfisher, elle aurait, en vertu de l’article 10, paragraphe 7, de la loi relative à la TVA, eu le droit de déduire la TVA afférente à l’acquisition de ces biens en ce que celle-ci constituait une « acquisition intracommunautaire ».

28

La juridiction de renvoi relève que le fait qu’un bien n’a pas été reçu directement de la main de l’émetteur de la facture n’est pas nécessairement la conséquence d’une dissimulation frauduleuse du fournisseur réel. Par conséquent, la circonstance que Kuršu zeme est physiquement entré en possession des biens en cause dans l’entrepôt de Baltfisher sans les recevoir effectivement de l’émetteur de la facture de ces biens, à savoir KF Prema, ne saurait justifier en soi la conclusion selon laquelle Kuršu zeme n’aurait pas acquis lesdits biens auprès de cette société de sorte que l’opération d’acquisition passée entre Kuršu zeme et KF Prema serait simulée et, partant, ferait partie d’une fraude à la TVA.

29

Cette juridiction se demande si, sans établir quel est l’avantage fiscal indu dont l’assujetti lui-même ou les autres personnes participant à la chaîne d’opérations en cause auraient bénéficié, il est possible de constater l’existence de pratiques abusives.

30

C’est dans ces conditions que l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 168, sous a), de la directive [TVA] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une interdiction de déduire la taxe [payée en amont] fondée sur la seule participation consciente de l’assujetti à la formalisation d’opérations simulées, mais sans identifier de quelle manière les opérations en cause ont entraîné un préjudice pour le Trésor public sous forme de TVA impayée ou indûment remboursée par rapport à la situation [dans laquelle] les opérations auraient été formalisées conformément aux circonstances effectives ? »

Sur la question préjudicielle

31

Dès lors qu’il ressort de la décision de renvoi que l’affaire au principal ne concerne pas un cas de fraude à la TVA mais une potentielle pratique abusive, il y a lieu de comprendre la question de la juridiction de renvoi comme visant, en substance, à savoir si l’article 168, sous a), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que, pour refuser le droit de déduire la TVA payée en amont, la circonstance qu’une acquisition de biens est intervenue au terme d’une chaîne d’opérations de vente successives entre plusieurs personnes et que l’assujetti est entré en possession des biens concernés dans l’entrepôt d’une personne faisant partie de cette chaîne, autre que la personne figurant sur la facture en tant que fournisseur, est en soi suffisante pour constater l’existence d’une pratique abusive par l’assujetti ou par les autres personnes participant à ladite chaîne ou s’il est requis d’établir également quel est l’avantage fiscal indu dont cet assujetti, ou ces autres personnes, auraient bénéficié.

32

Selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, point 35 et jurisprudence citée).

33

À cet égard, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, point 36 et jurisprudence citée).

34

Cela étant, il convient de rappeler que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive TVA. En effet, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union. Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (arrêt du 13 février 2014, Maks Pen, C-18/13, EU:C:2014:69, point 26 et jurisprudence citée).

35

La Cour a jugé que, dans le domaine de la TVA, la constatation de l’existence d’une pratique abusive exige la réunion de deux conditions, à savoir, d’une part, que les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la directive TVA et de la législation nationale la transposant, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions et, d’autre part, qu’il résulte d’un ensemble d’éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause se limite à l’obtention de cet avantage fiscal (arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C-419/14, EU:C:2015:832, point 36 et jurisprudence citée).

36

Dans ce contexte, il convient de rappeler que le fait qu’un bien n’a pas été reçu directement de la main de l’émetteur de la facture n’est pas nécessairement la conséquence d’une dissimulation frauduleuse du fournisseur réel et ne constitue pas nécessairement une pratique abusive, mais peut avoir d’autres raisons, telles que, notamment, l’existence de deux ventes successives portant sur les mêmes biens, qui, sur ordre, sont transportés directement du premier vendeur au second acquéreur, de sorte qu’il y a deux livraisons successives au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA, mais un seul transport effectif. En outre, il n’est pas nécessaire que le premier acquéreur soit devenu propriétaire des biens en cause au moment de ce transport, étant donné que l’existence d’une livraison au sens de cette disposition ne présuppose pas le transfert de la propriété juridique du bien (voir, en ce sens, ordonnance du 6 février 2014, Jagiełło, C-33/13, non publiée, EU:C:2014:184, point 32 et jurisprudence citée).

