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 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

10 février 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 66, premier alinéa, sous b) – Exigibilité de la TVA – Encaissement du prix – Article 167 – Naissance et étendue du droit à déduction de la TVA payée en amont – Article 167 bis – Dérogation – Comptabilité de caisse – Location et sous-location d’un immeuble affecté à une exploitation industrielle ou commerciale »

Dans l’affaire C-9/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg, Allemagne), par décision du 10 décembre 2019, parvenue à la Cour le 10 janvier 2020, dans la procédure

Grundstücksgemeinschaft Kollaustraße 136

contre

Finanzamt Hamburg-Oberalster,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. I. Jarukaitis (rapporteur) et M. Ilešič, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Grundstücksgemeinschaft Kollaustraße 136, par M. M. Gerber, Steuerberater,

pour le gouvernement allemand, initialement par M. J. Möller et Mme S. Eisenberg, puis par M. J. Möller, en qualité d’agents,

pour le gouvernement suédois, par M. O. Simonsson ainsi que par Mmes C. Meyer-Seitz, M. Salborn Hodgson, H. Shev, H. Eklinder et R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, initialement par M. R. Pethke et Mme N. Gossement, puis par M. R. Pethke, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 167 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Grundstücksgemeinschaft Kollaustraße 136 (ci-après « Kollaustraße ») au Finanzamt Hamburg-Oberalster (administration fiscale de Hamburg-Oberalster, Allemagne) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de la détermination du moment où prend naissance le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 24 de la directive TVA énonce :

« Les notions de fait générateur et d’exigibilité de la taxe devraient être harmonisées pour que la mise en application et les modifications ultérieures du système commun de TVA prennent effet à la même date dans tous les États membres. »

4

Le considérant 4 de la directive 2010/45 prévoit :

« Pour aider les petites et moyennes entreprises qui éprouvent des difficultés à payer la TVA à l’autorité compétente avant d’avoir été payées par leurs clients, il convient de donner aux États membres la possibilité d’autoriser la comptabilisation de la TVA à l’aide d’un système de comptabilité de caisse qui, d’une part, permet au fournisseur ou au prestataire de payer la TVA à l’autorité compétente lorsqu’il reçoit le paiement correspondant à une livraison de biens ou une prestation de services et, d’autre part, établit son droit à déduction lors du paiement de la livraison ou de la prestation concernée. De cette manière, les États membres pourront introduire un régime facultatif de comptabilité de caisse qui n’aura pas d’incidence négative sur les flux de trésorerie liés à leurs recettes TVA. »

5

Le titre VI de la directive TVA, intitulé « Fait générateur et exigibilité de la taxe », comporte quatre chapitres. Sous le chapitre 2 de ce titre, intitulé « Livraisons de biens et prestations de services », l’article 63 de cette directive dispose :

« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »

6

L’article 66 de ladite directive précise :

« Par dérogation aux articles 63, 64 et 65, les États membres peuvent prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis à un des moments suivants :

[...]

b) au plus tard lors de l’encaissement du prix ;

[...] »

7

Le titre X de la directive TVA, intitulé « Déductions », comporte cinq chapitres. Sous le chapitre 1 de ce titre, intitulé « Naissance et étendue du droit à déduction », figurent notamment les articles 167, 167 bis et 168 de cette directive.

8

L’article 167 de la directive TVA dispose :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

9

Aux termes de l’article 167 bis de cette directive :

« Les États membres peuvent prévoir, dans le cadre d’un régime facultatif, que le droit à déduction des assujettis dont la TVA devient exigible uniquement conformément à l’article 66, [premier alinéa, sous b),] est reporté jusqu’à ce que la taxe sur les biens ou services qui lui sont fournis ait été payée au fournisseur de biens ou prestataire de services.

[...] »

10

L’article 168 de ladite directive énonce :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

11

Le chapitre 4 du titre X de la directive TVA, intitulé « Modalités d’exercice du droit à déduction », comprend notamment les articles 178 et 179 de cette directive.

