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ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

18 mai 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour  – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA)  – Directive 2006/112/CE – Déduction de la taxe payée en amont lors de la phase de construction d’un bâtiment – Régime d’assujettissement optionnel – Abandon de l’activité initialement envisagée – Régularisation de la déduction de la taxe payée en amont – Réponse à la question préjudicielle pouvant être clairement déduite de la jurisprudence »

Dans l’affaire C-248/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour suprême administrative, Suède), par décision du 19 mai 2020, parvenue à la Cour le 9 juin 2020, dans la procédure

Skatteverket

contre

Skellefteå Industrihus AB,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Wahl, président de chambre, M. F. Biltgen (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 137, 168, 184 à 187, 189 et 192 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Skatteverket (administration fiscale, Suède) à Skellefteå Industrihus Aktiebolag AB au sujet de l’obligation faite à celle-ci de procéder à une régularisation de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) payée en amont à la suite de l’abandon d’un projet d’investissement immobilier.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. »

4        L’article 135, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

l)      l’affermage et la location de biens immeubles. »

5        L’article 137 de ladite directive dispose :

« 1.      Les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation des opérations suivantes :

[...]

b)      les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que celles visées à l’article 12, paragraphe 1, [sous] a) ;

c)      les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, [sous] b) ;

d)      l’affermage et la location de biens immeubles.

2.      Les États membres déterminent les modalités de l’exercice du droit d’option prévu au paragraphe 1.

Les États membres peuvent restreindre la portée de ce droit. »

6        Selon l’article 168 de la même directive :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

b)      la TVA due pour les opérations assimilées aux livraisons de biens et aux prestations de services conformément à l’article 18, [sous] a), et à l’article 27 ;

c)      la TVA due pour les acquisitions intracommunautaires de biens conformément à l’article 2, paragraphe 1, [sous] b) i) ;

d)      la TVA due pour les opérations assimilées aux acquisitions intracommunautaires conformément aux articles 21 et 22 ;

e)      la TVA due ou acquittée pour les biens importés dans cet État membre. »

7        L’article 184 de la directive TVA prévoit :

« La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. »

8        L’article 185 de cette directive dispose :

« 1.      La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation. »

9        L’article 186 de ladite directive énonce :

« Les États membres déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185. »

10      L’article 187 de la même directive est ainsi libellé :

« 1.      En ce qui concerne les biens d’investissement, la régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

Toutefois, les États membres peuvent, lors de la régularisation, se baser sur une période de cinq années entières à compter du début de l’utilisation du bien.

En ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers, la durée de la période servant de base au calcul des régularisations peut être prolongée jusqu’à vingt ans.

2.      Chaque année, la régularisation ne porte que sur le cinquième ou, dans le cas où la période de régularisation a été prolongée, sur la fraction correspondante de la TVA dont les biens d’investissement ont été grevés.

La régularisation visée au premier alinéa est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l’année au cours de laquelle le bien a été acquis, fabriqué ou, le cas échéant, utilisé pour la première fois. »

11      Aux termes de l’article 188 de la directive TVA :

« 1.      En cas de livraison pendant la période de régularisation, le bien d’investissement est considéré comme s’il était resté affecté à une activité économique de l’assujetti jusqu’à l’expiration de la période de régularisation.

L’activité économique est présumée être entièrement taxée pour le cas où la livraison du bien d’investissement est taxée.

L’activité économique est présumée être entièrement exonérée pour le cas où la livraison du bien d’investissement est exonérée.

2.      La régularisation prévue au paragraphe 1 se fait en une seule fois pour tout le temps de la période de régularisation restant à courir. Toutefois, lorsque la livraison du bien d’investissement est exonérée, les États membres peuvent ne pas exiger une régularisation dans la mesure où l’acquéreur est un assujetti qui utilise le bien d’investissement en question uniquement pour des opérations pour lesquelles la TVA est déductible. »

12      L’article 189 de cette directive dispose :

« Pour l’application des articles 187 et 188, les États membres peuvent prendre les mesures suivantes :

a)      définir la notion de biens d’investissement ;

b)      préciser quel est le montant de TVA qui est à prendre en considération pour la régularisation ;

c)      prendre toutes dispositions utiles afin de garantir que les régularisations ne procurent aucun avantage injustifié ;

d)      autoriser des simplifications administratives. »

