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 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

29 juin 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 44 – Lieu des prestations de services – Règlement d’exécution (UE) no 282/2011 – Article 11, paragraphe 1 – Prestation de services – Lieu de rattachement fiscal – Notion d’“établissement stable” – Structure appropriée en termes de moyens humains et techniques – Aptitude à recevoir et à utiliser les services pour les besoins propres de l’établissement stable – Prestations de services de travail à façon et prestations accessoires – Engagement contractuel exclusif entre une société prestataire d’un État membre et la société destinataire établie dans un État tiers – Sociétés juridiquement indépendantes »

Dans l’affaire C-232/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Liège (Belgique), par décision du 18 mars 2022, parvenue à la Cour le 1er avril 2022, dans la procédure

Cabot Plastics Belgium SA

contre

État belge,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias, président de chambre, MM. M. Ilešič et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Cabot Plastics Belgium SA, par Mes J. Lejeune et G. Vael, avocats,

pour le gouvernement belge, par MM. P. Cottin, J.-C. Halleux et Mme C. Pochet, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. M. Björkland et Mme C. Ehrbar, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 44 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008 (JO 2008, L 44, p. 11) (ci-après la « directive TVA »), et de l’article 11 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112 (JO 2011, L 77, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cabot Plastics Belgium SA (ci-après « Cabot Plastics ») à l’État belge, représenté par le ministre des Finances au sujet d’une décision de l’administration fiscale mettant à la charge de cette société le paiement d’un supplément de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) assorti d’intérêts de retard et d’une amende.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le titre V de la directive TVA, relatif au lieu des opérations imposables, comporte un chapitre 3, intitulé « Lieu des prestations de services ». Sous la section 2 de ce chapitre 3, intitulée « Règles générales », l’article 44 de cette directive dispose :

« Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où l’assujetti qui bénéficie de tels services à son domicile ou sa résidence habituelle. »

4

Le chapitre V du règlement d’exécution no 282/2011, intitulé « Lieu des opérations imposables », comporte une section 1, intitulée « Concepts », sous laquelle figure l’article 11, paragraphe 1, de celui-ci, qui prévoit :

« Pour l’application de l’article 44 de la directive [TVA], l’“établissement stable” désigne tout établissement, autre que le siège de l’activité économique visé à l’article 10 du présent règlement, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement. »

Le droit belge

5

Aux termes de l’article 21, paragraphe 2, du code de la taxe sur la valeur ajoutée, du 3 juillet 1969 (Moniteur belge du 17 juillet 1969, p. 7046), dans sa version applicable aux faits au principal :

« Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où cet assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces prestations de services sont fournies à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu de la prestation de services est l’endroit où cet établissement stable est situé. [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6

Cabot Switzerland GmbH est une entreprise de droit suisse, ayant le siège de son activité économique en Suisse. Elle est identifiée à la TVA en Belgique pour ses activités de vente de produits à base de carbone.

7

Cabot Switzerland, en tant que principale société opérationnelle du groupe Cabot pour la région « Europe, Moyen-Orient et Afrique », a conclu un contrat de travail à façon avec plusieurs sociétés, dont la société commerciale belge Cabot Plastics. Cette dernière, bien que faisant partie du même groupe, est juridiquement indépendante de Cabot Switzerland. Un lien financier les unit toutefois puisque Cabot Plastics est détenue à 99,99 % par Cabot Holding I GmbH, elle-même détenue à 100 % par Cabot Lux Holdings Sàrl qui possède également l’ensemble des parts de Cabot Switzerland.

8

En application de la convention de travail à façon conclue le 14 février 2012 (ci-après la « convention du 14 février 2012 »), Cabot Plastics utilise de manière exclusive ses propres équipements pour transformer, au profit de la société Cabot Switzerland et sous sa direction, des matières premières en produits entrant dans la fabrication de plastiques. Les prestations de services effectuées par Cabot Plastics au profit de cette dernière société constituent la quasi-totalité de son chiffre d’affaires.

