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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

5 décembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Règlement (CE) no 883/2004 – Pension de retraite anticipée – Éligibilité – Montant de la pension à percevoir devant excéder le montant minimum légal – Prise en compte uniquement de la pension acquise dans l’État membre concerné – Absence de prise en compte de la pension de retraite acquise dans un autre État membre – Différence de traitement pour les travailleurs ayant exercé leur droit à la libre circulation »

Dans les affaires jointes C-398/18 et C-428/18,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne), par décisions du 25 mai et du 13 juin 2018, parvenues à la Cour respectivement le 15 juin et le 28 juin 2018, dans les procédures

Antonio Bocero Torrico (C-398/18),

Jörg Paul Konrad Fritz Bode (C-428/18)

contre

Instituto Nacional de la Seguridad Social,

Tesorería General de la Seguridad Social,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, MM. J. Malenovský et F. Biltgen (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 mai 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour MM. Bocero Torrico et Bode, par Mes J. A. André Veloso et A. Vázquez Conde, abogados,

–        pour l’Instituto Nacional de la Seguridad Social et la Tesorería General de la Seguridad Social, par Mmes P. García Perea, R. Dívar Conde et M. L. Baró Pazos, letradas,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. N. Ruiz García, D. Martin et B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 juillet 2019,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 48 TFUE ainsi que du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, respectivement, MM. Antonio Bocero Torrico et Jörg Paul Konrad Fritz Bode à l’Instituto Nacional de la Seguridad Social (institut national de la sécurité sociale, Espagne) (ci-après l’« INSS ») ainsi qu’à la Tesorería General de la Seguridad Social (trésorerie générale de la sécurité sociale, Espagne) au sujet du rejet de leur demande visant à percevoir une pension de retraite anticipée.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le considérant 9 du règlement no 883/2004 énonce :

« À plusieurs occasions, la Cour de justice s’est exprimée sur la possibilité d’assimiler les prestations, les revenus et les faits ; ce principe devrait être adopté expressément et développé, dans le respect du fond et de l’esprit des décisions judiciaires. »

4        À l’article 1er, sous x), de ce règlement, les termes « prestation anticipée de vieillesse » sont définis comme désignant une prestation servie avant que l’intéressé ait atteint l’âge normal pour accéder au droit à la pension et qui soit continue à être servie une fois que cet âge est atteint, soit est remplacée par une autre prestation de vieillesse.

5        En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous d), dudit règlement, celui-ci s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent, notamment, les prestations de vieillesse.

6        L’article 4 du même règlement, intitulé « Égalité de traitement », dispose :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci. »

7        L’article 5 du règlement no 883/2004, intitulé « Assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d’événements », prévoit :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement et compte tenu des dispositions particulières de mise en œuvre prévues, les dispositions suivantes s’appliquent :

a)      si, en vertu de la législation de l’État membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d’autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause de cette législation sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d’un autre État membre ou de revenus acquis dans un autre État membre ;

b)      si, en vertu de la législation de l’État membre compétent, des effets juridiques sont attribués à la survenance de certains faits ou événements, cet État membre tient compte des faits ou événements semblables survenus dans tout autre État membre comme si ceux-ci étaient survenus sur son propre territoire. »

8        Aux termes de l’article 6 de ce règlement, intitulé « Totalisation des périodes » :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, l’institution compétente d’un État membre dont la législation subordonne :

–        l’acquisition, le maintien, la durée ou le recouvrement du droit aux prestations,

[...]

à l’accomplissement de périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique. »

9        Dans le chapitre 5 du titre III dudit règlement, qui contient des dispositions relatives aux pensions de vieillesse et de survivant, l’article 52 de celui-ci, intitulé « Liquidation des prestations », dispose, à son paragraphe 1 :

