Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

Share

Highlight in text

Go

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

3 juin 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Droit à déduction – Régularisation des déductions – Procédure de faillite – Réglementation nationale prévoyant le refus automatique de déduction de la TVA afférente à des opérations imposables antérieures à l’ouverture de cette procédure »

Dans l’affaire C-182/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Suceava (cour d’appel de Suceava, Roumanie), par décision du 30 mars 2020, parvenue à la Cour le 23 avril 2020, dans la procédure

BE,

DT

contre

Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Suceava,

Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Iaşi,

Accer Ipurl Suceava, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de BE,

EP,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Wahl, président de chambre, Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de la troisième chambre, et M. F. Biltgen, juge,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane, R. I. Haţieganu et A. Wellman, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes A. Armenia et P. Carlin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), et notamment des articles 184 à 186 de cette directive.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BE, entreprise mise en faillite, et DT, associé et administrateur de cette entreprise, à l’Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Suceava (administration départementale des finances publiques de Suceava, Roumanie), à la Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Iaşi (direction générale régionale des finances publiques de Iassy, Roumanie) (ci-après, ensemble, les « autorités fiscales »), ainsi qu’à Accer Ipurl Suceava, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de BE, et à EP, au sujet de la décision des autorités fiscales, adoptée à la suite de la mise en faillite de BE, de régulariser certaines déductions de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) effectuées par BE avant sa mise en faillite.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA fait figurer, parmi les opérations soumises à la TVA, les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

4

Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

5

L’article 167 de ladite directive dispose que le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

6

L’article 168 de la même directive énonce :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

b)

la TVA due pour les opérations assimilées aux livraisons de biens et aux prestations de services conformément à l’article 18, [sous] a), et à l’article 27 ;

c)

la TVA due pour les acquisitions intracommunautaires de biens conformément à l’article 2, paragraphe 1, [sous] b) i) ;

d)

la TVA due pour les opérations assimilées aux acquisitions intracommunautaires conformément aux articles 21 et 22 ;

e)

la TVA due ou acquittée pour les biens importés dans cet État membre. »

7

L’article 184 de la directive TVA prévoit :

« La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. »

8

Aux termes de l’article 185 de cette directive :

« 1.   La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

2.   Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation. »

9

L’article 186 de ladite directive dispose :

« Les États membres déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185. »

Le droit roumain

10

L’article 11 de la Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003, portant code des impôts) (ci-après le « code des impôts ») dispose :

« 1.   Pour déterminer le montant d’un impôt ou d’une taxe au sens du présent code, les autorités fiscales peuvent ne pas tenir compte d’une transaction dénuée de finalité économique ou requalifier une transaction de manière à refléter son contenu économique.

[...] »

11

L’article 148 du code des impôts, intitulé « Régularisation de la taxe déductible pour l’acquisition de services ou de biens autres que des biens d’investissement », énonce :

« 1.   Dans la mesure où les règles relatives à la livraison à soi-même ou à la fourniture à soi-même ne s’appliquent pas, la déduction initiale est régularisée dans les cas suivants :

a)

la déduction est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer ;

b)

des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant déductible sont intervenues après le dépôt de la déclaration de TVA, [...]

c)

l’assujetti perd son droit à déduction de la taxe sur les biens meubles non livrés et les services non utilisés en cas d’événements tels que des modifications législatives ou de l’objet social, l’affectation de biens ou de services à des opérations ouvrant droit à déduction puis à la réalisation d’opérations n’ouvrant pas droit à déduction ou des biens déclarés manquants.

[...] »

12

Aux termes de l’article 149 du code des impôts, intitulé « Régularisation de la taxe déductible en ce qui concerne les biens d’investissement » :

« [...]

2.   Lorsque les règles relatives à la livraison à soi-même ou à la fourniture à soi-même ne s’appliquent pas, la taxe déductible afférente aux biens d’investissement est régularisée dans les cas visés au paragraphe 4, sous a) à d) [...]

[...]

4.   La régularisation de la taxe déductible visée au paragraphe 1, sous d), est opérée :

a)

lorsque le bien d’investissement est utilisé par l’assujetti :

1)

en tout ou en partie, à d’autres fins que les activités économiques, à l’exception des biens dont l’acquisition est soumise à la limitation de 50 % du droit de déduction [...]