13      L’article 190 de ladite directive prévoit :

« Aux fins des articles 187, 188, 189 et 191, les États membres peuvent considérer comme biens d’investissement les services qui présentent des caractéristiques similaires à celles normalement associées à des biens d’investissement. »

14      L’article 191 de la directive TVA énonce :

« Si l’application des articles 187 et 188 donne un résultat négligeable dans un État membre, ce dernier peut, après consultation du comité de la TVA, ne pas les appliquer compte tenu de l’incidence globale de la TVA dans l’État membre concerné et de la nécessité de simplifications administratives, et sous réserve qu’il n’en résulte pas de distorsions de concurrence. »

15      Selon l’article 192 de cette directive :

« En cas de passage d’un régime normal d’imposition à un régime particulier ou inversement, les États membres peuvent prendre les dispositions nécessaires afin d’éviter que l’assujetti concerné ne bénéficie d’avantages injustifiés ou ne subisse un préjudice injustifié. »

 Le droit suédois

16      Conformément à l’article 2 du chapitre 3 de la Mervärdesskattelag (1994:200) [(loi 1994:200 relative à la taxe sur la valeur ajoutée (1994:200)]), du 30 mars 1994 (SFS 1994, no 200), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi sur la TVA »), la mise en location de biens immeubles est, en principe, exonérée de la TVA. Cependant, le propriétaire d’un bien immeuble qui loue celui-ci en tout ou partie à un locataire pour un usage permanent pour une activité assujettie peut opter pour l’assujettissement, en application de l’article 3 du chapitre 3 et de l’article 1er du chapitre 9 de la loi sur la TVA.

17      S’il n’est possible, en principe, d’opter pour l’assujettissement qu’après l’achèvement du bien immeuble et le commencement de la location, il découle néanmoins de l’article 3, paragraphe 3, point 3, du chapitre 3 et de l’article 2 du chapitre 9 de la loi sur la TVA que le propriétaire d’un immeuble peut opter pour l’assujettissement lors de la phase de construction de l’immeuble, à la condition notamment qu’il ait l’intention de mettre le bâtiment en location dès son achèvement.

18      En vertu de l’article 6, paragraphe 2, du chapitre 9 de cette loi, l’administration fiscale peut, en cours de construction de l’immeuble, avant même le commencement de la location, mettre fin à l’assujettissement optionnel s’il s’avère que les conditions liées à ce régime ne sont plus remplies.

19      Le chapitre 8 et le chapitre 8 a de la loi sur la TVA contiennent des dispositions relatives, respectivement, au droit à déduction de la TVA ayant grevé les opérations en amont et aux régularisations.

20      En vertu de l’article 3 du chapitre 8 et de l’article 8 du chapitre 9 de cette loi, le propriétaire d’un immeuble ayant opté pour l’assujettissement a le droit de déduire la TVA en amont afférente aux acquisitions en relation avec son activité. La déduction peut être opérée soit par l’assujettissement optionnel au cours de la phase de construction, soit par déduction rétroactive, soit par régularisation.

21      Il ressort de l’article 4 du chapitre 8 a de ladite loi que la régularisation des déductions doit en principe être effectuée en cas de changement dans l’utilisation d’un bien d’investissement dont l’acquisition avait ouvert, en tout ou partie, un droit à déduction de la taxe en amont, de sorte que le droit à déduction se trouve réduit. Il y a également lieu de procéder à une régularisation des déductions dans la situation inverse, à savoir lorsque l’achat n’ouvrait pas droit à déduction ou n’y ouvrait droit qu’en partie et que, à la suite d’un changement d’utilisation, le droit à déduction est constaté ou devient supérieur.

22      Aux termes de l’article 6 du chapitre 8 a de la même loi, il ne peut être procédé à une régularisation qu’en cas de changement d’utilisation ou de cession d’un bien d’investissement dans un certain délai (période de régularisation). Pour les biens immobiliers, ce délai est fixé à dix ans.