« L’institution compétente calcule le montant de la prestation due :

a)      en vertu de la législation qu’elle applique, uniquement lorsque les conditions requises pour le droit aux prestations sont remplies en vertu du seul droit national (prestation indépendante) ;

b)      en calculant un montant théorique et ensuite un montant effectif (prestation au prorata), de la manière suivante :

i)      le montant théorique de la prestation est égal à la prestation à laquelle l’intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies sous les législations des autres États membres avaient été accomplies sous la législation qu’elle applique à la date de la liquidation de la prestation. Si, selon cette législation, le montant de la prestation est indépendant de la durée des périodes accomplies, ce montant est considéré comme le montant théorique ;

ii)      l’institution compétente établit ensuite le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique, au prorata de la durée des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu’elle applique, par rapport à la durée totale des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres concernés. »

10      Figurant également dans ledit chapitre, l’article 58 du même règlement, intitulé « Attribution d’un complément », est libellé comme suit :

« 1.      Le bénéficiaire de prestations auquel le présent chapitre s’applique ne peut, dans l’État membre de résidence et en vertu de la législation duquel une prestation lui est due, percevoir un montant de prestations inférieur à celui de la prestation minimale fixée par ladite législation pour une période d’assurance ou de résidence égale à l’ensemble des périodes prises en compte pour la liquidation conformément au présent chapitre.

2.      L’institution compétente de cet État membre lui verse, pendant la durée de sa résidence sur son territoire, un complément égal à la différence entre la somme des prestations dues en vertu du présent chapitre et le montant de la prestation minimale. »

 Le droit espagnol

11      La Ley General de la Seguridad Social (loi générale sur la sécurité sociale) dont le texte consolidé a été approuvé par le Real Decreto Legislativo 8/2015 (décret royal législatif 8/2015), du 30 octobre 2015 (BOE no 261, du 31 octobre 2015), dans sa version applicable à la date des faits au principal (ci-après la « LGSS »), prévoit, à son article 208, paragraphe 1 :

« L’éligibilité à la retraite anticipée à la demande de l’intéressé(e) requiert la réunion des conditions suivantes :

a)      Avoir atteint un âge qui ne soit pas inférieur de plus de deux ans dans chaque cas d’espèce à l’âge fixé à l’article 205, paragraphe 1, sous a), sans prendre en compte les coefficients de réduction auxquels se réfère l’article 206.

b)      Avoir validé une durée minimum de cotisation effective de 35 ans, indépendamment de toute prise en compte de la part proportionnelle relative aux primes [...]

c)      Lorsque les conditions générales et spécifiques applicables au présent type de retraite sont remplies, le montant de la pension à percevoir doit être supérieur au montant minimum de pension applicable à l’intéressé compte tenu de sa situation familiale lorsqu’il atteint l’âge de 65 ans. Dans le cas contraire, l’intéressé ne peut pas bénéficier de ce type de retraite anticipée. »

12      L’article 14, paragraphe 3, du Real Decreto 1170/2015, sobre revalorización de pensiones del sistema de seguridad social y de otras prestaciones sociales públicas para el ejercicio 2016 (décret royal 1170/2015, relatif à la revalorisation des pensions du système de sécurité sociale ainsi que d’autres prestations sociales publiques pour l’exercice 2016), du 29 décembre 2015 (BOE no 312, du 30 décembre 2015), dispose :

« Si, après l’application des dispositions du paragraphe précédent, la somme des montants des pensions reconnues, en vertu d’un accord bilatéral ou multilatéral de sécurité sociale, tant par la législation espagnole que par la législation étrangère, est inférieure au montant minimum de la pension en cause en vigueur en Espagne, le bénéficiaire se voit garantir, à condition de résider sur le territoire national et de remplir toutes les exigences des règles générales, la différence entre la somme des pensions reconnues, espagnoles et étrangères, et ledit montant minimum.

S’agissant des pensions reconnues sur le fondement des règlements de l’Union [européenne] en matière de sécurité sociale, les dispositions de l’article 50 du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté[, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO 2006, L 392, p. 1),] et de l’article 58 du [règlement no 883/2004] s’appliquent.

[...] »

 Les litiges au principal et la question préjudicielle

13      M. Bocero Torrico, qui est né le 15 décembre 1953, a introduit, le 16 décembre 2016, une demande auprès de l’INSS en vue d’obtenir une pension de retraite anticipée. À la date de l’introduction de cette demande, il était en mesure de justifier de périodes de cotisation de 9 947 jours en Espagne et de 6 690 jours en Allemagne. La pension de retraite à laquelle il a droit en Allemagne s’élève à un montant effectif de 507,35 euros, tandis que la pension à laquelle il pourrait prétendre en Espagne au titre de la retraite anticipée s’élève à 530,15 euros.