2)

pour des opérations n’ouvrant pas droit à déduction de la taxe ;

3)

pour des opérations ouvrant droit à une déduction de la taxe différente de la déduction initialement opérée ;

b)

lorsque des modifications sont apportées aux éléments utilisés dans le calcul de la taxe déduite ;

c)

lorsqu’un bien d’investissement pour lequel le droit à déduction a été intégralement ou partiellement limité fait l’objet de toute opération pour laquelle la taxe est déductible. Dans le cas d’une livraison de biens, le montant supplémentaire de la taxe à déduire est limité au montant de la taxe collectée pour la livraison du bien en cause ;

d)

lorsque le bien d’investissement cesse d’exister [...]

[...] »

13

L’article 3 de la Legea nr. 85/2006 privind procedura insolvenței (loi no 85/2006, concernant la procédure d’insolvabilité) (ci-après la « loi sur l’insolvabilité ») dispose :

« [...]

23.   par procédure de faillite, on entend la procédure d’insolvabilité collective et égalitaire qui s’applique au débiteur en vue de la liquidation de son actif pour couvrir son passif, suivie de la radiation du débiteur du registre dans lequel il est immatriculé ;

[...] »

14

Aux termes de l’article 47 de la loi sur l’insolvabilité :

« [...]

7.   À compter de la mise en faillite, le débiteur ne peut exercer que les activités nécessaires au déroulement des opérations de liquidation. »

15

L’article 116 de la loi sur l’insolvabilité énonce :

« 1.   La liquidation des biens faisant partie de l’actif du débiteur est effectuée par le syndic sous le contrôle du juge commissaire. Pour maximiser la valeur de l’actif du débiteur, le syndic entreprend toutes les démarches de mise sur le marché, sous une forme appropriée, de celui-ci, les frais de publicité étant supportés par l’actif du débiteur.

2.   La liquidation débute immédiatement après la fin de l’inventaire par le syndic et la présentation du rapport d’évaluation. Les biens peuvent être vendus en bloc, en tant qu’ensemble en état de fonctionnement, ou individuellement. La méthode de vente des biens, à savoir une vente aux enchères publiques, la négociation directe ou une combinaison des deux, est approuvée par l’assemblée des créanciers, sur proposition du syndic. Le syndic présente également à l’assemblée générale des créanciers le règlement de vente correspondant aux modalités de vente qu’il a choisies.

[...] »

16

L’article 123 de la loi sur l’insolvabilité prévoit :

« En cas de faillite, les créances sont payées dans l’ordre suivant :

1)

les taxes, timbres et toute autre dépense afférents à la procédure instituée par la présente loi, [...]

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

17

BE, dont DT a la qualité d’associé et d’administrateur, est une société ayant exercé une activité économique au sens de la directive TVA. Par jugement du 10 février 2015, le Tribunalul Suceava (tribunal de grande instance de Suceava, Roumanie) a prononcé l’ouverture de la procédure de faillite à l’égard de BE.

18

Après sa mise en faillite, BE a fait l’objet d’un contrôle fiscal qui s’est conclu par l’adoption d’un avis d’imposition du 26 novembre 2015. Cet avis met à la charge de BE, notamment, l’obligation de verser la somme de 646259 lei roumains (RON) (environ 132000 euros) au titre de la régularisation des déductions de la TVA qu’elle avait effectuées pour la période allant du 20 mai 2013 au 13 février 2014, pendant laquelle elle exerçait une activité économique et était enregistrée en tant qu’assujettie à la TVA. Cette somme se compose de 535409 RON (environ 109000 euros) au titre de déductions relatives à des marchandises et à des consommables, de 55134 RON (environ 11400 euros) au titre de déductions relatives à des biens d’équipement et de 55716 RON (environ 11600 euros) au titre de déductions relatives à un contrat de location d’un bien immobilier.

19

Par décision du 22 janvier 2018, la réclamation introduite par BE et DT contre ledit avis d’imposition a été rejetée, les autorités fiscales considérant que BE avait cessé d’exercer une activité économique au moment de la mise en faillite. Ces autorités ont relevé, à cet égard, qu’une telle mise en faillite implique une procédure de liquidation et de vente des biens en vue du remboursement des dettes, les opérations réalisées dans le cadre de cette procédure n’ayant, en elles-mêmes, pas de but économique. Toujours selon lesdites autorités, le fait que la vente des biens dans le cadre de la procédure de faillite a été soumise à la TVA est sans pertinence.

