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ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

7 juillet 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 184 et 185 – Régularisation des déductions – Assujetti n’ayant pas exercé son droit à déduction avant l’expiration d’un délai de forclusion – Impossibilité d’opérer cette déduction dans le cadre de la régularisation »

Dans l’affaire C-194/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décision du 26 mars 2021, parvenue à la Cour le 29 mars 2021, dans la procédure

Staatssecretaris van Financiën

contre

X,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. M. Ilešič et Z. Csehi (rapporteur), juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour X, par M. A .C. P. A. van Dijk, belastingadviseur,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M. A. M. de Ree et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. O. Serdula, M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et V. Uher, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 184 et 185 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays-Bas) à X au sujet de la régularisation d’une omission de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en amont sur l’acquisition de terrains à bâtir.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 63 de la directive TVA prévoit :

« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »

4        L’article 135, paragraphe 1, sous k), de cette directive est libellé comme suit :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

k)      les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b) ».

5        Aux termes de l’article 167 de ladite directive :

« Le doit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible ».

6        L’article 168 de la même directive prévoit :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

7        L’article 178 de la directive TVA dispose :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 ;

[...] »

8        Aux termes de l’article 179, premier alinéa, de cette directive :

« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période. »

9        L’article 180 de ladite directive énonce :

« Les États membres peuvent autoriser un assujetti à procéder à une déduction qui n’a pas été effectuée conformément aux articles 178 et 179. »

10      L’article 182 de la même directive prévoit :

« Les États membres déterminent les conditions et modalités d’application des articles 180 et 181. »

11      Le chapitre 5 du titre X de la directive TVA, intitulé « Régularisation des déductions », contient, notamment, les articles 184 à 186.

12      L’article 184 de cette directive dispose :

« La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. »

13      L’article 185 de ladite directive prévoit :

« 1.      La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation. »

14      L’article 186 de la même directive énonce :

« Les États membres déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185. »

 Le droit néerlandais

15      L’article 15 de la Wet houdende vervanging van de bestaande omzetbelasting door een omzetbelasting volgens het stelsel van heffing over de toegevoegde waarde (loi portant remplacement de la taxe existante sur le chiffre d’affaires par une taxe sur le chiffre d’affaires selon le système de taxe sur la valeur ajoutée), du 28 juin 1968 (Stb. 1968, no 329), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires »), prévoit :

« 1.      La taxe [...], qui est déduite par l’opérateur, est :

a)      la taxe qui, pour la période visée par la déclaration, a été portée en compte sur une facture établie conformément aux règles en vigueur par d’autres opérateurs au titre de livraisons de biens et de prestations de services qu’ils ont effectuées en faveur de l’opérateur ; [...] pour autant que les biens et les services sont utilisés par l’opérateur pour les besoins d’opérations taxées. [...]

4.      La déduction de la taxe est opérée conformément à la destination des biens et des services au moment de la facturation de la taxe à l’opérateur ou au moment de son exigibilité. S’il apparaît, au moment où l’opérateur commence à utiliser les biens et les services, qu’il a déduit la taxe y afférente dans une proportion supérieure ou inférieure à celle à laquelle l’usage des biens ou des services lui donne droit, l’excédent de taxe déduite est exigible à ce moment-là. La taxe devenue exigible est acquittée conformément à l’article 14. La partie de la taxe qui pouvait être déduite et ne l’a pas été lui est restituée à sa demande. »

16      L’article 12 de l’Uitvoeringsbeschikking omzetbelasting (arrêté d’application de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), du 12 août 1968 (Stb. 1968, no 423),  dans sa version applicable au litige au principal, se lit comme suit :

« [...]

2.      La régularisation visée à l’article 15, paragraphe 4, de la loi [relative à la taxe sur le chiffre d’affaire] s’effectue sur la base des informations relatives à la période d’imposition au cours de laquelle l’opérateur a commencé à utiliser les biens ou les services.

