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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

28 octobre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 2006/112/CE – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Prestation de services – Article 63 – Exigibilité de la TVA – Article 64, paragraphe 1 – Notion de “prestation qui donne lieu à des paiements successifs” – Prestation à caractère ponctuel rémunérée par un paiement échelonné – Article 90, paragraphe 1 – Réduction de la base d’imposition – Notion de “non-paiement du prix” »

Dans l’affaire C-324/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 7 mai 2020, parvenue à la Cour le 22 juillet 2020, dans la procédure

Finanzamt B

contre

X-Beteiligungsgesellschaft mbH,

LA COUR (première chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, vice-président, faisant fonction de président de la première chambre, J. C. Bonichot (rapporteur) et M. Safjan, juge,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour X-Beteiligungsgesellschaft mbH, par Me O. Pantle, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme S. Heimerl, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme J. Jokubauskaitė et M. L. Mantl, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er juillet 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 64, paragraphe 1, et de l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt B (bureau des impôts B, Allemagne) à X-Beteiligungsgesellschaft mbH au sujet du caractère exigible de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due au titre d’une prestation de services ayant fait l’objet d’une rémunération en plusieurs tranches.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le considérant 24 de la directive 2006/112 est ainsi libellé :

« Les notions de fait générateur et d’exigibilité de la taxe devraient être harmonisées pour que la mise en application et les modifications ultérieures du système commun de TVA prennent effet à la même date dans tous les États membres. »

4        Aux termes de l’article 14, paragraphe 2, de cette directive :

« Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes :

[...]

b)      la remise matérielle d’un bien en vertu d’un contrat qui prévoit la location d’un bien pendant une certaine période ou la vente à tempérament d’un bien, assorties de la clause que la propriété est normalement acquise au plus tard lors du paiement de la dernière échéance ;

[...] »

5        Le titre VI de la directive 2006/112, relatif au fait générateur et à l’exigibilité de la taxe, comprend un chapitre 2, intitulé « Livraisons de biens et prestations de services », dans lequel figurent les articles 63 à 67 de ladite directive.

6        Selon l’article 63 de la même directive :

« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »

7        L’article 64 de la directive 2006/112 dispose :

« 1.      Lorsqu’elles donnent lieu à des décomptes ou à des paiements successifs, les livraisons de biens, autres que celles ayant pour objet la location d’un bien pendant une certaine période ou la vente à tempérament d’un bien visées à l’article 14, paragraphe 2, point b), et les prestations de services sont considérées comme effectuées au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces décomptes ou paiements se rapportent.

2.      Les États membres peuvent prévoir que, dans certains cas, les livraisons de biens et les prestations de services qui ont lieu de manière continue sur une certaine période sont considérées comme effectuées au moins à l’expiration d’un délai d’un an. »

8        Aux termes de l’article 66 de cette directive :

« Par dérogation aux articles 63, 64 et 65, les États membres peuvent prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis à un des moments suivants :

a)      au plus tard lors de l’émission de la facture ;

b)      au plus tard lors de l’encaissement du prix ;

c)      en cas d’absence d’émission ou d’émission tardive de la facture, dans un délai déterminé à compter de la date du fait générateur. »

9        Figurant au titre VII de la directive 2006/112, intitulé « Base d’imposition », l’article 90 de celle-ci est libellé comme suit :

« 1.      En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

2.      En cas de non-paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger au paragraphe 1. »

10      L’article 193 de cette directive dispose :

« La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 et de l’article 202. »

11      L’article 226 de ladite directive prévoit :

« Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :

[...]

6)      la quantité et la nature des biens livrés ou l’étendue et la nature des services rendus ;

7)      la date à laquelle est effectuée, ou achevée, la livraison de biens ou la prestation de services ou la date à laquelle est versé l’acompte visé à l’article 220, points 4) et 5), dans la mesure où une telle date est déterminée et différente de la date d’émission de la facture ;

[...] »

 Le droit allemand

12      L’article 13, paragraphe 1, point 1, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), du 21 février 2005 (BGBl. 2005 I, p. 386), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UStG »), dispose :

« La taxe prend naissance

1.      pour les livraisons et autres prestations

a)      en cas de calcul de la taxe en fonction des contreparties financières convenues (article 16, paragraphe 1, première phrase), à l’expiration de la période comptable au cours de laquelle les prestations ont été exécutées. Cela s’applique également aux prestations partielles. Il y a prestation partielle lorsque la contrepartie financière de certaines parties d’une prestation économiquement séparable est convenue séparément. Si la contrepartie financière, ou une partie de celle-ci, est encaissée avant que la prestation ou la prestation partielle ne soit exécutée, la taxe y afférente devient exigible à l’expiration de la période comptable pendant laquelle la contrepartie ou la contrepartie partielle a été encaissée,

b)      en cas de calcul de la taxe en fonction des contreparties financières encaissées (article 20), à l’expiration de la période comptable au cours de laquelle ces contreparties ont été encaissées.

