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 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

17 décembre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonération en faveur de l’affermage et de la location de biens immeubles – Réglementation nationale exonérant de la TVA la livraison de chaleur par un groupement de propriétaires de logements aux propriétaires faisant partie de ce groupement »

Dans l’affaire C-449/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Baden-Württemberg (tribunal des finances du Land de Bade-Wurtemberg, Allemagne), par décision du 12 septembre 2018, parvenue à la Cour le 13 juin 2019, dans la procédure

WEG Tevesstraße

contre

Finanzamt Villingen-Schwenningen,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Wahl, F. Biltgen (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme S. Eisenberg, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme J. Jokubauskaitė et M. L. Mantl, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009 (JO 2010, L 10, p. 14) (ci-après la « directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le groupement de propriétaires de logements et de parties d’immeuble WEG Tevesstraße (ci-après la « WEG Tevesstraße »), composé d’une société à responsabilité limitée, d’une autorité publique et d’une commune, au Finanzamt Villingen-Schwenningen (centre des impôts de Villingen-Schwenningen, Allemagne) (ci-après le « Finanzamt ») au sujet de la fixation de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) payée en amont concernant les coûts d’acquisition et d’exploitation d’une centrale de cogénération pour l’année 2012.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA dispose :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a)

les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».

4

L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

5

L’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA est libellé comme suit :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

6

L’article 15, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :

« Sont assimilés à des biens corporels l’électricité, le gaz, la chaleur ou le froid et les choses similaires. »

7

L’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA prévoit :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

l)

l’affermage et la location de biens immeubles. »

8

L’article 136 de la directive TVA dispose :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

a)

les livraisons de biens qui étaient affectés exclusivement à une activité exonérée en vertu des articles 132, 135, 371, 375, 376 et 377, de l’article 378, paragraphe 2, de l’article 379, paragraphe 2, et des articles 380 à 390 ter, si ces biens n’ont pas fait l’objet d’un droit à déduction ;

b)

les livraisons de biens dont l’acquisition ou l’affectation avait fait l’objet de l’exclusion du droit à déduction de la TVA conformément à l’article 176. »

Le droit allemand

9

L’article 1er, paragraphe 1, point 1, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), du 21 février 2005 (BGBl. 2005 I, p. 386), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UStG »), dispose :

« Sont soumises à la taxe sur le chiffre d’affaires les opérations suivantes :

1)

les livraisons et autres prestations, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un entrepreneur, dans le cadre de son entreprise.[…] »

10

En vertu de l’article 4, point 13, de l’UStG, sont exonérées de la TVA « les prestations que les groupements de propriétaires de logements [...] fournissent aux propriétaires de logements et aux propriétaires de parties d’immeuble, dans la mesure où les prestations consistent dans la mise à disposition de la propriété collective pour usage, entretien, réparation et pour d’autres opérations de gestion de cette propriété collective, ainsi que dans la livraison de chaleur et de biens similaires. »

11

L’article 9, paragraphe 1, de l’UStG dispose que l’opérateur économique peut renoncer à l’exonération prévue audit article 4, point 13, si l’opération est effectuée aux fins de l’entreprise d’un autre opérateur économique.

12

L’article 15, paragraphes 1, 2 et 4, de l’UStG prévoit, notamment :

« (1)   L’entrepreneur peut déduire les montants de taxe en amont suivants :

1.

la taxe légalement due pour des livraisons et autres prestations qui ont été exécutées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise.

[...]

(2)   La déduction de l’impôt payé en amont ne s’applique pas à la taxe sur les livraisons, l’importation et l’acquisition intracommunautaire de biens ainsi que sur les autres prestations que l’entrepreneur utilise aux fins des opérations suivantes :

1.

les opérations exonérées ;

[...]

(4)   Si l’entrepreneur n’utilise un produit ou une autre prestation, livrés, importés ou acquis dans la Communauté, qu’en partie pour réaliser des opérations ne donnant pas droit à déduction, la partie des montants de taxe en amont économiquement liée à ces opérations n’ouvre pas droit à la déduction [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

13

En 2012, la WEG Tevesstraße a construit, sur le terrain appartenant aux propriétaires de ce groupement, une centrale de cogénération en vue de son exploitation. L’électricité générée par cette centrale a été livrée à un distributeur d’énergie alors que la chaleur produite a été livrée aux propriétaires dudit groupement. La WEG Tevesstraße a demandé une déduction de la TVA et a réclamé, à ce titre, au Finanzamt, un montant correspondant à la TVA payée en amont d’un total de 19765,17 euros concernant les coûts d’acquisition et d’exploitation de ladite centrale pour l’année 2012.

