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 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

16 juin 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 2, 24 et 43 – Lieu de la prestation de services – Services de support technique fournis à une société établie dans un autre État membre – Abus de droit – Appréciation des faits – Incompétence »

Dans l’affaire C-596/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 28 septembre 2020, parvenue à la Cour le 12 novembre 2020, dans la procédure

DuoDecad Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešič et D. Gratsias, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour DuoDecad Kft., par M. Z. Várszegi, ügyvéd,

pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

pour le gouvernement portugais, initialement par MM. L. Inez Fernandes et R. Campos Laires ainsi que par Mme P. Barros da Costa, puis par M. R. Campos Laires et Mme P. Barros da Costa, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. V. Uher et A. Tokár, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 10 février 2022,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, de l’article 24, paragraphe 1, et de l’article 43 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant DuoDecad Kft. à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’Office national des impôts et des douanes, Hongrie) (ci-après la « direction des recours »), au sujet du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente à des services fournis par DuoDecad au cours des années 2009 et 2011.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

En vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, sont soumises à la TVA les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

4

L’article 24 de cette directive dispose :

« 1.   Est considérée comme “prestation de services” toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens.

2.   Sont considérés comme “services de télécommunication” les services ayant pour objet la transmission, l’émission et la réception de signaux, écrits, images et sons ou informations de toute nature par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques, y compris la cession et la concession y afférentes d’un droit d’utilisation de moyens pour une telle transmission, émission ou réception, y compris la fourniture d’accès aux réseaux d’information mondiaux. »

5

Dans sa version en vigueur du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, ladite directive prévoyait, à son article 43 :

« Le lieu d’une prestation de services est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable à partir duquel la prestation de services est fournie ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle. »

6

La directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008, modifiant la directive 2006/112 (JO 2008, L 44, p. 11), a remplacé, avec effet à compter du 1er janvier 2010, les articles 43 à 59 de la directive 2006/112. Cette dernière, dans sa version issue de la directive 2008/8, prévoit, à son article 44 :

« Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où l’assujetti qui bénéficie de tels services a son domicile ou sa résidence habituelle. »

7

Dans cette version, la directive 2006/112 dispose, à son article 45 :

« Le lieu des prestations de services fournies à une personne non assujettie est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique. Toutefois, si ces prestations sont effectuées à partir de l’établissement stable du prestataire situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où le prestataire a son domicile ou sa résidence habituelle. »

8

Dans sa version en vigueur du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, cette directive prévoyait, à son article 56 :

« 1.   Le lieu des prestations de services suivantes, fournies à des preneurs établis en dehors de la Communauté [européenne] ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable pour lequel la prestation de services a été fournie ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle :

[...]

k)

les services fournis par voie électronique, notamment ceux visés à l’annexe II ;

[...] »

9

Dans cette version, la directive 2006/112 mentionnait notamment, à son annexe II, intitulée « Liste indicative des services fournis par voie électronique visés à l’article 56, paragraphe 1, [sous] k) », « [l]a fourniture et l’hébergement de sites informatiques, maintenance à distance de programmes et d’équipement » ainsi que « la fourniture d’images, de textes et d’informations, et mise à disposition de bases de données ».

10

Dans sa version issue de la directive 2008/8, la directive 2006/112 prévoit, à son article 59 :

« Le lieu des prestations de services suivantes, fournies à une personne non assujettie qui est établie ou a son domicile ou sa résidence habituelle hors de la Communauté, est l’endroit où cette personne est établie ou a son domicile ou sa résidence habituelle :

[...]

k)

les services fournis par voie électronique, notamment ceux visés à l’annexe II.