23      L’article 11 du chapitre 9 de la loi sur la TVA contient des dispositions spéciales relatives à la régularisation dans l’hypothèse où il est mis fin à l’assujettissement optionnel pendant la phase de construction avant le commencement d’une location assujettie. La régularisation doit alors être effectuée en une seule fois pour tout le temps de la période de régularisation restant à courir. En outre, la taxe en amont relative à la période comprise entre la décision accordant l’assujettissement optionnel et la fin de celui-ci doit être payée à l’État, majorée d’intérêts. Ces dispositions ont pour effet que toute taxe en amont qui a été déduite doit être remboursée immédiatement, majorée d’intérêts.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

24      Envisageant de faire bâtir, sur un terrain lui appartenant, un immeuble à usage de bureaux destiné à être donné en location, Skellefteå Industrihus, société de droit suédois, a demandé et obtenu, lors de la construction de l’immeuble, le bénéfice du régime de l’assujettissement optionnel à partir du mois de novembre 2012. Elle a ensuite procédé à la déduction, à hauteur de 966 508 couronnes suédoises (SEK) (environ 95 400 euros), de la TVA en amont ayant grevé des achats qu’elle avait effectués, principalement des prestations d’architecte relatives à l’immeuble projeté. Après l’annonce, par l’un des potentiels futurs locataires, qu’il n’était plus intéressé par la location de locaux dans l’immeuble en question, la réévaluation des coûts a mis en évidence que le projet n’était financièrement pas rentable. La défenderesse au principal a donc décidé, au mois de septembre 2013, d’abandonner le projet, ce qui a mis fin au régime de l’assujettissement optionnel.

25      Skellefteå Industrihus Aktiebolag a, au mois de décembre 2013, remboursé la totalité de la TVA déduite au cours de la période durant laquelle elle avait bénéficié du régime de l’assujettissement optionnel. Toutefois, trois ans plus tard, estimant que l’obligation de procéder au remboursement de la TVA déduite en amont n’était pas compatible avec la directive TVA, elle a demandé que la déduction en amont fut soit de à nouveau acceptée.

26      Cette demande ayant été rejetée par l’administration fiscale, Skellefteå Industrihus Aktiebolag a introduit un recours auprès du Förvaltningsrätten i Umeå (tribunal administratif siégeant à d’Umeå, Suède), lequel a fait droit à celui-ci au motif que la législation nationale applicable n’était pas compatible avec le droit de l’Union. L’administration fiscale a, en conséquence, reversé à Skellefteå Industrihus Aktiebolag le montant de la TVA que cette dernière avait initialement remboursée.

27      L’appel introduit par l’administration fiscale ayant été rejeté, celle-ci a formé un pourvoi auprès de la juridiction de renvoi en demandant à ce que celle-ci fasse obligation à Skellefteå Industrihus de reverser la TVA déduite en amont.

28      La juridiction de renvoi relève, tout d’abord, que, en l’occurrence, il n’y a pas eu d’abus ou de fraude et que les acquisitions n’ont pas servi à la réalisation d’opérations exonérées. Ainsi, le litige au principal porterait uniquement sur la question de la compatibilité de l’article 11 du chapitre 9 de la loi sur la TVA avec la directive TVA lorsque l’obligation fiscale prend fin en raison de l’abandon d’un projet de construction d’un bâtiment avant son achèvement et qu’aucune opération de location n’a donc été réalisée.

29      Elle fait observer, ensuite, que les dispositions de l’article 11 du chapitre 9 de la loi sur la TVA n’ont pas d’équivalent direct dans la directive TVA et qu’il convient donc de déterminer si, ainsi que l’avance l’administration fiscale, ces dispositions s’inscrivent effectivement dans le cadre de la marge d’appréciation conférée aux États membres par l’article 137 de ladite directive pour préciser le régime de l’assujettissement optionnel des locations immobilières. Or, la réponse à une telle question ne pourrait être déduite de la jurisprudence de la Cour et, en particulier, ne pourrait l’être des arrêts du 12 janvier 2006, Turn- und Sportunion Waldburg (C-246/04, EU:C:2006:22), du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki (C-184/04, EU:C:2006:214), et du 28 février 2018, Imofloresmira – Investimentos Imobiliários (C-672/16, EU:C:2018:134).

30      Elle précise, enfin, que, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que la réglementation en cause au principal n’est pas couverte par la marge d’appréciation reconnue aux États membres, il conviendrait encore d’examiner si ces dispositions peuvent néanmoins être admises au regard des règles de la directive TVA sur la régularisation des déductions. La juridiction de renvoi estime que, sur ce point également, la jurisprudence de la Cour, notamment son arrêt du 29 février 1996, INZO (C-110/94, EU:C:1996:67), ne permettrait pas de répondre à cette question.

