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ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

3 septembre 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 168, 178, 220 et 226 – Principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité – Droit à déduction de la TVA – Refus – Conditions d’existence d’une livraison de biens – Fraude – Preuve – Sanction – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours juridictionnel effectif »

Dans l’affaire C-610/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie), par décision du 5 juillet 2019, parvenue à la Cour le 13 août 2019, dans la procédure

Vikingo Fővállalkozó Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis (rapporteur), président de chambre, MM. E. Juhász et M. Ilešič, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes J. Jokubauskaitė et Zs. Teleki, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 168, sous a), de l’article 178, sous a), de l’article 220, point 1), et de l’article 226 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), lus conjointement avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité, ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vikingo Fővállalkozó Kft. (ci-après « Vikingo ») au Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) au sujet du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont au titre de deux factures afférentes à l’acquisition de machines.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Eu égard aux dates des faits du litige au principal, il convient de faire observer que c’est la version de la directive 2006/112, telle qu’elle résulte de la directive 2010/45/UE du conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1), applicable à compter du 1er janvier 2013, qui s’applique ratione temporis à certains de ces faits. Cependant, les modifications apportées par cette directive sont dépourvues de pertinence directe pour la présente affaire.

4        Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112 :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

5        L’article 168 de cette directive prévoit :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

6        L’article 178 de ladite directive dispose :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 ;

[...] »

7        L’article 220 de la même directive prévoit :

« Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :

1)      pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie ;

[...] »

8        L’article 226 de la directive 2006/112 énumère les seules mentions qui, sans préjudice des dispositions particulières prévues par celle-ci, doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 de cette directive.

9        Aux termes de l’article 273, premier alinéa, de ladite directive :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. »

 Le droit hongrois

10      L’article 27 de l’általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény (loi no CXXVII de 2007, relative à la taxe sur la valeur ajoutée) prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’un bien fait l’objet de plusieurs ventes successives de telle manière qu’il est expédié ou transporté directement du fournisseur initial vers l’acquéreur final mentionné comme destinataire, l’article 26 s’applique exclusivement à une seule livraison du bien. »

11      L’article 26 de cette loi dispose :

« Lorsque l’expédition ou le transport est effectué par le fournisseur, par l’acquéreur ou, pour le compte de l’un ou l’autre, par un tiers, le lieu de la livraison du bien est celui où le bien se trouve au moment de l’expédition ou du départ du transport mentionnant l’acquéreur comme destinataire. »

12      Aux termes de l’article 119, paragraphe 1, de ladite loi :

« À moins que la loi n’en dispose autrement, le droit à déduction de la taxe prend naissance lorsqu’il faut établir la taxe due correspondant à la taxe calculée en amont (article 120). »

13      L’article 120, sous a), de la même loi prévoit :

« Dans la mesure où les biens ou les services sont utilisés, ou autrement exploités, par l’assujetti – et en cette qualité – en vue d’effectuer des livraisons de biens ou des prestations de services taxées, celui-ci a le droit de déduire du montant de la taxe dont il est redevable :

a)      la taxe qui lui est facturée par tout autre assujetti – en ce compris toute personne ou entité soumise à l’impôt simplifié sur les sociétés – à l’occasion de l’acquisition des biens ou de l’utilisation des services ;

[...] »

14      L’article 127, paragraphe 1, sous a), de la loi no CXXVII de 2007 précise :

« L’exercice du droit à déduction est subordonné à la condition de fond que l’assujetti dispose personnellement :

a)      dans le cas visé à l’article 120, sous a), d’une facture à son nom établissant la réalisation de l’opération ;

[...] »

15      L’article 1er du számvitelről szóló 2000. évi C. törvény (loi no C de 2000 sur la comptabilité, ci-après la « loi sur la comptabilité ») est ainsi libellé :

« La présente loi détermine les obligations en matière de comptabilité et de reddition des comptes des personnes relevant de son champ d’application, les principes à respecter en matière de tenue des livres et de préparation des comptes, les règles fondées sur lesdits principes et les conditions relatives aux obligations de divulgation, de publication et de vérification. »

16      L’article 15, paragraphe 3, de cette loi prévoit :

« Les opérations figurant dans la comptabilité et dans les comptes annuels doivent exister dans la réalité, doivent pouvoir être prouvées et doivent pouvoir être constatées par des tiers. Leur évaluation doit être conforme aux principes d’évaluation prévus par la présente loi et aux procédures d’évaluation qui s’y rapportent (“principe de réalité”). »

17      L’article 166, paragraphes 1 et 2, de ladite loi dispose :

« 1.      Est une “pièce justificative comptable” tout document établi ou préparé par un opérateur économique, ou établi ou préparé par une personne physique ou un autre opérateur économique ayant une relation d’affaire ou autre avec celui-ci (facture, contrat, accord, fiche, certificat d’établissement de crédit, extrait de compte bancaire, disposition législative ou règlementaire, et autres écrits comparables), et qui sert de support à la comptabilisation (déclaration) d’une opération économique.

2.      Les informations figurant dans une pièce justificative comptable doivent être, quant à la forme et au fond, dignes de foi, fiables et correctes. Le principe de clarté préside à sa rédaction. »

18      L’article 2 de l’adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény (loi no XCII de 2003 portant code de procédure fiscale, ci-après le « code de procédure fiscale ») prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les droits exercés dans les rapports juridiques intéressant la fiscalité doivent l’être conformément à leur destination. Dans l’application des lois fiscales, ne peut être qualifiée d’exercice des droits conforme à leur destination la conclusion de contrats ou la réalisation d’autres opérations dont la finalité est de contourner les dispositions des lois fiscales. »

19      Aux termes de l’article 97, paragraphes 4 et 6, du code de procédure fiscale :

« 4.      Au cours du contrôle, l’administration fiscale a l’obligation d’établir et de prouver les faits, sauf dans les cas où c’est le contribuable qui, en vertu d’une loi, a la charge de la preuve. 