14

Au mois de décembre 2014, le Finanzamt a émis un avis d’imposition au titre de la TVA pour l’année 2012 admettant la déduction de la TVA payée en amont en ce qui concerne le montant relatif à la production d’électricité, laquelle correspondrait à 28 % du montant réclamé, mais a refusé la déduction de la TVA payée en amont pour le montant relatif à la production de chaleur, laquelle correspondrait à 72 % du montant réclamé. À l’appui de son avis, le Finanzamt a fait valoir que la livraison de chaleur par un groupement de propriétaires aux propriétaires de ce groupement est, conformément à l’article 4, point 13, de l’UStG, une opération exonérée de la TVA.

15

À la suite du rejet, par le Finanzamt, de l’opposition formée par la WEG Tevesstraße, celle-ci a introduit un recours devant la juridiction de renvoi en vue d’obtenir la déduction de la TVA payée en amont concernant le montant correspondant à la production de chaleur. À l’appui de son recours, elle soutient, en substance, que ladite disposition de l’UStG est contraire au droit de l’Union, la directive TVA ne contenant aucune disposition permettant d’exonérer la livraison de chaleur effectuée par un groupement de copropriétaires à ces derniers.

16

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, à l’instar d’une partie de la doctrine allemande, la juridiction de renvoi a des doutes quant au point de savoir si l’exonération prévue à l’article 4, point 13, de l’UStG peut se fonder sur l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA et, partant, si la directive TVA s’oppose ou non à une telle réglementation nationale.

17

Dans ces conditions, le Finanzgericht Baden-Württemberg (tribunal des finances du Land de Bade-Wurtemberg, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter les dispositions de la directive [TVA] en ce sens qu’elles s’opposent à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle la livraison de chaleur par des groupements de propriétaires de logements aux propriétaires est exemptée de la [TVA] ? »

Sur la question préjudicielle

18

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exonère de la TVA la livraison de chaleur par un groupement de propriétaires de logements aux propriétaires faisant partie de ce groupement.

19

À titre liminaire, il y a lieu de relever, ainsi que M. l’avocat général l’a fait au point 20 de ses conclusions, que, afin de pouvoir donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il importe de tenir compte des éléments factuels et juridiques caractérisant cette demande.

20

À cet égard, il convient de constater que la question posée repose sur la prémisse selon laquelle l’activité en cause au principal constitue une opération soumise à TVA, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA.

21

Tout d’abord, cette prémisse est, de fait, corroborée, par l’objet même de la question préjudicielle. En effet, les exonérations prévues par la directive TVA n’ont vocation à s’appliquer qu’aux activités relevant du champ d’application de cette même directive (voir, en ce sens, arrêts du 11 juin 1998, Fischer, C-283/95, EU:C:1998:276, point 18 ; du 29 avril 2004, EDM, C-77/01, EU:C:2004:243, point 59, et du 13 mars 2008, Securenta, C-437/06, EU:C:2008:166, point 26), de sorte que, si la livraison de chaleur en cause au principal ne relevait pas du champ d’application de la directive TVA, la question de savoir si cette directive s’oppose ou non à une exonération telle que celle figurant à l’article 4, point 13, de l’UStG ne se poserait pas. En outre, cette prémisse est confirmée par la circonstance que la juridiction de renvoi mentionne explicitement, dans sa demande de décision préjudicielle, l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA.

22

Ensuite, ainsi qu’il ressort des observations déposées par le gouvernement allemand, le législateur allemand a considéré que l’exonération instaurée à l’article 4, point 13, de l’UStG était nécessaire dès lors que les prestations et livraisons effectuées par les groupements de propriétaires de logements au profit de leurs membres sont, en principe, soumises à TVA.

23

Enfin, ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé dans sa demande de décision préjudicielle, il ressort de la jurisprudence du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), plus particulièrement de l’arrêt du 20 septembre 2018 IV R 6/16 (DE:BFH:2018:U.200918.IVR6.16.0, point 56), que la livraison de chaleur contre rémunération effectuée par un groupement de propriétaires de logements à ses membres constitue une livraison soumise à TVA en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de l’UStG, mais qui doit en être exonérée en application de l’article 4, point 13, de l’UStG.