[...] »

13      L’article 17 de l’UStG prévoit :

« 1)      En cas de modification de la base de calcul d’une opération imposable, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, l’entrepreneur qui a réalisé cette opération doit rectifier le montant de la taxe due à ce titre. [...]

2)      Le paragraphe 1 est applicable mutatis mutandis lorsque

1.      la contrepartie financière convenue pour une livraison imposable, une autre prestation ou une acquisition intracommunautaire imposable est devenue irrécouvrable. Si la contrepartie financière est encaissée ultérieurement, le montant de la taxe et la déduction doivent à nouveau être rectifiés ;

[...] »

14      Selon l’article 20, première phrase, de l’UStG, un entrepreneur peut être autorisé à calculer la TVA en fonction non pas des contreparties financières convenues, mais des contreparties financières encaissées, lorsque, notamment, son chiffre d’affaires n’a pas dépassé un certain seuil au cours de l’année civile précédente.

 Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

15      Au cours de l’année 2012, X a fourni des services d’intermédiation à T-GmbH en vue de la vente d’un terrain par cette dernière société à un tiers. Il ressort de la convention d’honoraires conclue le 7 novembre 2012 entre X et T que, à cette date, X avait déjà rempli ses obligations contractuelles.

16      S’agissant de la rémunération des services en cause, cette convention en fixait le montant à 1 000 000 d’euros, majorés de la TVA et précisait que ce montant devait être versé par tranches de 200 000 euros, majorées de la TVA. Les paiements étaient exigibles à un an d’intervalle, le premier d’entre eux devant être effectué le 30 juin 2013. Au moment de l’échéance de chaque tranche, X a établi une facture pour le montant dû, a procédé à son encaissement et a versé la TVA correspondante.

17      À l’issue d’un contrôle fiscal, le bureau des impôts B a constaté, par une décision du 22 décembre 2016, que la prestation de services avait été effectuée au cours de l’année 2012 et que, dès lors, X aurait dû acquitter au titre de cette même année la TVA sur la somme totale des honoraires.

18      Une réclamation contre cette décision ayant été rejetée, X a introduit un recours devant le Finanzgericht (tribunal des finances, Allemagne), lequel y a fait droit pour l’essentiel. Cette juridiction a effectivement constaté que X avait fourni les services en cause au principal au cours de l’année 2012. Elle a toutefois considéré que, à l’exception de la première tranche d’honoraires, qui avait été encaissée au cours de l’année 2013, la contrepartie financière convenue devait être regardée comme étant irrécouvrable, au sens de l’article 17, paragraphe 2, point 1, et de l’article 17, paragraphe 1, première phrase, de l’UStG. Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le Finanzgericht (tribunal des finances) s’est fondé sur la prémisse que l’application de l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 permettrait de réduire la base d’imposition afin d’éviter que l’assujetti soit obligé d’avancer, pendant plusieurs années, la TVA due au titre de la période de réalisation de la prestation, alors qu’il n’a pas encore reçu le paiement intégral de cette prestation au cours de cette période.

19      Le bureau des impôts B a formé un recours en Revision contre la décision du Finanzgericht (tribunal des finances) devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne).

20      Cette dernière juridiction s’interroge sur le point de savoir si l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 s’applique à des prestations de services ponctuelles. Alors que cette disposition exclut de son champ d’application les ventes à tempérament de biens, elle ne prévoirait pas d’exclusion correspondante pour les prestations de services rémunérées par paiements échelonnés. Or, l’application littérale de ladite disposition pourrait introduire une différentiation injustifiée entre les livraisons de biens et les prestations de services. De surcroît, elle pourrait indûment limiter la règle générale de l’article 63 de la directive 2006/112 en vertu de laquelle, en principe, la taxe devient exigible au moment de la prestation d’un service.

