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 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

11 mars 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Sixième directive 77/388/CEE – Articles 2 et 6 – Champ d’application – Opérations imposables – Prestation de services effectuée à titre onéreux – Détachement de personnel par une société mère à sa filiale – Remboursement par la filiale limité aux coûts exposés »

Dans l’affaire C-94/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 27 novembre 2018, parvenue à la Cour le 6 février 2019, dans la procédure

San Domenico Vetraria SpA

contre

Agenzia delle Entrate,

en présence de :

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, MM. T. von Danwitz et A. Kumin (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour la Commission européenne, par Mmes J. Jokubauskaitė et S. Mortoni, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 6 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »), ainsi que du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant San Domenico Vetraria SpA à l’Agenzia delle Entrate (administration fiscale, Italie) au sujet de déductions opérées par San Domenico Vetraria, au titre de l’exercice fiscal 2005, de la TVA payée sur les montants remboursés à sa société mère Avir SpA pour le détachement d’un dirigeant.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2 de la sixième directive dispose :

« Sont soumises à la [TVA] :

1.

les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...] »

4

L’article 6 de cette directive énonce, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Est considérée comme “prestation de services” toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5. »

Le droit italien

5

Aux termes de l’article 30 du decreto legislativo n. 276 – Attuazione delle deleghe in materia di occupazione e mercato del lavoro, di cui alla legge 14 febbraio 2003, n. 30 (décret législatif no 276 portant mise en œuvre des délégations dans le domaine de l’emploi et du marché du travail instituées par la loi no 30, du 14 février 2003), du 10 septembre 2003 (supplément ordinaire à la GURI no 235, du 9 octobre 2003) :

« 1.   Le détachement existe lorsqu’un employeur, pour répondre à un intérêt propre, met temporairement un ou plusieurs travailleurs à la disposition d’une autre personne pour l’exécution d’une activité professionnelle déterminée.

2.   En cas de détachement, l’employeur demeure responsable du régime pécuniaire et juridique du travailleur. »

6

L’article 8, paragraphe 35, de la legge n. 67 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 1988) [loi no 67 portant dispositions en vue de la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances 1988)], du 11 mars 1988 (supplément ordinaire à la GURI no 61, du 14 mars 1988, ci-après la « loi no 67/88 »), dispose :

« Ne sont pas considérés pertinents aux fins de la [TVA] les prêts ou détachements de personnel en contrepartie desquels n’est versé que le remboursement de leur coût. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

7

Au cours de l’année 2004, Avir a détaché un de ses dirigeants auprès de sa filiale, San Domenico Vetraria, pour occuper le poste de directeur d’un des établissements de cette dernière. Dans ce cadre, San Domenico Vetraria a reçu de sa société mère des factures portant des montants correspondant aux coûts supportés pour le dirigeant détaché. Lors du remboursement à Avir des coûts afférents à ce détachement, San Domenico Vetraria a appliqué la TVA aux fins de l’exercice ultérieur du droit à déduction.

8

L’administration fiscale a considéré que ces remboursements échappaient au champ d’application de la TVA dès lors qu’ils ne concernaient pas des prestations de services entre une filiale et sa société mère, de sorte qu’elle a procédé à un redressement aux fins de récupérer la TVA déduite à ce titre.

9

Le recours introduit par San Domenico Vetraria contre le redressement fiscal a été rejeté par les juridictions de première instance et d’appel. En particulier, la juridiction d’appel a considéré que les montants acquittés par cette société correspondaient seulement, en l’absence de preuve que le salarié détaché avait reçu des sommes majorées ou avait exercé des fonctions différentes de celles déjà exercées auprès de la société d’origine, à des remboursements de coûts, au sens de l’article 8, paragraphe 35, de la loi no 67/88.

10

Saisie d’un pourvoi en cassation formé par San Domenico Vetraria, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) estime que la question de savoir si le détachement de personnel contre le remboursement des coûts y afférents peut être considéré comme imposable est d’une importance décisive pour la solution du litige au principal.

11

À cet égard, cette juridiction précise que, conformément à l’article 8, paragraphe 35, de la loi no 67/88, dans le cas où la somme remboursée correspond au montant des frais exposés pour le personnel détaché, l’opération de détachement n’est pas imposable, puisque non pertinente aux fins de la TVA. Cependant, des doutes subsisteraient quant à l’exclusion du champ d’application de la TVA d’une prestation telle que le détachement de personnel contre le remboursement du coût des prestations y afférentes.

12

En effet, selon ladite juridiction, le caractère économique d’une opération de détachement, telle que celle en cause au principal, semble découler de l’existence nécessaire, sur la base de l’article 30 du décret législatif visé au point 5 du présent arrêt, d’un intérêt spécifique de l’employeur procédant au détachement, à savoir garantir la meilleure fonctionnalité de l’organisation commune à la société mère et à la filiale. Au demeurant, l’existence de cet intérêt ne serait pas contestée en l’occurrence.

13

Par ailleurs, la circonstance qu’une telle opération de détachement donne lieu à une prestation de services effectuée à titre onéreux pourrait ressortir du montant, non négligeable en l’occurrence, versé par la société destinataire du détachement, égal au montant des frais et des charges à assumer pour les travailleurs.

14

La Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) considère, en outre, que la règle nationale semble donner lieu à une inégalité de traitement injustifiée, pouvant avoir une incidence sur le principe de neutralité fiscale, entre le détachement de personnel et la mise à disposition de main d’œuvre, dès lors que cette dernière opération donne toujours lieu à une prestation imposable.

