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 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

1er juillet 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Contrôle fiscal – Prestations de services au titre d’une activité d’agent artistique – Opérations soumises à la TVA – Opérations non déclarées à l’administration fiscale et n’ayant pas donné lieu à l’établissement d’une facture – Fraude – Reconstitution de la base imposable à l’impôt sur le revenu – Principe de neutralité de la TVA – Inclusion de la TVA dans la base imposable reconstituée »

Dans l’affaire C-521/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne), par décision du 19 juin 2019, parvenue à la Cour le 8 juillet 2019, dans la procédure

CB

contre

Tribunal Económico Administrativo Regional de Galicia,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. N. Wahl (rapporteur), F. Biltgen, Mme L. S. Rossi et M. J. Passer, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour CB, par Me C. Gómez Docampo, abogada,

pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme G. Galluzzo, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 mars 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 73 et 78 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant CB au Tribunal Económico Administrativo Regional de Galicia (tribunal économique administratif régional de Galice, Espagne) au sujet des liquidations et des sanctions qui lui ont été imposées dans le cadre d’un redressement fiscal portant sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques dû au titre des années 2010 à 2012.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 7 de la directive 2006/112 énonce :

« Le système commun de [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] devrait, même si les taux et les exonérations ne sont pas complètement harmonisés, aboutir à une neutralité concurrentielle, en ce sens que sur le territoire de chaque État membre les biens et les services semblables supportent la même charge fiscale, quelle que soit la longueur du circuit de production et de distribution. »

4

L’article 1er de cette directive dispose :

« 1.   La présente directive établit le système commun de [TVA].

2.   Le principe du système commun de TVA est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des opérations intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.

À chaque opération, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

Le système commun de TVA est appliqué jusqu’au stade du commerce de détail inclus. »

5

L’article 73 de ladite directive est ainsi rédigé :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »

6

L’article 78 de la même directive prévoit :

« Sont à comprendre dans la base d’imposition les éléments suivants :

a)

les impôts, droits, prélèvements et taxes, à l’exception de la TVA elle-même ;

b)

les frais accessoires, tels que les frais de commission, d’emballage, de transport et d’assurance demandés par le fournisseur à l’acquéreur ou au preneur.

Aux fins du premier alinéa, [sous] b), les États membres peuvent considérer comme frais accessoires ceux faisant l’objet d’une convention séparée. »

7

L’article 178 de la directive 2006/112 est rédigé comme suit :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)

pour la déduction visée à l’article 168, [sous] a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 ;

[...] »

8

Selon l’article 193 de cette directive, la TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 et de l’article 202 de ladite directive.

9

Aux termes de l’article 220, paragraphe 1, de la directive 2006/112 :

« Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :

1)

pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie ;

[...]

5)

pour les acomptes qui lui sont versés par un autre assujetti, ou par une personne morale non assujettie, avant que la prestation de services ne soit achevée. »

10

Aux termes de l’article 226 de cette directive :

« Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :

[...]

6)

la quantité et la nature des biens livrés ou l’étendue et la nature des services rendus ;

7)

la date à laquelle est effectuée, ou achevée, la livraison de biens ou la prestation de services ou la date à laquelle est versé l’acompte visé à l’article 220, points 4) et 5), dans la mesure où une telle date est déterminée et différente de la date d’émission de la facture ;

8)

la base d’imposition pour chaque taux ou exonération, le prix unitaire hors TVA, ainsi que les escomptes, rabais ou ristournes éventuels s’ils ne sont pas compris dans le prix unitaire ;

9)

le taux de TVA appliqué ;

10)

le montant de TVA à payer, sauf lorsqu’est appliqué un régime particulier pour lequel la présente directive exclut une telle mention ;

[...] »

11

L’article 273 de la même directive dispose :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »

Le droit espagnol

12

Aux termes de l’article 78, paragraphe 1, de la Ley 37/1992 del Impuesto sobre el Valor Añadido (loi 37/1992, relative à la taxe sur la valeur ajoutée), du 28 novembre 1992 (BOE no 312, du 29 décembre 1992, p. 44247) :

« La base d’imposition de la taxe est constituée par le montant total de la contrepartie des opérations soumises à la taxe qui provient du destinataire ou de tiers. »

13

L’article 88 de la loi 37/1992, intitulé « Répercussion de la taxe », dispose :