3.      Dans la déclaration relative à la dernière période d’imposition d’un exercice, la régularisation de la déduction a lieu sur la base des informations relatives à l’ensemble de l’exercice. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      La société B a vendu à X dix parcelles de terrain à bâtir. Le projet était de les développer à des fins de loisirs en y construisant des mobil-homes avec accessoires, et de vendre ensuite les mobil-homes avec leur terrain. Le 20 avril 2006 ou autour de cette date, X et B ont, à cet égard, conclu un contrat prévoyant que B réaliserait tous les travaux de développement pour son propre compte et que le produit net de la vente des parcelles développées serait divisé entre les parties à parts égales.

18      B a livré les parcelles à X le 20 avril 2006. Pour cette livraison, B a facturé la TVA à X qui n’a pas exercé son droit à déduction.

19      En raison des circonstances économiques, le développement projeté des parcelles n’a pas été réalisé.

20      Le 8 février 2013, X a revendu deux parcelles à B et a facturé la TVA sur le prix de vente. X n’a ni déclaré ni acquitté le montant de cette taxe.

21      Le 26 novembre 2015, l’administration fiscale a adressé à X un avis de redressement portant sur la TVA relative au prix payé par B pour la livraison des deux parcelles et a perçu ladite TVA.

22      X a saisi le rechtbank Gelderland (tribunal de Gueldre, Pays-Bas) d’un recours contre ce redressement. Il a fait valoir que, en vertu de l’article 15, paragraphe 4, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, le redressement devrait être réduit à concurrence du montant de la TVA payée à la livraison de ces parcelles en 2006.

23      Après le rejet de ce recours, X a interjeté appel devant le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden, Pays-Bas), lequel a accueilli les prétentions de X et réduit le montant du redressement du 26 novembre 2015.

24      Cette juridiction a estimé que l’article 15, paragraphe 4, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires et l’article 184 de la directive TVA ne limitaient pas la portée du régime de régularisation aux situations dans lesquelles, au moment où le bien livré est utilisé pour la première fois, son utilisation effective diffère de celle envisagée lors de son acquisition. L’utilisation effective étant, selon elle, déterminante pour le droit à déduction, elle a considéré que la TVA facturée à X lors de l’acquisition des deux parcelles en 2006 et non déduite à l’époque pouvait être intégralement déduite lors de la première utilisation desdites parcelles, à des fins d’opérations taxées, en 2013.

25      Le Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays-Bas) a saisi le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), la juridiction de renvoi, d’un pourvoi contre cet arrêt, dans le cadre duquel il fait valoir que X aurait dû déduire la TVA relative à la livraison des parcelles en 2006 au moment où cette taxe est devenue exigible. Il considère en effet que le régime de régularisation prévu à l’article 15, paragraphe 4, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires ne vise pas à accorder, après coup, un droit à déduction de la TVA que l’opérateur a omis d’exercer dans la déclaration relative à la période au cours de laquelle le droit à déduction a pris naissance, c’est-à-dire, conformément à l’article 15 de cette loi, au moment où la taxe déductible est devenue exigible ou au moment où cette dernière lui a été facturée. Le régime de régularisation prévu par cette disposition, lu en combinaison avec les articles 184 et 185 de la directive TVA, ne concerne, selon lui, que les situations dans lesquelles la déduction opérée est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. Il estime que, en l’espèce, la régularisation ne se justifie pas, car la destination à des fins d’opérations taxées des parcelles au moment de leur acquisition correspond à leur utilisation effective au moment où elles ont été utilisées pour la première fois.

26      La juridiction de renvoi éprouve des doutes sur la manière dont les articles 184 et 185 de la directive TVA doivent être interprétés.

27      Se référant notamment à l’arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas (C-532/16, EU:C:2018:228, points 32 et 33), elle relève que l’obligation de régularisation est définie à l’article 184 de la directive TVA de la manière la plus large, selon une formulation n’excluant a priori aucune hypothèse envisageable de déduction indue. Le mécanisme de la régularisation visant, selon la jurisprudence de la Cour, à accroître la précision des déductions en vue d’assurer la neutralité de la TVA, elle considère que cet objectif autorise une interprétation large des articles 184 et 185 de la directive TVA, permettant à l’assujetti de régulariser, à l’occasion de la première utilisation du bien concerné, l’omission de déduire tout ou partie de la TVA qui lui avait été facturée lors de l’acquisition de ce bien, même si cela intervient après l’expiration du délai prévu par le droit national pour effectuer la déduction initiale.