[...] »

Le droit hongrois

11

Dans sa version applicable aux faits du litige au principal, l’az általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény [loi no CXXVII de 2007 relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Magyar Közlöny 2007/155 (XI. 16.)] prévoyait, à son article 37 :

« (1)   Dans le cas de prestations de services fournies à une personne assujettie, le lieu de la prestation de services est l’endroit où le preneur du service s’est établi pour exercer une activité économique ou, à défaut d’un tel établissement à but économique, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

(2)   Dans le cas de prestations de services fournies à une personne non assujettie, le lieu de la prestation de services est l’endroit où le prestataire du service s’est établi pour exercer une activité économique ou, à défaut d’un tel établissement à but économique, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle. »

12

Dans cette version, cette loi disposait, à son article 46 :

« (1)   Pour les services visés au présent article, le lieu de la prestation de services est l’endroit où, dans ce contexte, le preneur non assujetti est établi ou, à défaut d’établissement, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle, à condition que celui–ci soit en–dehors du territoire de la Communauté.

(2)   Les services relevant du présent article sont les suivants :

[...]

k) services fournis par voie électronique.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

DuoDecad est une société enregistrée en Hongrie dont l’activité principale est la programmation informatique. Elle a fourni des services de support technique à Lalib – Gestão e Investimentos Lda. (ci-après « Lalib »), une société établie à Madère (Portugal), fournissant des services de divertissement par voie électronique, laquelle est son principal client. Elle a émis à ce titre, pour la période allant du mois de juillet au mois de décembre 2009 ainsi que pour toute l’année 2011, des factures d’un montant total de 8086829,40 euros.

14

À l’issue d’un contrôle effectué auprès de DuoDecad portant sur le second semestre de l’année 2009 et toute l’année 2011, l’autorité fiscale de première instance a ordonné à celle-ci, par une décision du 10 février 2020, le paiement d’un arriéré de TVA d’un montant total de 458438000 forints hongrois (HUF) (environ 1286835 euros), d’une amende fiscale d’un montant de 343823000 HUF (environ 964767 euros) et d’un supplément de retard d’un montant de 129263000 HUF (environ 362841 euros), considérant que le véritable bénéficiaire des services fournis par DuoDecad était non pas Lalib, mais WebMindLicenses Kft. (ci-après « WML »), une société commerciale immatriculée en Hongrie qui détient un savoir-faire permettant la fourniture de services de divertissement par voie électronique et qui a conclu avec Lalib un contrat de licence aux fins d’exploiter ce savoir-faire.

15

Cette décision ayant été, à la suite d’une réclamation de DuoDecad, confirmée par une décision de la direction des recours en date du 6 avril 2020, DuoDecad a formé un recours contre celle-ci devant la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), la juridiction de renvoi.

16

À l’appui de ce recours, DuoDecad soutient que les services de support technique en cause au principal doivent être considérés comme ayant été fournis à Lalib, au Portugal, toutes les conditions fixées à cet égard par la Cour étant satisfaites. Elle considère que la décision de la direction des recours est erronée en ce que cette décision n’identifie pas correctement le contenu de ces services, assimilant erronément ces derniers au fait d’assurer directement le fonctionnement technique des sites Internet concernés et ignorant ainsi que Lalib disposait des moyens humains et matériels nécessaires à la prestation des services qu’elle fournit. Elle fait valoir qu’elle a fourni directement ses services d’assistance à Lalib, et non à WML, et a joué un rôle actif dans des missions qui ne relevaient pas du contrat de licence de savoir-faire concerné. Pour ce faire, Lalib aurait contrôlé et surveillé DuoDecad ainsi que lui aurait donné des instructions, alors que WML ne serait pas apparue comme un client et n’aurait par conséquent pu lui adresser quelque demande ou donner quelque consigne que ce soit.