21      Cette juridiction souligne par ailleurs que la présente affaire se distingue de celle à l’origine de l’arrêt du 29 novembre 2018, baumgarten sports & more (C-548/17, EU:C:2018:970), dans laquelle étaient en cause des prestations de services d’un agent sportif, à savoir le placement d’un joueur dans un club de football, la rémunération de cet agent étant liée au maintien du joueur placé au sein du club concerné. En effet, l’affaire au principal concerne une situation dans laquelle le paiement des tranches de la rémunération convenue est simplement soumis à des délais, et non à une condition tenant à la réussite durable de l’intermédiation dont la réalisation serait incertaine.

22      La circonstance que, dans l’arrêt du 29 novembre 2018, baumgarten sports & more (C-548/17, EU:C:2018:970), la Cour s’est référée à l’arrêt du 3 septembre 2015, Asparuhovo Lake Investment Company (C-463/14, EU:C:2015:542), dans lequel était en cause un service offert de manière permanente sur une longue période, confirmerait l’interprétation selon laquelle il ne peut y avoir de « décomptes ou [de] paiements successifs », au sens de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112, que s’il existe un rapport entre les prestations en cause et les paiements échelonnés.

23      Une telle approche correspondrait à l’article 13, paragraphe 1, point 1, sous a), deuxième et troisième phrases, de l’UstG, en vertu duquel le caractère séparable d’une prestation du point de vue économique est déterminant.

24      Dans l’hypothèse où l’application de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 devrait être écartée dans l’affaire en cause au principal, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la possibilité d’appliquer l’article 90, paragraphe 1, de cette directive.

25      Cette juridiction rappelle que, pour la prestation de services effectuée au cours de l’année 2012, X a perçu, à compter du mois de juin 2013, sa rémunération en plusieurs tranches, majorées chaque fois de la TVA. Or, s’il devait être considéré que la TVA pour une prestation ponctuelle est exigible au cours de l’année où celle-ci est fournie, l’assujetti qui accepte d’être payé en plusieurs tranches serait contraint de préfinancer la TVA. La juridiction de renvoi exprime cependant des doutes quant à la question de savoir si l’obligation d’avancer la TVA est conforme à la mission des assujettis qui, ainsi qu’il découlerait de la jurisprudence de la Cour résultant, notamment, des arrêts du 20 octobre 1993, Balocchi (C-10/92, EU:C:1993:846), et du 21 février 2008, Netto Supermarkt (C-271/06, EU:C:2008:105), agissent comme collecteurs de taxes pour le compte de l’État.

26      La juridiction de renvoi précise qu’une telle obligation pourrait être évitée par la réduction de la base d’imposition en application de l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112, puis par sa réévaluation ultérieure au moment du paiement effectif de la rémunération.

27      Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Suffit-il qu’un paiement échelonné soit stipulé pour considérer qu’une prestation ponctuelle, qui n’est donc pas fournie au cours d’une période déterminée, donne lieu à des décomptes ou à des paiements successifs, au sens de l’article 64, paragraphe 1, de la directive [2006/112] ?

2)      À titre subsidiaire, en cas de réponse négative à la première question : doit-on considérer qu’il y a non-paiement au sens de l’article 90, paragraphe 1, de la directive [2006/112], si, lors de la fourniture de sa prestation, l’assujetti est convenu que celle-ci sera rémunérée au moyen de cinq paiements annuels et que, en cas de paiement ultérieur, le droit national prévoit une rectification ayant pour effet d’annuler la réduction antérieure de la base d’imposition consentie en vertu de cette disposition ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité des questions

28      Ainsi qu’il résulte du cadre factuel, tel que présenté par la juridiction de renvoi, le litige au principal concerne une prestation de services qui a été intégralement exécutée à la fin de l’année 2012 et dont la contrepartie a été versée, conformément aux stipulations contractuelles, en cinq tranches annuelles à compter des années suivantes.

29      Dans ses observations soumises à la Cour, la défenderesse au principal conteste cette présentation des faits. Elle s’appuie, à cette fin, sur un document qui fait état de constatations opérées, à titre provisoire, par un juge allemand dans le cadre d’un litige autre que celui au principal.

30      Toutefois, un tel document n’est pas de nature à remettre en cause la description du cadre factuel telle que contenue dans la décision de renvoi.

31      En effet, il suffit de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la juridiction de renvoi est seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre cette dernière et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi (arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland, C-229/19 et C-289/19, EU:C:2021:68, point 44 et jurisprudence citée).

32      Il s’ensuit que les questions préjudicielles sont recevables.

 Sur la première question

33      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’une prestation de services de nature ponctuelle qui fait l’objet d’une rémunération par paiements échelonnés relève du champ d’application de cette disposition.

