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 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

29 juin 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Régime particulier des agences de voyages – Champ d’application – Agrégateur de services d’hébergement achetant de tels services pour son propre compte et les revendant à d’autres professionnels sans services supplémentaires »

Dans l’affaire C-108/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 26 août 2021, parvenue à la Cour le 16 février 2022, dans la procédure

Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej

contre

C. sp. z o.o., en liquidation,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour le gouvernement tchèque, par MM. O. Serdula, M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. Ł. Habiak et Mme J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 306 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej (directeur de l’information nationale du Trésor, Pologne) (ci-après l’« autorité fiscale ») à C. sp. z o.o., en liquidation, au sujet de l’application du régime particulier de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux agences de voyages à la revente, par C., en son nom propre, de services d’hébergement à d’autres assujettis sans prestations supplémentaires.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le titre XII de la directive TVA, consacré aux « Régimes particuliers », comprend un chapitre 3, intitulé « Régime particulier des agences de voyages », dans lequel figure l’article 306, qui dispose :

« 1.   Les États membres appliquent un régime particulier de la TVA aux opérations des agences de voyages conformément au présent chapitre, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services d’autres assujettis.

Le présent régime particulier n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles s’applique, pour calculer la base d’imposition, l’article 79, premier alinéa, point c).

2.   Aux fins du présent chapitre, les organisateurs de circuits touristiques sont considérés comme agences de voyages. »

4

L’article 307 de cette directive prévoit :

« Les opérations effectuées, dans les conditions prévues à l’article 306, par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de services unique de l’agence de voyages au voyageur.

La prestation unique est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyage a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services. »

5

Aux termes de l’article 308 de ladite directive :

« Pour la prestation de services unique fournie par l’agence de voyages, est considérée comme base d’imposition et comme prix hors TVA, au sens de l’article 226, point 8), la marge de l’agence de voyages, c’est-à-dire la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur. »

6

L’article 309 de la même directive dispose :

« Si les opérations pour lesquelles l’agence de voyages a recours à d’autres assujettis sont effectuées par ces derniers en dehors de la Communauté [européenne], la prestation de services de l’agence est assimilée à une activité d’intermédiaire exonérée en vertu de l’article 153.

Si les opérations visées au premier alinéa sont effectuées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Communauté, seule doit être considérée comme exonérée la partie de la prestation de services de l’agence de voyages qui concerne les opérations effectuées en dehors de la Communauté. »

7

L’article 310 de la directive TVA prévoit :

« Les montants de la TVA qui sont portés en compte à l’agence de voyages par d’autres assujettis pour les opérations qui sont visées à l’article 307 et qui profitent directement au voyageur ne sont ni déductibles, ni remboursables dans aucun État membre. »

Le droit polonais

8

L’article 119 de l’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et les services), du 11 mars 2004 (Dz. U. no 54, position 535, ci-après la « loi sur la TVA »), dispose :

« 1.   La base d’imposition applicable aux prestations de services de voyage est le montant de la marge diminué de la taxe due, sous réserve des dispositions du paragraphe 5.

2.   Par “marge” telle que visée au paragraphe 1, on entend la différence entre le montant à acquitter par le preneur de services et le prix d’achat par l’assujetti auprès d’autres assujettis de biens et de services profitant directement au voyageur ; par “services profitant directement au voyageur”, on entend les services constituant un élément de la prestation, à savoir en particulier le transport, l’hébergement, les repas, l’assurance.

3.   Les dispositions du paragraphe 1 s’appliquent quel que soit le preneur des services de voyage, lorsque l’assujetti :

1)

(abrogé)

2)

agit à l’égard du preneur de services en son propre nom et pour son propre compte ;

3)

achète auprès d’autres assujettis, aux fins de la prestation, des biens et des services profitant directement au voyageur ;

4)

(abrogé)

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

9

C., une société de droit polonais assujettie à la TVA, exerce une activité économique en tant qu’« agrégateur de services hôteliers ». Dans le cadre de cette activité, elle offre à ses clients, à savoir à des entités exerçant une activité commerciale, la possibilité de réserver des services d’hébergement dans des hôtels et d’autres établissements ayant une fonction similaire situés en Pologne et à l’étranger.

10

Étant donné que C. ne dispose pas de ses propres installations d’hébergement, elle achète, en son nom propre et pour son propre compte, ces services d’hébergement auprès d’autres assujettis à la TVA, qu’elle revend ensuite à ses clients.

11

En fonction des besoins et des attentes de ces clients, elle fournit également des conseils sur le choix de l’hébergement et une assistance pour l’organisation du voyage. Toutefois, la juridiction de renvoi relève que C. ne fournit le plus souvent qu’un service d’hébergement. Le prix auquel cette dernière revend ce service d’hébergement comprend le coût d’achat dudit service et la marge de celle-ci sous la forme d’un prix de réservation destiné à couvrir les frais de transaction.