[...]

6.      Lorsqu’elle établit les faits, l’administration fiscale a l’obligation de rechercher également les faits qui jouent en faveur du contribuable. Un fait ou une circonstance non prouvés ne peuvent pas – sauf dans la procédure d’estimation – être appréciés en défaveur du contribuable. »

20      L’article 170, paragraphe 1, dudit code prévoit :

« En cas d’insuffisance de paiement de l’imposition, il y a lieu au paiement d’une amende fiscale. Le montant de l’amende s’élève, sauf disposition contraire de la présente loi, à 50 % du montant impayé. Le montant de l’amende s’élèvera à 200 % du montant impayé si la différence par rapport au montant à payer est liée à la dissimulation de revenus, ou à la falsification ou à la destruction d’éléments de preuve, de livres comptables ou d’enregistrements. Une amende fiscale est également infligée par les autorités fiscales lorsque le contribuable présente sans y avoir droit une demande d’aide ou de remboursement d’impôt ou une déclaration relative à un avoir, une aide ou un remboursement et que l’administration a constaté l’absence de droit en ce sens du contribuable avant l’allocation. L’assiette de l’amende est égale en ce cas au montant indûment réclamé. »

21      L’article 171, paragraphes 1 et 2, du même code est ainsi libellé :

« 1.      Le taux de l’amende peut être réduit, voire l’amende remise, soit d’office, soit sur demande, en cas de circonstances méritant d’être considérées comme exceptionnelles et permettant de conclure que l’assujetti, ou son représentant, son employé, son membre ou son mandataire à l’origine de la dette fiscale, a agi avec le discernement qui pouvait être attendu de lui dans la situation donnée. Il convient de fixer la réduction de l’amende en appréciant toutes les circonstances du cas de figure, notamment l’ampleur de la dette fiscale, les circonstances de sa naissance, la gravité et la fréquence du comportement illicite de l’assujetti (action ou omission).

2.      Il n’y a pas lieu de réduire l’amende, ni d’office ni sur demande, quand la dette fiscale est liée à la dissimulation de recettes, à la falsification ou à la destruction de pièces justificatives, de comptes ou de registres.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

22      Vikingo, dont l’activité principale est le commerce de gros de confiseries et de bonbons, a conclu, le 20 mars 2012, avec Freest Kft., un contrat portant sur la livraison de dix machines d’emballage et d’une machine de remplissage devant être effectuée avant le 20 décembre 2012. Ce contrat prévoyait la possibilité d’avoir recours à des sous-traitants. Le 21 mai 2012, Vikingo a conclu un nouveau contrat avec Freest ayant pour objet la fourniture de six machines d’emballage et d’une machine à ensacher devant être livrées le 30 mars 2013. Ces machines, selon les stipulations des deux contrats, étaient acquises par Freest auprès d’une autre société qui les avait elle-même achetées à une autre société. Vikingo a exercé le droit à déduction de la TVA acquittée en amont au titre des deux factures émises par Freest.

23      À la suite d’un contrôle a posteriori des déclarations de TVA, l’autorité fiscale du premier degré a procédé à un redressement d’un montant de 8 020 000 forints hongrois (HUF) (environ 23 290 euros) pour les deuxième et quatrième trimestres de l’année 2012 et de 13 257 000 HUF (environ 38 844 euros) pour le premier trimestre de l’année 2013, une partie de ces sommes correspondant au montant de la TVA récupérée illégalement et l’autre à un montant de TVA impayé. Cette autorité a, en outre, infligé à Vikingo une amende fiscale et appliqué une pénalité de retard.

24      À l’appui de ses décisions, cette autorité fiscale a considéré, en se fondant sur des constatations effectuées lors de contrôles connexes ainsi que sur les déclarations des gérants des sociétés impliquées dans la chaîne de livraisons, que les machines avaient été acquises en réalité auprès d’une personne inconnue, de sorte que ces opérations ne s’étaient réalisées ni entre les personnes identifiées sur les factures ni de la manière indiquée sur celles-ci.

25      L’autorité fiscale du second degré a confirmé l’une de ces décisions et réformé l’autre en modifiant le montant de la TVA impayé ainsi que les montants de l’amende fiscale et des intérêts de retard.

26      Vikingo a formé des recours contre ces décisions devant la juridiction de renvoi qui, par deux jugements, a réformé celles-ci. Cette juridiction a notamment relevé, en ce qui concerne le droit à déduction, que Vikingo avait présenté les factures en cause ainsi que les documents attestant de leur établissement et de leur paiement, et considéré comme un fait non contesté la livraison des machines faisant l’objet des deux contrats. Elle a, par ailleurs, estimé que l’administration fiscale s’était fondée sur des éléments non pertinents tels que, notamment, l’absence de moyens matériels et humains des entreprises situées en amont dans la chaîne de livraisons et la défaillance des souvenirs des gérants interrogés quant aux opérations en cause.

27      La Kúria (Cour suprême, Hongrie) a annulé ces deux jugements et renvoyé les affaires devant la juridiction de renvoi. Elle a considéré que l’administration fiscale devait, en examinant la réalité de chaque contrat et l’éventuelle intention d’éluder la taxe, effectuer un examen de l’ensemble de la chaîne de livraisons et de l’influence des éléments de celle-ci les uns sur les autres. Elle a estimé que cette administration avait ainsi correctement agi en recueillant les preuves concernant tous les acteurs de cette chaîne et que la juridiction de première instance avait effectué une mauvaise interprétation de l’article 127, paragraphe 1, de la loi sur la comptabilité et de la jurisprudence de la Cour en s’attachant à l’existence d’une facture correcte, alors que le droit à déduction suppose qu’il existe une véritable opération économique.