« 1.   Les assujettis doivent répercuter intégralement le montant de la taxe sur la personne pour laquelle ils réalisent l’opération taxée, cette dernière étant tenue de la supporter à condition que la répercussion soit conforme aux dispositions de la présente loi, quelles que soient les stipulations existant entre eux. Pour les livraisons de biens et les prestations de services soumises à la taxe et n’en étant pas exonérées dont les destinataires sont des entités publiques, il est toujours considéré que, lorsqu’ils ont formulé leurs propositions économiques, y compris verbales, les assujettis y ont inclus la [TVA], qui doit toutefois être répercutée en tant que poste distinct, le cas échéant, dans les documents présentés aux fins de paiement, la consignation de la taxe répercutée n’entraînant pas l’augmentation du montant total convenu.

2.   La répercussion de la taxe doit être faite au moyen de factures, dans les conditions et selon les exigences établies réglementairement. À cette fin, le montant répercuté est consigné séparément de la base d’imposition, y compris en cas de prix fixés administrativement, en indiquant le taux d’imposition appliqué. Les opérations déterminées réglementairement sont exclues de l’application des dispositions prévues ci-avant.

3.   La répercussion de la taxe doit être faite en même temps que l’expédition et la remise de la facture correspondante.

4.   Le droit à la répercussion s’éteint dans un délai d’un an à compter de la date du fait générateur.

5.   Le destinataire de l’opération soumise à la [TVA] n’est pas tenu d’en supporter la répercussion avant la date du fait générateur de celle-ci.

6.   Les litiges pouvant naître relativement à la répercussion de la taxe, en ce qui concerne tant sa provenance que son montant, sont considérés comme de nature fiscale aux fins des réclamations correspondantes par la voie économico-administrative. »

14

L’article 89 de cette loi, intitulé « Rectification de la taxe répercutée », prévoit :

« 1.   Les assujettis doivent procéder à la rectification de la taxe répercutée lorsque celle-ci n’a pas été déterminée correctement ou lorsque se produisent les circonstances qui, conformément à l’article 80 de la présente loi, donnent lieu à la modification de la base d’imposition. La rectification doit être faite lorsque les causes de la détermination incorrecte de la taxe sont découvertes ou lorsque se produisent les circonstances précitées, avant l’expiration d’un délai de quatre ans à compter du moment où la taxe afférente à l’opération est due ou, le cas échéant, à compter du moment où se sont produites les circonstances visées à l’article 80.

2.   Les dispositions du point précédent s’appliquent également lorsque, en l’absence de répercussion d’un quelconque montant, la facture correspondant à l’opération a été expédiée.

3.   Nonobstant les dispositions figurant aux points précédents, les montants de la taxe répercutés ne sont pas rectifiés dans les cas suivants :

1)

lorsque la rectification n’est pas motivée par les causes prévues à l’article 80 de la présente loi, qu’elle suppose une augmentation des montants répercutés et que les destinataires des opérations n’agissent pas en tant qu’entrepreneurs ou professionnels, excepté en cas de hausse légale des taux d’imposition, auquel cas la rectification peut être faite au cours du mois où les nouveaux taux d’imposition entrent en vigueur ou au cours du mois suivant ;

2)

lorsque l’administration fiscale révèle, par les liquidations correspondantes, l’existence d’une taxe due et non répercutée plus élevée que celle déclarée par l’assujetti et qu’il est attesté, au moyen d’éléments objectifs, que ledit assujetti a participé à une fraude ou qu’il savait ou devait savoir, en faisant preuve à cette fin d’une diligence raisonnable, qu’il réalisait une opération faisant partie d’une fraude. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

15

CB est un travailleur indépendant exerçant une activité d’agent artistique soumise à la TVA. À ce titre, il fournissait des services au groupe Lito, un groupement d’entreprises chargé de la gestion des infrastructures et des orchestres, pour les fêtes patronales et les fêtes de villages de Galice (Espagne). Plus précisément, CB contactait les commissions des fêtes, groupes informels d’habitants en charge de l’organisation desdites fêtes, et négociait l’intervention des orchestres au nom du groupe Lito.

16

Les paiements effectués dans ce cadre par les commissions des fêtes au groupe Lito l’étaient en espèces et ne donnaient lieu ni à l’émission de factures ni à un enregistrement comptable. Par conséquent, ils n’étaient pas déclarés à l’administration fiscale, que ce soit au titre de l’impôt sur les sociétés ou de la TVA.