12

Dans un rescrit fiscal émis le 27 avril 2017, l’autorité fiscale a considéré que la revente de services d’hébergement fournie par C. ne relève pas de la notion de « service de voyage » visé, en substance, à l’article 119 de la loi sur la TVA, contrairement à ce que faisait valoir cette dernière. En effet, cette autorité a estimé, pour l’essentiel, que, pour qu’un service soit considéré comme étant un service de voyage, il doit, en tant que service complexe comprenant un ensemble de services externes et internes, être composé de plus d’une prestation. Or, les services fournis par C., qui ne couvrent que l’hébergement, ne sauraient constituer un service de voyage, car il ne s’agit pas d’un tel service complexe.

13

C. a contesté cette décision devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wrocław, Pologne) qui, dans un jugement du 16 novembre 2017, a déclaré le recours fondé et a jugé que les services fournis par C. devaient être taxés, en tant que « services de voyage », selon le régime particulier prévu à l’article 119 de la loi sur la TVA. Cette juridiction a fondé son raisonnement sur une interprétation littérale et contextuelle de cette dernière disposition ainsi que sur le fait que celle-ci transpose l’article 306 de la directive TVA et que, par conséquent, il convient d’appliquer la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne à cet égard.

14

L’autorité fiscale a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), qui est la juridiction de renvoi. Cette autorité reproche à la juridiction de première instance d’avoir violé l’article 119, paragraphe 1, de la loi sur la TVA en ce qu’elle a considéré que le service concerné ne devait pas satisfaire à l’exigence de complexité pour être qualifié de « service de voyage ». Selon l’autorité fiscale, un service d’hébergement, proposé seul, ne constitue pas un service de voyage et, partant, ne peut pas bénéficier du régime particulier des agences de voyages, prévoyant une imposition à la TVA sur la marge.

15

Saisie de ce pourvoi, la juridiction de renvoi considère que, pour déterminer si le service en cause au principal relève du régime particulier prévu à l’article 119 de la loi sur la TVA, il convient d’examiner notamment l’article 306 de la directive TVA. À cet égard, la juridiction de renvoi invoque la jurisprudence de la Cour dont il ressortirait en substance que le régime particulier institué aux articles 306 à 310 de la directive TVA s’applique également aux services d’hébergement vendus sans prestations supplémentaires. La juridiction de renvoi considère donc que de tels services peuvent relever de ce régime particulier bien qu’ils ne présentent pas de caractère complexe.

16

Elle précise que cette interprétation est compatible avec le principe de neutralité prévu par la directive TVA. En effet, si la revente de services d’hébergement fournis sans services supplémentaires était, au contraire de la revente de tels services assortis de prestations additionnelles, taxée selon les règles générales, le principe de neutralité serait violé.

17

Toutefois, la juridiction de renvoi estime que l’interprétation de la disposition concernée de la directive TVA par la Cour permettrait de lever les doutes subsistant dans l’affaire dont elle est saisie.

18

Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 306 de la directive [TVA] doit-il être interprété en ce sens qu’il peut s’appliquer à un assujetti qui, en tant qu’agrégateur de services hôteliers, achète et revend des services d’hébergement à d’autres opérateurs économiques lorsque ces opérations ne s’accompagnent d’aucune autre prestation supplémentaire ? »

Sur la question préjudicielle

19

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 306 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que la prestation d’un assujetti, qui consiste à acheter des services d’hébergement auprès d’autres assujettis et à les revendre à d’autres opérateurs économiques, relève du régime particulier de la TVA applicable aux agences de voyages, bien que ces services ne soient pas accompagnés de services supplémentaires.

20

À titre liminaire, il convient de relever que le régime particulier de la TVA applicable aux agences de voyages, institué aux articles 306 à 310 de la directive TVA, contient des règles propres à l’activité de ces agences, lesquelles dérogent au régime commun de la TVA. Dans ce contexte, la Cour a jugé que, en tant qu’exception au système commun de la directive TVA, ce régime particulier ne doit être appliqué que dans la mesure nécessaire pour atteindre son objectif (arrêt du 19 décembre 2017, Skarpa Travel, C-422/17, EU:C:2018:1029, points 24 et 27 ainsi que jurisprudence citée).