34      Il convient d’emblée de relever que l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété à la lumière de l’article 63 de cette directive, dès lors que la première disposition est intrinsèquement liée à la seconde.

35      D’une part, selon cet article 63, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. D’autre part, en vertu dudit article 64, paragraphe 1, lorsqu’elles donnent lieu, notamment, à des paiements successifs, les prestations de services sont considérées comme effectuées, au sens dudit article 63, au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces paiements se rapportent.

36      Il résulte de l’application combinée de ces deux dispositions que, pour les prestations donnant lieu à des paiements successifs, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces paiements se rapportent (arrêt du 29 novembre 2018, baumgarten sports & more, C-548/17, EU:C:2018:970, point 28 et jurisprudence citée).

37      S’agissant de l’interprétation des termes « prestations qui donnent lieu à des paiements successifs », ceux-ci pourraient être compris soit en ce sens qu’ils incluent des prestations à caractère ponctuel dont la rémunération convenue est payée en plusieurs tranches, soit en ce sens qu’ils ne visent que les prestations dont la nature même justifie un paiement échelonné, à savoir celles qui sont fournies non de manière ponctuelle, mais de manière récurrente ou continue, pendant une certaine période.

38      Cette dernière interprétation est corroborée par le libellé et par l’objet de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112. En effet, en vertu de cette disposition, le moment de la naissance de l’obligation fiscale est déterminé en fonction de l’expiration des périodes auxquelles les paiements successifs se rapportent. Dès lors que ces paiements constituent nécessairement la contrepartie des prestations effectuées, il en découle que ladite disposition exige implicitement que celles-ci aient été réalisées au cours des périodes visées. Dans ces conditions, l’application de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 ne saurait être conditionnée par le seul mode échelonné du paiement de la prestation.

39      Par conséquent, l’application de cet article 64, paragraphe 1, suppose un rapport entre la nature des prestations en cause et le caractère échelonné des paiements, de sorte que cette disposition ne saurait concerner une prestation à caractère ponctuel, même dans l’hypothèse où celle-ci fait l’objet d’une rémunération au moyen de paiements échelonnés.

40      Cette interprétation littérale de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 est confirmée par son objectif ainsi que par la systématique de cette directive.

41      À cet égard, il convient de relever que l’article 64, paragraphe 1, de ladite directive, lu en combinaison avec l’article 63 de cette dernière, vise à faciliter la perception de la TVA et, en particulier, la détermination du moment de la naissance de l’obligation fiscale.

42      En effet, afin de déterminer le moment où le fait générateur de la taxe intervient et où la taxe devient exigible, l’article 63 de la directive 2006/112 exige que soit établi le moment de la réalisation effective d’une prestation. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, cet article ne précise pas quel événement doit être considéré comme marquant le moment où la prestation est effectuée, de telle sorte qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales compétentes de vérifier le moment de sa réalisation effective.

43      En revanche, en vertu de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112, la naissance de la taxe et son exigibilité sont liées à l’expiration des périodes auxquelles les paiements pour les prestations effectuées se rapportent. Cette dernière disposition contient donc une règle juridique qui permet de déterminer avec précision le moment de la naissance de l’obligation fiscale à l’aide d’une fiction légale, ce qui évite de devoir procéder aux constatations factuelles nécessaires à la détermination du moment de la réalisation effective d’une prestation.

44      Plus particulièrement, ainsi que la Cour l’a déjà constaté, dans le cas où l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 s’applique, il suffit que les périodes de prestation des services auxquels les paiements successifs se rapportent soient mentionnées sur les factures pour que l’assujetti satisfasse aux exigences qui découlent de l’article 226, point 7, de cette directive, en vertu duquel la facture comporte la date à laquelle est effectuée ou achevée la prestation de services (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos, C-516/14, EU:C:2016:690, points 29 à 31).

45      Toutefois, le recours à l’article 64, paragraphe 1, de ladite directive, en tant que règle juridique visant à déterminer le moment auquel naît l’obligation fiscale, ne s’impose que pour autant que le ou les moments de réalisation effective des prestations ne sont pas univoques et peuvent donner lieu à des appréciations différentes, ce qui est le cas lorsque celles-ci sont, du fait de leur caractère continu ou récurrent, effectuées au cours d’une ou de plusieurs périodes déterminées.