9

Conformément à la convention du 14 février 2012, Cabot Plastics stocke dans ses locaux les matières premières achetées par Cabot Switzerland, puis les transforme en produits entrant dans la fabrication de plastiques. Elle stocke, ensuite, ces produits avant qu’ils soient vendus par Cabot Switzerland à partir de la Belgique à ses divers clients sur le marché belge, sur le marché européen ou à l’exportation. Les retraits et les transports des marchandises depuis les installations de Cabot Plastics sont réalisés soit par ces clients, soit par des transporteurs externes auxquels Cabot Switzerland a recours.

10

Cabot Plastics assure, en outre, une série de prestations additionnelles au profit de Cabot Switzerland, notamment, l’entreposage des produits, y compris la gestion des produits stockés dans des entrepôts détenus par des tiers, l’envoi de recommandations dans le but d’optimiser le processus de production, les contrôles et les évaluations techniques internes et externes, la communication des résultats à Cabot Switzerland ou encore les livraisons ou les services nécessaires à d’autres unités de production. À ce titre, Cabot Plastics commente les besoins opérationnels de ses usines, facilite les formalités douanières, respecte les standards et procédures de Cabot Switzerland en matière de contrôle de qualité et d’assurance de qualité, offre à cette société un support pour l’amélioration des processus de production et de planification de ses activités, lui apporte un support administratif en matière de droits d’accises et de douane, agit en tant qu’importateur officiel pour le compte et à la demande de cette société et gère les matériels d’emballage. Cabot Plastics exerce ces activités additionnelles conformément aux conditions stipulées dans la convention.

11

Cabot Plastics a saisi le Service des décisions anticipées en matière fiscale (SDA) auprès du Service public fédéral des Finances (Belgique), qui, par décision du 31 janvier 2012, se prononçant en matière d’impôt des sociétés, a indiqué que les activités de cette société ne caractérisaient pas l’existence d’un établissement stable de Cabot Switzerland en Belgique, au sens des articles 227 à 229 du Code des impôts sur les revenus et de l’article 5 de la Convention entre la Confédération suisse et le Royaume de Belgique en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, conclue le 28 août 1978.

12

Toutefois, à la suite d’un contrôle fiscal réalisé en 2017, l’administration fiscale a estimé que Cabot Switzerland disposait en Belgique d’un établissement stable au sens de la législation en matière de TVA et que, dès lors, les prestations de services réalisées par Cabot Plastics pour cette société au cours des années 2014 à 2016 devaient être considérées comme localisées en Belgique et soumises à la TVA dans cet État. Un relevé de régularisation a été envoyé à Cabot Plastics, sur lequel la société a marqué son désaccord.

13

L’administration fiscale a donc, par décision du 19 décembre 2017, enjoint à Cabot Plastics de payer 10609844,08 euros de TVA et 1060980 euros d’amende, ainsi que les intérêts légaux à partir du 21 janvier 2017.

14

Cabot Plastics a, le 30 mars 2018, formé un recours contre la décision du 19 décembre 2017 devant le tribunal de première instance de Liège (Belgique). Par jugement du 14 janvier 2020, ce dernier a fait partiellement droit à cette requête, en jugeant que Cabot Switzerland disposait d’un établissement stable en Belgique, mais en annulant cette décision en ce qui concerne l’injonction de payer l’amende.

15

Le 11 septembre 2020, Cabot Plastics a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Liège (Belgique), la juridiction de renvoi. Elle demande que la cour réforme ledit jugement, constate qu’elle n’est pas redevable de la TVA mise à sa charge et ordonne le remboursement, par l’État belge, de toutes les sommes indument collectées ou retenues, augmentées des intérêts de retard.

16

Cabot Plastics soutient, devant la juridiction de renvoi, que les prestations de services qu’elle a facturées à Cabot Switzerland étaient localisées non pas en Belgique, mais en Suisse, où cette dernière société dispose du siège de son activité économique.

17

Par un appel incident, déposé le 15 janvier 2021, l’État belge conclut à la réformation du jugement du tribunal de première instance de Liège en ce qui concerne l’amende infligée à Cabot Plastics. Il considère que Cabot Switzerland dispose d’un établissement stable en Belgique, au sein des locaux de Cabot Plastics, de sorte que les prestations de services effectuées par cette dernière société au profit de la première sont localisées dans cet État membre.