31      Dans ces circonstances, le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour suprême administrative, Suède) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le fait pour le propriétaire d’un bien immeuble, qui s’est vu accorder le bénéfice du régime de l’assujettissement optionnel lors de la construction d’un bâtiment et qui a déduit la taxe en amont ayant grevé des achats destinés à ce projet immobilier, de se voir exiger le remboursement immédiat de la totalité de cette taxe en amont, avec des intérêts, au motif que l’assujettissement a pris fin avec l’interruption de ce projet, avant l’achèvement de la construction du bâtiment et donc avant toute location, est–il compatible avec la directive [TVA], en particulier ses articles 137, 168, 184 à 187, 189 et 192 ? »

 Sur la question préjudicielle

32      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

33      Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

34      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 137, 168, 184 à 187, 189 et 192 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui prévoit l’obligation pour le propriétaire d’un bien immeuble, qui s’est vu accorder le bénéfice du régime de l’assujettissement optionnel lors de la construction d’un bâtiment qu’il devait donner en location et qui a déduit la TVA en amont ayant grevé des achats destinés à ce projet immobilier, de rembourser immédiatement la totalité de cette TVA, majorée d’intérêts, au motif que le projet envisagé ayant ouvert le droit à déduction a été abandonné sans qu’il y ait eu d’activité taxée, ou qui prévoit, dans une telle situation, l’obligation de régulariser la TVA payée en amont.

35      En vue de répondre à cette question, il convient de constater que les faits à l’origine de l’affaire au principal concernent non pas une situation de fin d’assujettissement, mais une situation d’absence d’opérations taxées. En effet, dès lors que, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, est considéré comme « assujetti » quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2016, Nigl e.a., C-340/15, EU:C:2016:764, point 26 ainsi que jurisprudence citée), l’assujettissement à la TVA ne prend pas automatiquement fin au moment où l’assujetti décide d’abandonner une activité précédemment envisagée.

36      S’agissant du point de savoir si les États membres peuvent, dans l’exercice de la marge d’appréciation qui leur est accordée à l’article 137 de la directive TVA, prévoir une règle selon laquelle le droit à déduction accordé à la suite de l’exercice du droit d’option prévu à cet article peut être rétroactivement révoqué lorsque l’activité économique envisagée a été abandonnée, il importe de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, c’est l’acquisition des biens ou des services par un assujetti agissant en tant que tel qui détermine l’application du système de TVA et, partant, du mécanisme de déduction. L’utilisation qui est faite des biens ou des services, ou qui est envisagée pour ceux-ci, ne détermine que l’étendue de la déduction initiale à laquelle l’assujetti a droit en vertu de l’article 168 de la directive TVA et l’étendue des éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes, mais n’affecte pas la naissance du droit à déduction (arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara, C-734/19, EU:C:2020:919, point 33 et jurisprudence citée).

37      La Cour a également itérativement jugé que le droit à déduction, une fois né, reste, en principe, acquis même si, ultérieurement, l’activité économique envisagée n’a pas été réalisée de sorte qu’elle n’a pas donné lieu à des opérations taxées (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 1996, INZO, C-110/94, EU:C:1996:67, point 20, et du 17 octobre 2018, Ryanair, C-249/17, EU:C:2018:834, point 25), ou si, en raison de circonstances étrangères à sa volonté, l’assujetti n’a pas fait usage des biens et services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d’opérations taxées (arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara, C-734/19, EU:C:2020:919, point 34 et jurisprudence citée).

38      Toute autre interprétation de la directive TVA serait contraire au principe de la neutralité de la TVA quant à la charge fiscale de l’entreprise. En effet, elle serait susceptible de créer, lors du traitement fiscal de mêmes activités d’investissements, des différences non justifiées entre des entreprises réalisant déjà des opérations imposables et d’autres qui cherchent, par des investissements, à commencer des activités qui seront source d’opérations taxables. De même, des différences arbitraires seraient établies entre ces dernières entreprises en ce que l’acceptation définitive des déductions dépendrait de la question de savoir si de tels investissements aboutissent ou non à des opérations taxées (arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara, C-734/19, EU:C:2020:919, point 36 et jurisprudence citée).