37

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le VID n’a ni établi quel est, dans l’affaire au principal, l’avantage fiscal indu dont Kuršu zeme aurait bénéficié ni identifié les éventuels avantages fiscaux indus obtenus par les autres sociétés ayant participé à la chaîne des opérations successives de vente des biens en cause afin de vérifier si l’objectif réel de ces opérations consistait uniquement en l’obtention d’un avantage fiscal indu. Par conséquent, il convient de considérer que la seule existence d’une chaîne d’opérations et le fait que Kuršu zeme était physiquement entré en possession des biens en cause dans l’entrepôt de Baltfisher sans les recevoir effectivement de la société figurant sur la facture en tant que fournisseur de ces biens, à savoir KF Prema, ne sauraient, ainsi que la juridiction de renvoi l’a également constaté, justifier en soi la conclusion selon laquelle Kuršu zeme n’aurait pas acquis lesdits biens auprès de KF Prema de sorte que l’opération passée entre ces deux sociétés n’aurait pas eu lieu.

38

Eu égard à ces considérations, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles l’autorité fiscale compétente n’a apporté aucun élément de preuve établissant l’existence d’une pratique abusive, le droit à déduction ne saurait être refusé à l’assujetti.

39

Pour le surplus, quant à la question, qui n’a pas été adressée par la juridiction de renvoi, de savoir quelle est, parmi les acquisitions de la chaîne en cause au principal, celle à laquelle l’unique transport intracommunautaire doit être imputé et qui doit, partant, seule être qualifiée d’« acquisition intracommunautaire », il appartient à la juridiction de renvoi de procéder à une appréciation globale de toutes les circonstances particulières de l’espèce et de vérifier, notamment, à quel moment est intervenu le transfert, au profit de Kuršu zeme, du pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, AREX CZ, C-414/17, EU:C:2018:1027, points 70 et 72). Du moment auquel ce transfert aura eu lieu, à savoir avant ou après le transport intracommunautaire, dépendront tant la qualification d’acquisition intracommunautaire de l’une des acquisitions de la chaîne en cause au principal que l’étendue du droit à déduction, voire au remboursement de la TVA au profit de Kuršu zeme (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2018, Kreuzmayr, C-628/16, EU:C:2018:84, points 43 et 44, ainsi que du 11 avril 2019, PORR Építési Kft., C-691/17, EU:C:2019:327, points 30 et 42).

40

Ainsi, dans l’hypothèse où la livraison finale d’une chaîne de livraisons successives impliquant un seul transport intracommunautaire serait une livraison intracommunautaire, l’acquéreur final ne saurait déduire de la TVA dont il est redevable le montant de la TVA acquittée indûment pour des biens qui lui ont été livrés dans le cadre d’une livraison intracommunautaire exonérée, sur la seule base de la facture erronée transmise par le fournisseur (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Kreuzmayr, C-628/16, EU:C:2018:84, point 44).

41

En revanche, cet acquéreur pourrait demander le remboursement de la taxe indûment versée au fournisseur ayant produit une facture erronée, conformément au droit national (arrêt du 21 février 2018, Kreuzmayr, C-628/16, EU:C:2018:84, point 48 et jurisprudence citée). Cependant, dans une situation où la TVA a été effectivement versée au Trésor public par le fournisseur concerné, si le remboursement de la TVA par ce dernier à l’acquéreur s’avérait impossible ou excessivement difficile en cas, entre autres, d’insolvabilité de ce fournisseur, le principe d’effectivité pourrait exiger que cet acquéreur puisse diriger sa demande de remboursement directement contre les autorités fiscales (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2019, PORR Építési Kft., C-691/17, EU:C:2019:327, point 42 et jurisprudence citée).

42

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 168, sous a), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que, pour refuser le droit de déduire la TVA payée en amont, la circonstance qu’une acquisition de biens est intervenue au terme d’une chaîne d’opérations de vente successives entre plusieurs personnes et que l’assujetti est entré en possession des biens concernés dans l’entrepôt d’une personne faisant partie de cette chaîne, autre que la personne figurant sur la facture en tant que fournisseur, n’est pas en soi suffisante pour constater l’existence d’une pratique abusive par l’assujetti ou par les autres personnes participant à ladite chaîne, l’autorité fiscale compétente étant tenue d’établir l’existence d’un avantage fiscal indu dont cet assujetti, ou ces autres personnes, auraient bénéficié.

Sur les dépens

43

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

L’article 168, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, doit être interprété en ce sens que, pour refuser le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) payée en amont, la circonstance qu’une acquisition de biens est intervenue au terme d’une chaîne d’opérations de vente successives entre plusieurs personnes et que l’assujetti est entré en possession des biens concernés dans l’entrepôt d’une personne faisant partie de cette chaîne, autre que la personne figurant sur la facture en tant que fournisseur, n’est pas en soi suffisante pour constater l’existence d’une pratique abusive par l’assujetti ou par les autres personnes participant à ladite chaîne, l’autorité fiscale compétente étant tenue d’établir l’existence d’un avantage fiscal indu dont cet assujetti, ou ces autres personnes, auraient bénéficié.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le letton.