17

Pour sa part, CB percevait 10 % des recettes du groupe Lito. Les paiements en sa faveur étaient également effectués en espèces, n’étaient pas déclarés et ne donnaient lieu à l’établissement d’aucune facture. CB ne tenait ni comptabilité ni registre officiel, il n’émettait pas de facture, n’en recevait pas et, en conséquence, n’établissait pas de déclaration de TVA.

18

À la suite du contrôle de la situation fiscale de CB, l’administration fiscale a estimé que les montants qu’il avait perçus en rémunération de ses activités d’intermédiaire pour le groupe Lito, à savoir 64414,90 euros en 2010, 67565,40 euros en 2011 et 60692,50 euros en 2012, n’incluaient pas la TVA et que, partant, la base imposable de l’impôt sur le revenu relatif à ces années devait être établie en prenant en compte la totalité de ces montants. Les redressements correspondants ont donné lieu à la liquidation de l’impôt sur le revenu au titre des années 2010 à 2012 et des sanctions ont été infligées à CB, qui a contesté par une réclamation les actes de l’administration fiscale ordonnant cette liquidation et les sanctions dont il a fait l’objet.

19

Le tribunal économique administratif régional de Galice a rejeté la réclamation de CB, lequel a déféré la décision de cet organisme devant la juridiction de renvoi.

20

Dans ce cadre, CB soutient que l’application a posteriori de la TVA aux montants que l’administration fiscale a retenus comme revenus est contraire à la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) ainsi qu’à celle de la Cour, selon lesquelles, lorsque cette administration découvre des opérations, en principe, soumises à la TVA, non déclarées et non facturées, la TVA doit être considérée comme incluse dans le prix convenu par les parties à ces opérations.

21

Ainsi, CB estime que, dans la mesure où, selon le droit espagnol, il ne peut réclamer la TVA non répercutée en raison de son comportement constitutif d’une infraction fiscale, la TVA doit être considérée comme incluse dans le prix des services qu’il a fournis.

22

La juridiction de renvoi indique que, pour trancher le litige au principal, elle doit établir si la loi 37/1992, telle qu’interprétée par le Tribunal Supremo (Cour suprême), est conforme au droit de l’Union en ce qu’elle prévoit que, lorsque les opérateurs procèdent, de manière volontaire et concertée, à des opérations donnant lieu à des paiements en espèces, sans facture et sans déclaration de TVA, de tels paiements doivent être considérés comme incluant la TVA.

23

Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« À la lumière des principes de neutralité et d’interdiction de la fraude fiscale, de l’abus de droit et de la distorsion illégale de la concurrence, les articles 73 et 78 de la directive [2006/112] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale et à la jurisprudence l’interprétant selon l[es]quelle[s], lorsque l’administration fiscale découvre des opérations non déclarées, soumises à la [TVA] et non facturées, il convient de considérer que la [TVA] est incluse dans le prix convenu par les parties auxdites opérations ?

Est-il dès lors possible, dans les cas de fraude dans lesquels l’opération a été cachée à l’administration fiscale, de considérer, ainsi qu’il pourrait être déduit des arrêts de la Cour du 28 juillet 2016, Astone (C-332/15, EU:C:2016:614), du 5 octobre 2016, Maya Marinova (C-576/15, EU:C:2016:740), et du 7 mars 2018, Dobre (C-159/17, EU:C:2018:161), que les montants versés et reçus n’incluent pas la TVA aux fins de la liquidation et de l’imposition de la sanction correspondantes ? »

Sur la question préjudicielle

24

Par sa question, la juridiction de renvoi interroge, en substance, la Cour sur l’interprétation qu’il convient, notamment à la lumière du principe de neutralité, de donner des articles 73 et 78 de la directive 2006/112, relatifs à la détermination de la base d’imposition d’une opération entre assujettis à la TVA, lorsque ceux-ci, par fraude, n’ont ni indiqué l’existence de l’opération à l’administration fiscale, ni émis de facture, ni fait figurer les revenus dégagés à l’occasion de cette opération sur une déclaration au titre des impôts directs. La juridiction de renvoi demande si, en pareille circonstance, les montants versés et reçus doivent être considérés comme incluant déjà la TVA ou non.