14      M. Bode, qui est né le 4 juin 1952, a introduit, le 31 mai 2015, une demande auprès de l’INSS en vue d’obtenir une pension de retraite anticipée. À la date de l’introduction de cette demande, il était en mesure de justifier de périodes de cotisation de 2 282 jours en Espagne et de 14 443 jours en Allemagne. Dans ce dernier État membre, il bénéficie d’une pension de retraite d’un montant effectif de 1 185,22 euros. Selon M. Bode, la pension à laquelle il pourrait prétendre en Espagne au titre de la retraite anticipée s’élève à 206,60 euros. Selon les calculs de l’INSS, le montant de cette dernière prestation s’élève à 99,52 euros.

15      Les pensions demandées ont été refusées au motif que leur montant n’atteint pas celui de la pension mensuelle minimum correspondant à la situation familiale des requérants au principal à leur 65e anniversaire, à savoir 784,90 euros dans le cas de M. Bocero Torrico et 782,90 dans le cas de M. Bode. À la suite de réclamations de la part des intéressés, l’INSS a confirmé ces refus.

16      Le recours introduit par M. Bocero Torrico contre l’INSS et la trésorerie générale de la sécurité sociale devant le Juzgado de lo Social no 2 de Ourense (tribunal du travail no 2 d’Ourense, Espagne) ainsi que celui introduit par M. Bode contre ces organismes devant le Juzgado de lo Social no 2 de A Coruña (tribunal du travail no 2 de La Corogne, Espagne) ont été rejetés. Ces juridictions ont estimé que le montant de la « pension à percevoir », au sens de l’article 208, paragraphe 1, sous c), de la LGSS, qui doit être supérieur au montant minimum de pension applicable à l’intéressé lorsqu’il atteint l’âge de 65 ans pour que celui-ci bénéficie d’une pension de retraite anticipée, est le montant de la pension réelle à la charge du Royaume d’Espagne. Elles se sont fondées sur la finalité de la législation espagnole visant à éviter de verser un complément portant au montant minimum légal les pensions de retraite de personnes n’ayant pas encore atteint l’âge légal de la retraite, en maintenant celles-ci sur le marché du travail.

17      Les requérants au principal ont interjeté appel des jugements desdites juridictions devant le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne). Cette juridiction relève que, en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du décret royal 1170/2015, la législation espagnole n’autorise l’octroi d’un complément de pension que pour la différence entre la somme des prestations dues conformément à la réglementation de l’Union et la pension minimum en Espagne. Par conséquent, il y aurait lieu de prendre en compte les pensions effectivement perçues par MM. Bocero Torrico et Bode tant en Espagne qu’en Allemagne, de sorte qu’aucun de ces derniers ne pourrait prétendre à un complément de pension. De ce fait, ils ne représenteraient pas une charge pour le système de sécurité sociale espagnol.

18      La juridiction de renvoi se demande si la façon dont l’expression « pension à percevoir » figurant à l’article 208, paragraphe 1, sous c), de la LGSS est interprétée par l’INSS aux fins de déterminer l’éligibilité d’un travailleur à une pension de retraite anticipée, à savoir en prenant en compte la seule pension effective à la charge du Royaume d’Espagne, est constitutive d’une discrimination contraire au droit de l’Union. Elle relève qu’un travailleur ayant droit à une pension à la charge d’au moins deux États membres pourrait ne pas être éligible à une telle pension de retraite anticipée alors qu’un travailleur ayant droit à une pension du même montant, mais qui est uniquement à la charge du Royaume d’Espagne, y serait éligible.