46      En revanche, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, dans le cas où le moment de l’exécution de la prestation est univoque, notamment lorsque la prestation revêt un caractère ponctuel et qu’il existe un moment précis permettant d’établir que sa réalisation est achevée, conformément à la relation contractuelle qui lie les parties à l’opération concernée, l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 ne saurait s’appliquer sans méconnaître les termes clairs de l’article 63 de cette directive.

47      En outre, conformément à cette dernière disposition, lue à la lumière du considérant 24 de la directive 2006/112, la naissance de la TVA et son exigibilité ne sont pas des éléments dont peuvent disposer librement les parties à un contrat. Au contraire, le législateur de l’Union a entendu harmoniser de façon maximale la date à laquelle naît l’obligation fiscale dans tous les États membres afin de garantir un prélèvement uniforme de cette taxe (arrêt du 2 mai 2019, Budimex, C-224/18, EU:C:2019:347, point 22 et jurisprudence citée).

48      Il serait donc contraire à l’article 63 de la directive 2006/112 de permettre à un assujetti, qui a fourni une prestation à caractère ponctuel tout en ayant conclu un accord d’échelonnement des paiements afin de rémunérer cette prestation, d’opter pour l’application de l’article 64, paragraphe 1, de cette directive et de déterminer ainsi lui-même le moment de la naissance et de l’exigibilité de la TVA.

49      Une telle interprétation de l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 serait également difficilement cohérente avec l’article 66, sous a) et b), de ladite directive. En effet, en vertu de ces dispositions, les États membres peuvent prévoir, par dérogation aux articles 63 à 65 de la même directive, que la TVA devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis au plus tard lors de l’émission de la facture ou lors de l’encaissement du prix. Or, l’article 66, sous a) et b), de la directive 2006/112 serait vidé largement de sa substance si les assujettis pouvaient, en fonction des modalités de rémunération prévues contractuellement, moduler eux-mêmes, à la place des États membres, le moment de la naissance et de l’exigibilité de la TVA.

50      Par ailleurs, il ne saurait être déduit de la jurisprudence de la Cour que l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 peut s’appliquer même en présence de prestations à caractère ponctuel. En effet, les affaires dans lesquelles la Cour a admis l’applicabilité de cette disposition concernaient des prestations de services fournis au cours de périodes déterminées sur la base de relations contractuelles qui établissaient des obligations à caractère continu, qu’il s’agisse de la location d’un véhicule (arrêt du 16 février 2012, Eon Aset Menidjmunt, C-118/11, EU:C:2012:97), de la fourniture de conseils d’ordre juridique, commercial et financier (arrêts du 3 septembre 2015, Asparuhovo Lake Investment Company, C-463/14, EU:C:2015:542, et du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos, C-516/14, EU:C:2016:690), ou encore du placement et du maintien d’un joueur dans un club de football (arrêt du 29 novembre 2018, baumgarten sports & more, C-548/17, EU:C:2018:970).

51      La circonstance que les assujettis pourraient être amenés à préfinancer la TVA qu’ils doivent verser à l’État lorsqu’ils fournissent des prestations à caractère ponctuel dont la rémunération est échelonnée ne saurait non plus infirmer les conclusions figurant aux points 39 et 48 du présent arrêt.

52      Certes, il est de jurisprudence constante que, conformément au principe de neutralité de la TVA, l’entrepreneur, en sa qualité de collecteur de taxes pour le compte de l’État, doit être entièrement soulagé du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de ses activités économiques elles-mêmes soumises à la TVA [arrêt du 15 octobre 2020, E. (TVA – Réduction de la base d’imposition), C-335/19, EU:C:2020:829, point 31 et jurisprudence citée].

53      Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 62 de ses conclusions, le rôle des assujettis ne se limite pas à celui de collecter la TVA. Conformément à l’article 193 de la directive 2006/112, c’est, en principe, à eux que s’adresse l’obligation de paiement de la taxe lorsqu’ils effectuent une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sans que cette obligation soit subordonnée à la perception préalable de la contrepartie ou, du moins, du montant de la taxe acquittée en aval.

54      En effet, en vertu de l’article 63 de la directive 2006/112, la TVA devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée, soit lors de la réalisation de l’opération en cause, indépendamment de la question de savoir si la contrepartie due pour cette opération a déjà été acquittée. Dès lors, la TVA est due au Trésor public par le fournisseur d’un bien ou par le prestataire de services, alors même qu’il n’a pas encore reçu, de la part de son client, le paiement correspondant à l’opération réalisée (arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie, C-274/10, EU:C:2011:530, point 46).

55      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question préjudicielle que l’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’une prestation de services de nature ponctuelle qui fait l’objet d’une rémunération par paiements échelonnés ne relève pas du champ d’application de cette disposition.