17

DuoDecad fait valoir également que, selon les réponses données par l’autorité fiscale portugaise en réponse à la demande de coopération internationale des autorités hongroises effectuée dans le cadre d’une procédure concernant WML, les autorités portugaises ont clairement indiqué que Lalib était établie au Portugal, où elle exerçait une activité économique effective à ses propres risques, et qu’elle disposait de tous les moyens techniques et humains nécessaires à l’exploitation du savoir-faire qu’elle avait acquis. En outre, le lieu de la prestation des services de divertissement en cause au principal n’aurait pu être situé en Hongrie en raison de l’existence d’un obstacle objectif, à savoir l’absence d’établissements financiers permettant le paiement par carte bancaire sur des sites à contenu pour adultes. DuoDecad ajoute que Lalib apparaissait, vis-à-vis du monde extérieur, comme étant le fournisseur de ces services de divertissement, que celle-ci concluait les contrats en son nom propre, disposait d’une base de données des clients qui payaient la contrepartie desdits services, disposait également des recettes générées par les mêmes services, contrôlait les développements du savoir-faire concerné et décidait de leur introduction. C’est par ailleurs le siège de celle-ci qui aurait été indiqué comme étant le lieu physique de l’assistance à la clientèle.

18

La direction des recours expose qu’elle a mené une enquête auprès de WML au cours de laquelle il est apparu que les services de divertissement en cause au principal étaient fournis non pas par Lalib, mais par WML à partir de la Hongrie, le contrat de licence conclu entre ces deux sociétés étant, selon elle, « fictif ».

19

La juridiction de renvoi constate que la Cour a interprété, en particulier dans l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), les dispositions pertinentes de la directive 2006/112, mais considère qu’une interprétation supplémentaire est nécessaire dans l’affaire au principal, car l’autorité fiscale portugaise et l’autorité fiscale hongroise ont, en dépit de cet arrêt, traité une même opération différemment d’un point de vue fiscal.

20

Selon cette juridiction, au vu des indications fournies dans l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), se pose la question de savoir si le lieu de la prestation de services de divertissement en cause au principal peut être situé en Hongrie, alors que Lalib était au centre d’un réseau complexe de contrats et de services indispensables à cette prestation de services, qu’elle assurait les conditions nécessaires à ladite prestation de services à l’aide de ses propres bases de données, de ses logiciels et par l’intermédiaire de tiers ou de prestataires appartenant au groupe Lalib ainsi qu’au groupe de sociétés auquel appartient DuoDecad, et, de ce fait, en assumait nécessairement les risques juridiques et économiques, et ce même si les sous-traitants appartenant au groupe de sociétés du « propriétaire » du savoir-faire concerné concouraient à la mise en œuvre technique de celui-ci et si ce « propriétaire » avait une influence sur l’exploitation de ce savoir-faire. Se poserait également la question de savoir comment apprécier si Lalib disposait, au Portugal, des locaux, des infrastructures et du personnel nécessaires.

21

Faisant référence au point 51 de l’arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko (C-276/18, EU:C:2020:485), la juridiction de renvoi s’estime tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, en raison, principalement, des qualifications fiscales divergentes effectuées par les autorités fiscales hongroise et portugaise. Elle demande à la Cour de préciser si la constatation d’une obligation fiscale à la fois par l’autorité fiscale hongroise et par l’autorité fiscale portugaise est légale, si l’opération en cause au principal peut être valablement taxée par la première ou par la seconde et quel est l’importance susceptible d’être reconnue aux différents critères concernés.

22

C’est dans ces conditions que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 2, paragraphe 1, sous c), l’article 24, paragraphe 1, et l’article 43 de la directive 2006/112 doivent-ils être interprétés en ce sens que ce n’est pas le preneur de licence de savoir-faire, une société établie dans un État membre de l’Union [européenne] (en l’occurrence au Portugal), qui fournit aux utilisateurs finals des services accessibles sur un site Internet, de telle sorte qu’il ne peut être le client du service de support technique du savoir-faire assuré par un assujetti, opérant en tant que sous-traitant, qui est établi dans un autre État membre de l’Union (en l’occurrence en Hongrie), mais que cet assujetti fournit les services susmentionnés au donneur de licence de savoir-faire établi dans cet autre État membre, sachant que les circonstances dans lesquelles opérait le preneur de licence étaient les suivantes :