21

À ce titre, l’objectif essentiel des règles afférentes au régime particulier de la TVA applicable aux opérations des agences de voyages est d’éviter les difficultés qui découleraient pour les opérateurs économiques des principes généraux de la directive TVA relatifs aux opérations impliquant la fourniture de prestations acquises auprès de tiers. En effet, l’application des règles de droit commun concernant le lieu d’imposition, la base d’imposition et la déduction de la taxe acquittée en amont se heurterait, en raison de la multiplicité et de la localisation des prestations fournies, à des difficultés pratiques pour ces entreprises, qui seraient de nature à entraver l’exercice de leur activité (arrêts du 12 novembre 1992, Van Ginkel, C-163/91, EU:C:1992:435, point 14, et du 25 octobre 2012, Kozak, C-557/11, EU:C:2012:672, point 19).

22

Plus particulièrement, aux termes de l’article 306 de la directive TVA, les États membres appliquent ledit régime aux opérations des agences de voyages dans la mesure où celles-ci agissent en leur nom propre à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services acquises auprès de tiers assujettis.

23

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que C., en tant qu’agrégateur de services hôteliers, achète des services d’hébergement en son nom propre auprès d’autres assujettis pour les revendre ensuite à ses clients, des entités exerçant une activité commerciale. Il en découle qu’une société telle que C. remplit les conditions matérielles prévues à l’article 306 de la directive TVA pour pouvoir bénéficier, en principe, du régime d’imposition particulier prévu à cet article.

24

En outre, il convient de relever que, dans le cadre de ses activités, C. effectue des opérations identiques, ou au moins comparables, à celles d’une agence de voyages ou d’un organisateur de circuits touristiques. Ainsi, la juridiction de renvoi relève que, en fonction des besoins et des attentes de ses clients, cette société fournit de manière occasionnelle également des conseils sur le choix de l’hébergement et une assistance pour l’organisation des voyages.

25

Cependant, il y a lieu d’apprécier si la prestation de services d’hébergement relève du régime particulier des agences de voyages lorsqu’elle n’est pas accompagnée de services supplémentaires.

26

À ce sujet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’exclusion du champ d’application de l’article 306 de la directive TVA des prestations fournies par une agence de voyages au seul motif qu’elles comprendraient uniquement la fourniture d’un logement conduirait à un régime fiscal complexe, dans lequel les règles applicables en matière de TVA dépendraient des éléments constitutifs des prestations offertes à chaque voyageur. Un tel régime fiscal méconnaîtrait les objectifs de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Alpenchalets Resorts, C-552/17, EU:C:2018:1032, points 25 à 28 et jurisprudence citée).

27

Il s’ensuit que la fourniture par une agence de voyages d’un logement de vacances relève de ce régime d’imposition particulier, même si cette prestation ne comprend que le seul logement. À cet égard, il importe de relever que, dès lors que la seule fourniture de logements de vacances par l’agence de voyages suffit pour que le régime particulier prévu aux articles 306 à 310 de la directive TVA s’applique, l’importance d’autres livraisons de biens ou de prestations de services, accompagnant éventuellement cette fourniture de logements, ne saurait avoir d’incidence sur la qualification juridique d’une telle situation, à savoir que celle-ci relève du régime particulier des agences de voyages (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Alpenchalets Resorts, C-552/17, EU:C:2018:1032, points 29 et 33).

28

Par conséquent, la Cour a jugé que les articles 306 à 310 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que la seule mise à disposition par une agence de voyages d’une résidence de vacances louée auprès d’autres assujettis ou une telle mise à disposition d’une résidence de vacances accompagnée de prestations supplémentaires, indépendamment de l’importance de ces prestations supplémentaires, constituent chacune un service unique relevant du régime particulier des agences de voyages (arrêt du 19 décembre 2018, Alpenchalets Resort, C-552/17, EU:C:2018:1032, point 35).

29

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que C. vend des services d’hébergement dans des hôtels et d’autres établissements ayant une fonction similaire, tant en Pologne qu’à l’étranger. Or, la jurisprudence de la Cour rendue dans le contexte de la fourniture, par une agence de voyages, d’un logement de vacances, telle qu’elle ressort des points 26 à 28 du présent arrêt, a vocation à régir également la situation de la vente de services d’hébergement dans des hôtels et d’autres établissements. À cet égard, il convient notamment de préciser que la diversité géographique des hôtels et des établissements faisant l’objet de ces services pourrait en elle-même causer des difficultés pratiques que ce régime d’imposition particulier vise à éviter, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 21 du présent arrêt.

30

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 306 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que la prestation d’un assujetti, qui consiste à acheter des services d’hébergement auprès d’autres assujettis et à les revendre à d’autres opérateurs économiques, relève du régime particulier de la TVA applicable aux agences de voyages, bien que ces services ne soient pas accompagnés de services supplémentaires.

Sur les dépens

31

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

L’article 306 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

la prestation d’un assujetti, qui consiste à acheter des services d’hébergement auprès d’autres assujettis et à les revendre à d’autres opérateurs économiques, relève du régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux agences de voyages, bien que ces services ne soient pas accompagnés de services supplémentaires.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.