28      La juridiction de renvoi expose que, bien qu’il soit établi que les machines faisant l’objet des contrats en cause ont été mises en service dans l’établissement de Vikingo, l’administration fiscale a estimé que les factures correspondantes, non critiquées quant à leur forme, et les autres documents produits ne prouvaient pas que les opérations économiques mentionnées sur ces factures s’étaient réalisées, puisque le contenu de celles-ci a été réfuté par des déclarations, concernant la livraison et l’origine des machines, de l’émetteur des factures et des gérants des entreprises se trouvant en amont de celui-ci dans la chaîne, de sorte que lesdites factures n’étaient pas dignes de foi quant à leur contenu, en dépit du fait que chacun des gérants a admis que la livraison et la mise en service des machines avaient bien eu lieu. En outre, en ce qui concerne les mesures devant raisonnablement être exigées de la part de l’acquéreur, l’administration fiscale n’a pas jugé suffisant le fait que Vikingo avait consulté, avant de conclure les contrats, l’extrait du registre des sociétés concernant son cocontractant et demandé un spécimen de signature, ni le fait que le gérant de Freest s’était rendu dans l’établissement.

29      Elle expose que les circonstances factuelles de l’affaire au principal sont analogues à celles des affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373), ainsi qu’aux ordonnances du 16 mai 2013, Hardimpex (C-444/12, non publiée, EU:C:2013:318), et du 10 novembre 2016, Signum Alfa Sped (C-446/15, non publiée, EU:C:2016:869). Malgré les réponses données par la Cour dans cet arrêt et ces ordonnances, il demeurerait des contradictions dans l’interprétation du droit effectuée par l’administration fiscale et les juridictions nationales. L’administration fiscale continuerait à refuser le droit à déduction au motif que le contenu des factures n’est pas digne de foi et en considérant automatiquement ce fait comme une fraude que l’assujetti devait nécessairement connaître.

30      La juridiction de renvoi indique également que la Kúria (Cour suprême), dans les ordonnances renvoyant les affaires devant elle, a considéré que l’ordonnance du 10 novembre 2016, Signum Alfa Sped (C-446/15, non publiée, EU:C:2016:869), sur laquelle elle s’était fondée dans les jugements annulés, ne modifiait pas les critères de la procédure à suivre pour l’appréciation du droit à déduction et lui a donné instruction, conformément aux règles de procédure civile applicables, de respecter les critères élaborés par elle dans un avis du 26 septembre 2016 en ce qui concerne tant l’établissement des faits objectifs qui sont pertinents pour reconnaître un droit à déduction que l’appréciation des éléments de preuve, en exigeant qu’elle se conforme aux règles relatives aux chaînes de livraisons et aux dispositions de la loi sur la comptabilité. Selon les instructions données par la Kúria (Cour suprême), l’administration fiscale aurait agi correctement en recueillant des preuves concernant tous les acteurs de cette chaîne et aurait examiné, dans le respect de ces règles et de cette loi, le point de savoir si Vikingo savait qu’elle participait à une fraude fiscale.

31      Ainsi se pose selon elle à nouveau la question de savoir si la pratique de l’administration fiscale et l’interprétation donnée par la Kúria (Cour suprême) dans son avis sont contraires à l’objectif du droit à déduction prévu à l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 et si cette interprétation est conforme à l’article 178, sous a), de cette directive ainsi qu’aux principes de neutralité fiscale et d’effectivité.

32      La juridiction de renvoi s’interroge, en particulier, sur la conformité, avec les articles 220 et 226 de la directive 2006/112, de la pratique de l’administration fiscale consistant à soumettre le droit à déduction aux conditions que la facture établisse la réalisation de l’opération et que les dispositions de la loi sur la comptabilité soient respectées, et à considérer qu’une facture régulière en la forme n’est pas suffisante.

33      Elle s’interroge également sur la conformité de cette pratique avec les principes de neutralité, d’effectivité et de proportionnalité ainsi qu’avec la jurisprudence de la Cour, en ce qui concerne les exigences relatives aux faits qui doivent être établis et les preuves qui doivent être rapportées. Tout en admettant qu’une fraude peut supposer un examen des faits pertinents concernant les participants à la chaîne se trouvant en amont de l’assujetti, elle éprouve des doutes quant à la pratique de l’administration fiscale consistant à reconstituer toute la chaîne d’opérations et à considérer, si elle estime que celle-ci n’est pas rationnelle sur le plan économique ou si une opération n’est pas justifiée ou dûment établie, qu’il existe une irrégularité devant conduire à un refus du droit à déduction, indépendamment du point de savoir si l’assujetti avait ou devait avoir connaissance de cette circonstance.

34      Par ailleurs, la juridiction de renvoi se demande si le principe de proportionnalité doit être interprété en ce sens que, lorsque le droit à déduction est refusé, l’imposition d’une amende fiscale fixée à 200 % du montant de l’écart de TVA est, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, proportionnée.

35      Enfin, elle s’interroge, au regard d’une pratique juridictionnelle nationale qui lui paraît ne pas observer les objectifs visés par la directive 2006/112, sur l’efficacité des voies de recours, en faisant observer qu’il ne lui est pas possible de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle dans toutes les affaires.