39      Il ressort par ailleurs de la jurisprudence que, même si l’article 137, paragraphe 2, de la directive TVA laisse aux États membres un large pouvoir discrétionnaire leur permettant de déterminer les modalités d’exercice du droit d’option et même de le supprimer, les États membres ne sauraient utiliser ce pouvoir pour enfreindre les articles 167 et 168 de cette directive, en révoquant un droit à déduction déjà acquis (arrêt du 28 février 2018, Imofloresmira – Investimentos Imobiliários, C-672/16, EU:C:2018:134, point 48 et jurisprudence citée). En effet, une limitation des déductions de TVA liées aux opérations taxées, après que le droit d’option a été exercé, concernerait non pas la « portée » du droit d’option que les États membres peuvent restreindre en vertu de l’article 137, paragraphe 2, de la directive TVA, mais les conséquences de l’exercice de ce droit (arrêt du 28 février 2018, Imofloresmira – Investimentos Imobiliários, C-672/16, EU:C:2018:134, point 49 et jurisprudence citée).

40      Partant, s’il est loisible aux États membres de définir les conditions et les modalités permettant de mettre en œuvre le droit d’option, celles-ci ne doivent pas porter atteinte au droit à déduction lui-même et doivent respecter les objectifs et les principes généraux de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2004, Vermietungsgesellschaft Objekt Kirchberg, C-269/03, EU:C:2004:512, point 24 ; du 12 janvier 2006, Turn- und Sportunion Waldburg, C-246/04, EU:C:2006:22, point 31, ainsi que du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C-184/04, EU:C:2006:214, points 45 et 46).

41      Il s’ensuit que l’article 137, paragraphe 2, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition législative nationale, telle que l’article 11 du chapitre 9 de la loi sur la TVA, qui prévoit, de fait, la révocation du droit à déduction de la taxe payée en amont alors que ce droit a été accordé à un assujetti dans le cadre de l’exercice, par celui-ci, de son droit d’option.

42      Pour ce qui est de la question de savoir comment le principe souligné dans l’arrêt du 29 février 1996, INZO (C-110/94, EU:C:1996:67), selon lequel le droit à déduction est acquis même s’il est mis fin à une activité avant qu’elle ne donne lieu à des opérations assujetties, doit être combiné avec les règles de la directive TVA sur la régularisation des déductions et, en particulier, si une disposition telle que l’article 11 du chapitre 9 de la loi sur la TVA peut néanmoins être admise au regard de ces règles, il convient de rappeler que la Cour a, d’une part, jugé que le mécanisme de régularisation prévu aux articles 184 à 187 de la directive TVA fait partie intégrante du régime de déduction de la TVA établi par cette directive et a pour objectif d’établir une relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, Finanzamt Bad Neuenahr-Ahrweiler, C-374/19, EU:C:2020:546, point 20, et du 17 septembre 2020, Stichting Schoonzicht, C-791/18, EU:C:2020:731, point 26). Elle a, d’autre part, précisé que, lorsque des biens ou des services acquis par un assujetti sont utilisés pour les besoins d’opérations exonérées ou ne relevant pas du champ d’application de la TVA, il ne saurait y avoir ni perception de la taxe en aval ni déduction de la taxe en amont (arrêt du 9 juillet 2020, Finanzamt Bad Neuenahr-Ahrweiler, C-374/19, EU:C:2020:546, point 21 et jurisprudence citée).

43      Par ailleurs, l’article 184 de la directive TVA définit la naissance de l’obligation de régularisation de la manière la plus large possible, dans la mesure où « [l]a déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer ». Cette formulation n’exclut a priori aucune hypothèse envisageable de déduction indue, la portée générale de l’obligation de régularisation étant confortée par l’énumération expresse des exceptions prévues à l’article 185, paragraphe 2, de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2020, Stichting Schoonzicht, C-791/18, EU:C:2020:731, points 30 et 31).