12

L’article 178, sous a), de la directive TVA énonce :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)

pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 ».

13

Aux termes de l’article 179 de cette directive :

« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période.

[...] »

14

Le titre XI de ladite directive, intitulé « Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties », comporte huit chapitres, dont le chapitre 3, intitulé « Facturation ». Sous la section 4 de ce chapitre, intitulée « Contenu des factures », l’article 226 de la même directive précise :

« Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :

[...]

7 bis)

lorsque la TVA devient exigible à l’encaissement du prix conformément à l’article 66, [premier alinéa, sous b),] et que le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible, la mention “Comptabilité de caisse” ;

[...] »

Le droit allemand

15

L’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), du 21 février 2005 (BGBl. 2005 I, p. 386), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UStG »), dispose, à son article 13, intitulé « Exigibilité de la taxe » :

« (1)   La taxe devient exigible :

1. pour les livraisons et autres prestations :

a)

en cas de calcul de la taxe en fonction des contreparties convenues (article 16, paragraphe 1, première phrase), à l’expiration de l’exercice de déclaration provisoire au cours duquel les prestations ont été exécutées. Cela s’applique également aux prestations partielles. Il y a prestation partielle lorsque la contrepartie financière de certaines parties d’une prestation économiquement séparable est convenue séparément. Si la contrepartie financière, ou une partie de celle–ci, est encaissée avant que la prestation ou la prestation partielle ne soit exécutée, la taxe y afférente devient exigible à l’expiration de l’exercice de déclaration provisoire au cours duquel la contrepartie ou la contrepartie partielle a été encaissée,

b)

en cas de calcul de la taxe en fonction des contreparties financières encaissées (article 20), à l’expiration de l’exercice de déclaration provisoire au cours duquel ces contreparties ont été encaissées,

[...] »

16

L’article 15 de cette loi, intitulé « Déduction de la taxe payée en amont », prévoit :

« (1)   L’entrepreneur peut déduire les montants suivants au titre de la taxe payée en amont :

1.

la taxe légalement due au titre des livraisons et autres prestations effectuées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise. L’exercice du droit à déduction suppose que l’entrepreneur détienne une facture établie conformément aux articles 14 et 14a.

[...] »

17

L’article 16 de ladite loi, intitulé « Calcul de la taxe, exercice d’imposition et imposition à l’unité », énonce :

« (1)   La taxe est calculée en fonction des contreparties financières convenues, sauf si l’article 20 s’applique. L’exercice d’imposition est l’année civile. [...]

(2)   Les montants déductibles au titre de l’article 15, relevant de l’exercice d’imposition, seront déduits de la taxe calculée selon le paragraphe 1. »

18

L’article 20 de l’UStG, intitulé « Calcul de la taxe en fonction des contreparties financières encaissées », précise :

« L’administration fiscale peut, sur demande, autoriser un entrepreneur

1.

dont le chiffre d’affaires global (article 19, paragraphe 3) n’a pas dépassé 500000 euros au cours de l’année civile précédente, ou

2.

qui, en application de l’article 148 de l’Abgabenordnung (code fiscal), est dispensé de l’obligation de tenir des livres comptables et d’établir régulièrement des comptes sur la base d’inventaires annuels, ou

3.

dans la mesure où il effectue des opérations au titre d’une activité exercée en tant que membre d’une profession libérale, au sens de l’article 18, paragraphe 1, point 1, de l’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu),

à calculer la taxe non pas en fonction des contreparties financières convenues (article 16, paragraphe 1, première phrase), mais en fonction des contreparties financières encaissées.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19

Kollaustraße, une société civile, a mis en location un terrain à destination industrielle et commerciale dont elle était elle-même locataire.

20

Kollaustraße ainsi que son bailleur avaient valablement renoncé à l’exonération de ces opérations de location et, partant, opté pour leur assujettissement à la TVA. En vertu de l’article 20 de l’UStG, ils ont été autorisés par l’administration fiscale à calculer la TVA en fonction des contreparties financières encaissées, soit, en d’autres termes, selon la méthode de la comptabilité de caisse, et non en fonction des contreparties financières convenues. Du fait du contrat de bail, Kollaustraße disposait d’une facture permanente en bonne et due forme.

