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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

19 décembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 98 – Faculté pour les États membres d’appliquer un taux réduit de TVA à certaines livraisons de biens et prestations de services – Annexe III, point 12 – Taux réduit de TVA applicable à la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes – Question de l’application de ce taux réduit à la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux dans un port de plaisance – Comparaison avec la location d’emplacements pour le stationnement de véhicules – Égalité de traitement – Principe de neutralité fiscale »

Dans l’affaire C-715/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 2 août 2018, parvenue à la Cour le 15 novembre 2018, dans la procédure

Segler-Vereinigung Cuxhaven eV

contre

Finanzamt Cuxhaven,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur) et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement allemand, par Mme S. Eisenberg et M. J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Urbani Neri, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par M. R. Pethke et Mme N. Gossement, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), lu en combinaison avec l’annexe III, point 12, de cette directive.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Segler-Vereinigung Cuxhaven eV au Finanzamt Cuxhaven (administration fiscale de Cuxhaven, Allemagne) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet du taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable à la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux.

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

3        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

« Les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».

4        L’article 96 de cette directive dispose :

« Les États membres appliquent un taux normal de TVA fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services. »

5        L’article 98, paragraphes 1 et 2, de ladite directive prévoit :

« 1.      Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits.

2.      Les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III.

[...] »

6        Aux termes de l’article 135, paragraphe 1, sous l), de ladite directive, les États membres exonèrent notamment « l’affermage et la location de biens immeubles ».

7        L’article 135, paragraphe 2, de cette même directive dispose :

« Sont exclues de l’exonération prévue au paragraphe 1, point l), les opérations suivantes :

a)      les opérations d’hébergement telles qu’elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper ;

b)      les locations d’emplacements pour le stationnement des véhicules ;

[...] »

8        L’annexe III de la directive TVA contient la liste des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l’objet des taux réduits de TVA visés à l’article 98 de cette directive. Le point 12 de cette annexe couvre les services suivants :

« l’hébergement fourni dans des hôtels et établissements similaires, y compris la fourniture d’hébergement de vacances et la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes ».

 Le droit allemand

9        L’article 1er, paragraphe 1, point 1, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’« UStG ») dispose :

« 1.      Sont soumises à la taxe sur le chiffre d’affaires les opérations suivantes :

les livraisons et autres prestations effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un entrepreneur dans le cadre de son activité économique. La taxation n’est pas exclue du fait que l’opération est effectuée sur la base d’un acte légal ou administratif ou qu’elle est considérée comme effectuée en vertu d’une disposition légale ».

10      Aux termes de l’article 4, point 12, sous a), de l’UStG :

« Parmi les opérations visées à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, sont exonérées :

[...]

12      a)      la location et l’affermage de biens immeubles, de titres auxquels s’appliquent les dispositions du droit civil relatives aux biens immeubles et de propriétés foncières et immobilières de l’État.

[...]

Ne sont pas exonérés la location de pièces d’habitation et de chambres à coucher qu’un entrepreneur réserve aux fins de l’hébergement de courte durée de tiers, la location d’emplacements pour le stationnement de véhicules, la location de courte durée d’emplacements dans des campings et la location et l’affermage de machines et autres installations de toute nature qui font partie d’une surface d’exploitation [...], même si elles constituent des éléments essentiels d’un immeuble ».

11      Selon l’article 12, paragraphe 1, de l’UStG, un taux de taxation normal de 19 % est appliqué.

12      En vertu de l’article 12, paragraphe 2, point 11, de l’UStG, la taxe sur le chiffre d’affaires est réduite à 7 % de la base d’imposition pour les opérations suivantes :

« La location de pièces d’habitation et de chambres à coucher qu’un entrepreneur réserve aux fins de l’hébergement de courte durée de tiers ainsi que la location de courte durée d’emplacements de camping. La première phrase ne s’applique pas aux prestations qui ne servent pas directement à la location, même si ces prestations sont rémunérées au moyen de la contrepartie versée pour la location ».