36      C’est dans ces conditions que le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’interprétation et la pratique nationales en cause sont-elles conformes aux articles 168, sous a), et 178, sous a), de la directive 2006/112 [...] – tels qu’interprétés conjointement avec les articles 220, [point 1)], et 226 de la même directive – ainsi qu’au principe d’effectivité, dans la mesure où, selon elles – lorsque les conditions juridiques matérielles de la déduction de la TVA sont remplies –, la simple possession d’une facture contenant les mentions imposées par l’article 226 de la directive 2006/112 n’est pas suffisante, l’assujetti devant également, pour pouvoir exercer son droit à déduction sur la base de ladite facture, disposer de preuves documentaires supplémentaires, lesquelles doivent respecter non seulement les exigences de la directive 2006/112, mais aussi les principes fondamentaux de la législation nationale en matière de comptabilité et les règles spécifiques régissant les pièces justificatives, et dans la mesure où elles exigent aussi que toutes les entreprises participant à la chaîne d’opérations se souviennent de tous les détails de l’opération économique indiquée sur ces pièces justificatives et fassent à ce sujet des déclarations concordantes ?

2)      L’interprétation et la pratique nationales en cause sont-elles conformes aux dispositions de la directive 2006/112 relatives au droit à déduction de la TVA ainsi qu’aux principes de neutralité fiscale et d’effectivité dans la mesure où, dans le cas d’opérations en chaîne – et indépendamment de toutes les autres circonstances –, elles obligent, en raison de cette seule caractéristique desdites opérations, tous les participants à la chaîne à examiner les éléments de l’opération économique qu’ils effectuent et à en tirer des conclusions en ce qui concerne tout assujetti placé à un autre niveau de la chaîne, et où elles refusent, en outre, à l’assujetti le droit de déduire la taxe lorsque la mise sur pied de la chaîne, bien que n’étant pas interdite par la loi nationale, n’était pas raisonnablement justifiable sur le plan économique ? À cet égard, en cas d’opérations en chaîne, faut-il, lors de l’examen des circonstances objectives propres à justifier le refus du droit à déduction, lors de la détermination du caractère pertinent et de la force probante des pièces invoquées à l’appui de ce droit et lors de l’appréciation de celles-ci, uniquement appliquer, en tant que règles matérielles déterminant les faits pertinents pour la définition du cadre factuel, les seules dispositions de la directive 2006/112 et de la législation nationale relatives au droit à déduction de la taxe, ou les dispositions de l’État membre concerné relatives à la comptabilité sont-elles aussi applicables, en tant que règles spécifiques ?

3)      L’interprétation et la pratique nationales en cause sont-elles conformes aux dispositions de la directive 2006/112 relatives au droit à déduction de la TVA ainsi qu’aux principes de neutralité fiscale et d’effectivité dans la mesure où elles justifient le refus du droit à déduction d’un assujetti se servant du bien en question pour ses opérations taxées dans l’État membre où il effectue lesdites opérations, et disposant d’une facture telle que visée par la directive 2006/112, par la considération que les éléments de l’opération effectuée par les participants à la chaîne ne sont pas connus de l’assujetti dans leur totalité, ainsi que par des circonstances qui sont survenues chez des participants à la chaîne se trouvant en amont par rapport à l’émetteur de la facture et sur lesquelles l’assujetti n’a pu avoir aucune influence, puisqu’elles étaient indépendantes de sa volonté, et dans la mesure où, sur le plan des mesures raisonnables incombant à l’assujetti, elles imposent à celui-ci, comme condition du droit à déduction, une obligation de vérification à caractère général non seulement avant la conclusion du contrat mais aussi au cours de l’opération, pendant l’exécution du contrat et même après ? À cet égard, l’assujetti a-t-il l’obligation de ne pas exercer son droit à déduction de la taxe si, postérieurement à la conclusion du contrat – que ce soit lors de l’exécution de celui-ci ou après cette exécution –, il constate, dans n’importe quel élément constitutif de l’opération économique indiquée sur la facture, une irrégularité qui, selon la pratique de l’administration fiscale, a pour conséquence le rejet du droit à déduction, ou si une telle circonstance arrive à sa connaissance ?

4)      Compte tenu des dispositions de la directive 2006/112 relatives à la déduction de la TVA et du principe d’effectivité, l’administration fiscale est-elle tenue de préciser en quoi consiste la fraude fiscale, et agit-elle correctement lorsqu’elle considère comme preuves d’une fraude fiscale des défaillances et irrégularités découvertes chez les participants à la chaîne, mais qui n’ont rien à voir avec le droit à déduction, en faisant valoir que, puisque celles-ci ont pour conséquence de rendre le contenu de la facture indigne de foi, l’assujetti connaissait ou aurait dû connaître l’existence de la fraude ? Si la fraude fiscale est avérée, ce fait justifie-t-il l’obligation faite à l’assujetti d’effectuer les vérifications dans la mesure, la profondeur et l’étendue indiquées ci-dessus, ou bien cette obligation dépasse-t-elle les exigences du principe d’effectivité ?

5)      L’obligation de verser une amende fiscale fixée à 200 % du montant de l’écart de TVA, qui accompagne le refus du droit à déduction de la taxe, est-elle une sanction proportionnée sachant que le Trésor public n’a pas subi de perte de recettes fiscales directement en rapport avec le droit à déduction de l’assujetti ? Est-il possible de conclure à l’existence de l’une des conditions factuelles d’application de l’article 170, paragraphe 1, troisième phrase, [du code de procédure fiscale] si la partie requérante a mis à la disposition de l’administration fiscale tous les documents en sa possession et a inclus dans sa déclaration de TVA les factures qu’elle a établies ?