21

À partir de l’exercice 2004, Kollaustraße s’est vu accorder des sursis pour le paiement d’une partie des loyers. Ainsi, elle a procédé au paiement d’une partie de ses loyers des années 2009 à 2012 lors des exercices 2013 à 2016. Elle a également bénéficié d’une remise de dette de la part du bailleur durant l’année 2016.

22

Les paiements effectués incluaient tous 19 % de TVA et Kollaustraße a exercé son droit à déduction de la taxe payée en amont, indépendamment de la période de location à laquelle correspondaient les paiements, au cours de l’exercice de déclaration provisoire, ou de l’année civile, durant lequel le paiement était intervenu.

23

Lors d’un contrôle, l’administration fiscale a considéré que le droit à déduction de la taxe payée en amont avait pris naissance dès la réalisation de l’opération, en l’espèce la mise à disposition du terrain sur une base mensuelle, et qu’il aurait donc dû être invoqué pour les exercices correspondants.

24

En conséquence, des avis d’imposition ont été émis pour les exercices 2011 à 2015 ainsi qu’un avis provisoire d’imposition pour l’exercice 2016. Dans ces avis, la taxe à déduire a été calculée en fonction du loyer convenu chaque année, ce qui a généré un redressement fiscal d’un montant total de 18409,67 euros pour les exercices 2013 à 2016.

25

Il est précisé que les avis d’imposition pour les exercices antérieurs n’ont pas été modifiés, la liquidation de la taxe étant prescrite. La TVA qui avait été incluse dans les loyers payés au cours des années 2013 et 2014, correspondant aux périodes de location des années 2009 et 2010, n’a pas été portée au compte de Kollaustraße en tant que taxe d’amont, l’administration fiscale estimant que le droit à déduction aurait dû être invoqué pour les exercices 2009 et 2010.

26

Le 3 juillet 2017, Kollaustraße a introduit une réclamation contre les avis d’imposition émis pour les exercices 2013 à 2016, laquelle a été rejetée le 8 novembre 2017. Kollaustraße a alors formé un recours, le 28 novembre 2017, devant le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg, Allemagne), devant lequel elle a invoqué une violation de la directive TVA, en faisant valoir que, lorsque le fournisseur de biens ou le prestataire de services calcule la taxe dont il est redevable d’après les contreparties financières encaissées, le droit à déduction du bénéficiaire de la livraison ou de la prestation naît seulement au moment du paiement de la contrepartie financière.

27

Devant déterminer si, lorsque le fournisseur de biens ou le prestataire de services calcule la TVA d’après les contreparties financières encaissées, le droit à déduction de la TVA naît dès la réalisation de la livraison ou de la prestation ou seulement à l’encaissement de la contrepartie financière, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la réglementation allemande en vertu de laquelle le droit à déduction doit toujours être invoqué dès l’exécution de la livraison ou de la prestation.

28

Elle indique que, en vertu de la réglementation allemande, le droit à déduction prend naissance lors de la réalisation de la livraison de biens ou de la prestation de services et cela peu importe le moment où la taxe devient exigible auprès du fournisseur ou du prestataire et peu importe que la taxe soit calculée par le fournisseur ou le prestataire en fonction des contreparties financières convenues ou en fonction des contreparties financières encaissées. Elle indique, à cet égard, que le législateur allemand n’a pas fait usage de la faculté donnée aux États membres à l’article 167 bis de la directive TVA, de sorte que, en droit allemand, le droit à déduction du destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services prend naissance dès la réalisation de la livraison ou de la prestation même lorsque le fournisseur ou le prestataire est un assujetti imposé en fonction des contreparties financières encaissées.

29

La juridiction de renvoi éprouve cependant un doute quant à la compatibilité du droit allemand avec le droit de l’Union au regard de l’article 167 de la directive TVA, en vertu duquel le droit à déduction ne prend naissance qu’au moment où la taxe déductible devient exigible.

