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 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

11 novembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 90 – Réduction de la base d’imposition à la TVA – Non-paiement total ou partiel du prix en raison de la faillite du débiteur – Conditions imposées par une réglementation nationale pour la rectification de la TVA en aval – Condition selon laquelle la créance partiellement ou totalement non payée ne doit pas être née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice – Non-conformité »

Dans l’affaire C-398/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque), par décision du 29 juillet 2020, parvenue à la Cour le 20 août 2020, dans la procédure

ELVOSPOL s.r.o.

contre

Odvolací finanční ředitelství,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. J-C. Bonichot (rapporteur) et M. Safjan, juges,

avocate générale : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour ELVOSPOL s.r.o., par M. T. Klíma,

pour l’Odvolací finanční ředitelství, par M. T. Rozehnal, pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, O. Serdula et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mmes P. Carlin et M. Salyková, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 90 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ELVOSPOL s.r.o. (ci-après « ELVOSPOL »), société de droit tchèque, à l’Odvolací finanční ředitelství (direction d’appel des finances, République tchèque) au sujet du refus de ce dernier de lui accorder une rectification du montant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 63 de la directive TVA prévoit :

« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »

4

L’article 73 de cette directive dispose :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »

5

Aux termes de l’article 90 de ladite directive :

« 1.   En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

2.   En cas de non-paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger au paragraphe 1. »

6

L’article 273 de la directive TVA prévoit :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »

Le droit tchèque

7

L’article 44 du zákon č. 235/2004 Sb., o dani z přidané hodnoty (loi no 235/2004 relative à la taxe sur la valeur ajoutée, ci-après la « loi sur la TVA ») prévoit, à son paragraphe 1 :

« L’assujetti qui, en raison d’une prestation taxable fournie à un autre assujetti, est tenu de déclarer la taxe et dont la créance afférente, née au plus tard 6 mois avant la décision de justice déclarant la faillite, ne s’est pas encore éteinte (ci-après “le créancier”) a le droit de procéder à une rectification du montant de la taxe en aval sur la valeur de la créance établie au cas où :

a)

l’assujetti vis-à-vis duquel le créancier a cette créance (ci-après “le débiteur”) fait l’objet d’une procédure de faillite et où le juge des faillites a prononcé la liquidation des biens du débiteur,

b)

le créancier a déclaré la créance en question au plus tard dans le délai fixé par la décision du juge des faillites, que cette créance a été établie et qu’il en est tenu compte dans la procédure de faillite,

c)

le créancier et le débiteur ne sont pas, et n’étaient pas à la naissance de la créance,

1.

des personnes dont le capital est lié [...],

2.

des personnes proches, ou

3.

des actionnaires de la même société, s’il s’agit d’assujettis,

d)

le créancier a fait parvenir au débiteur le document fiscal prévu à l’article 46, paragraphe 1. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

8

Le 29 novembre 2013, ELVOSPOL a effectué une livraison de biens en faveur de MPS Mont a.s. (ci-après « Mont »). Le 19 mai 2014, une juridiction tchèque a déclaré la faillite de cette dernière et a fixé les modalités de sa liquidation.

9

La requérante au principal a alors procédé, dans sa déclaration fiscale relative à la TVA au titre du mois de mai 2015, puis dans une déclaration fiscale complémentaire, à une rectification de sa base d’imposition sur le fondement de l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, en faisant valoir que Mont ne s’était pas acquittée du paiement de la facture pour la livraison effectuée.

10

Le Finanční úřad pro Jihomoravský kraj (bureau des finances pour la région de Moravie-du-Sud, République tchèque) (ci-après l’« administration fiscale ») a cependant estimé que l’interprétation de l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA faite par la requérante au principal était erronée et que celle-ci n’avait pas le droit de rectifier sa base d’imposition. Dans ces conditions, le 22 février 2016, l’administration fiscale a adopté une décision par laquelle elle a établi le montant de la TVA sans prendre en compte la demande de rectification.

11

La requérante au principal a contesté cette décision devant la direction d’appel des finances. Par une décision du 2 mai 2018, cette direction a rejeté cette réclamation, en considérant que la requérante au principal ne pouvait pas procéder à la rectification de sa base d’imposition sur le fondement de l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, étant donné que la créance non payée était née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de Mont.

12

En effet, selon la direction d’appel des finances, pour pouvoir procéder à une rectification du montant de la TVA, l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA prévoit plusieurs conditions, l’une d’entre elles étant que la créance non payée ne soit pas née au cours de la période de six mois précédant la décision de justice déclarant la faillite de la société débitrice concernée. Or, la créance non payée en cause au principal serait née le 29 novembre 2013, soit au cours de la période de six mois précédant la décision de justice du 19 mai 2014 déclarant la faillite de Mont.