25

Il convient d’emblée de souligner que, alors même que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels constitue un objectif reconnu et encouragé par la directive 2006/112 (arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timișoara, C-734/19, EU:C:2020:919, point 39 et jurisprudence citée), la détermination de la base d’imposition d’une opération entre assujettis, au sens des articles 73 et 78 de cette directive, n’est pas au nombre des outils à la disposition des États membres, au sens de l’article 273 de ladite directive, afin d’atteindre cet objectif, en ce sens qu’ils pourraient retenir, en cas de fraude, une interprétation de ces dispositions différente de celle qu’il conviendrait d’adopter en l’absence de comportement frauduleux des assujettis.

26

En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 29 de ses conclusions, la question posée par la juridiction de renvoi doit être dissociée de celle de savoir si l’application d’une sanction s’impose aux personnes concernées pour avoir enfreint les règles du mécanisme commun de TVA.

27

Il importe de rappeler, à cet égard, que le législateur de l’Union, indépendamment des sanctions définies par les États membres afin de réprimer les comportements fiscaux illégaux et, tout spécialement, frauduleux, a lui-même fait en sorte que les assujettis n’ayant pas respecté les règles de base de la directive 2006/112, en particulier en matière de facturation, supportent les conséquences de leur comportement par l’impossibilité de déduire la TVA, y compris lorsque, après un contrôle fiscal, les opérations n’ayant pas donné lieu à facturation sont rétroactivement assujetties à la TVA.

28

Ainsi, selon une jurisprudence constante, bien que le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union, visant à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques et garantissant, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA, l’exercice de ce droit n’est en principe possible, conformément à l’article 178, sous a), de la directive 2006/112, qu’à partir du moment où l’assujetti est en possession d’une facture (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C-533/16, EU:C:2018:204, points 37, 38, 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

29

Comme le confirme la juridiction de renvoi, il résulte de la législation nationale en cause au principal, à savoir de l’article 88, paragraphe 2, et de l’article 89, paragraphe 3, point 2, de la loi 37/1992, que l’impossibilité pour l’assujetti de déduire le montant de la TVA grevant l’opération non déclarée à l’administration fiscale et non facturée par lui frappe, en l’occurrence, le requérant au principal, sans préjudice des sanctions fiscales dont il a fait ou pourrait faire l’objet.

30

Ainsi, s’agissant de la détermination de la base d’imposition des opérations entre assujettis, c’est-à-dire à un stade antérieur à celui où la TVA est acquittée par le consommateur final, le prestataire, en l’occurrence le requérant au principal, aurait dû facturer la TVA au bénéficiaire de la prestation de services, en l’occurrence le groupe Lito, et déclarer cette TVA à l’administration fiscale, ce qui lui aurait ouvert un droit à déduction de la TVA ayant grevé l’ensemble des biens ou des services étant entrés en ligne de compte pour sa propre prestation de services. Cependant, en raison de la fraude du requérant au principal, les dispositions de l’article 89, paragraphe 3, point 2, de la loi 37/1992 feraient obstacle à toute possibilité de rectification de la TVA et, donc, également à l’exercice du droit à déduction en question, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

31

Or, le fait que des assujettis ont méconnu l’obligation de facturation posée à l’article 220 de la directive 2006/112 et que, dès lors, font par définition défaut les mentions obligatoires figurant à l’article 226, points 6 à 10, de cette directive ne saurait faire obstacle au principe de base de ladite directive, qui, selon une jurisprudence constante de la Cour, réside dans le fait que le système de la TVA vise à grever uniquement le consommateur final (arrêt du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin, C-249/12 et C-250/12, EU:C:2013:722, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

32

Par ailleurs, même si, dans le cadre d’un contrôle fiscal, les vérifications opérées par l’administration nationale concernée visent à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence d’irrégularité et, a fortiori, de fraude, et si cette administration s’efforce, au moyen de différentes méthodes, de reconstituer les opérations dissimulées et les revenus éludés, force est néanmoins d’indiquer que ces méthodes ne sauraient prétendre à une fiabilité parfaite et qu’elles comportent une marge inévitable d’incertitude, de sorte qu’elles visent, en réalité, à obtenir le résultat fiscal le plus vraisemblable et le plus fidèle possible, en fonction des éléments matériels recueillis lors du contrôle fiscal.