30

Il pourrait être considéré, selon elle, que le droit allemand est contraire à une application rigoureuse de cet article 167, dans la mesure où, alors que le législateur national a fait usage de la faculté donnée aux États membres de prévoir que la taxe ne devient exigible auprès de certains assujettis qu’à l’encaissement du prix, il prévoit que le droit à déduction de la taxe acquittée en amont, même dans ce cas, prend naissance dès que la livraison ou la prestation a été exécutée, rompant ainsi le lien entre l’exigibilité de la taxe et le droit à déduction.

31

La juridiction de renvoi considère qu’une telle application rigoureuse de l’article 167 de la directive TVA est soutenue par l’article 226, point 7 bis, de cette directive, qui n’a pas été transposé en droit interne. Elle indique que, malgré la non-transposition par la République fédérale d’Allemagne de cet article 226, point 7 bis, la doctrine soutient qu’il résulte de celui-ci que le rapport entre l’exigibilité de la taxe et le droit à déduction établi à l’article 167 de ladite directive est désormais impératif.

32

À l’inverse, il pourrait être considéré, selon elle, que le droit allemand est compatible avec le droit de l’Union si l’article 167 de la directive TVA n’énonce pas une règle impérative, mais comporte seulement une « idée directrice ». Une telle interprétation découlerait d’une déclaration du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne reprise dans un compte rendu de travaux préparatoires concernant l’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), dont le libellé a été repris à l’article 167 de la directive TVA. Selon cette déclaration les États membres pourraient déroger au principe prévu à cet article 17, paragraphe 1, lorsque le fournisseur de biens ou le prestataire de services est imposé selon les recettes qu’il a encaissées.

33

Dans l’éventualité où un État membre pourrait déroger à l’article 167 de la directive TVA, la juridiction de renvoi s’interroge également sur le point de savoir si l’assujetti peut, dans ces cas, en tout état de cause faire valoir le droit à déduction au cours de l’exercice d’imposition lors duquel le droit à déduction aurait pris naissance selon une application rigoureuse de cet article, lorsqu’il n’a plus la possibilité de l’invoquer pour l’exercice d’imposition antérieur qui est pertinent en vertu du droit national.

34

À cet égard, la juridiction de renvoi expose que, en vertu du droit allemand, un assujetti n’ayant pas procédé à la déduction de la taxe d’amont ne peut faire valoir son droit à déduction pour un exercice d’imposition ultérieur. Elle indique que, ainsi, le droit à déduction ne peut pas être exercé lorsque la taxe d’amont ne peut plus être invoquée de manière rétroactive en raison de l’expiration du délai de liquidation de la taxe, comme dans l’affaire dont elle est saisie. Cependant, elle estime que l’article 167 de la directive TVA pourrait imposer une appréciation différente dans un tel cas. En effet, eu égard à l’importance fondamentale du droit à déduction et afin de garantir la neutralité de la TVA, il pourrait s’avérer nécessaire, selon elle, de permettre à un assujetti de déduire la taxe d’amont au cours de la période d’imposition qui résulte de l’application de cet article même dans le cas où le droit national déroge à celui-ci.

35

Dans ces conditions, le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 167 de la directive [TVA] [...] s’oppose-t-il à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit à déduction de la taxe payée en amont prend naissance dès la réalisation de l’opération également dans le cas où, en vertu du droit national, la taxe ne devient exigible auprès du fournisseur ou du prestataire de services qu’à l’encaissement de la contrepartie financière et que celle-ci n’a pas encore été acquittée ?