18

Premièrement, selon l’État belge, les moyens techniques constituant cet établissement stable sont les usines de production, le centre de distribution et les lieux d’entreposage qui appartiennent à Cabot Plastics, mais qui doivent être considérés comme mis à la disposition de Cabot Switzerland en exécution de la convention du 14 février 2012 puisque celle-ci prévoit que les équipements de Cabot Plastics sont utilisés uniquement au profit de Cabot Switzerland et sous ses directives, de sorte que cette dernière dispose librement de ce matériel.

19

Deuxièmement, s’agissant des moyens humains de cet établissement stable, l’État belge considère que ceux-ci sont composés du personnel opérationnel de Cabot Plastics mis à la disposition de Cabot Switzerland, qui permet à celle-ci de réaliser des ventes, notamment, en Belgique. Il relève également que ce personnel réalise, en plus des prestations de fabrication à façon, des prestations complémentaires indispensables à Cabot Switzerland, telles que la réception des matières premières, le contrôle de qualité, la préparation des commandes, le conditionnement des produits finis et la réalisation des inventaires.

20

Troisièmement, en ce qui concerne la possibilité de recevoir et d’utiliser les services fournis pour les besoins propres de cet établissement de Cabot Switzerland, l’État belge soutient que la structure mise à la disposition de cette dernière par Cabot Plastics lui permet de recevoir et d’utiliser les produits résultant du travail à façon, afin de réaliser ses propres livraisons de biens en Belgique, depuis son établissement stable. Quatrièmement, selon l’État belge, cet établissement présente un degré suffisant de permanence, en raison même de la conclusion de la convention du 14 février 2012.

21

La juridiction de renvoi relève que Cabot Switzerland dispose en Suisse du siège de son activité économique, dès lors que s’y trouvent son siège statutaire et son bureau employant 47 personnes et que c’est dans ce pays que sont prises les décisions stratégiques et de politique générale de cette entreprise, que sont conclus les différents contrats et que son conseil d’administration se réunit. Toutefois, selon cette juridiction, le fait que le siège de l’activité économique de Cabot Switzerland est situé en Suisse n’implique pas ipso facto que le lieu des prestations de services est situé dans cet État, puisque l’article 44 de la directive TVA prévoit une règle particulière s’agissant de la localisation des prestations dans le cas où des services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti en un lieu autre que l’endroit où il a établi son siège.

22

Elle considère, en outre, que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur un cas suffisamment analogue à celui de l’espèce, de nature à dissiper tout doute quant à l’interprétation à donner au droit de l’Union applicable. Elle relève, à cet égard, d’une part, que Cabot Plastics est une entité juridiquement distincte de Cabot Switzerland dont elle n’est pas une filiale, et, d’autre part, que l’administration fiscale considère Cabot Plastics, à la fois, comme un prestataire de services et comme constituant les moyens techniques et humains de Cabot Switzerland.

23

La juridiction de renvoi se pose donc la question de savoir si un assujetti dispose d’une structure appropriée, en termes de moyens propres, constituant son établissement stable, lorsque ces derniers appartiennent au prestataire qui lui fournit des services, mais que, en exécution d’un contrat conclu entre cet assujetti et ce prestataire, ce dernier s’engage à affecter ces moyens, exclusivement ou quasi exclusivement, à la réalisation de ces services. En particulier, la Cour ayant considéré qu’une structure dépourvue de personnel propre ne saurait être qualifiée d’« établissement stable » (arrêt du 3 juin 2021, Titanium, C-931/19, EU:C:2021:446), cette juridiction se demande si, dans de telles circonstances, le personnel du prestataire des services concernés, agissant sur les prescriptions du preneur des services conformément à une convention liant ces parties, pourrait être considéré comme étant « propre » à ce dernier.

24

La juridiction de renvoi s’interroge, également, sur l’incidence que pourrait avoir sur l’identification d’un établissement stable de Cabot Switzerland en Belgique la réalisation par cette société de livraisons de biens dans ce pays, grâce aux moyens techniques et humains de Cabot Plastics.