13      L’article 3, paragraphe 1, du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne), du 23 mai 1949 (BGBl. 1949, p. 1), dispose que tous les êtres humains sont égaux devant la loi.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14      La requérante au principal est une association déclarée d’intérêt général, dont le but est de promouvoir les sports nautiques à voile et à moteur. Elle gère environ 300 emplacements d’amarrage pour bateaux, dont environ la moitié a été attribuée, au cours des années 2010 à 2012 (ci-après les « années litigieuses »), à des membres de l’association. Ces membres sont tenus de tolérer que, en leur absence, leurs emplacements d’amarrage soient utilisés par des invités. Quant aux emplacements d’amarrage restants, ils peuvent être utilisés sans restriction par les invités.

15      Au cours des années litigieuses, la requérante au principal a soumis les rémunérations perçues en contrepartie de la mise à disposition des emplacements d’amarrage pour bateaux à des invités au taux réduit de TVA.

16      À la suite d’un contrôle effectué auprès de la requérante au principal, l’administration fiscale a décidé de modifier les avis de taxe sur le chiffre d’affaires pour les années litigieuses et a soumis ces rémunérations au taux normal de TVA.

17      Le Niedersächsische Finanzgericht (tribunal des finances de Basse-Saxe, Allemagne) a rejeté le recours formé par la requérante au principal contre cette décision. Selon cette juridiction, la mise à disposition de courte durée d’emplacements d’amarrage pour bateaux ne saurait être qualifiée de « location de courte durée d’emplacements de camping », au sens de l’article 12, paragraphe 2, point 11, de l’UStG. Selon ladite juridiction, une telle mise à disposition relève de la notion de « location d’emplacements pour le stationnement des véhicules », visée à l’article 4, point 12, deuxième phrase, deuxième alternative, de l’UStG, disposition elle-même fondée sur l’article 135, paragraphe 2, sous b), de la directive TVA. Le principe général d’égalité établi à l’article 3, paragraphe 1, de la loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne ne s’opposerait pas à cette interprétation.

18      La requérante au principal a formé un recours en Revision devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) contre le jugement du Niedersächsische Finanzgericht (tribunal des finances de Basse-Saxe). Selon la requérante au principal, l’imposition de la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux au taux normal de TVA viole le principe général d’égalité, dans la mesure où la mise à disposition d’emplacements pour camping-cars et caravanes est soumise au taux réduit de TVA. Une interprétation conforme au principe d’égalité conduirait, selon la requérante au principal, à ce que toutes les formes d’hébergement de courte durée, quelles qu’elles soient, soient uniformément soumises au taux réduit de TVA. Les prestations effectuées par la requérante au principal se concentreraient à la mise à disposition d’emplacements d’amarrage pour bateaux aux fins de l’hébergement des personnes pratiquant la voile. Ainsi, le droit de mouillage (Hafengeld) ne serait dû qu’en cas de nuitées.

19      Dans ce contexte, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La réduction du taux de taxe prévue pour la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes à l’article 98, paragraphe 2, de la directive [TVA], lu en combinaison avec l’annexe III, point 12, de ladite directive, comprend-elle également la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux ? »

 Sur la question préjudicielle

20      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 98, paragraphe 2, de la directive TVA, lu en combinaison avec l’annexe III, point 12, de cette directive, doit être interprété en ce sens que le taux réduit de TVA, prévu à cette disposition, pour la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes est également applicable à la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux.

21      À cet égard, il convient de relever que, selon l’article 96 de la directive TVA, chaque État membre applique un même taux normal de TVA pour les livraisons de biens et pour les prestations de services.

22      Par dérogation, l’article 98 de cette directive prévoit la possibilité d’appliquer des taux réduits de TVA. À cette fin, l’annexe III de ladite directive énumère, de manière exhaustive, les livraisons de biens et les prestations de services pouvant faire l’objet des taux réduits (arrêt du 9 mars 2017, Oxycure Belgium, C-573/15, EU:C:2017:189, point 21).

23      Plus particulièrement, l’annexe III, point 12, de la directive TVA permet aux États membres d’appliquer un taux réduit de TVA à « l’hébergement fourni dans des hôtels et établissements similaires, y compris la fourniture d’hébergement de vacances et la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes ».

24      En l’occurrence, la question se pose de savoir si la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux peut être assimilée, au regard de l’annexe III, point 12, de la directive TVA, à la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes.