a)

le preneur de licence disposait, dans le premier État membre de l’Union susmentionné, de bureaux loués, d’infrastructures informatiques et d’autres infrastructures de bureau, de ses propres employés et d’un propriétaire ayant une solide expérience dans le domaine du commerce électronique ainsi que d’un réseau de relations internationales étendu, et d’un gérant qualifié en matière de commerce électronique ;

b)

il recevait un savoir-faire définissant les processus d’exploitation des sites Internet, ainsi que ses mises à jour, et donnait son avis les concernant, suggérait des modifications et les approuvait ;

c)

l’assujetti fournissait ses services au preneur de licence sur la base de ce savoir-faire ;

d)

le preneur de licence recevait continuellement des rapports concernant l’activité des sous-traitants (en particulier en ce qui concerne le chiffre d’affaires des sites Internet et les paiements à partir du compte bancaire) ;

e)

il avait enregistré à son nom les noms de domaine permettant l’accès aux sites Internet ;

f)

le preneur de licence figurait sur les sites Internet comme étant le fournisseur de services ;

g)

c’est lui qui veillait à la préservation de l’image des sites Internet ;

h)

il concluait lui-même, en son nom propre, les contrats de sous-traitance et de coopération nécessaires à la prestation de services (en particulier avec les banques assurant le paiement par carte bancaire sur les sites Internet, avec les intervenants fournissant les contenus accessibles sur les sites Internet et avec les administrateurs de site promouvant ces contenus) ;

i)

il disposait d’un système complet de réception des revenus provenant de la fourniture du service concerné aux utilisateurs finals, par exemple de comptes bancaires, d’un droit de disposition exclusif et complet sur ces comptes bancaires, d’une base de données concernant les utilisateurs finals et permettant d’émettre à leur intention des factures au titre de la prestation de services, ainsi que de son propre logiciel de facturation ;

j)

sur les sites Internet, il indiquait son propre siège dans le premier État membre susmentionné en tant que lieu physique du service à la clientèle ;

k)

sa société était indépendante tant du donneur de licence que des sous-traitants en Hongrie chargés de la réalisation des différents processus techniques décrits dans le savoir-faire,

étant précisé par ailleurs que i) les éléments qui précèdent ont également été confirmés par l’administration fiscale du premier État membre susmentionné, laquelle est en mesure de certifier la présence de ces circonstances objectives et vérifiables par les tiers, que ii) l’impossibilité pour la société de l’autre État membre d’avoir accès à un prestataire de services de paiement qui aurait assuré l’acceptation de paiements par carte bancaire sur les sites Internet faisait objectivement obstacle à la prestation de services, dans cet autre État membre, à partir des sites Internet et que, pour cette raison, cette société n’a jamais effectué les prestations de service accessibles sur le site Internet, ni avant ni après la période considérée, et que iii) la société preneuse de licence et ses entreprises liées ont tiré de l’exploitation des sites Internet un profit au total supérieur au montant de la différence de taxe résultant du taux de TVA respectivement applicable dans le premier et dans le second État membre ?

2)

L’article 2, paragraphe 1, sous c), l’article 24, paragraphe 1, et l’article 43 de la directive [2006/112] doivent-ils être interprétés en ce sens que les services accessibles sur un site Internet sont fournis aux utilisateurs finals par le donneur de licence de savoir-faire, une société établie dans l’autre État membre, de telle sorte que c’est lui qui est le client du service de support technique du savoir-faire assuré par l’assujetti, opérant en tant que sous-traitant, et que cet assujetti ne fournit pas ces services au preneur de licence établi dans le premier État membre, sachant que le donneur de licence :

a)

n’avait pour ressources propres qu’un bureau loué et un ordinateur utilisé par son gérant ;

b)

ne disposait pas de personnel propre en dehors de son gérant et d’un conseiller juridique à temps partiel quelques heures par semaine ;

c)