24

À cet égard, il convient de rappeler que, s’il est vrai que la directive TVA assigne un champ d’application très large à la TVA, seules les activités ayant un caractère économique sont visées par cette taxe (arrêt du 2 juin 2016, Lajvér, C-263/15, EU:C:2016:392, point 20 et jurisprudence citée).

25

En effet, selon l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, relatif aux opérations imposables, sont soumises à la TVA, notamment, les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel (arrêt du 2 juin 2016, Lajvér, C-263/15, EU:C:2016:392, point 21 et jurisprudence citée).

26

S’agissant de l’activité en cause au principal, à savoir la livraison de chaleur, il y a lieu de relever que, conformément à l’article 15, paragraphe 1, de la directive TVA, la chaleur est assimilée à un bien corporel. Il s’ensuit que cette activité constitue une livraison de biens, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de cette même directive.

27

En ce qui concerne le point de savoir si une livraison intervient à titre onéreux, il convient de rappeler que la Cour a itérativement jugé que le fait qu’une livraison de biens soit effectuée « à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, suppose l’existence d’un lien direct entre le bien livré et la contre-valeur reçue. Un tel lien direct n’existe que s’il y a entre le fournisseur et l’acheteur un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, le prix perçu par le fournisseur constituant la contre-valeur effective du bien fourni. De surcroît, cette contrepartie doit constituer une valeur subjective, réellement perçue et exprimable en argent (arrêt du 13 juin 2018, Gmina Wrocław, C-665/16, EU:C:2018:431, point 43 et jurisprudence citée).

28

En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour, ce qu’il convient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, que chaque propriétaire faisant partie de la WEG Tevesstraße verse à ce groupement une contrepartie pour l’approvisionnement en chaleur dont le montant est déterminé en fonction de sa consommation individuelle en chaleur telle que relevée sur son compteur individuel. Si une telle situation était vérifiée, il y aurait lieu de conclure que la livraison de chaleur en cause au principal intervient « à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA.

29

S’agissant de la notion d’« assujetti à la TVA », et alors même que la qualité d’assujetti à la TVA d’un groupement de propriétaires de logements tel que la WEG Tevesstraße n’apparaît pas être remise en cause par la juridiction de renvoi, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, est considéré comme « assujetti »« quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité ». Selon la jurisprudence de la Cour, les termes utilisés à l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, notamment le terme « quiconque », donnent de la notion d’« assujetti » une définition large axée sur l’indépendance dans l’exercice d’une activité économique, en ce sens que toutes les personnes, physiques ou morales, aussi bien publiques que privées, ainsi que les entités dépourvues de personnalité juridique, qui, d’une manière objective, remplissent les critères figurant à cette disposition, doivent être considérées comme des assujetties à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2016, Nigl e.a., C-340/15, EU:C:2016:764, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

30

Pour constater l’indépendance de l’exercice d’une activité économique, il convient de contrôler si la personne concernée accomplit ses activités en son nom, pour son propre compte et sous sa propre responsabilité, et si elle supporte le risque économique lié à l’exercice de ces activités (arrêt du 12 octobre 2016, Nigl e.a., C-340/15, EU:C:2016:764, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

31

S’il appartient en dernier lieu au juge national, seul compétent pour apprécier les faits, de déterminer, à la lumière des considérations exposées aux points 29 et 30 du présent arrêt, si un groupement de propriétaires de logements tel que la WEG Tevesstraße doit être considéré comme exerçant de « façon indépendante » une activité, telle que celle en cause au principal consistant en la production et la commercialisation de chaleur, la Cour, appelée à fournir au juge de renvoi des réponses utiles, est compétente pour donner des indications, tirées du dossier de l’affaire au principal en cause ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, de nature à permettre à ce dernier de statuer dans le litige concret dont il est saisi.

32

À cet égard, d’une part, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 49 de ses conclusions, il ressort de la décision de renvoi que, en droit allemand, un groupement de propriétaires de logements tel que la WEG Tevesstraße constitue une personne morale distincte des propriétaires qui la composent. De surcroît, des intérêts économiques convergents entre le groupement des propriétaires de logements et les propriétaires concernés ne suffisent pas pour constater que ledit groupement n’exerce pas l’activité en cause de « façon indépendante », au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA.

33

D’autre part, il est vrai que, selon l’article 11 de la directive TVA, chaque État membre peut, sous réserve d’une consultation du comité consultatif de la TVA visé à l’article 398 de cette directive, considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même État membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation. Toutefois, il n’y a pas lieu, en l’occurrence, d’examiner cet article 11 étant donné qu’il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour que l’administration fiscale allemande ait invoqué, dans l’affaire au principal, l’unité fiscale au sens de cette disposition.