2)

En cas de réponse négative à la première question : l’article 167 de la directive [TVA] [...] s’oppose-t-il à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit à déduction de la taxe payée en amont ne peut pas être invoqué pour l’exercice d’imposition au cours duquel la contrepartie financière a été acquittée, lorsque la taxe ne devient exigible auprès du fournisseur ou du prestataire de services qu’à l’encaissement de la contrepartie financière, que la prestation a déjà été fournie au cours d’un exercice d’imposition antérieur et que, en vertu du droit national, il n’est plus possible, pour des raisons de prescription, d’invoquer le droit à déduction pour cet exercice d’imposition antérieur ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

36

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 167 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que le droit à déduction de la taxe payée en amont prend naissance dès la réalisation de l’opération dans le cas où, en vertu d’une dérogation nationale au titre de l’article 66, premier alinéa, sous b), de cette directive, la taxe ne devient exigible auprès du fournisseur de biens ou du prestataire de services qu’à l’encaissement de la contrepartie financière et que celle-ci n’a pas encore été acquittée.

37

Cette juridiction précise que, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, point 1, première phrase, de l’UStG, le droit à déduction prend naissance lorsque la livraison de biens ou la prestation de services a été réalisée sans que soit pris en compte le moment où la taxe devient exigible auprès du fournisseur de biens ou du prestataire de services. Peu importe, en particulier, que ce fournisseur ou ce prestataire calcule la taxe, en application de l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de l’UStG, en fonction des contreparties financières convenues ou qu’il la calcule, en application de l’article 20 de l’UStG, en fonction des contreparties financières encaissées.

38

À titre liminaire, il convient d’aborder les interrogations de la juridiction de renvoi relatives à l’interprétation, découlant d’une déclaration du Conseil et de la Commission reprise dans un compte rendu de travaux préparatoires concernant l’article 17, paragraphe 1, de la directive 77/388, selon laquelle l’article 167 de la directive TVA énoncerait seulement une idée directrice et non une règle impérative. À cet égard, il importe de rappeler qu’une telle déclaration ne saurait être retenue pour l’interprétation d’une disposition du droit dérivé lorsque, comme dans l’affaire au principal, le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n’a, dès lors, pas de portée juridique (arrêt du 26 février 1991, Antonissen, C-292/89, EU:C:1991:80, point 18).

39

Selon une jurisprudence constante de la Cour, il convient, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 27 janvier 2021, De Ruiter, C-361/19, EU:C:2021:71, point 39 et jurisprudence citée).

40

S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 167 de la directive TVA, celui-ci est clair et sans ambiguïté, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 49 de ses conclusions. Cet article exprime une règle générale selon laquelle la naissance du droit à déduction de la TVA en amont, pour le destinataire de biens ou de services, est fixée au moment où la TVA correspondante devient exigible auprès du fournisseur de biens ou du prestataire de services.

41

S’agissant, en deuxième lieu, du contexte de cette disposition, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 63 de la directive TVA, le fait générateur de la taxe intervient et celle-ci devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.

42

Néanmoins, l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive TVA énonce que les États membres peuvent, par dérogation notamment à cet article 63, prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis au plus tard lors de l’encaissement du prix.

43

En tant qu’il constitue une dérogation à la règle énoncée à l’article 63 de la directive TVA, l’article 66 de celle-ci doit faire l’objet d’une interprétation stricte [arrêt du 16 mai 2013, TNT Express Worldwide (Poland), C-169/12, EU:C:2013:314, point 24 et jurisprudence citée].

44

Si le fait que le législateur de l’Union a largement étendu le champ des dérogations admissibles permet de supposer qu’il a entendu laisser aux États membres un large pouvoir d’appréciation, cela ne permet toutefois pas de considérer qu’un État membre dispose d’une marge d’appréciation pour déterminer un moment où la taxe devient exigible autre que l’un de ceux prévus à l’article 66, premier alinéa, sous a) à c), de la directive TVA [arrêt du 16 mai 2013, TNT Express Worldwide (Poland), C-169/12, EU:C:2013:314, point 25 et jurisprudence citée].

45

Or, afin de permettre une interprétation cohérente de l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive TVA avec l’article 167 de cette directive, qui prévoit que le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe devient exigible, il importe de conclure que, lorsque, en application de cet article 66, premier alinéa, sous b), la taxe devient exigible au plus tard lors de l’encaissement du prix, le droit à déduction prend également naissance au moment d’un tel encaissement du prix.