6)      Si les réponses apportées aux questions posées permettent de conclure que l’interprétation du droit suivie au niveau national à la suite de l’ordonnance du 10 novembre 2016, Signum Alfa Sped (C-446/15, non publiée, EU:C:2016:869), et la pratique qui s’est développée sur cette base ne sont pas conformes aux dispositions de la directive 2006/112 relatives au droit de déduire la TVA, le droit des assujettis d’introduire une action en indemnisation peut-il, sachant que la juridiction de première instance ne peut pas engager une procédure préjudicielle devant la Cour de justice dans chaque cas d’espèce, être considéré, au regard de l’article 47 de la [Charte], comme garantissant le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial consacré par cette disposition, et peut-on, à cet égard, interpréter le choix de la forme de la décision rendue dans l’affaire Signum Alfa Sped, [ordonnance du 10 novembre 2016, C-446/15, non publiée, EU:C:2016:869] en ce sens que la question avait déjà été réglée par le droit de l’Union et que, la jurisprudence de la Cour de justice ayant apporté des clarifications à son propos, la solution allait de soi, ou ce choix signifie-t-il, sachant que l’affaire a été renvoyée au fond pour un nouvel examen, que la question n’a pas été entièrement éclaircie, de sorte qu’une obligation existe d’introduire une demande de décision préjudicielle ? »

 Sur les questions préjudicielles

37      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

38      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 Sur les première à quatrième questions

39      Par ses première à quatrième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2006/112, lue conjointement avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une pratique nationale par laquelle l’administration fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire la TVA acquittée pour des acquisitions de biens qui lui ont été livrés au motif qu’il ne peut être prêté foi aux factures afférentes à ces acquisitions dès lors que, premièrement, la fabrication de ces biens et leur livraison n’ont pu, faute de moyens matériels et humains nécessaires, être effectuées par l’émetteur de ces factures et lesdits biens ont donc été acquis en réalité auprès d’une personne non identifiée, deuxièmement, les règles nationales de comptabilité n’ont pas été respectées, troisièmement, la chaîne de livraisons ayant conduit auxdites acquisitions n’était pas économiquement justifiée et, quatrièmement, des irrégularités ont entaché certaines opérations antérieures faisant partie de cette chaîne de livraisons.

40      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA. Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112 fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité dès lors que les exigences ou les conditions tant matérielles que formelles auxquelles ce droit est subordonné sont respectées par les assujettis souhaitant l’exercer (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, points 37 et 38 ; du 3 octobre 2019, Altic, C-329/18, EU:C:2019:831, point 27, ainsi que du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C-189/18, EU:C:2019:861, point 33).

41      Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 39, ainsi que du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, point 37).

42      La question de savoir si la TVA, due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés, a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont. En effet, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (arrêts du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, EU:C:2006:446, point 49, et du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 40, ainsi que ordonnance du 10 novembre 2016, Signum Alfa Sped, C-446/15, non publiée, EU:C:2016:869, point 32).

43      Le droit à déduction de la TVA est néanmoins subordonné au respect d’exigences ou de conditions tant matérielles que formelles. S’agissant des exigences ou des conditions matérielles, il ressort de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 que, pour pouvoir bénéficier dudit droit, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un « assujetti », au sens de ladite directive, et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder le droit à déduction de la TVA soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti. Quant aux modalités d’exercice du droit à déduction de la TVA, qui s’assimilent à des exigences ou à des conditions de nature formelle, l’article 178, sous a), de la directive TVA prévoit que l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238 à 240 de celle-ci (arrêt du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens, C-8/17, EU:C:2018:249, points 30 à 32 ainsi que jurisprudence citée).

44      En outre, conformément à l’article 273, premier alinéa, de la directive 2006/112, les États membres peuvent prévoir d’autres obligations que celles prévues par cette directive lorsqu’ils jugeraient ces obligations nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude. Cependant, les mesures adoptées par les États membres ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent dès lors être utilisées de manière telle qu’elles remettraient systématiquement en cause le droit à déduction de la TVA et, partant, la neutralité de la TVA (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, points 49 et 50 ainsi que jurisprudence citée).

45      En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que, bien que ces conditions soient réunies dans l’affaire au principal, le bénéfice du droit à déduction a été refusé à Vikingo, en application, notamment, des règles de la loi sur la comptabilité, desquelles il découle que la facture doit établir la réalisation de l’opération et donc se rapporter à une opération économique réelle. Or, l’administration fiscale aurait considéré que les biens en cause n’ont été ni fabriqués ni livrés par Freest, l’émettrice des factures, ni par le sous-traitant de celle-ci, ces entreprises n’ayant pas les moyens humains et matériels nécessaires, et que ces biens ont donc été acquis en réalité auprès d’une personne non identifiée. Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi s’interroge sur la possibilité de soumettre ce droit à des exigences de preuve allant au-delà des formalités imposées par la directive 2006/112.

46      À cet égard, il convient de relever que les conditions matérielles auxquelles est subordonné le droit à déduction ne sont réunies que si la livraison de biens ou la prestation de services à laquelle se rapporte la facture a été effectivement réalisée. La Cour a déjà jugé que la vérification de l’existence de l’opération imposable doit être effectuée conformément aux règles de preuve du droit national, en procédant à une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 6 décembre 2012, Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, points 31 et 32, ainsi que du 31 janvier 2013, Stroy trans, C-642/11, EU:C:2013:54, point 45). L’application de règles telles que celle édictée par l’article 15, paragraphe 3, de la loi sur la comptabilité pour vérifier, dans l’affaire au principal, si les factures se rapportent bien à des opérations économiques réelles est donc conforme à la directive 2006/112.

47      Cependant, le fait que, dans l’affaire au principal, les biens concernés n’ont pas été fabriqués ni livrés par l’émetteur des factures ni par le sous-traitant de celui-ci, notamment parce que ces derniers ne disposeraient pas des moyens humains et matériels nécessaires, n’est pas suffisant pour conclure à l’inexistence des livraisons de biens en cause et à exclure le droit à déduction dont s’est prévalu Vikingo, ce fait pouvant être la conséquence tant d’une dissimulation frauduleuse des fournisseurs que du simple recours à des sous-traitants (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2012, Tóth, C-324/11, EU:C:2012:549, point 49, et du 13 février 2014, Maks Pen, C-18/13, EU:C:2014:69, point 31).