28      La juridiction de renvoi souligne que, eu égard aux dispositions pertinentes du droit néerlandais, cette interprétation large ne revient pas à autoriser l’exercice du droit à déduction sans limite dans le temps. En effet, cet exercice serait limité au moment de l’acquisition ou au moment de la première utilisation des biens ou des services concernés. Après chacun de ces moments, d’une part, le délai de forclusion de six semaines prévu par le droit national et, d’autre part, la faculté pour l’administration fiscale de rectifier, pendant une période de cinq ans, le montant de la TVA due au moyen d’un avis de redressement, seraient applicables.

29      Toutefois, la juridiction de renvoi se demande si une telle interprétation large est conforme à la jurisprudence de la Cour qui, selon elle, semble restreindre le champ d’application de l’article 184 et de l’article 185, paragraphe 1, de la directive TVA aux hypothèses dans lesquelles un changement de circonstances a lieu après la période à laquelle se rapporte la déduction initiale. Elle se réfère à cet égard, notamment, à l’arrêt du 27 juin 2018, Varna Holideis (C-364/17, EU:C:2018:500, point 29 et jurisprudence citée), ainsi qu’à l’arrêt du 27 mars 2019, Mydibel (C-201/18, EU:C:2019:254, points 26 à 29 et 43).

30      La juridiction de renvoi fait observer, en outre, qu’une telle interprétation ne semble pas conciliable avec la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle découle notamment de l’arrêt du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens (C-8/17, EU:C:2018:249, point 36), et de l’arrêt du 30 avril 2020, CTT – Correios de Portugal (C-661/18, EU:C:2020:335, point 59), selon laquelle, d’une part, en vertu du principe de sécurité juridique, un délai de forclusion ne saurait être considéré comme étant incompatible avec le régime établi par la directive TVA, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, et, d’autre part, la possibilité d’exercer le droit à déduction de la TVA sans limitation dans le temps irait à l’encontre de ce principe, qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et à ses obligations à l’égard de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause.

31      La juridiction de renvoi considère que la jurisprudence de la Cour n’a pas expressément exclu du régime de régularisation le cas où l’assujetti n’a pas, au moment de l’acquisition d’un bien, exercé son droit à déduction de la TVA. Elle estime qu’il serait disproportionné, dans une telle situation, de refuser à l’assujetti d’exercer son droit à déduction au moment où il commence à utiliser le bien concerné, dès lors qu’aucune fraude, aucun abus de droit et aucune conséquence préjudiciable pour le Trésor n’a été constaté.

32      C’est dans ce contexte que le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les articles 184 et 185 de la directive TVA doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un assujetti qui, lors de l’acquisition d’un bien ou d’un service, n’a pas déduit la TVA en amont [...] conformément à l’utilisation envisagée du bien ou du service à des fins d’opérations taxées, et dans le délai prescrit par le droit national, est autorisé, dans le cadre de la régularisation – à l’occasion d’une première utilisation ultérieure de ce bien ou service – à procéder à cette déduction si l’utilisation effective n’est, au moment de cette régularisation, pas différente de l’utilisation qui était envisagée ?

2)      Est-il important, pour répondre à la première question, que l’omission de la déduction initiale ne soit pas liée à une fraude ou à un abus de droit, et qu’il n’ait pas été constaté de conséquences préjudiciables pour le Trésor ? »

 Sur les questions préjudicielles

33      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 184 et 185 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un assujetti ayant omis d’exercer, avant l’expiration du délai de forclusion prévu par le droit national, le droit à déduction de la TVA afférente à l’acquisition d’un bien ou d’un service, se voie refuser la possibilité de procéder ultérieurement à cette déduction, à l’occasion de la première utilisation à des fins d’opérations taxées dudit bien ou dudit service, au titre d’une régularisation, et ce quand bien même aucun abus de droit, aucune fraude ni aucune perte de recette fiscale n’a été constaté.