20

Le Tribunalul Suceava (tribunal de grande instance de Suceava) a fait droit au recours introduit par les requérants au principal contre l’avis d’imposition du 26 novembre 2015 et contre la décision sur réclamation du 22 janvier 2018. La juridiction de renvoi a, par son arrêt du 18 juin 2019, accueilli le pourvoi formé par les autorités fiscales contre le jugement de ce tribunal, de sorte que BE reste redevable de la somme de 646259 RON (environ 132000 euros) fixée dans cet avis d’imposition. La juridiction de renvoi a confirmé, dans ce contexte, l’interprétation du droit interne retenue par les autorités fiscales, selon laquelle l’ouverture de la procédure de faillite doit être considérée en elle-même comme une cause de cessation du droit à déduction en ce que les opérations effectuées pendant cette procédure n’ont pas de but économique.

21

Les requérants au principal ont saisi ladite juridiction d’un recours en révision en invoquant la violation de la directive TVA.

22

À cet égard, les requérants au principal soutiennent, notamment, que, tant avant la mise en faillite de BE que pendant la procédure de faillite, cette entreprise était valablement enregistrée comme assujettie à la TVA, de sorte que les activités liées à la procédure de faillite, à savoir les ventes de marchandises et d’immeubles ainsi que la location d’immeubles, sont restées dans le champ d’application de la TVA, qui a continué à être perçue.

23

Ainsi, selon la juridiction de renvoi, se pose la question de savoir si le droit de l’Union permet que les opérations effectuées au cours de la procédure de faillite soient automatiquement considérées comme n’ayant pas de but économique, ce qui signifierait que l’ouverture de cette procédure oblige l’opérateur économique à régulariser automatiquement en faveur de l’État la TVA prélevée sur des opérations économiques antérieures à l’ouverture de cette procédure, et ce malgré le fait que cet opérateur a conservé, pendant la procédure de faillite ouverte à son égard, sauf pendant une brève période de trois semaines, la qualité d’assujetti à la TVA et que la vente des biens dans le cadre de la faillite a été soumise à la TVA.

24

En outre, si la Cour venait à considérer qu’une telle régularisation automatique est légitime et compatible avec le droit de l’Union, la juridiction de renvoi juge aussi nécessaire de clarifier la question de savoir si une telle manière de procéder est proportionnée au but recherché.

25

Cette juridiction précise encore que, en l’occurrence, la liquidation des biens est terminée et que, pour les opérations réalisées pendant celle-ci, aucune déduction n’a, en définitive, été accordée.

26

Dans ces circonstances, la Curtea de Apel Suceava (cour d’appel de Suceava, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La directive [TVA] et les principes de neutralité fiscale, de droit à déduction de la TVA et de certitude de l’imposition fiscale s’opposent-ils, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à une législation nationale qui oblige l’opérateur économique, automatiquement et sans autre vérification, lors de l’ouverture de la procédure de faillite, à régulariser la TVA, en lui refusant la déduction de la TVA afférente à des opérations imposables antérieures à l’ouverture de ladite procédure, et à payer la TVA déductible ? Le principe de proportionnalité s’oppose-t-il, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à une telle règle de droit national, compte tenu des conséquences économiques pour l’opérateur économique et du caractère définitif d’une telle régularisation ? »

Sur la question préjudicielle

27

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 184 à 186 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle l’ouverture d’une procédure de faillite à l’égard d’un opérateur économique, impliquant la liquidation de ses actifs au bénéfice de ses créanciers, entraîne automatiquement l’obligation pour cet opérateur de régulariser les déductions de la TVA qu’il a effectuées pour des biens et des services acquis antérieurement à sa mise en faillite.

28

Il y a lieu de rappeler que le droit à déduction énoncé à l’article 168 de la directive TVA fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut, en principe, être limité [voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2021, A. (Exercice du droit à déduction), C-895/19, EU:C:2021:216, point 32].