33

Dans ces conditions, la base d’imposition telle que définie aux articles 73 et 78 de la directive 2006/112, à savoir la contrepartie, valeur subjective, réellement reçue par l’assujetti et ne comprenant pas la TVA, doit, lorsqu’elle procède d’une reconstitution a posteriori par l’administration fiscale nationale concernée, en raison de l’absence de mention de la TVA sur une facture ou de l’absence de facture, que ces omissions soient ou non le fruit d’une intention frauduleuse, être comprise en tenant compte de cette marge inévitable d’incertitude.

34

C’est pourquoi le résultat d’une opération dissimulée à l’administration fiscale par des assujettis à la TVA, alors qu’elle aurait dû donner lieu à une facturation en application de l’article 220 de la directive 2006/112 portant les mentions requises à l’article 226 de cette directive et être déclarée à cette administration, doit être réputé, lorsqu’il procède, comme dans l’affaire au principal, d’une reconstitution par l’administration fiscale concernée effectuée dans le cadre d’un contrôle au titre des impôts directs, inclure la TVA ayant grevé ladite opération.

35

Il en irait, en revanche, autrement, en l’occurrence, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi considérerait que, à l’issue de la vérification visée au point 30 du présent arrêt, selon le droit national applicable, la rectification de la TVA est possible (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin, C-249/12 et C-250/12, EU:C:2013:722, point 37).

36

Toute autre interprétation se heurterait au principe de neutralité de la TVA et ferait peser une partie de la charge de cette dernière sur un assujetti, alors que la TVA doit uniquement être supportée par le consommateur final, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 28 et 31 du présent arrêt.

37

Cette solution ne se heurte pas non plus à la jurisprudence illustrée par les arrêts du 28 juillet 2016, Astone (C-332/15, EU:C:2016:614), du 5 octobre 2016, Maya Marinova (C-576/15, EU:C:2016:740), et du 7 mars 2018, Dobre (C-159/17, EU:C:2018:161), puisque, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 33 de ses conclusions, la Cour ne s’y est pas prononcée sur la question de l’inclusion ou non de la TVA dans le montant des revenus reconstitués par l’administration fiscale en cas de fraude, lorsque les opérations dissimulées ayant généré ces revenus, soumises à la TVA, auraient dû être facturées et la TVA déclarée.

38

Il convient d’ajouter que le respect du principe de neutralité de la TVA ne s’oppose pas à la possibilité dont disposent les États membres, en application de l’article 273 de la directive 2006/112, d’adopter des sanctions visant à lutter contre la fraude fiscale, et plus largement, à l’obligation faite auxdits États, en application de l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE, de lutter contre les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne par des mesures effectives et dissuasives ainsi que de prendre les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C-42/17, EU:C:2017:936, point 30). C’est dans le cadre de telles sanctions, et non par la détermination de la base d’imposition au sens des articles 73 et 78 de la directive 2006/112, qu’une fraude telle que celle en cause au principal doit être réprimée.

39

Compte tenu de ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive 2006/112, notamment ses articles 73 et 78, lus à la lumière du principe de neutralité de la TVA, doit être interprétée en ce sens que, lorsque des assujettis à la TVA, par fraude, n’ont ni indiqué l’existence de l’opération à l’administration fiscale, ni émis de facture, ni fait figurer les revenus dégagés à l’occasion de cette opération sur une déclaration au titre des impôts directs, la reconstitution, dans le cadre du contrôle d’une telle déclaration, des montants versés et perçus lors de l’opération en cause par l’administration fiscale concernée doit être considérée comme un prix incluant déjà la TVA, à moins que, selon le droit national, les assujettis n’aient la possibilité de procéder à la répercussion et à la déduction ultérieures de la TVA en cause, nonobstant la fraude.

Sur les dépens

40

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, notamment ses articles 73 et 78, lus à la lumière du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), doit être interprétée en ce sens que, lorsque des assujettis à la TVA, par fraude, n’ont ni indiqué l’existence de l’opération à l’administration fiscale, ni émis de facture, ni fait figurer les revenus dégagés à l’occasion de cette opération sur une déclaration au titre des impôts directs, la reconstitution, dans le cadre du contrôle d’une telle déclaration, des montants versés et perçus lors de l’opération en cause par l’administration fiscale concernée doit être considérée comme un prix incluant déjà la TVA, à moins que, selon le droit national, les assujettis n’aient la possibilité de procéder à la répercussion et à la déduction ultérieures de la TVA en cause, nonobstant la fraude.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.