34      La Cour a itérativement jugé que le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité (arrêt du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens, C-8/17, EU:C:2018:249, point 29 et jurisprudence citée).

35      Selon l’article 167 et l’article 179, premier alinéa, de la directive TVA, le droit à déduction de la TVA s’exerce, en principe, au cours de la même période que celle pendant laquelle il a pris naissance, à savoir au moment où la taxe devient exigible. Il résulte de l’article 63 de cette directive que le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2021, Wilo Salmson France, C-80/20, EU:C:2021:870, point 84 et jurisprudence citée).

36      En outre, ce droit à déduction s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens, C-8/17, EU:C:2018:249, point 29 et jurisprudence citée).

37      Un assujetti peut néanmoins être autorisé à procéder à la déduction, en vertu des articles 180 et 182 de la directive TVA, même s’il n’a pas exercé son droit au cours de la période pendant laquelle ce droit a pris naissance, sous réserve, cependant, du respect des conditions et des modalités fixées par les réglementations nationales (arrêt du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens, C-8/17, EU:C:2018:249, point 35 et jurisprudence citée).

38      À cet égard, la juridiction de renvoi indique que la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires ne prévoit pas la possibilité pour un assujetti d’exercer le droit à déduction après l’expiration du délai de dépôt de la déclaration afférente à la période pendant laquelle ce droit a pris naissance.

39      Néanmoins, selon la juridiction de renvoi, il résulte des règles générales de procédure fiscale que l’assujetti peut se voir reconnaître une telle possibilité, sous réserve du respect d’un délai de six semaines pour former une réclamation contre le montant qu’il a acquitté par déclaration. Dans ce cas, l’opérateur économique doit former une réclamation dans les six semaines à compter de l’acquittement de la taxe sur déclaration et, en cas de remboursement de TVA, dans les six semaines à compter de la date de décision de remboursement.

40      Il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que X, après avoir omis d’exercer son droit à déduction de la TVA sur l’acquisition des parcelles en 2006, n’a pas fait usage de cette faculté dans le délai de forclusion prévu. Ce n’est qu’à l’occasion de son recours contre l’avis de redressement du 26 novembre 2015 que X a demandé à exercer le droit à déduction de cette TVA, soit plus de neuf ans après la livraison des parcelles.

41      Or, il convient de relever, en premier lieu, que la possibilité d’exercer le droit à déduction de la TVA sans limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de sécurité juridique, qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et obligations vis-à-vis de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause (arrêts du 8 mai 2008, Ecotrade, C-95/07 et C-96/07, EU:C:2008:267, point 44 ; du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport, C-284/11, EU:C:2012:458, point 48 ; ainsi que du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens, C-8/17, EU:C:2018:249, point 36 et jurisprudence citée).

42      La Cour a ainsi déjà jugé qu’un délai de forclusion dont l’échéance a pour conséquence de sanctionner le contribuable insuffisamment diligent, qui a omis de réclamer la déduction de la TVA en amont, en lui faisant perdre le droit à déduction de la TVA, ne saurait être considéré comme incompatible avec le régime établi par la directive TVA pour autant, d’une part, que ce délai s’applique de la même manière aux droits analogues en matière fiscale fondés sur le droit interne et à ceux fondés sur le droit de l’Union (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’il ne rend pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction de la TVA (principe d’effectivité) (arrêts du 8 mai 2008, Ecotrade, C-95/07 et C-96/07, EU:C:2008:267, point 46 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens, C-8/17, EU:C:2018:249, point 37 et jurisprudence citée).

43      En second lieu, s’agissant de l’obligation de régularisation de la déduction de la TVA prévue aux articles 184 et 185 de la directive TVA, celle-ci est, certes, définie de manière large dans la mesure où « la déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer ». Cette formulation n’exclut a priori aucune hypothèse envisageable de déduction indue et la portée générale de cette obligation de régularisation est confortée par l’énumération expresse des exceptions permises par la directive TVA à l’article 185, paragraphe 2, de celle-ci (arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas, C-532/16, EU:C:2018:228, points 32 et 33).

44      En vertu de l’article 185, paragraphe 1, de cette directive, une telle régularisation doit notamment être opérée lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant de cette déduction sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA (arrêt du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C-234/11, EU:C:2012:644, point 32).