13

La requérante au principal a introduit un recours contre la décision de la direction d’appel des finances devant le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque), la juridiction de renvoi.

14

Celle-ci se demande si une disposition nationale, telle que l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, qui subordonne la rectification du montant de la TVA à la condition que la créance non payée ne soit pas née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice, est contraire à l’article 90 de la directive TVA.

15

À cet égard, la juridiction de renvoi rappelle, en se référant à la jurisprudence de la Cour relative à l’article 90 de la directive TVA, que le principe de neutralité implique que, en sa qualité de collecteur de taxes pour le compte de l’État, l’entrepreneur doit être entièrement soulagé du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de ses activités économiques elles-mêmes soumises à la TVA et que, si les États membres peuvent s’écarter de la possibilité de rectifier le montant de la base d’imposition de la taxe, ils ne peuvent pas totalement exclure la possibilité d’une telle rectification sous peine d’enfreindre le principe de neutralité.

16

Au regard de cette jurisprudence de la Cour, la juridiction de renvoi considère qu’une disposition nationale telle que l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, qui subordonne la rectification du montant de la TVA à la condition que la créance non payée ne soit pas née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice concernée, pourrait être contraire au principe de neutralité de la TVA.

17

La juridiction de renvoi doute également du fait qu’une telle disposition nationale puisse relever de la dérogation prévue à l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA. À cet égard, elle rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, cette disposition est fondée sur l’idée que le non-paiement de la contrepartie peut, dans certaines circonstances et en raison de la situation juridique existant dans l’État membre concerné, être difficile à vérifier ou n’être que provisoire. Dès lors, l’exercice d’une telle faculté de dérogation doit être justifié par l’incertitude quant au paiement de la contrepartie et être proportionné à cet objectif.

18

Par ailleurs, la juridiction de renvoi se demande si une disposition nationale, telle que l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, pourrait être justifiée par l’article 273 de la directive TVA, qui permet aux États membres de prévoir les obligations qu’ils jugent nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude. La juridiction de renvoi rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, les mesures fondées sur cette dernière disposition doivent être limitées au strict nécessaire et ne pas être utilisées de manière à remettre en cause le principe de neutralité de la TVA.

19

La juridiction de renvoi précise en outre que, selon une ordonnance du Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque) du 16 juillet 2019, l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA est fondé sur l’hypothèse économique selon laquelle plus la période de négociation et de conclusion d’une opération entre un professionnel et son partenaire commercial est proche du moment de la faillite de celui-ci, plus ce professionnel est en mesure de distinguer sur le marché les signes de cette faillite. En effet, selon cette ordonnance, un professionnel faisant affaire avec un futur failli au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite ne pourrait ignorer, d’après les connaissances économiques générales, le caractère imminent de la faillite, de sorte qu’il ne serait pas justifié de lui fournir la possibilité de rectifier le montant de la TVA.

20

Or, tout en soulignant que ces justifications qui sous-tendent l’adoption de l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA ne se fondent pas sur l’idée que le non-paiement de la contrepartie peut être difficile à vérifier ou n’être que provisoire, la juridiction de renvoi estime que lesdites justifications n’ont pas pour objectif d’éviter la fraude. En effet, selon la juridiction de renvoi, le seul fait de réaliser des transactions soumises à TVA avec un opérateur économique pouvant présenter les signes d’une faillite imminente ne signifie pas, en soi, que de telles transactions seraient a priori malhonnêtes ou menées dans le but d’obtenir un avantage fiscal injustifié.

21

Ainsi, selon la juridiction de renvoi, une disposition nationale, telle que l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, qui subordonne la rectification du montant de la TVA à la condition que la créance non payée ne soit pas née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice, pourrait n’être justifiée ni par l’article 90, paragraphe 2, ni par l’article 273 de la directive TVA.

22

Dans ce contexte, le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Une réglementation nationale prévoyant une condition qui empêche un assujetti à la [TVA], lorsqu’il est soumis à l’obligation de déclarer la taxe en cas de fourniture d’une prestation imposable à autre assujetti, de procéder à une rectification du montant de la taxe en aval sur la valeur de la créance née au cours d’une période de six mois précédant la décision de justice déclarant la faillite de l’assujetti qui n’a que partiellement ou pas du tout payé la prestation est-elle en contradiction avec la finalité de l’article 90, paragraphes 1 et 2, de la directive [TVA] ? »

Sur la question préjudicielle

23

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 90 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale qui subordonne la rectification du montant de la TVA à la condition que la créance partiellement ou totalement non payée ne soit pas née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice.