48      En outre, il est de jurisprudence constante que la notion de « livraison de biens », visée à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112, ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais qu’elle inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer comme si elle était propriétaire de ce bien. De même, la Cour a jugé que cette notion a un caractère objectif et qu’elle s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées. Il en résulte que les opérations en cause au principal constituent des livraisons de biens au sens de l’article susmentionné, quand bien même les biens en cause n’ont été ni fabriqués ni livrés par l’émetteur des factures et la personne auprès de laquelle ces biens auraient effectivement été acquis n’a pas été identifiée, si elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels est fondée ladite notion et si elles ne sont pas entachées de fraude à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Dixons Retail, C-494/12, EU:C:2013:758, points 20 à 22, ainsi que, par analogie, arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C-653/18, EU:C:2019:876, points 22 et 23).

49      Il s’ensuit que, si, comme l’indique la juridiction de renvoi, les livraisons de biens en cause au principal ont réellement été effectuées et que ces biens ont été utilisés en aval par Vikingo pour les besoins de ses opérations taxées, le bénéfice du droit à déduction ne saurait, en principe, lui être refusé (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, point 33, et ordonnance du 16 mai 2013, Hardimpex, C-444/12, non publiée, EU:C:2013:318, point 22).

50      Cela étant, il importe de rappeler que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive 2006/112 et que la Cour a itérativement jugé que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union. Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (voir, en ce sens, arrêts du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, EU:C:2006:446, points 54 et 55, ainsi que du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C-189/18, EU:C:2019:861, point 34 et jurisprudence citée).

51      Si tel est le cas lorsqu’une fraude est commise par l’assujetti lui-même, il en est également ainsi lorsqu’un assujetti savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, EU:C:2006:446, point 56 ; du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 46, ainsi que du 6 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C-189/18, EU:C:2019:861, point 35).

52      En revanche, il n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par la directive 2006/112 de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas ou n’aurait pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne des livraisons, antérieurement ou postérieurement à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA. En effet, l’instauration d’un système de responsabilité sans faute irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits du Trésor public (voir, notamment, arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, EU:C:2006:16, points 52 et 55 ; du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, points 47 et 48, ainsi que du 6 décembre 2012, Bonik, C-285/11, EU:C:2012:774, points 41 et 42).

53      Lorsque l’assujetti n’est pas lui-même l’auteur de la fraude à la TVA, le bénéfice du droit à déduction ne saurait lui être refusé que s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, qu’il savait ou aurait dû savoir que, par l’acquisition des biens ou des services servant de base pour fonder le droit à déduction, il participait à une opération impliquée dans une telle fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la chaîne des livraisons ou des prestations (voir, en ce sens, arrêt 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C-189/18, EU:C:2019:861, point 35 et jurisprudence citée).

54      À cet égard, s’agissant du niveau de diligence requis de l’assujetti souhaitant exercer son droit à déduction, la Cour a déjà jugé à plusieurs reprises qu’il n’est pas contraire au droit de l’Union d’exiger qu’un opérateur prenne toute mesure pouvant raisonnablement être requise de lui pour s’assurer que l’opération qu’il effectue ne le conduit pas à participer à une fraude fiscale. La détermination des mesures pouvant, dans un cas d’espèce, raisonnablement être exigées d’un assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA pour s’assurer que ses opérations ne sont pas impliquées dans une fraude commise par un opérateur en amont dépend essentiellement des circonstances du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, points 54 et 59, ainsi que du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, point 52).

55      Certes, lorsqu’il existe des indices permettant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude, un opérateur avisé pourrait, selon les circonstances de l’espèce, se voir obligé de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d’acheter des biens ou des services afin de s’assurer de la fiabilité de celui-ci (arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 60).

56      Toutefois, l’administration fiscale ne saurait imposer à l’assujetti d’entreprendre des vérifications complexes et approfondies relatives à son fournisseur, en transférant de fait sur lui les actes de contrôle incombant à cette administration (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C-101/16, EU:C:2017:775, point 51). En particulier, la Cour a déjà jugé que cette dernière ne peut exiger de manière générale de l’assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA, d’une part, de vérifier que l’émetteur de la facture afférente aux biens et aux services au titre desquels l’exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d’assujetti, qu’il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu’il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’irrégularité ou de fraude au niveau des opérations en amont, ou, d’autre part, de disposer de documents à cet égard (arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 61).

57      En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, le refus du droit à déduction étant une exception à l’application du principe fondamental que constitue ce droit, il incombe aux autorités fiscales d’établir à suffisance de droit les éléments objectifs permettant de conclure que l’assujetti a commis une fraude ou savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Il appartient ensuite aux juridictions nationales de vérifier que les autorités fiscales concernées ont établi l’existence de tels éléments objectifs (voir, en ce sens, arrêts du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens, C-8/17, EU:C:2018:249, point 39, ainsi que du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C-189/18, EU:C:2019:861, point 36 et jurisprudence citée).

58      Ainsi, si l’administration fiscale déduit de l’existence de fraudes ou d’irrégularités commises par l’émetteur des factures ou d’autres opérateurs en amont dans la chaîne de livraisons que les opérations facturées et invoquées pour fonder le droit à déduction n’ont pas été réalisées effectivement, cette administration doit, pour que le droit à déduction puisse être refusé, établir, au vu d’éléments objectifs et sans exiger du destinataire des factures des vérifications qui ne lui incombent pas, que ce destinataire savait ou aurait dû savoir que ces opérations étaient impliquées dans une fraude à la TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (voir, en ce sens, ordonnance du 10 novembre 2016, Signum Alfa Sped, C-446/15, non publiée, EU:C:2016:869, point 39 et jurisprudence citée).