45      Toutefois, la Cour a jugé que le mécanisme de régularisation n’est applicable que s’il existe un droit à déduction (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C-184/04, EU:C:2006:214, point 37). Or, les articles 184 et 185 de la directive TVA ne sauraient donner naissance à un droit à déduction (voir, par analogie, arrêts du 11 juillet 1991, Lennartz, C-97/90, EU:C:1991:315, points 11 et 12, ainsi que du 2 juin 2005, Waterschap Zeeuws Vlaanderen, C-378/02, EU:C:2005:335, point 38).

46      Il s’ensuit que le mécanisme de régularisation prévu par la directive TVA n’a pas vocation à s’appliquer lorsque l’assujetti a omis d’exercer le droit à déduction de la TVA et qu’il a perdu celui-ci du fait de l’expiration d’un délai de forclusion.

47      Par conséquent, ce mécanisme ne s’applique pas dans des circonstances, telles que celles au principal, où l’assujetti ayant omis d’exercer le droit à déduction de la TVA lors de l’acquisition du bien servant à fonder ce droit souhaite exercer celui-ci à l’occasion de la première utilisation de ce bien alors que le délai de forclusion prévu par le droit national pour l’exercice dudit droit est expiré. Peu importe, à cet égard, que la première utilisation dudit bien diffère ou pas de celle qui était envisagée au moment de l’acquisition de celui-ci.

48      Le principe de neutralité fiscale ne remet pas en cause cette conclusion. Il est vrai que le mécanisme de régularisation fait partie intégrante du régime de déduction établi par la directive TVA et vise à accroître la précision des déductions de manière à assurer la neutralité fiscale, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de TVA mis en place par le législateur de l’Union (arrêt du 17 septembre 2020, Stichting Schoonzicht, C-791/18, EU:C:2020:731, point 26 et jurisprudence citée).

49      Toutefois, le principe de neutralité fiscale est non pas une règle de droit primaire, mais un principe d’interprétation qui doit être appliqué parallèlement à d’autres principes, parmi lesquels figure le principe de sécurité juridique (voir, par analogie, arrêts du 19 juillet 2012, Deutsche Bank, C-44/11, EU:C:2012:484, point 45, et du 9 mars 2017, Oxycure Belgium, C-573/15, EU:C:2017:189, point 32).

50      Par conséquent, le principe de neutralité fiscale ne saurait avoir pour effet de permettre à un assujetti de régulariser un droit à déduction qu’il n’a pas exercé avant l’expiration d’un délai de forclusion et qu’il a ainsi perdu.

51      Quant à l’absence de fraude ou d’abus de droit ou encore de conséquences préjudiciables pour les recettes fiscales de l’État membre concerné, ces éléments ne sauraient justifier qu’un assujetti puisse contourner un délai de forclusion. Une telle interprétation serait contraire au principe de sécurité juridique, ainsi qu’il a été rappelé au point 41 du présent arrêt, qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et obligations vis-à-vis de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause.

52      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les articles 184 et 185 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un assujetti ayant omis d’exercer, avant l’expiration du délai de forclusion prévu par le droit national, le droit à déduction de la TVA afférente à l’acquisition d’un bien ou d’un service, se voie refuser la possibilité de procéder ultérieurement à cette déduction, à l’occasion de la première utilisation à des fins d’opérations taxées dudit bien ou dudit service, au titre d’une régularisation, et ce quand bien même aucun abus de droit, aucune fraude ni aucune perte de recette fiscale n’a été constaté.

 Sur les dépens

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

Les articles 184 et 185 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à ce qu’un assujetti ayant omis d’exercer, avant l’expiration du délai de forclusion prévu par le droit national, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente à l’acquisition d’un bien ou d’un service, se voie refuser la possibilité de procéder ultérieurement à cette déduction, à l’occasion de la première utilisation à des fins d’opérations taxées dudit bien ou dudit service, au titre d’une régularisation, et ce quand bien même aucun abus de droit, aucune fraude ni aucune perte de recette fiscale n’a été constaté.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.