19      Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, qui est formulée dans des termes identiques dans les affaires C-398/18 et C-428/18 :

« L’article 48 TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui impose comme condition d’éligibilité à une pension de retraite anticipée que le montant de la pension à percevoir soit supérieur au montant minimum de pension que l’intéressé serait en droit de recevoir en vertu de cette même législation nationale, la notion de “pension à percevoir” étant entendue comme renvoyant à la pension effective à la charge du seul État membre compétent (en l’espèce, le Royaume d’Espagne), sans prendre également en compte la pension effective que l’intéressé pourrait percevoir au titre de prestations de même nature à la charge d’un ou de plusieurs autres États membres ? »

20      Par décision du président de la Cour du 25 juillet 2018, les affaires C-398/18 et C-428/18 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur la question préjudicielle

21      À titre liminaire, il convient de relever que, si la question préjudicielle porte expressément sur l’article 48 TFUE, la juridiction de renvoi mentionne également, dans les motifs de ses décisions de renvoi, des dispositions du règlement no 883/2004.

22      À cet égard, il importe de constater que des pensions de retraite anticipée, telles que celles en cause au principal, relèvent du champ d’application de ce règlement. En effet, en vertu de son article 3, paragraphe 1, sous d), celui-ci s’applique aux législations relatives aux prestations de vieillesse. En outre, les termes « prestation anticipée de vieillesse » sont définis à l’article 1er, sous x), dudit règlement.

23      Dans ces conditions, c’est au regard du règlement no 883/2004 que doit être examinée la question posée par la juridiction de renvoi (voir, par analogie, arrêts du 18 janvier 2007, Celozzi, C-332/05, EU:C:2007:35, point 14, et du 18 décembre 2014, Larcher, C-523/13, EU:C:2014:2458, point 29).

24      Dès lors, il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions du règlement no 883/2004 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à la législation d’un État membre qui impose, comme condition d’éligibilité d’un travailleur à une pension de retraite anticipée, que le montant de la pension à percevoir soit supérieur au montant minimum de pension que ce travailleur serait en droit de recevoir à l’âge légal de la retraite en vertu de cette législation, la notion de « pension à percevoir » étant entendue comme visant la pension à la charge de ce seul État membre, à l’exclusion de la pension que ledit travailleur pourrait percevoir au titre de prestations équivalentes à la charge d’un ou de plusieurs autres États membres.

25      S’agissant de la disposition de droit espagnol en cause au principal, à savoir l’article 208, paragraphe 1, sous c), de la LGSS, le fait que cette disposition subordonne l’éligibilité à une pension de retraite anticipée à la condition que le montant de la pension à percevoir soit supérieur au montant minimum de pension que l’intéressé serait en droit de recevoir à l’âge légal de la retraite n’est pas mis en cause en tant que tel dans les litiges au principal.

26      À cet égard, il y a lieu de constater qu’aucune disposition du titre I du règlement no 883/2004, contenant les dispositions générales de celui-ci, ni du titre III, chapitre 5, de ce règlement, dont relèvent les dispositions particulières applicables, notamment, aux pensions de vieillesse, ne s’oppose à une telle règle.

27      En particulier, il ne découle pas de l’article 58 dudit règlement, qui prévoit que le bénéficiaire de prestations de vieillesse ne peut percevoir un montant de prestations inférieur à celui de la prestation minimale fixée par la législation de l’État membre de résidence et que l’institution compétente de cet État doit, le cas échéant, lui verser un complément égal à la différence entre la somme des prestations dues et le montant de la prestation minimale, qu’un État membre soit tenu d’octroyer une pension de retraite anticipée à un demandeur lorsque le montant de celle-ci auquel ce dernier aurait droit n’atteint pas le montant minimum de pension qu’il recevrait à l’âge légal de la retraite.

28      Toutefois, les requérants au principal contestent le fait que les institutions compétentes et les juridictions espagnoles interprètent, afin de déterminer l’éligibilité à une pension de retraite anticipée, la notion de « pension à percevoir » comme visant la seule pension à la charge du Royaume d’Espagne, à l’exclusion de pensions à la charge d’autres États membres auxquelles l’intéressé aurait éventuellement droit.