59      Le droit de l’Union ne prévoyant pas de règles relatives aux modalités de l’administration des preuves en matière de fraude à la TVA, ces éléments objectifs doivent être établis par l’administration fiscale conformément aux règles de preuve prévues par le droit national. Cependant, ces règles ne doivent pas porter atteinte à l’efficacité du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C-419/14, EU:C:2015:832, point 65, et du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C-189/18, EU:C:2019:861, point 37).

60      S’agissant de l’affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi que, pour refuser à Vikingo le bénéfice du droit à déduction, l’administration fiscale a, outre les faits mentionnés au point 45 de la présente ordonnance, également retenu que les opérations en cause avaient pour objectifs de fournir une preuve de l’origine des machines acquises, de provenance inconnue, figurant sur les factures, de permettre au sous-traitant de l’émetteur des factures d’échapper au paiement de la TVA et de créer des droits à déduction au profit de Vikingo, tandis que la TVA n’était pas payée par ce sous-traitant.

61      La juridiction de renvoi expose que, en cas d’opérations en chaîne, il y a lieu, selon la jurisprudence de la Kúria (Cour suprême), de procéder à un examen de l’ensemble de cette chaîne et des actes juridiques accomplis entre les participants de celle-ci, et de vérifier si la constitution de ladite chaîne est raisonnablement justifiable. Le bénéfice du droit à déduction pourrait être refusé lorsque la création de la chaîne est irrationnelle sur le plan économique ou non raisonnablement justifiée, ou encore si n’importe quel élément de l’opération économique entre les participants n’est pas justifié par l’assujetti ou n’est pas vérifiable. Par ailleurs, la pratique de l’administration fiscale, fondée sur un avis et la jurisprudence de cette juridiction consisterait notamment, en prenant principalement en considération les modalités de réalisation de l’opération économique, à distinguer entre les opérations en cause selon qu’elles ont été réalisées ou non entre les parties mentionnées sur la facture. Il y aurait lieu de considérer que l’opération économique n’a pas été réalisée entre ces parties lorsque cette dernière est affectée d’un vice ou d’un défaut quelconque, en particulier lorsque l’assujetti n’a pas eu connaissance ou ne dispose d’aucune preuve de l’activité économique des opérateurs se trouvant en amont de la chaîne. Dans ce cas, l’examen du point de savoir si le destinataire de la facture avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la fraude serait une possibilité, mais non une obligation.

62      Or, il convient de faire observer, en premier lieu, que, ainsi qu’il a été rappelé aux points 41 et 42 de la présente ordonnance, le droit à déduction de la TVA s’applique quels que soient le but et le résultat de l’activité économique en cause et le fait que la TVA due sur des opérations antérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur ce droit. En outre, selon la jurisprudence de la Cour, les assujettis sont généralement libres de choisir les structures organisationnelles ou les modalités transactionnelles qu’ils estiment les plus appropriées pour leurs activités économiques et pour limiter leurs charges fiscales (arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C-419/14, EU:C:2015:832, point 42 et jurisprudence citée). Le principe d’interdiction des pratiques abusives, qui s’applique au domaine de la TVA, prohibe seulement les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, effectués à la seule fin d’obtenir un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire aux objectifs de la directive 2006/112 (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C-419/14, EU:C:2015:832, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).

63      Il s’ensuit que, si, comme l’indique la juridiction de renvoi, l’existence des livraisons de biens dans l’affaire au principal est établie, le fait que la chaîne d’opérations ayant abouti à ces livraisons apparaît irrationnelle sur le plan économique ou non raisonnablement justifiée, de même que le fait qu’un des participants à cette chaîne n’a pas accompli ses obligations fiscales ne sauraient être considérés comme étant en eux-mêmes constitutifs d’une fraude.

64      En second lieu, un régime de preuve tel que celui décrit au point 61 de la présente ordonnance, qui conduit à refuser à l’assujetti le bénéfice du droit à déduction lorsque celui-ci, notamment, ne fournit pas d’éléments justifiant de l’ensemble des opérations réalisées par tous les participants à cette chaîne ainsi que de l’activité économique de ces participants, en lui imputant, le cas échéant, le fait que ces éléments ne sont pas vérifiables, est contraire à la jurisprudence rappelée aux points 50 à 58 de la présente ordonnance, de laquelle il découle que c’est à l’administration fiscale qu’il incombe d’établir à suffisance de droit, dans chaque cas d’espèce, au vu d’éléments objectifs, la preuve de l’existence d’une fraude commise par l’assujetti ou la preuve de ce que l’assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par l’émetteur de la facture ou un autre opérateur intervenant en amont dans la chaîne de livraisons ou de prestations.

65      Si les faits décrits aux points 45 et 60 de la présente ordonnance peuvent, certes, contenir des indices de ce que l’assujetti a participé activement à une fraude ou de ce qu’il savait ou aurait dû savoir que les opérations concernées étaient impliquées dans une fraude commise par l’émetteur des factures, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si une telle preuve est rapportée, en effectuant, conformément aux règles de preuve du droit national, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait de l’affaire au principal (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2014, Maks Pen, C-18/13, EU:C:2014:69, point 30, et ordonnance du 10 novembre 2016, Signum Alfa Sped, C-446/15, non publiée, EU:C:2016:869, point 36).