n’avait pas d’autres contrats que le contrat de développement du savoir-faire ;

d)

avait laissé, en vertu du contrat conclu avec le preneur de licence, la société preneuse de licence enregistrer à son nom les noms de domaine dont il est propriétaire ;

e)

n’est jamais apparu comme étant le fournisseur des services en question aux yeux des tiers, notamment des utilisateurs finals, des banques assurant le paiement par carte bancaire sur des sites Internet, des intervenants fournissant les contenus accessibles sur les sites Internet et des administrateurs de site promouvant ces contenus ;

f)

n’a jamais émis de pièces justificatives relatives aux services accessibles sur les sites Internet, à l’exception de la facture sur les droits de licence, et

g)

ne disposait pas d’un système (compte bancaire spécifique et autres infrastructures) permettant la réception des revenus provenant du service fourni sur les sites Internet, étant également précisé que, selon l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), il n’est pas décisif, en soi, que le gérant et unique actionnaire de la société donneuse de la licence de savoir-faire en soit le créateur et que cette même personne ait exercé une influence ou un contrôle sur le développement et l’exploitation dudit savoir-faire et la fourniture des services qui reposaient sur celui-ci, de telle sorte que la personne physique qui est le gérant et le propriétaire de la société donneuse de licence est également le gérant et/ou le propriétaire des sociétés sous-traitantes – par conséquent de la requérante – qui contribuent – en exécutant les tâches qui leur incombent à ce titre – à la prestation de service en tant que sous-traitants, sur commande du preneur de licence ? »

Sur les questions préjudicielles

23

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, sous c), l’article 24, paragraphe 1, et l’article 43 de la directive 2006/112 doivent être interprétés, au regard de toute une série de circonstances mentionnées dans ces questions, en ce sens que ce n’est pas la société preneuse d’une licence de savoir-faire permettant la fourniture de services de divertissement par voie électronique qui fournit effectivement ces services de divertissement, de sorte qu’elle ne pourrait être considérée comme le preneur des services de support technique de ce savoir-faire fournis par un assujetti établi dans un autre État membre, mais que c’est en réalité la société donneuse de cette licence de savoir-faire, établie également dans cet autre État membre, qui est le véritable fournisseur desdits services de divertissement, de sorte que c’est cette dernière qui serait le preneur de ces services de support technique.

24

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, par lesdites questions, la juridiction de renvoi cherche à déterminer, à la suite de l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), si c’est Lalib ou si, bien que le savoir-faire permettant la fourniture de ces services de divertissement ait fait l’objet d’un contrat de licence conclu entre WML et Lalib, c’est WML qui doit être considérée comme étant le véritable prestataire des services de divertissement en cause au principal.

25

Il convient de rappeler que, interrogée, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), sur la pertinence de certains faits pour apprécier si un contrat de licence, tel que celui conclu entre WML et Lalib, procédait d’un abus de droit visant à bénéficier de ce que le taux de TVA applicable aux services de divertissement concernés était moins élevé à Madère qu’en Hongrie, la Cour a, au point 34 de cet arrêt, indiqué que c’était à la juridiction de renvoi dans cette affaire qu’il appartenait d’apprécier les faits qui lui avaient été soumis et de vérifier si les éléments constitutifs d’une pratique abusive étaient réunis, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, pouvant toutefois apporter des précisions visant à guider cette juridiction dans son interprétation.

26

Au point 35 dudit arrêt, la Cour a notamment rappelé que le principe d’interdiction des pratiques abusives, qui s’applique en matière de TVA, conduit à prohiber les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, effectués à la seule fin d’obtenir un avantage fiscal.