44      En outre, lorsque, en raison de circonstances étrangères à sa volonté, l’assujetti ne fait pas usage des biens et services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d’opérations taxées, il ne suffit pas, pour établir l’existence de « modifications », au sens de l’article 185 de la directive TVA, qu’un immeuble soit resté vide, après la résiliation d’un contrat de bail dont il était l’objet, alors même qu’il est prouvé que l’assujetti a toujours l’intention de l’exploiter aux fins d’une activité taxée et entreprend les démarches nécessaires à cet effet, car cela reviendrait à restreindre le droit à déduction au moyen des dispositions applicables en matière de régularisations (arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara, C-734/19, EU:C:2020:919, point 43 et jurisprudence citée).

45      Ainsi, si l’assujetti n’envisage plus d’utiliser les biens et les services en question pour réaliser des opérations taxées en aval ou les utilise pour effectuer des opérations exonérées, la relation étroite et directe, au sens de la jurisprudence rappelée au point 42 de la présente ordonnance, devant exister entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et la réalisation d’opérations taxées envisagées est rompue (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara, C-734/19, EU:C:2020:919, point 44).

46      Par conséquent, si, ainsi qu’il découle de la décision de renvoi, la situation au principal correspond à celle décrite au point précédent, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, elle doit donner lieu à l’application du mécanisme de régularisation prévu aux articles 184 à 187 de la directive TVA.

47      S’agissant plus précisément de l’article 187 de la directive TVA, la Cour a jugé que cette disposition ne régit pas les modalités de régularisation qu’il convient d’appliquer si, au moment même de la première utilisation du bien d’investissement, le droit à déduction s’avère supérieur ou inférieur à la déduction initialement opérée (arrêt du 17 septembre 2020, Stichting Schoonzicht, C-791/18, EU:C:2020:731, point 43). D’ailleurs, l’établissement des modalités relatives à la régularisation de la déduction initiale à la date de la première utilisation du bien d’investissement concerné, lorsqu’il apparaît que, à cette date, ladite déduction était supérieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer compte tenu de l’utilisation effective de ce bien, relève non pas de l’article 187 de la directive TVA, mais bien des modalités d’application des articles 184 et 185 de cette directive que les États membres sont chargés de définir en vertu de l’article 186 de ladite directive (arrêt du 17 septembre 2020, Stichting Schoonzicht, C-791/18, EU:C:2020:731, point 48).

48      Or, en l’occurrence, dès lors qu’il n’y a pas eu « première utilisation » ou « utilisation effective » du bien et des services acquis, il convient de conclure que les modalités relatives à la régularisation de la déduction initiale de la TVA prévue en droit suédois ne relèvent pas de l’article 187 de la directive TVA et ne sauraient donc, contrairement à ce que la juridiction de renvoi a envisagé, se heurter à cette disposition.

49      La même conclusion s’impose en ce qui concerne l’article 192 de la directive TVA, puisqu’il ressort clairement du libellé de cette disposition que celle-ci laisse le choix aux États membres de prendre ou non les « dispositions nécessaires afin d’éviter que l’assujetti concerné ne bénéficie d’avantages injustifiés ou ne subisse un préjudice injustifié ».

50      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la question préjudicielle que les articles 137, 168, 184 à 187, 189 et 192 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui prévoit l’obligation pour le propriétaire d’un bien immeuble, qui s’est vu accorder le bénéfice du régime de l’assujettissement optionnel lors de la construction d’un bâtiment qu’il devait donner en location et qui a déduit la TVA en amont ayant grevé des achats destinés à ce projet immobilier, de rembourser immédiatement la totalité de cette taxe, éventuellement majorée d’intérêts, au motif que le projet envisagé ayant ouvert le droit à déduction n’a donné lieu à aucune activité taxée, mais ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit, dans une telle situation, l’obligation de régulariser la TVA payée en amont.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

Les articles 137, 168, 184 à 187, 189 et 192 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui prévoit l’obligation pour le propriétaire d’un bien immeuble, qui s’est vu accorder le bénéfice du régime de l’assujettissement optionnel lors de la construction d’un bâtiment qu’il devait donner en location et qui a déduit la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en amont ayant grevé des achats destinés à ce projet immobilier, de rembourser immédiatement la totalité de cette taxe, éventuellement majorée d’intérêts, au motif que le projet envisagé ayant ouvert le droit à déduction n’a donné lieu à aucune activité taxée, mais ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit, dans une telle situation, l’obligation de régulariser la taxe sur la valeur ajoutée TVA payée en amont.

Signatures


*      Langue de procédure : le suédois.