66      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux première à quatrième questions que la directive 2006/112, lue conjointement avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une pratique nationale par laquelle l’administration fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire la TVA acquittée pour des acquisitions de biens qui lui ont été livrés au motif qu’il ne peut être prêté foi aux factures afférentes à ces acquisitions dès lors que, premièrement, la fabrication de ces biens et leur livraison n’ont pu, faute de moyens matériels et humains nécessaires, être effectuées par l’émetteur de ces factures et lesdits biens ont donc été acquis en réalité auprès d’une personne non identifiée, deuxièmement, les règles nationales de comptabilité n’ont pas été respectées, troisièmement, la chaîne de livraisons ayant conduit auxdites acquisitions n’était pas économiquement justifiée et, quatrièmement, des irrégularités ont entaché certaines opérations antérieures faisant partie de cette chaîne de livraisons. Pour fonder un tel refus, il doit être établi à suffisance de droit que l’assujetti a participé activement à une fraude ou que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que lesdites opérations étaient impliquées dans une fraude commise par l’émetteur des factures ou tout autre opérateur intervenant en amont dans ladite chaîne de livraisons, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur la cinquième question

67      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de proportionnalité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une amende fiscale s’élevant au double du montant de la déduction de la TVA effectuée illégalement soit infligée à l’assujetti, alors que le Trésor public n’a pas subi de perte de recettes fiscales. Elle demande, en outre, s’il est possible de considérer que l’une des conditions factuelles d’application de l’article 170, paragraphe 1, troisième phrase, du code de procédure fiscale est remplie lorsque l’assujetti a mis à la disposition de l’administration fiscale tous les documents en sa possession et a inclus dans sa déclaration de TVA les factures qu’il a établies.

68      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, la Cour n’est pas compétente pour interpréter le droit national, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18, EU:C:2020:52, point 25 ainsi que jurisprudence citée]. La seconde partie de cette question, qui tend à l’interprétation du droit national, est dès lors irrecevable.

69      Concernant la première partie de ladite question, il importe de rappeler que, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence [arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny zastępowany przez Prokuraturę Krajową (Régime disciplinaire concernant les magistrats), C-558/18 et C-563/18, EU:C:2020:234, point 43 ainsi que jurisprudence citée]. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C-621/18, EU:C:2018:999, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

70      La procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est cependant non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige [arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny zastępowany przez Prokuraturę Krajową (Régime disciplinaire concernant les magistrats), C-558/18 et C-563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée].

71      En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’article 170, paragraphe 1, troisième phrase, du code de procédure fiscale, dont l’administration fiscale a fait application dans l’affaire au principal, prévoit une amende s’élevant à 200 % du montant impayé si la différence par rapport au montant à payer est liée à la dissimulation de revenus, ou à la falsification ou la destruction d’éléments de preuve, de livres comptables ou d’enregistrements. La question de la proportionnalité de cette sanction ne peut se poser que si les éléments constitutifs de cette disposition se sont réalisés et la situation examinée se trouve dans son champ d’application. Or, il ne ressort pas de la description de la situation présentée par la juridiction de renvoi que tel est le cas.

72      Dans ces conditions, la première partie de la cinquième question apparaît hypothétique et la réponse à celle-ci n’est pas nécessaire à la solution du litige au principal. Il s’ensuit qu’elle est également irrecevable.

 Sur la sixième question

73      Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit pour les assujettis d’introduire un recours en indemnisation doit être considéré comme garantissant le droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte, lorsque la jurisprudence de la juridiction nationale statuant en dernière instance est, de manière persistante, contraire à la directive 2006/112 telle qu’interprétée par la Cour, étant donné que les juridictions inférieures ne peuvent saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle dans toutes les affaires dont elles sont saisies.

74      À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que la question du droit à indemnisation du dommage causé par une inobservation du droit de l’Union est étrangère à l’objet du litige au principal. Ensuite, la juridiction de renvoi ne fait pas état d’une quelconque entrave faite au droit des justiciables de former un recours contre les décisions de l’administration fiscale devant les juridictions nationales. Enfin, elle n’allègue pas non plus que le droit national l’empêche de saisir la Cour d’une question préjudicielle si elle estime que la jurisprudence de la juridiction supérieure est contraire au droit de l’Union ou si elle a des doutes à cet égard, ni qu’elle soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit ou des instructions données par cette juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que ces appréciations ou ces instructions ne sont pas conformes au droit de l’Union.

75      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la juridiction qui ne statue pas en dernière instance doit être libre, si elle considère que l’appréciation en droit faite au degré supérieur pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de saisir la Cour des questions qui la préoccupent. Au demeurant, il convient de souligner que la faculté reconnue au juge national par l’article 267, deuxième alinéa, TFUE de solliciter une interprétation préjudicielle de la Cour avant de laisser, le cas échéant, inappliquées des instructions d’une juridiction supérieure qui s’avéreraient contraires au droit de l’Union ne saurait se transformer en une obligation (arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C-173/09, EU:C:2010:581, points 27 et 28).

76      Il s’ensuit que la sixième question, qui ne présente manifestement pas de lien avec l’objet et la réalité du litige au principal, est irrecevable au regard de la jurisprudence rappelée au point 69 de la présente ordonnance.

 Sur les dépens

77      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lue conjointement avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une pratique nationale par laquelle l’administration fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée pour des acquisitions de biens qui lui ont été livrés au motif qu’il ne peut être prêté foi aux factures afférentes à ces acquisitions dès lors que, premièrement, la fabrication de ces biens et leur livraison n’ont pu, faute de moyens matériels et humains nécessaires, être effectuées par l’émetteur de ces factures et lesdits biens ont donc été acquis en réalité auprès d’une personne non identifiée, deuxièmement, les règles nationales de comptabilité n’ont pas été respectées, troisièmement, la chaîne de livraisons ayant conduit auxdites acquisitions n’était pas économiquement justifiée et, quatrièmement, des irrégularités ont entaché certaines opérations antérieures faisant partie de cette chaîne de livraisons. Pour fonder un tel refus, il doit être établi à suffisance de droit que l’assujetti a participé activement à une fraude ou que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que lesdites opérations étaient impliquées dans une fraude commise par l’émetteur des factures ou tout autre opérateur intervenant en amont dans ladite chaîne de livraisons, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.