25

Dans ces conditions, la cour d’appel de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

En cas de prestations de services réalisées par un assujetti établi dans un État membre en faveur d’un autre assujetti agissant en tant que tel, dont le siège de l’activité économique est établi en dehors de l’[Union européenne], alors que ceux-ci sont des entités distinctes et juridiquement indépendantes mais font partie d’un même groupe, que le prestataire s’engage contractuellement à utiliser ses équipements et son personnel exclusivement pour la réalisation de produits en faveur du preneur et que ces produits sont ensuite vendus par ledit preneur, donnant lieu à des livraisons de biens taxables, à l’exécution desquelles le prestataire prête un concours logistique et qui sont localisées dans l’État membre en question ; l’article 44 de la [directive TVA] et l’article 11 du [règlement d’exécution no 282/2011] doivent-ils être interprétés en ce sens que l’assujetti établi en dehors de l’[Union] doit être réputé disposer d’un établissement stable dans cet État membre ?

2)

L’article 44 de la [directive TVA] et l’article 11 du [règlement d’exécution no 282/2011] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un assujetti peut disposer d’un établissement stable lorsque les moyens humains et techniques requis sont ceux de son prestataire, juridiquement indépendant mais faisant partie d’un même groupe, qui s’engage contractuellement, de manière exclusive, à les mettre en œuvre au profit dudit assujetti ?

3)

L’article 44 de la [directive TVA] et l’article 11 du [règlement d’exécution no 282/2011] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un assujetti dispose d’un établissement stable dans l’État membre de son prestataire du fait que ce dernier réalise à son profit, en exécution d’un engagement contractuel exclusif, une série de prestations accessoires ou supplémentaires par rapport à un travail à façon au sens strict, concourant ainsi à la réalisation des ventes conclues par cet assujetti à partir de son siège en dehors de l’[Union] mais donnant lieu à des livraisons de biens taxables localisées en vertu de la législation TVA sur le territoire dudit État membre ? »

Sur les questions préjudicielles

26

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 44 de la directive TVA et l’article 11 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’un assujetti preneur de services, dont le siège de l’activité économique est établi en dehors de l’Union européenne, dispose d’un établissement stable dans l’État membre dans lequel est établi le prestataire des services concernés, juridiquement distinct de ce preneur, lorsque l’assujetti prestataire de services réalise au profit de cet assujetti preneur, en exécution d’un engagement contractuel exclusif, ces prestations ainsi qu’une série de prestations accessoires ou supplémentaires, concourant à l’activité économique de l’assujetti preneur dans cet État membre, et que les moyens humains et techniques de l’éventuel établissement stable appartiennent au prestataire de services.

27

L’article 44 de la directive TVA dispose que le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que cet endroit, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé.

28

L’article 44 de la directive TVA est une règle déterminant le lieu d’imposition des prestations de services, en désignant de manière uniforme le lieu de rattachement fiscal. Il a pour objectif d’éviter, d’une part, des conflits de compétence susceptibles de conduire à des doubles impositions et, d’autre part, la non-imposition de recettes (voir en ce sens, notamment, arrêt du 16 octobre 2014, Welmory, C-605/12, EU:C:2014:2298, points 42, 50 et 51).

29

Le législateur de l’Union a retenu en tant que point de rattachement à titre principal, en ce qui concerne le lieu de la prestation de services fournie à un assujetti, le siège de son activité économique, car il offre, en tant que critère objectif, simple et pratique, une grande sécurité juridique. En revanche, le rattachement à l’établissement stable de l’assujetti, visé à l’article 44, deuxième phrase, de la directive TVA, est un rattachement secondaire qui constitue une disposition dérogatoire à la règle générale, pris en compte pourvu que certaines conditions soient remplies (voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2014, Welmory, C-605/12, EU:C:2014:2298, points 53 à 56 ; du 7 août 2018, TGE Gas Engineering, C-16/17, EU:C:2018:647, point 49, et du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C-333/20, EU:C:2022:291, point 29).