 Sur la seconde question

56      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que, en présence d’un accord d’échelonnement des paiements, l’absence de paiement d’une tranche de la rémunération avant l’exigibilité de celle-ci doit être qualifiée de non-paiement du prix, au sens de cette disposition, et, de ce fait, donner lieu à une réduction de la base d’imposition.

57      Il y a lieu de rappeler que l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 prévoit la réduction de la base imposable en cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération.

58      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, dans les cas qu’elle vise, cette disposition oblige les États membres à réduire la base d’imposition et, partant, le montant de la TVA due par l’assujetti chaque fois que, postérieurement à la conclusion d’une transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie n’est pas perçue par l’assujetti. Ladite disposition constitue l’expression d’un principe fondamental de la directive 2006/112, selon lequel la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue et dont le corollaire consiste en ce que l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui que l’assujetti avait lui-même perçu (arrêt du 12 octobre 2017, Lombard Ingatlan Lízing, C-404/16, EU:C:2017:759, point 26 et jurisprudence citée).

59      En ce qui concerne le non-paiement partiel ou total de la contrepartie, celui-ci ne saurait, contrairement à la résolution ou à l’annulation du contrat, replacer les parties dans la situation qui était la leur antérieurement à la conclusion du contrat. Si le non-paiement intervient sans qu’il y ait eu résolution ou annulation du contrat, l’acheteur du bien ou le bénéficiaire de la prestation reste redevable du prix convenu, et le vendeur du bien ou le fournisseur de la prestation dispose toujours, en principe, de sa créance, dont il peut se prévaloir en justice. Il ne saurait être exclu, cependant, qu’une telle créance devienne en fait définitivement irrécouvrable, le non-paiement étant caractérisé par l’incertitude inhérente à sa nature non définitive (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2017, Lombard Ingatlan Lízing, C-404/16, EU:C:2017:759, points 29 et 30).

60      Ainsi, le non-paiement de la contrepartie, au sens de l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112, vise les seules situations dans lesquelles le bénéficiaire d’une livraison de biens ou d’une prestation de services ne s’acquitte pas, ou bien ne s’acquitte que partiellement, d’une créance dont il est pourtant redevable en vertu du contrat conclu avec le fournisseur ou le prestataire (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2015, NLB Leasing, C-209/14, EU:C:2015:440, point 36 et jurisprudence citée).

61      À la lumière de cette jurisprudence, force est de constater que le paiement de la rémunération due pour une prestation de services par tranches, conformément au contrat établi par les parties, ne relève pas du cas de figure du non-paiement de la contrepartie, visé à l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112.

62      En effet, d’une part, cette modalité de paiement ne modifie pas le montant de la rémunération que l’assujetti est censé obtenir ou qu’il peut, de fait, recouvrer. Dans ces conditions, la base d’imposition demeure inchangée et l’administration fiscale ne perçoit pas, au titre de la TVA, un montant supérieur à celui correspondant à la rémunération de l’assujetti. D’autre part, dès lors que, avant la date d’échéance d’une tranche d’honoraires, celle-ci n’est pas exigible, une telle situation ne saurait être assimilée à une situation où le bénéficiaire de la prestation ne s’acquitte que partiellement de la créance dont il est redevable.

63      Par ailleurs, ainsi qu’il ressort déjà des considérations qui figurent aux points 51 à 54 du présent arrêt, aux fins de l’interprétation de l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112, la circonstance que, dans certaines hypothèses, un assujetti peut être contraint de préfinancer la TVA qu’il doit verser à l’administration fiscale est dépourvue de pertinence.

64      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que, en présence d’un accord d’échelonnement de paiement, l’absence de paiement d’une tranche de la rémunération avant l’exigibilité de celle-ci ne saurait être qualifiée de non-paiement du prix, au sens de cette disposition, et ne saurait, de ce fait, donner lieu à une réduction de la base d’imposition.

 Sur les dépens

65      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’article 64, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’une prestation de services de nature ponctuelle qui fait l’objet d’une rémunération par paiements échelonnés ne relève pas du champ d’application de cette disposition.

2)      L’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que, en présence d’un accord d’échelonnement de paiement, l’absence de paiement d’une tranche de la rémunération avant l’exigibilité de celle-ci ne saurait être qualifiée de non-paiement du prix, au sens de cette disposition, et ne saurait, de ce fait, donner lieu à une réduction de la base d’imposition.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.