46

En troisième lieu, cette conclusion est corroborée par l’objectif poursuivi par la directive TVA. En effet, d’une part, il importe de relever que cette directive établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables. En particulier, le considérant 24 de ladite directive précise que les notions de « fait générateur » et d’« exigibilité de la taxe » devraient être harmonisées pour que la mise en application et les modifications ultérieures du système commun de TVA prennent effet à la même date. Ainsi, le législateur de l’Union a entendu harmoniser de façon maximale la date à laquelle naît l’obligation fiscale dans tous les États membres, afin de garantir un prélèvement uniforme de cette taxe (arrêt du 2 mai 2019, Budimex, C-224/18, EU:C:2019:347, points 21 et 22).

47

D’autre part, il convient de rappeler que le droit à déduction de la TVA constitue un principe fondamental du système commun de TVA, qui ne peut, en principe, être limité, et s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont par l’assujetti (arrêt du 21 novembre 2018, Vădan, C-664/16, EU:C:2018:933, point 37 et jurisprudence citée).

48

Ce régime vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition qu’elles soient elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 21 novembre 2018, Vădan, C-664/16, EU:C:2018:933, point 38 et jurisprudence citée).

49

Il y a lieu, à cet égard, de relever que la conclusion figurant au point 45 du présent arrêt permet une application conforme à ces principes dès lors que l’assujetti est en mesure d’obtenir le droit à déduction de la TVA d’amont dès le moment où la taxe devient exigible auprès du fournisseur de biens ou du prestataire de services.

50

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument avancé par le gouvernement allemand selon lequel, n’ayant pas fait usage de la faculté offerte à l’article 167 bis de la directive TVA, le droit à déduction prend naissance dès que la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée en vertu de l’articulation des articles 63 et 167 de cette directive et ce indépendamment du fait que la taxe devient exigible pour certains assujettis lors de l’encaissement du prix.

51

Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 51 de ses conclusions, si le législateur de l’Union avait voulu que le droit à déduction prenne invariablement naissance au moment de la livraison de biens ou de la prestation de services, il aurait pu rattacher la naissance du droit à déduction au fait générateur de la taxe, lequel n’est pas affecté par les règles spéciales contenues aux articles 64 à 67 de la directive TVA, plutôt qu’au moment où la TVA devient exigible, lequel est soumis à ces règles.

52

La conclusion figurant au point 45 du présent arrêt ne peut pas davantage être remise en cause par l’argument soulevé par le gouvernement allemand selon lequel l’article 167 bis de la directive TVA n’aurait pas de champ d’application autonome à côté de l’article 167 de cette directive, si le droit à déduction prenait naissance lors de l’encaissement du prix dans les cas relevant de l’article 66, premier alinéa, sous b), de ladite directive.

53

Il convient de rappeler que cet article 167 bis a été inséré dans la directive TVA dans le but de permettre aux États membres d’introduire une dérogation concernant la date à laquelle le droit à déduction peut être exercé pour les assujettis déclarant la TVA dans le cadre d’un régime facultatif de comptabilité de caisse destiné à simplifier le paiement de la taxe pour les petites entreprises [arrêt du 16 mai 2013, TNT Express Worldwide (Poland), C-169/12, EU:C:2013:314, point 34].

54

En effet, cet article 167 bis énonce que les États membres peuvent prévoir, dans le cadre d’un régime facultatif, que le droit à déduction des assujettis dont la TVA devient exigible uniquement conformément à l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive TVA est reporté jusqu’à ce que la taxe sur les biens ou services qui lui sont fournis ait été payée au fournisseur de biens ou au prestataire de services.

55

Ledit article 167 bis permet donc de retarder le droit à déduction des assujettis dont la TVA devient uniquement exigible conformément à l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive TVA jusqu’à ce que le paiement soit effectué à leurs fournisseurs de biens ou à leurs prestataires de services.