29

Le mécanisme de régularisation des déductions prévu aux articles 184 à 186 de la directive TVA fait, pour sa part, partie intégrante du régime de déduction de la TVA établi par cette directive. Il vise à accroître la précision des déductions de manière à assurer la neutralité de la TVA, de telle sorte que les opérations effectuées au stade antérieur continuent à donner lieu au droit à déduction dans la seule mesure où elles servent à fournir des prestations soumises à une telle taxe. Ce mécanisme a ainsi pour objectif d’établir une relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2019, Mydibel, C-201/18, EU:C:2019:254, point 27).

30

En effet, dans le système commun de TVA, seules les taxes ayant grevé en amont les biens ou les services utilisés par les assujettis aux fins de leurs opérations taxées peuvent être déduites. La déduction des taxes en amont est liée à la perception des taxes en aval. Lorsque des biens ou des services acquis par un assujetti sont utilisés pour les besoins d’opérations exonérées ou ne relevant pas du champ d’application de la TVA, il ne saurait y avoir ni perception de la taxe en aval ni déduction de la taxe en amont (arrêt du 9 juillet 2020, Finanzamt Bad Neuenahr-Ahrweiler, C-374/19, EU:C:2020:546, point 21).

31

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les autorités fiscales ont procédé à la régularisation des déductions de la TVA effectuées par BE concernant des biens et des services acquis pendant la période allant du 20 mai 2013 au 13 février 2014 en se fondant sur la prémisse selon laquelle la mise en faillite d’une entreprise telle que BE met nécessairement fin aux activités économiques de celle-ci. Elles ont fait valoir, à ce sujet, que les opérations réalisées à la suite d’une telle mise en faillite servent uniquement à liquider les actifs de l’entreprise au bénéfice de ses créanciers, de sorte que celles-ci n’ont pas de but économique.

32

À cet égard, la Cour a jugé que, s’il est vrai que la directive TVA assigne un champ d’application très large à la TVA, seules les activités ayant un caractère économique sont visées par cette taxe. En effet, selon l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette directive, relatif aux opérations imposables, sont soumises à la TVA, notamment, les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel (arrêt du 17 décembre 2020, WEG Tevesstraße, C-449/19, EU:C:2020:1038, points 24 et 25 ainsi que jurisprudence citée).

33

Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où il s’avérerait que, à partir de l’ouverture d’une procédure de faillite, aucune activité économique n’est plus susceptible d’être réalisée, il ne saurait, dès cette ouverture, y avoir non plus d’opérations taxées susceptibles de permettre l’exercice du droit à déduction (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, Wind Inovation 1, C-552/16, EU:C:2017:849, point 35), ce qui rendrait nécessaire une régularisation des déductions conformément au droit national transposant les articles 184 à 186 de la directive TVA.

34

Toutefois, la juridiction de renvoi indique douter de la prémisse visée au point 31 du présent arrêt, selon laquelle la mise en faillite d’un opérateur économique met nécessairement fin à ses activités économiques.

35

Il convient, dès lors, d’examiner la question de savoir si une activité économique peut être réputée avoir cessé du fait de la mise en faillite de l’opérateur économique concerné, en ce que cette mise en faillite a pour conséquence, selon les règles prévues par le droit national, que les opérations effectuées après celle-ci ne peuvent plus servir qu’à liquider les actifs de cet opérateur au bénéfice de ses créanciers.

36

Or, l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA énonce qu’est considéré comme un assujetti quiconque exerce, d’une façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité. En outre, la notion d’« activité économique » est définie à l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de cette directive comme recouvrant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

37

Selon une jurisprudence bien établie, l’analyse de ces définitions met en évidence l’étendue du champ d’application couvert par la notion d’« activité économique », ainsi que le caractère objectif de cette notion, en ce sens que l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats. Une activité est ainsi, en règle générale, qualifiée d’économique lorsqu’elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l’auteur de l’opération (arrêt du 5 juillet 2018, Marle Participations, C-320/17, EU:C:2018:537, point 22 et jurisprudence citée).

38

Par conséquent, l’activité devant être considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats, le simple fait que l’ouverture d’une procédure de faillite à l’égard d’un assujetti change, en vertu des modalités prévues à cet égard en droit interne, les finalités des opérations de cet assujetti, en ce sens que ces finalités ne comprennent plus l’exploitation durable de son entreprise, mais portent uniquement sur sa liquidation aux fins de l’apurement des dettes suivie de sa dissolution, ne saurait, en soi, affecter le caractère économique des opérations effectuées dans le cadre de cette entreprise.