27

Après avoir relevé, au point 43 du même arrêt, qu’il ressortait du dossier dont elle disposait que Lalib était une société distincte de WML, n’étant ni une succursale, ni une filiale, ni une agence de celle-ci, et qu’elle s’était acquittée de la TVA au Portugal, la Cour a énoncé au point suivant de celui-ci que, dans ces circonstances, afin de constater que le contrat de licence concerné procédait d’une pratique abusive visant à bénéficier d’un taux de TVA moins élevé à Madère, il fallait établir que ce contrat constituait un montage purement artificiel dissimulant le fait que la prestation de services concernée n’était pas réellement fournie à Madère par Lalib, mais l’était en fait en Hongrie par WML.

28

Au point 45 de l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), la Cour a précisé que, pour déterminer si ledit contrat constituait un tel montage, il incombait à la juridiction de renvoi d’analyser l’ensemble des éléments factuels qui lui étaient soumis en recherchant, notamment, si l’implantation du siège de l’activité économique ou de l’établissement stable de Lalib à Madère n’était pas réelle ou si cette société, aux fins de l’exercice de l’activité économique concernée, ne possédait pas une structure appropriée en termes de locaux, de moyens humains et techniques, ou encore si ladite société n’exerçait pas cette activité économique en son propre nom et pour son propre compte, sous sa propre responsabilité et à ses propres risques.

29

En outre, au point 46 de cet arrêt, la Cour a indiqué que, en revanche, le fait que le gérant et unique actionnaire de WML était le créateur du savoir-faire de WML, que celui-ci exerçait une influence ou un contrôle sur le développement et l’exploitation de ce savoir-faire et la fourniture des services qui reposaient sur celui-ci, que la gestion des transactions financières, du personnel et des moyens techniques nécessaires à la fourniture de ces services était assurée par des sous-traitants, de même que les raisons qui peuvent avoir conduit WML à donner en location le savoir-faire concerné à Lalib au lieu de l’exploiter elle-même n’apparaissaient pas décisifs en eux-mêmes.

30

Par ailleurs, au point 54 de l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), la Cour a jugé que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, en cas de constatation d’une pratique abusive ayant abouti à fixer le lieu d’une prestation de services dans un État membre autre que celui où il l’aurait été en l’absence de cette pratique abusive, le fait que la TVA a été acquittée dans cet autre État membre conformément à la législation de celui-ci ne fait pas obstacle à ce qu’il soit procédé à un redressement de cette taxe dans l’État membre du lieu où cette prestation de services a réellement été fournie.

31

Au point 59 de cet arrêt, la Cour a toutefois jugé que le règlement (UE) no 904/2010 du Conseil, du 7 octobre 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (JO 2010, L 268, p. 1), doit être interprété en ce sens que l’administration fiscale d’un État membre qui examine l’exigibilité de la TVA pour des prestations qui ont déjà été soumises à cette taxe dans d’autres États membres est tenue d’adresser une demande de renseignements aux administrations fiscales de ces autres États membres lorsqu’une telle demande est utile, voire indispensable, pour déterminer que la TVA est exigible dans le premier État membre.

32

Relevant que l’autorité fiscale hongroise et l’autorité fiscale portugaise ont fait, à la suite de l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), et en dépit des renseignements fournis par la seconde de ces autorités fiscales à la première en réponse à une demande de coopération internationale, un traitement différent d’une même opération conduisant à la perception de la TVA applicable à celle-ci à la fois en Hongrie et au Portugal, la juridiction de renvoi indique qu’une « interprétation supplémentaire » est nécessaire et qu’elle s’estime tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle en raison, principalement, des qualifications divergentes des faits effectuées par lesdites autorités fiscales.

33

Cependant, force est de constater, d’une part, que la juridiction de renvoi n’expose pas les raisons pour lesquelles les précisions données dans l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), seraient insuffisantes pour déterminer laquelle de WML ou de Lalib doit être considérée comme étant le véritable prestataire des services de divertissement en cause au principal. En outre, la demande de décision préjudicielle ne contient aucune analyse des éléments de fait recueillis par l’autorité fiscale hongroise auprès de l’autorité fiscale portugaise ni de l’ensemble des éléments de fait relevés dans la décision de la direction des recours du 6 avril 2020, dont cette juridiction est saisie, ou d’autres éléments dont cette dernière disposerait.