30

Dès lors, ainsi que la Cour l’a constaté, notamment au point 53 de l’arrêt du 16 octobre 2014, Welmory (C-605/12, EU:C:2014:2298), la prise en considération d’un établissement autre que le siège de l’activité économique ne rentre en compte que dans le cas où ce siège ne conduit pas à une solution rationnelle ou crée un conflit avec un autre État membre, car, ainsi qu’il ressort du point 55 de cet arrêt, la présomption que les prestations de services sont fournies à l’endroit où l’assujetti-preneur a établi le siège de son activité économique permet d’éviter, aussi bien aux autorités compétentes des États membres qu’aux prestataires de services, d’entreprendre des recherches compliquées en vue de déterminer le point de rattachement fiscal.

31

En ce qui concerne la notion d’« établissement stable » au sens de l’article 44 de la directive TVA, celle-ci désigne, conformément à l’article 11 du règlement d’exécution no 282/2011, tout établissement, autre que le siège de l’activité économique, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement (voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2014, Welmory, C-605/12, EU:C:2014:2298, point 58, et du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C-333/20, EU:C:2022:291, point 31). Il s’ensuit que, ainsi que la Cour l’a précisé au point 59 de l’arrêt du 16 octobre 2014, Welmory (C-605/12, EU:C:2014:2298), pour qu’une société soit considérée comme disposant d’un établissement stable dans un État membre dans lequel les services concernés lui sont fournis, elle doit y disposer d’une structure suffisamment permanente et apte à lui permettre d’y recevoir les prestations de services concernées et de les utiliser aux fins de son activité économique.

32

Il y a lieu de relever, en outre, que la question de savoir s’il existe un établissement stable, au sens dudit article 44, deuxième phrase, de la directive TVA, doit être examinée en fonction non pas de l’assujetti-prestataire de services, mais de l’assujetti-preneur auquel les services sont fournis (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C-333/20, EU:C:2022:291, point 30).

33

Il convient donc d’apprécier si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti preneur de services peut être considéré comme disposant, de manière suffisamment permanente et appropriée, de moyens humains et techniques dans l’État membre où sont réalisées les prestations des services et, le cas échéant, si ces moyens lui permettent effectivement d’y recevoir et utiliser ces prestations.

34

En particulier, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’incidence, à cet égard, du fait, premièrement, que le prestataire et le preneur de services sont des entités juridiquement indépendantes, mais appartiennent au même groupe de sociétés, deuxièmement, que les moyens humains et techniques concernés appartiennent au prestataire de services et, troisièmement, que celui-ci s’engage contractuellement à utiliser son équipement et son personnel exclusivement pour les prestations de services, en l’occurrence le travail à façon, et que ce prestataire réalise, en application également de cet engagement exclusif, une série de prestations accessoires ou supplémentaires par rapport à ces premières prestations, en prêtant, notamment, un concours logistique, contribuant à l’activité économique du preneur, qui donne lieu à des livraisons de biens taxables dans l’État membre où serait situé l’éventuel établissement stable de ce dernier.

35

En ce qui concerne, en premier lieu, la structure appropriée d’un établissement stable en termes de moyens humains et techniques, la Cour a jugé qu’une structure qui se matérialise par de tels moyens ne peut pas avoir une existence seulement ponctuelle. S’il n’est pas requis de détenir les moyens humains ou techniques en propre dans un autre État membre, il est en revanche nécessaire que l’assujetti ait le pouvoir de disposer de ces moyens humains et techniques de la même manière que s’ils étaient les siens, sur le fondement, par exemple, de contrats de service ou de location mettant ces moyens à sa disposition et ne pouvant être résiliés à brève échéance (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C-333/20, EU:C:2022:291, points 37 et 41).

36

S’agissant du fait que le prestataire et le destinataire des services sont liés et, en particulier, que les sociétés en cause au principal appartiennent au même groupe, tout en étant juridiquement indépendantes l’une de l’autre, il convient de rappeler que la Cour a jugé que la qualification d’« établissement stable », qui doit être appréciée au vu de la réalité économique et commerciale, ne saurait dépendre du seul statut juridique de l’entité concernée, et que le fait qu’une société possède une filiale dans un État membre ne signifie pas en soi qu’elle y a également son établissement stable (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C-333/20, EU:C:2022:291, points 38 et 40 ainsi que jurisprudence citée).