15

Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les articles 2 et 6 de la [sixième directive] ainsi que le principe de neutralité fiscale doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle ne sont pas à considérer comme étant pertinents aux fins de la [TVA] les prêts ou les détachements de personnel de la société mère, opérés contre le seul remboursement des coûts y afférents par la filiale ? »

Sur la question préjudicielle

16

Aux fins de répondre à la question posée, il convient de rappeler que, conformément à l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

17

Par ailleurs, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive, est considérée comme étant une prestation de services « toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien ».

18

En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi qu’il n’est pas contesté qu’Avir a la qualité d’assujettie et que la prestation de services en cause au principal, à savoir le détachement d’un dirigeant de celle-ci auprès de sa filiale San Domenico Vetraria, est intervenue à l’intérieur du pays concerné.

19

Il reste donc à déterminer si cette prestation de services a été effectuée « à titre onéreux », au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive.

20

À cet égard, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre du système de la TVA, les opérations taxables supposent l’existence d’une transaction entre les parties comportant stipulation d’un prix ou d’une contre-valeur. Ainsi, lorsque l’activité d’un prestataire consiste à fournir exclusivement des prestations sans contrepartie directe, il n’existe pas de base d’imposition et ces prestations ne sont donc pas soumises à la TVA (arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C-11/15, EU:C:2016:470, point 20 et jurisprudence citée).

21

Il en résulte qu’une prestation de services n’est effectuée « à titre onéreux », au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive, et n’est dès lors taxable que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire. Tel est le cas s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2016, Český rozhlas, C-11/15, EU:C:2016:470, points 21 et 22 ainsi que jurisprudence citée ; du 22 novembre 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia, C-295/17, EU:C:2018:942, point 39, ainsi que du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing, C-242/18, EU:C:2019:558, point 69).

22

En l’occurrence, il semble ressortir du dossier dont dispose la Cour que c’est sur la base d’un rapport juridique de nature contractuelle entre Avir et San Domenico Vetraria que le détachement a été effectué.

23

Par ailleurs, il apparaît que, dans le cadre de ce rapport juridique, des prestations réciproques ont été échangées, à savoir le détachement d’un dirigeant de Avir auprès de San Domenico Vetraria, d’une part, et le paiement, par celle-ci à celle-là, des montants qui lui ont été facturés, d’autre part.

24

La Commission conteste cependant l’existence d’un lien direct entre ces deux prestations en faisant valoir que, en l’absence de stipulation d’une rémunération supérieure aux charges supportées par Avir, le détachement en cause au principal n’a pas eu lieu dans le but de recevoir une contrepartie.

25

Cette argumentation ne saurait être retenue.

26

Il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’un lien direct existe lorsque deux prestations se conditionnent mutuellement (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 1994, Tolsma, C-16/93, EU:C:1994:80, points 13 à 20, et du 16 octobre 1997, Fillibeck, C-258/95, EU:C:1997:491, points 15 à 17), à savoir que l’une n’est effectuée qu’à la condition que l’autre le soit également, et réciproquement (voir, en ce sens, arrêts du 23 novembre 1988, Naturally Yours Cosmetics, 230/87, EU:C:1988:508, point 14, et du 2 juin 1994, Empire Stores, C-33/93, EU:C:1994:225, point 16).

27

Dès lors, s’il devait être établi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que le paiement, par San Domenico Vetraria, des montants qui lui ont été facturés par sa société mère était une condition pour que cette dernière détache le dirigeant, et que la filiale n’a payé ces montants qu’en contrepartie du détachement, il devrait être conclu à l’existence d’un lien direct entre les deux prestations.

28

Par conséquent, l’opération devrait être considérée comme ayant été effectuée à titre onéreux et serait, les autres conditions figurant à l’article 2, point 1, de la sixième directive étant également remplies, soumise à la TVA.

29

Est dénué de pertinence, à cet égard, le montant de la contrepartie, notamment le fait que celui-ci soit égal, supérieur ou inférieur aux coûts que l’assujetti a encourus, dans son chef, dans le cadre de la fourniture de sa prestation (voir, en ce sens, arrêts du 20 janvier 2005, Hotel Scandic Gåsabäck, C-412/03, EU:C:2005:47, point 22, ainsi que du 2 juin 2016, Lajvér, C-263/15, EU:C:2016:392, point 45 et jurisprudence citée). En effet, une telle circonstance n’est pas de nature à affecter le lien direct entre la prestation de services effectuée et la contrepartie reçue (arrêt du 2 juin 2016, Lajvér, C-263/15, EU:C:2016:392, point 46 et jurisprudence citée).

30

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 2, point 1, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle ne sont pas considérés comme étant pertinents aux fins de la TVA les prêts ou les détachements de personnel d’une société mère auprès de sa filiale, opérés contre le seul remboursement des coûts y afférents, pour autant que les montants versés par la filiale en faveur de sa société mère, d’une part, et ces prêts ou détachements, d’autre part, se conditionnent mutuellement.

Sur les dépens

31

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

L’article 2, point 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle ne sont pas considérés comme étant pertinents aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée les prêts ou les détachements de personnel d’une société mère auprès de sa filiale, opérés contre le seul remboursement des coûts y afférents, pour autant que les montants versés par la filiale en faveur de sa société mère, d’une part, et ces prêts ou détachements, d’autre part, se conditionnent mutuellement.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.