29      En ce qui concerne, en premier lieu, les dispositions du règlement no 883/2004 applicables à de telles circonstances, il convient de rappeler que l’article 5 de ce règlement consacre le principe d’assimilation. Il ressort du considérant 9 de celui-ci que le législateur de l’Union a voulu introduire dans le texte dudit règlement le principe jurisprudentiel d’assimilation des prestations, des revenus et des faits afin que ce principe soit développé dans le respect du fond et de l’esprit des décisions judiciaires de la Cour (arrêt du 21 janvier 2016, Vorarlberger Gebietskrankenkasse et Knauer, C-453/14, EU:C:2016:37, point 31).

30      À cet égard, l’article 5, sous a), du règlement no 883/2004 prévoit que, si, en vertu de la législation de l’État membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d’autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause de cette législation sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d’un autre État membre ou de revenus acquis dans un autre État membre.

31      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 45 de ses conclusions, il y a lieu de considérer que cette disposition est applicable à des situations telles que celles en cause au principal. En effet, le « bénéfice de prestations de sécurité sociale », au sens de ladite disposition, doit être considéré comme étant la pension à laquelle les requérants au principal ont droit. En vertu de l’article 208, paragraphe 1, sous c), de la LGSS, le droit à cette pension produit, si son montant dépasse le montant minimum de pension applicable à l’âge légal de la retraite, l’effet juridique consistant à rendre ces derniers éligibles à une pension de retraite anticipée.

32      En revanche, contrairement à ce que les requérants au principal soutiennent dans leurs observations écrites, les situations factuelles dans les affaires au principal ne relèvent pas de l’article 6 du règlement no 883/2004. En effet, cet article, intitulé « Totalisation des périodes », prévoit, aux fins de déterminer l’acquisition du droit aux prestations de sécurité sociale, la prise en compte par un État membre des périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence accomplies sous la législation d’autres États membres, alors qu’il s’agit, en l’occurrence, de savoir si le montant des pensions auxquelles lesdits requérants ont droit dans un autre État membre doit être pris en compte pour déterminer l’éligibilité à une pension de retraite anticipée.

33      De même, l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004, également invoqué par les requérants au principal, ne trouve pas d’application aux fins de répondre à la question de la juridiction de renvoi. En effet, cette disposition concerne, elle aussi, la totalisation des périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous les législations de tous les États membres concernés. En outre, elle porte non pas sur l’acquisition du droit à une pension de retraite, mais sur le calcul du montant des prestations dues (voir en ce sens, s’agissant des dispositions correspondantes du règlement no 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement no 118/97, tel que modifié par le règlement no 1992/2006, arrêt du 3 mars 2011, Tomaszewska, C-440/09, EU:C:2011:114, point 22 et jurisprudence citée).

34      En second lieu, il convient d’examiner la conformité d’une disposition de droit national comme l’article 208, paragraphe 1, sous c), de la LGSS, telle qu’interprétée par les institutions compétentes et les juridictions nationales, à l’article 5, sous a), du règlement no 883/2004.

35      En vertu de cette dernière disposition, pour l’application d’une règle de droit national telle que l’article 208, paragraphe 1, sous c), de la LGSS, les autorités compétentes de l’État membre concerné doivent prendre en compte non seulement le bénéfice de prestations de sécurité sociale acquises par l’intéressé en vertu de la législation de cet État, mais aussi le bénéfice des prestations équivalentes acquises dans tout autre État membre.

36      S’agissant de pensions de vieillesse, la Cour a déjà eu l’occasion d’interpréter la notion de « prestations équivalentes » figurant audit article 5, sous a), comme visant deux prestations de vieillesse qui sont comparables eu égard à l’objectif poursuivi par ces prestations et par les réglementations qui les ont instaurées (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Vorarlberger Gebietskrankenkasse et Knauer, C-453/14, EU:C:2016:37, points 33 et 34).

37      Or, il semble ressortir du dossier dont la Cour dispose que les pensions de retraite auxquelles les requérants au principal ont droit en Allemagne sont équivalentes, en ce sens, aux pensions auxquelles ils pourraient prétendre en Espagne au titre de la retraite anticipée, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

38      Il s’ensuit que l’article 5, sous a), du règlement no 883/2004 s’oppose à une interprétation de la notion de « pension à percevoir », telle qu’elle figure à l’article 208, paragraphe 1, sous c), de la LGSS, qui vise uniquement la pension à la charge du Royaume d’Espagne, à l’exclusion de celle à laquelle les requérants au principal ont droit en Allemagne.