34

La notion d’« activité économique » est définie à l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive TVA comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette définition met en évidence l’étendue du champ d’application couvert par la notion d’« activités économiques » ainsi que le caractère objectif de cette notion, en ce sens que l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats. Une activité est ainsi, en général, qualifiée d’économique lorsqu’elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l’auteur de l’opération (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2009, Commission/Espagne, C-154/08, non publié, EU:C:2009:695, point 89 et jurisprudence citée).

35

À supposer que les activités exercées par un groupement de propriétaires de logements tel que la WEG Tevesstraße consistent dans l’exercice de fonctions qui lui sont conférées par la législation nationale, une telle circonstance est en soi sans pertinence aux fins de la qualification de ces prestations d’activités économiques (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2015, Saudaçor, C-174/14, EU:C:2015:733, points 39 et 40).

36

En l’occurrence, la livraison de chaleur résulte de l’exploitation, par la WEG Tevesstraße, d’une centrale de cogénération. Ainsi qu’il ressort du point 28 du présent arrêt, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il n’apparaît pas être contesté que la livraison de chaleur a eu pour contrepartie une rémunération versée par les propriétaires faisant partie de ce groupement. Il n’est pas non plus contesté que les recettes ainsi reçues par ledit groupement avaient un caractère de permanence. Par ailleurs, il ressort de la décision de renvoi que l’électricité produite par ladite centrale est livrée à une entreprise de distribution d’énergie et que cette livraison a également eu pour contrepartie une rémunération.

37

Il ressort tant du libellé de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA que de la jurisprudence de la Cour que, pour considérer que l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel est exercée en vue d’en retirer des recettes, il est indifférent que cette exploitation vise ou non à générer des profits (arrêt du 2 juin 2016, Lajvér, C-263/15, EU:C:2016:392, point 35 et jurisprudence citée).

38

Il s’ensuit, ainsi que le confirme par ailleurs la prémisse sur laquelle la question préjudicielle est fondée, que la directive TVA trouve à s’appliquer en l’occurrence et que la livraison de chaleur en cause au principal constitue une livraison de bien, en principe, soumise à TVA, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette directive.

39

Cela étant clarifié, il y a lieu d’examiner, en premier lieu, la question, soulevée par la juridiction de renvoi ainsi que par le gouvernement allemand, de savoir si une exonération telle que celle figurant à l’article 4, point 13, de l’UStG est susceptible de relever de l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA, aux termes duquel les États membres exonèrent « l’affermage et la location de biens immeubles ». À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les termes employés pour désigner les exonérations visées à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA, y compris les notions d’« affermage » et de « location de biens immeubles », sont d’interprétation stricte, étant donné que ces exonérations constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2018, Mailat, C-17/18, EU:C:2018:1038, point 37 et jurisprudence citée).

40

En outre, en l’absence de définition de ces notions dans la directive TVA, la Cour a défini la « location de biens immeubles », au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous l), de cette directive, comme étant le droit donné par le propriétaire d’un immeuble au locataire, contre rémunération et pour une durée convenue, d’occuper cet immeuble et d’exclure toute autre personne du bénéfice d’un tel droit (voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2018, Mailat, C-17/18, EU:C:2018:1038, point 36 et jurisprudence citée).

41

La Cour a également précisé que l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA s’explique par le fait que la location de biens immeubles, tout en étant une activité économique, constitue normalement une activité relativement passive, ne générant pas une valeur ajoutée significative. Une telle activité est ainsi à distinguer d’autres activités qui soit ont un caractère d’affaires industrielles et commerciales, soit ont un objet qui est mieux caractérisé par l’exécution d’une prestation que par la simple mise à disposition d’un bien, tels le droit d’utiliser un terrain de golf, celui d’utiliser un pont moyennant le versement d’un droit de péage ou encore le droit d’installer des distributeurs de cigarettes dans un établissement commercial [arrêt du 2 juillet 2020, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Service d’hébergement en centre de données), C-215/19, EU:C:2020:518, point 41 et jurisprudence citée].