34

Ainsi, la juridiction de renvoi se borne à relever un grand nombre de circonstances sans indiquer en quoi celles-ci soulèvent une difficulté d’interprétation des dispositions de la directive 2006/112 qu’elle mentionne dans ses questions, de telle sorte qu’il apparaît que cette juridiction demande en réalité à la Cour non pas d’interpréter cette directive, mais de déterminer elle-même, au vu de ces circonstances, si c’est WML et non Lalib qui doit être considérée comme étant le véritable prestataire des services de divertissement en cause au principal, ce dont il résulterait que le contrat de licence conclu entre ces sociétés constituait un montage purement artificiel.

35

D’autre part, au point 51 de l’arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko (C-276/18, EU:C:2020:485), la Cour a, certes, jugé que, lorsqu’elles constatent qu’une même opération fait l’objet d’un traitement fiscal différent dans un autre État membre, les juridictions d’un État membre saisies d’un litige soulevant des questions comportant une interprétation des dispositions du droit de l’Union nécessitant une décision de leur part ont la faculté, voire l’obligation, selon que leurs décisions sont susceptibles ou non de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne, de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

36

Toutefois, il ne découle pas de cet arrêt que, lorsque les juridictions nationales constatent qu’une même opération a fait l’objet d’un traitement fiscal différent dans un autre État membre, elles ont la faculté ou l’obligation de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle aux fins non pas d’une interprétation du droit de l’Union, mais d’une appréciation des faits et d’une application de ce droit dans l’affaire au principal.

37

En effet, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal. La Cour n’est pas compétente pour appliquer les règles de droit à une situation déterminée, l’article 267 TFUE habilitant la Cour seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2007, Omni Metal Service, C-259/05, EU:C:2007:363, point 17, ainsi que du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C-487/19, EU:C:2021:798, points 78 et 132].

38

Il est rappelé à cet égard, aux points 8 et 11 des recommandations à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), que la demande de décision préjudicielle ne peut porter sur des questions de fait soulevées dans le cadre du litige au principal et que la Cour n’applique pas, elle-même le droit de l’Union à ce litige.

39

Il s’ensuit que, en l’occurrence, la Cour n’est pas compétente pour répondre aux questions posées.

40

Au demeurant, il convient de constater que ces questions reposent sur la prémisse selon laquelle le preneur des services de support technique en cause au principal, à savoir Lalib, ne pourrait être considéré comme étant le preneur de ces services si c’est non pas cette société, mais WML qui fournissait en réalité les services de divertissement concernés, de sorte que le contrat de licence conclu entre WML et Lalib serait un montage artificiel procédant d’un abus de droit et que ce dernier se répercuterait nécessairement sur la relation contractuelle entre DuoDecad et Lalib ainsi que, partant, sur les obligations et les droits de ces dernières découlant de la directive 2006/112. Or, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé en substance aux points 63 et 65 de ses conclusions, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si le contrat liant DuoDecad et Lalib procède lui-même d’un abus de droit en matière de TVA, ce qui pourrait être notamment le cas s’il était constaté qu’il existe un montage purement artificiel, dépourvu de réalité économique, impliquant notamment WML, Lalib et DuoDecad, élaboré à la seule fin d’obtenir un avantage en matière de TVA.

41

Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, ainsi qu’il a été relevé au point 36 de l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C-419/14, EU:C:2015:832), la constatation d’une pratique abusive en matière de TVA exige, d’une part, que les opérations concernées, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la directive 2006/112 et de la législation nationale la transposant, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions et, d’autre part, qu’il résulte d’un ensemble d’éléments objectifs que le but essentiel des opérations concernées se limite à l’obtention de cet avantage fiscal.

Sur les dépens

42

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

La Cour de justice de l’Union européenne est incompétente pour répondre aux questions préjudicielles posées par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 28 septembre 2020.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.