37

En ce qui concerne la circonstance selon laquelle l’assujetti prestataire de services s’engage contractuellement à utiliser ses équipements et son personnel exclusivement pour les prestations de services concernées, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une personne morale, quand bien même elle n’aurait qu’un seul client, est supposée utiliser les moyens techniques et humains dont elle dispose pour ses besoins propres. Ce n’est donc que s’il devait être établi que, en raison des stipulations contractuelles applicables, une société destinataire de services disposait des moyens de son prestataire comme s’ils étaient les siens qu’elle pourrait être regardée comme ayant une structure présentant un degré suffisant de permanence et appropriée, en termes de moyens humains et techniques, dans l’État membre dans lequel est établi son prestataire (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C-333/20, EU:C:2022:291, point 48).

38

Partant, le fait que, dans l’affaire au principal, les moyens humains et techniques concernés appartiennent non pas à Cabot Switzerland, mais à Cabot Plastics, n’exclut pas, en tant que tel, la possibilité que cette première société ait un établissement stable en Belgique, pourvu qu’elle y dispose d’un accès immédiat et permanent à ces moyens comme s’il s’agissait de ses moyens propres. À cet égard, pourraient être prises en compte, sans être déterminantes en soi, notamment, les circonstances que, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, Cabot Plastics s’est engagée à utiliser ses propres équipements exclusivement pour la production des produits visés par la convention conclue avec Cabot Switzerland, que cette convention est en vigueur depuis l’année 2012, et que ces prestations constituent la quasi-totalité du chiffre d’affaires de cette première société.

39

Cependant, ainsi que l’indique la Commission européenne dans ses observations écrites, le prestataire des services concernés restant responsable de ses propres moyens et fournissant ces prestations à ses propres risques, le contrat de prestations de services, bien qu’exclusif, n’a pas pour effet à lui seul que les moyens de ce prestataire deviennent ceux de son client.

40

S’agissant, en second lieu, du critère, également prévu à l’article 11 du règlement d’exécution no 282/2011, selon lequel les moyens humains et techniques d’un établissement stable doivent lui permettre de recevoir des prestations de services et de les utiliser pour ses propres besoins, il convient, tout d’abord, de distinguer les prestations de services de travail à façon fournies par Cabot Plastics à Cabot Switzerland de la vente par cette dernière société des biens issus de ce travail. Ces prestations et ces ventes constituent, en effet, des opérations distinctes, soumises à des régimes de TVA différents (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C-333/20, EU:C:2022:291, point 52 et jurisprudence citée). Dès lors, il convient, aux fins d’établir le lieu où ces prestations sont reçues par Cabot Switzerland, d’identifier le lieu où sont situés les moyens humains et techniques que cette société utilise à cette fin, et non pas celui où se trouvent les moyens qu’elle utilise pour son activité de vente.

41

Ensuite, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les mêmes moyens ne peuvent pas être utilisés à la fois pour fournir des services et recevoir ces mêmes services (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C-333/20, EU:C:2022:291, point 54). Or, en l’occurrence, sous réserve de l’appréciation de la juridiction de renvoi, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour qu’il soit possible de distinguer les moyens utilisés par Cabot Plastics pour ses prestations de travail à façon de ceux qui seraient, selon l’administration fiscale, utilisés par Cabot Switzerland pour réceptionner ces prestations en Belgique, au sein de son prétendu établissement stable, lequel ne serait d’ailleurs constitué, selon cette administration, que par les moyens appartenant à Cabot Plastics.