42

Dans l’affaire au principal, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, l’activité en cause consiste dans la livraison de la chaleur générée par l’exploitation, par la WEG Tevesstraße, d’une centrale de cogénération. Or, en procédant à une telle livraison de chaleur, ce groupement procède à une simple vente d’un bien corporel qui est le fruit de l’exploitation d’un autre bien corporel, certes immeuble celui-ci, sans pour autant accorder aux acquéreurs de la chaleur, à savoir les propriétaires faisant partie dudit groupement, le droit d’occuper un immeuble, en l’occurrence la centrale de cogénération, et d’exclure toute autre personne du bénéfice d’un tel droit, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 40 du présent arrêt.

43

En ce qui concerne, en second lieu, la question également soulevée par la juridiction de renvoi et le gouvernement allemand, de savoir si une exonération telle que celle figurant à l’article 4, point 13, de l’UStG trouve son fondement dans le procès-verbal no 7 de la session du Conseil de l’Union européenne du 17 mai 1977 concernant l’article 13 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive », il convient de rappeler que, aux termes de ce procès-verbal, « [l]e Conseil et la Commission [européenne] déclarent que les États membres peuvent exonérer la mise à disposition de la propriété collective pour usage, entretien, réparation et pour d’autres opérations de gestion de cette propriété collective ainsi que la livraison de chaleur et de biens similaires lorsque ces opérations sont effectuées par les groupements de propriétaires de logements aux propriétaires ».

44

À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que des déclarations formulées au stade des travaux préparatoires aboutissant à l’adoption d’une directive ne sauraient être retenues pour son interprétation lorsque leur contenu ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et qu’elles n’ont, dès lors, pas de portée juridique (voir, notamment, arrêt du 22 octobre 2009, Swiss Re Germany Holding, C-242/08, EU:C:2009:647, point 62 et jurisprudence citée).

45

Or, force est de constater que tel est le cas en l’occurrence dès lors que ni l’article 13, B, sous b), de la sixième directive, prévoyant l’exonération de l’affermage et de la location de biens immeubles, ni l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA, qui a remplacé cette disposition, ne contiennent le moindre indice permettant de conclure que la déclaration du Conseil et de la Commission inscrite audit procès-verbal ait trouvé son expression dans ces dispositions.

46

Partant, il y a lieu de conclure que l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’une exonération telle que celle figurant à l’article 4, point 13, de l’UStG ne relève pas de cette disposition.

47

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument, avancé par le gouvernement allemand et implicitement tiré du principe de neutralité fiscale, selon lequel la livraison de chaleur par un groupement de propriétaires de logements aux propriétaires faisant partie de ce groupement devrait être exonérée de TVA afin d’assurer l’égalité de traitement en termes de TVA entre, d’une part, les propriétaires et les locataires de maisons unifamiliales, non soumis à TVA, respectivement exonérés de TVA, lorsqu’ils livrent de la chaleur à eux-mêmes en tant que propriétaires ou lorsqu’ils louent simultanément la maison et l’installation de la chaleur, et, d’autre part, les copropriétaires d’immeubles soumis à TVA lorsque le groupement dont ils font partie leur livre de la chaleur.

48

En effet, il est vrai que, selon une jurisprudence bien établie, le principe de neutralité fiscale, qui est la traduction par le législateur de l’Union, en matière de TVA, du principe général d’égalité de traitement (arrêt du 29 octobre 2009, NCC Construction Danmark, C-174/08, EU:C:2009:669, point 41 et jurisprudence citée), s’oppose en particulier à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (arrêt du 14 décembre 2017, Avon Cosmetics, C-305/16, EU:C:2017:970, point 52 et jurisprudence citée). En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ce principe doit être interprété en ce sens qu’une différence de traitement au regard de la TVA de deux livraisons de biens ou de deux prestations de services identiques ou semblables du point de vue du consommateur et satisfaisant aux mêmes besoins de celui-ci suffit à établir une violation de ce principe (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C-259/10 et C-260/10, EU:C:2011:719, point 36). Toutefois, force est de constater que l’argumentation avancée par le gouvernement allemand repose sur la comparaison de livraisons de biens à deux groupes de consommateurs clairement distincts et que la circonstance que ces groupes sont potentiellement traités différemment n’est que la conséquence du choix opéré par les personnes faisant partie de ces groupes d’être ou de ne pas être propriétaire d’un logement dans un immeuble en copropriété.

49

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exonère de la TVA la livraison de chaleur par un groupement de propriétaires de logements aux propriétaires faisant partie de ce groupement.

Sur les dépens

50

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

L’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exonère de la taxe sur la valeur ajoutée la livraison de chaleur par un groupement de propriétaires de logements aux propriétaires faisant partie de ce groupement.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.