39

En outre, ainsi que l’a souligné la Commission européenne, cette interprétation s’impose également au vu du principe de neutralité fiscale, qui s’oppose en particulier à ce que deux opérations identiques ou semblables du point de vue du consommateur, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Frenetikexito, C-581/19, EU:C:2021:167, point 32).

40

En effet, même si l’ouverture d’une procédure de faillite, telle que celle en cause au principal, implique normalement la disparation de l’entreprise concernée, il n’en demeure pas moins que, aussi longtemps que cette entreprise poursuit ses activités pendant la procédure de faillite, elle se trouve en concurrence avec d’autres assujettis effectuant des prestations semblables aux siennes, de sorte que les prestations concernées doivent, en principe, être traitées de manière identique aux fins de la TVA.

41

Il apparaît d’ailleurs, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que, en l’occurrence, BE a continué, au cours de la procédure de faillite, à être enregistrée en tant qu’assujettie et que les autorités fiscales ont soumis à la TVA les opérations qui ont été réalisées dans le cadre de cette procédure, ce qui tend à confirmer que BE a effectivement poursuivi son activité économique et effectué des opérations taxées malgré sa mise en faillite.

42

Dans de telles circonstances, il ne saurait être supposé que l’ouverture de la procédure de faillite a rompu la relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval et que l’assujetti concerné est tenu de verser le montant de la TVA déduite (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2017, Wind Inovation 1, C-552/16, EU:C:2017:849, point 46).

43

Enfin, contrairement à ce que le gouvernement roumain a, en substance, avancé, la possibilité pour l’assujetti concerné, dans une situation où il a été obligé, dans un premier temps, de régulariser les déductions de TVA effectuées en amont en raison de sa mise en faillite, malgré la continuation de son activité économique, de demander, dans un second temps, que les sommes concernées lui soient remboursées au motif, précisément, qu’il a bien poursuivi, au cours de la procédure de faillite, son activité économique, n’est pas de nature à pallier la limitation de son droit à déduction résultant de cette obligation de régularisation imposée par le droit national.

44

En effet, ainsi que l’a également relevé la Commission, le fait d’exiger de l’entreprise concernée, à la suite d’une décision de régularisation, le versement effectif de la TVA prétendument due constitue, pour cette entreprise, un obstacle à une déduction de la TVA acquittée en amont, dès lors qu’il contraint ladite entreprise à engager des fonds jusqu’à ce que les autorités fiscales lui restituent la TVA indûment payée, alors que d’autres opérateurs qui n’ont pas été mis en faillite peuvent utiliser ces fonds pour leurs activités économiques sans être contraints d’effectuer un tel versement (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2017, Wind Inovation 1, C-552/16, EU:C:2017:849, point 44).

45

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 184 à 186 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle l’ouverture d’une procédure de faillite à l’égard d’un opérateur économique, impliquant la liquidation de ses actifs au bénéfice de ses créanciers, entraîne automatiquement l’obligation pour cet opérateur de régulariser les déductions de la TVA qu’il a effectuées pour des biens et des services acquis antérieurement à sa mise en faillite, lorsque l’ouverture d’une telle procédure n’est pas de nature à faire obstacle à ce que l’activité économique dudit opérateur, au sens de l’article 9 de cette directive, soit poursuivie, notamment aux fins de la liquidation de l’entreprise concernée.

Sur les dépens

46

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

Les articles 184 à 186 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle l’ouverture d’une procédure de faillite à l’égard d’un opérateur économique, impliquant la liquidation de ses actifs au bénéfice de ses créanciers, entraîne automatiquement l’obligation pour cet opérateur de régulariser les déductions de la taxe sur la valeur ajoutée qu’il a effectuées pour des biens et des services acquis antérieurement à sa mise en faillite, lorsque l’ouverture d’une telle procédure n’est pas de nature à faire obstacle à ce que l’activité économique dudit opérateur, au sens de l’article 9 de cette directive, soit poursuivie, notamment aux fins de la liquidation de l’entreprise concernée.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.