24

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit que, en cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

25

Selon la jurisprudence de la Cour, cette disposition oblige les États membres à réduire la base d’imposition à la TVA et, partant, le montant de la TVA due par l’assujetti chaque fois que, postérieurement à la conclusion d’une transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie n’est pas perçue par l’assujetti. Ladite disposition constitue l’expression d’un principe fondamental de la directive TVA selon lequel la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue et dont le corollaire consiste en ce que l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui que l’assujetti a perçu [arrêt du 15 octobre 2020, E. (TVA – Réduction de la base d’imposition), C-335/19, EU:C:2020:829, point 21 et jurisprudence citée].

26

L’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA, quant à lui, prévoit que, en cas de non-paiement total ou partiel de la contrepartie, les États membres peuvent déroger à l’obligation de réduire la base d’imposition de la TVA prévue à l’article 90, paragraphe 1, de cette directive.

27

La Cour a précisé que cette faculté de dérogation, qui est strictement limitée aux cas de non-paiement total ou partiel, est fondée sur l’idée selon laquelle le non-paiement de la contrepartie peut, dans certaines circonstances et en raison de la situation juridique existant dans l’État membre concerné, être difficile à vérifier ou n’être que provisoire (arrêt du 11 juin 2020, SCT, C-146/19, EU:C:2020:464, point 23 et jurisprudence citée).

28

Il s’ensuit que l’exercice d’une telle faculté de dérogation doit être justifié, afin que les mesures prises par les États membres pour sa mise en œuvre ne bouleversent pas l’objectif d’harmonisation fiscale poursuivi par la directive TVA, et qu’elle ne saurait permettre à ces derniers d’exclure purement et simplement la réduction de la base d’imposition à la TVA en cas de non-paiement [arrêt du 15 octobre 2020, E. (TVA – Réduction de la base d’imposition), C-335/19, EU:C:2020:829, point 29 et jurisprudence citée].

29

À cet égard, la Cour a jugé que ladite faculté de dérogation ne vise qu’à permettre aux États membres de combattre l’incertitude liée au recouvrement des sommes dues (arrêt du 11 juin 2020, SCT, C-146/19, EU:C:2020:464, point 24 et jurisprudence citée).

30

Cette incertitude peut être prise en compte, conformément au principe de neutralité fiscale, en privant l’assujetti de son droit à réduction de la base d’imposition aussi longtemps que la créance ne présente pas un caractère irrécouvrable. Mais elle peut l’être également en accordant la réduction lorsque l’assujetti fait état d’une probabilité raisonnable que la dette ne soit pas honorée, sans préjudice de la possibilité que la base d’imposition soit réévaluée à la hausse dans l’hypothèse où le paiement interviendrait néanmoins(voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing, C-242/18, EU:C:2019:558, point 62 et jurisprudence citée).

31

En revanche, admettre la possibilité pour les États membres d’exclure toute réduction de la base d’imposition à la TVA en cas de non-paiement définitif irait à l’encontre du principe de neutralité de la TVA, dont il découle notamment que, en sa qualité de collecteur de taxes pour le compte de l’État, l’entrepreneur doit être entièrement soulagé du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de ses activités économiques elles-mêmes soumises à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, SCT, C-146/19, EU:C:2020:464, point 25 et jurisprudence citée).

32

La Cour a jugé, à cet égard, qu’une situation caractérisée par la réduction définitive des obligations du débiteur à l’égard de ses créanciers ne saurait être qualifiée de « non-paiement », au sens de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA. Dans un tel cas, un État membre doit permettre la réduction de la base d’imposition à la TVA si l’assujetti peut démontrer que la créance qu’il détient sur son débiteur présente un caractère définitivement irrécouvrable (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, SCT, C-146/19, EU:C:2020:464, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).

33

En l’occurrence, la question posée porte sur des créances non payées qui sont nées au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice concernée, dont il n’est pas établi qu’elles devraient être qualifiées de « définitivement irrécouvrables », au sens de la jurisprudence citée aux points 30 et 32 du présent arrêt.

34

En effet, il ressort de la décision de renvoi qu’une telle qualification dépend du traitement réservé à ces créances dans le cadre de la procédure de faillite. Il existe donc une incertitude liée au recouvrement des créances nées au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice concernée, incertitude qui repose sur la façon dont ces créances seront traitées dans le cadre de ladite procédure de faillite.