56

Il y a lieu, à cet égard, de souligner que, ainsi que cela ressort du considérant 4 de la directive 2010/45, cet article 167 bis a été inséré dans la directive TVA pour aider les petites et moyennes entreprises qui éprouvent des difficultés à payer la TVA à l’autorité compétente avant d’avoir été payées par leurs clients et permettre aux États membres d’introduire un régime facultatif de comptabilité de caisse qui n’aura pas d’incidence négative sur les flux de trésorerie liés à leurs recettes TVA.

57

L’article 167 bis de la directive TVA s’inscrit ainsi dans le cadre d’un régime facultatif que les États membres peuvent prévoir, et dont l’application s’inscrit elle-même dans la dérogation déjà prévue par ailleurs à l’article 66, premier alinéa, sous b), de cette directive. Ce n’est donc que dans le cadre des circonstances prévues par ledit article 167 bis qu’il est possible de rompre le lien entre l’exigibilité de la taxe auprès du fournisseur de biens ou du prestataire de services et le droit à déduction immédiat de la TVA d’amont par l’assujetti.

58

À cet égard, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, l’article 167 bis de la directive TVA a un champ d’application beaucoup plus limité que celui de l’article 66, premier alinéa, sous b), de cette directive, ce dernier n’ayant pas été initialement adopté dans le but de mettre en place des régimes de comptabilité de caisse pour les petites et moyennes entreprises et ne prévoyant aucun plafond de chiffre d’affaires ni exigeant que la dérogation soit facultative pour les assujettis concernés.

59

Partant, force est donc de constater que ledit article 167 bis concerne une dérogation spécifique et très limitée qui ne saurait remettre en cause la conclusion figurant au point 45 du présent arrêt.

60

En l’occurrence, il convient, premièrement, de relever que la République fédérale d’Allemagne a fait usage de la faculté prévue à l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive TVA. En effet, il ressort de la décision de renvoi que le législateur allemand a mis en œuvre la faculté qui lui est reconnue aux termes de cette disposition en prévoyant, à l’article 13, paragraphe 1, point 1, sous b), de l’UStG, que, pour les livraisons et autres prestations, la taxe devient exigible, en cas de calcul de celle-ci en fonction des contreparties financières encaissées, à l’expiration de l’exercice de déclaration provisoire au cours duquel ces contreparties ont été encaissées.

61

S’agissant, deuxièmement, du point de savoir si les opérations et les assujettis en cause au principal relèvent respectivement des « opérations » ou des « catégories d’assujettis » visées à l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive TVA, il ressort de la décision de renvoi que Kollaustraße et son bailleur ont été autorisés par l’administration fiscale, conformément à l’article 20 de l’UStG, à calculer la TVA non pas en fonction des contreparties financières convenues, mais en fonction des contreparties financières encaissées. Ils relevaient donc, sous réserve des vérifications appartenant à la juridiction de renvoi, des assujettis pour lesquels la TVA devient exigible au plus tard lors de l’encaissement du prix, au sens de l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive TVA.

62

Ainsi, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer quant aux conditions d’application de la dérogation nationale au titre de l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive TVA et de l’article 167 de cette directive, il apparaît que le droit à déduction de Kollaustraße a pris naissance au moment de l’encaissement du prix par son bailleur.

63

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 167 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que le droit à déduction de la taxe payée en amont prend naissance dès la réalisation de l’opération dans le cas où, en vertu d’une dérogation nationale au titre de l’article 66, premier alinéa, sous b), de cette directive, la taxe ne devient exigible auprès du fournisseur de biens ou du prestataire de services qu’à l’encaissement de la contrepartie financière et que celle-ci n’a pas encore été acquittée.

Sur la seconde question

64

Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

65

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

L’article 167 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que le droit à déduction de la taxe payée en amont prend naissance dès la réalisation de l’opération dans le cas où, en vertu d’une dérogation nationale au titre de l’article 66, premier alinéa, sous b), de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45, la taxe ne devient exigible auprès du fournisseur de biens ou du prestataire de services qu’à l’encaissement de la contrepartie financière et que celle-ci n’a pas encore été acquittée.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.