39      Cette conclusion est corroborée par l’examen des situations en cause au principal au regard du principe d’égalité de traitement, dont l’assimilation de prestations, de revenus, de faits et d’événements visée à l’article 5 de celui-ci constitue une expression particulière (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2008, Klöppel, C-507/06, EU:C:2008:110, point 22).

40      À cet égard, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 4 du règlement no 883/2004, prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité des bénéficiaires des régimes de sécurité sociale, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2011, Landtová, C-399/09, EU:C:2011:415, point 44 et jurisprudence citée).

41      Ainsi, doivent être regardées comme indirectement discriminatoires les conditions du droit national qui, bien qu’indistinctement applicables selon la nationalité, affectent essentiellement ou dans leur grande majorité les travailleurs migrants, ainsi que les conditions indistinctement applicables qui peuvent être plus facilement remplies par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants ou encore qui risquent de jouer, en particulier, au détriment de ces derniers (arrêt du 22 juin 2011, Landtová, C-399/09, EU:C:2011:415, point 45 et jurisprudence citée).

42      Or, le refus des autorités compétentes d’un État membre de prendre en compte, aux fins de déterminer l’éligibilité à une pension de retraite anticipée, les prestations de pension auxquelles un travailleur ayant fait usage de son droit à la libre circulation a droit dans un autre État membre, est susceptible de mettre ce travailleur dans une situation moins favorable que celle d’un travailleur qui a accompli toute sa carrière dans le premier État membre.

43      Une législation nationale telle que celle en cause au principal peut néanmoins être justifiée, dans la mesure où elle poursuit un objectif d’intérêt général, à condition qu’elle soit propre à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (voir en ce sens, notamment, arrêt du 18 décembre 2014, Larcher, C-523/13, EU:C:2014:2458, point 38).

44      À cet égard, l’INSS et le gouvernement espagnol ont indiqué, lors de l’audience, que l’application, aux fins de l’éligibilité à une pension de retraite anticipée, de la condition d’avoir atteint le montant minimum de pension auquel l’intéressé aurait droit à l’âge légal de la retraite vise à réduire le recours à la retraite anticipée. En outre, en excluant l’éligibilité à une pension de retraite anticipée dans les cas où le montant de celle-ci auquel l’intéressé pourrait prétendre lui donnerait le droit à un complément de pension, cette condition permettrait d’éviter des charges supplémentaires au système de sécurité sociale espagnol.

45      Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 49 de ses conclusions, à supposer même que de telles considérations puissent constituer des objectifs d’intérêt général au sens de la jurisprudence citée au point 43 du présent arrêt, les arguments avancés par l’INSS et le gouvernement espagnol ne sont pas de nature à justifier l’application discriminatoire d’une telle condition au détriment des travailleurs ayant fait usage de leur droit à la libre circulation.

46      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 5, sous a), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre qui impose, comme condition d’éligibilité d’un travailleur à une pension de retraite anticipée, que le montant de la pension à percevoir soit supérieur au montant minimum de pension que ce travailleur serait en droit de recevoir à l’âge légal de la retraite en vertu de cette législation, la notion de « pension à percevoir » étant entendue comme visant la pension à la charge de ce seul État membre, à l’exclusion de la pension que ledit travailleur pourrait percevoir au titre de prestations équivalentes à la charge d’un ou de plusieurs autres États membres.

 Sur les dépens

47      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L’article 5, sous a), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre qui impose, comme condition d’éligibilité d’un travailleur à une pension de retraite anticipée, que le montant de la pension à percevoir soit supérieur au montant minimum de pension que ce travailleur serait en droit de recevoir à l’âge légal de la retraite en vertu de cette législation, la notion de « pension à percevoir » étant entendue comme visant la pension à la charge de ce seul État membre, à l’exclusion de la pension que ledit travailleur pourrait percevoir au titre de prestations équivalentes à la charge d’un ou de plusieurs autres États membres.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.