35

Toutefois, la condition générale selon laquelle, pour donner lieu à une rectification de la base d’imposition de la TVA, les créances non payées ne doivent pas être nées au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice ne saurait être regardée, en l’absence de tout élément objectif relatif au contexte dans lequel s’inscrivent les créances, comme visant à combattre l’incertitude liée au recouvrement de ces créances.

36

En effet, cette condition est sans rapport avec la façon dont les créances en cause seront réellement traitées dans le cadre de la procédure de faillite, puisqu’elle ne tient pas compte du fait que certaines créances pourront, au terme de cette procédure, être éventuellement recouvrées.

37

Au contraire, une telle condition a pour conséquence d’exclure purement et simplement toute réduction de la base d’imposition à la TVA en cas de créances non payées nées au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice concernée, même lorsque ces créances deviennent définitivement irrécouvrables au terme de la procédure de faillite, une telle automaticité du refus du droit à réduction contrevenant au principe de neutralité de la TVA en ce que la base d’imposition ne serait pas constituée de la contrepartie réellement perçue par l’assujetti créancier, lequel devrait alors supporter la charge de la taxe à la place du consommateur.

38

Pour l’ensemble de ces raisons, une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, ne saurait être considérée comme mettant en œuvre la faculté prévue à l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA.

39

Par ailleurs, l’argument du gouvernement tchèque selon lequel une telle disposition vise à mettre en œuvre l’article 273 de la directive TVA ne saurait être retenu.

40

À cet égard, il convient de rappeler que, si, en vertu de l’article 273 de la directive TVA, les États membres peuvent adopter des mesures qui ont pour effet de limiter le droit à réduction de la base d’imposition prévu à l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, ces mesures doivent viser à assurer l’exacte perception de la TVA et à éviter la fraude.

41

En outre, conformément à la jurisprudence de la Cour, de telles mesures ne peuvent, en principe, déroger au respect des règles relatives à la base d’imposition que dans les limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif spécifique. En effet, selon la Cour, elles doivent affecter le moins possible les objectifs et les principes de la directive TVA et ne peuvent, dès lors, être utilisées d’une manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA (arrêt du 6 décembre 2018, Tratave, C-672/17, EU:C:2018:989, point 33 et jurisprudence citée).

42

Or, l’exclusion de toute possibilité d’obtenir une rectification de la base d’imposition correspondant à une créance née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice concernée ne saurait être considérée comme permettant d’éviter la fraude fiscale et comme étant proportionnée à un tel objectif.

43

En effet, d’une part, comme la juridiction de renvoi le souligne, le fait qu’une créance non payée est née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice ne saurait, en l’absence de tout élément supplémentaire, permettre valablement de présumer que le créancier et le débiteur auraient agi dans le but de commettre une fraude ou une évasion fiscales.

44

D’autre part, le fait d’exclure toute possibilité de réduction de la base d’imposition en pareille hypothèse et, le cas échéant, de faire peser sur un créancier, tel que la requérante au principal, la charge d’un montant de TVA qu’il n’aurait pas perçu dans le cadre de ses activités économiques dépasse les limites strictement nécessaires pour atteindre les objectifs visés à l’article 273 de la directive TVA [voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2020, E. (TVA – Réduction de la base d’imposition), C-335/19, EU:C:2020:829, point 45 et jurisprudence citée].

45

En outre, il ne saurait être soutenu qu’une disposition nationale telle que celle en cause au principal vise à assurer l’exacte perception de la TVA.

46

Au contraire, l’application de cette disposition a pour conséquence de refuser systématiquement le droit à réduction de la base d’imposition en cas de créances non payées nées au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice concernée, alors que certaines de ces créances pourraient devenir définitivement irrécouvrables au terme de la procédure de faillite, ce qui conduit à remettre en cause la neutralité de la TVA.

47

Par conséquent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 90 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale qui subordonne la rectification du montant de la TVA à la condition que la créance partiellement ou totalement non payée ne soit pas née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice, alors que cette condition ne permet pas d’exclure que cette créance puisse finalement revêtir un caractère définitivement irrécouvrable.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 90 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale qui subordonne la rectification du montant de la taxe sur la valeur ajoutée à la condition que la créance partiellement ou totalement non payée ne soit pas née au cours de la période de six mois précédant la déclaration de faillite de la société débitrice, alors que cette condition ne permet pas d’exclure que cette créance puisse finalement revêtir un caractère définitivement irrécouvrable.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.