25      À cet égard, il convient, à titre liminaire, de rappeler, d’une part, que les dispositions qui ont le caractère d’une dérogation à un principe doivent être interprétées de manière stricte. D’autre part, les notions employées dans l’annexe III de la directive TVA doivent être interprétées conformément au sens habituel des termes en cause (arrêt du 10 novembre 2016, Baštová, C-432/15, EU:C:2016:855, points 59 et 60 ainsi que jurisprudence citée).

26      L’annexe III, point 12, de la directive TVA précise les différentes prestations d’« hébergement » pouvant être soumises à un taux de TVA réduit.

27      Ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 25 du présent arrêt, il y a lieu d’interpréter la notion d’« hébergement », au sens de l’annexe III, point 12, de la directive TVA, de manière stricte et de ne pas étendre le champ d’application de cette disposition aux prestations qui ni ne figurent dans le libellé de ladite disposition ni ne sont intrinsèquement liées à cette notion.

28      Or, la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux, d’une part, ne figure pas dans le libellé de l’annexe III, point 12, de la directive TVA et, d’autre part, n’est pas intrinsèquement liée à la notion d’« hébergement », mais a pour vocation première de permettre l’immobilisation et la sécurisation des bateaux à quai.

29      Ainsi, il apparaît que l’annexe III, point 12, de la directive TVA ne doit pas être lue comme permettant à un État membre d’appliquer un taux réduit de TVA à la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux.

30      Une telle interprétation est d’ailleurs corroborée par les objectifs poursuivis par le régime de taux réduits de TVA.

31      À cet égard, il convient de rappeler qu’il y a lieu de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union, étant donné qu’il est appelé, lorsqu’il adopte une mesure de nature fiscale, à procéder à des choix de nature politique, économique ainsi que sociale, et à hiérarchiser des intérêts divergents ou à effectuer des appréciations complexes (arrêt du 7 mars 2017, RPO, C-390/15, EU:C:2017:174, point 54).

32      Dans ce contexte général, il importe de préciser que, en établissant l’annexe III de la directive TVA, le législateur de l’Union a souhaité que les biens essentiels ainsi que les biens et les services correspondant à des objectifs sociaux ou culturels, pour autant qu’ils ne présentent pas ou peu de risques de distorsion de la concurrence, puissent faire l’objet d’un taux réduit de TVA (arrêt du 4 juin 2015, Commission/Royaume-Uni, C-161/14, non publié, EU:C:2015:355, point 25).

33      Plus particulièrement, l’octroi aux États membres, au point 12 de cette annexe, de la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à différentes formes d’hébergement, notamment de vacances, et répondant ainsi à un besoin essentiel de toute personne en déplacement, est de nature à faciliter un large accès aux prestations en question.

34      Or, accorder la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA aux prestations de location d’emplacements d’amarrage pour bateaux ne serait manifestement pas justifié au regard d’un tel objectif d’ordre social, dès lors que les bateaux à voile et à moteur, tels que ceux dont il est question dans l’affaire au principal, ne servent pas, à tout le moins à titre principal, de lieux d’hébergement.

35      Enfin, contrairement aux doutes émis par la juridiction de renvoi, l’interprétation de l’annexe III, point 12, de la directive TVA, telle qu’elle ressort du point 29 du présent arrêt, ne porte pas atteinte au principe de neutralité fiscale.

36      En effet, ce principe s’oppose à ce que, du point de vue de la TVA, des biens ou des prestations de services semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traités de manière différente (arrêt du 27 juin 2019, Belgisch Syndicaat van Chiropraxie e.a., C-597/17, EU:C:2019:544, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

37      Or, à cet égard, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort du point 34 du présent arrêt, les services de location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes, d’une part, et les services de location d’emplacements d’amarrage pour bateaux, d’autre part, remplissent des fonctions différentes et, dès lors, ne se trouvent pas en situation de concurrence les uns avec les autres.

38      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 98, paragraphe 2, de la directive TVA, lu en combinaison avec l’annexe III, point 12, de cette directive, doit être interprété en ce sens que le taux réduit de TVA, prévu à cette disposition, pour la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes n’est pas applicable à la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux.

 Sur les dépens

39      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lu en combinaison avec l’annexe III, point 12, de cette directive, doit être interprété en ce sens que le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée, prévu à cette disposition, pour la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes n’est pas applicable à la location d’emplacements d’amarrage pour bateaux.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.