42

La juridiction de renvoi s’interroge, par ailleurs, sur l’incidence que peut avoir, pour déterminer le lieu des prestations de services de travail à façon en cause au principal, la circonstance que le prestataire réalise, en application également du contrat exclusif conclu avec le destinataire de ces prestations, une série de prestations, que cette juridiction qualifie d’« accessoires » ou de « supplémentaires » par rapport au travail à façon, à savoir, la gestion du stock des matières premières, leur inventaire en fin d’année, le contrôle de qualité, la gestion du stock des produits finis et la préparation des commandes avant l’envoi. La juridiction de renvoi indique que Cabot Plastics prête à Cabot Switzerland un concours logistique, contribuant ainsi à l’activité économique de celle-ci, donnant lieu, notamment, à des livraisons de biens taxables en Belgique où serait situé, selon l’administration fiscale, l’établissement stable de cette dernière société.

43

Ainsi qu’il ressort du point 40 du présent arrêt, il convient de distinguer, s’agissant de la question de savoir si un assujetti preneur de services reçoit ceux-ci au sein de son établissement stable, d’une part, la prestation de ces services et l’aptitude de cet assujetti preneur à les recevoir au sein d’un tel établissement et, d’autre part, les opérations que cet assujetti effectue lui-même dans le cadre de son activité économique, comme en l’occurrence la vente des biens issus du travail à façon. Il s’ensuit que le fait que le prestataire de services fournit au destinataire de ceux-ci également les prestations accessoires précitées, facilitant ainsi l’activité économique de ce destinataire, telle que la vente de produits issus du travail à façon, n’a pas d’incidence sur la question de l’existence d’un établissement stable dudit destinataire.

44

En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la circonstance que les activités économiques de sociétés contractuellement liées par une convention de prestations de services forment un tout économique et que les résultats de ces activités bénéficient essentiellement aux consommateurs de l’État membre où le prestataire de services à son siège n’est pas pertinente pour déterminer si le preneur de ces services possède un établissement stable dans cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2014, Welmory, C-605/12, EU:C:2014:2298, point 64). La Cour a également jugé que ne constitue pas un établissement stable une installation fixe utilisée aux seules fins d’exercer des activités à caractère préparatoire ou auxiliaire par rapport à l’activité économique du preneur des services concernés (arrêt du 28 juin 2007, Planzer, C-73/06, EU:C:2007:397, point 56).

45

Compte tenu des éléments qui précèdent et sous réserve des vérifications de la juridiction de renvoi, il apparaît que les prestations de services de travail à façon en cause au principal sont reçues et utilisées par Cabot Switzerland, pour son activité économique de vente des biens issus de ces services, en Suisse, dès lors que cette société ne dispose pas en Belgique d’une structure appropriée à cette fin.

46

Au vu de tout ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 44 de la directive TVA et l’article 11 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’un assujetti preneur de services, dont le siège de l’activité économique est établi en dehors de l’Union, ne dispose pas d’un établissement stable dans l’État membre dans lequel est établi le prestataire des services concernés, juridiquement distinct de ce preneur, lorsque celui-ci n’y dispose pas d’une structure appropriée en termes de moyens humains et techniques pouvant constituer cet établissement stable, et ce même lorsque l’assujetti prestataire de services réalise au profit de cet assujetti preneur, en exécution d’un engagement contractuel exclusif, des prestations de travail à façon ainsi qu’une série de prestations accessoires ou supplémentaires, concourant à l’activité économique de l’assujetti preneur dans cet État membre.

Sur les dépens

47

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 44 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008, et l’article 11 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112,

 

doivent être interprétés en ce sens que :

 

un assujetti preneur de services, dont le siège de l’activité économique est établi en dehors de l’Union européenne, ne dispose pas d’un établissement stable dans l’État membre dans lequel est établi le prestataire des services concernés, juridiquement distinct de ce preneur, lorsque celui-ci n’y dispose pas d’une structure appropriée en termes de moyens humains et techniques pouvant constituer cet établissement stable, et ce même lorsque l’assujetti prestataire de services réalise au profit de cet assujetti preneur, en exécution d’un engagement contractuel exclusif, des prestations de travail à façon ainsi qu’une série de prestations accessoires ou supplémentaires, concourant à l’activité économique de l’assujetti preneur dans cet État membre.

 

Gratsias

Ilešič

Jarukaitis

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 juin 2023.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

D. Gratsias


( *1 ) Langue de procédure : le français.